Shadows House tome 1 & 2 : un récit alliant ténèbres et lumières
Pour bien finir la semaine, on s’est dit que l’on allait parler d’un titre qui fut un immense coup de coeur. Une très belle surprise dont on ne savait pas du tout à quoi s’attendre et qui a fini par nous en mettre plein les mirettes. Parmi tous ces mondes que l’on visite, il y a ces quelques univers qui nous font vibrer en seulement quelques pages. Des mangas à la fois poétiques et touchants. On a pu retrouver tout cela dans l’une des dernières licences de Glénat. On parle bien sûr de Shadows House dont les deux premiers volumes sont sorties la semaine dernière. Avec son aura atypique, son synopsis intriguant et surtout l’opposition qui va se jouer dans ces cases, ce manga parvient à insuffler beaucoup d’éléments prometteurs en très peu de temps. Une lecture qui nous faisait de l’oeil, mais qui a réussi à dépasser nos attentes en proposant un périple à la fois original et pertinent dans ses propos. Une saga qui désire nous faire passer d’une frontière à l’autre sans même que l’on s’en rende compte et qui finit par mélanger tout cela pour insuffler une saveur particulière à chacun de nos pas. Le temps est donc venu de pousser les portes du manoir des Shadow en espérant pouvoir en ressortir un jour.
La dure vie d’une poupée
Shadows House, imaginé par So-ma-to, nous plonge dans un univers fantastique où l’on intègre le manoir de la famille Shadow. Ces gens de la haute sont l’archétype même propre à leur statut de noble. Cependant, une chose bien singulière les différencie du reste du monde. Leur visage est entièrement teinté de noir. Une suie ne pouvant disparaître recouvre l’intégralité de leur faciès et cache ainsi leur identité aux yeux de tous. Une particularité bien difficile à porter pour certains car ne pouvant aisément exprimer leurs émotions à l’égard de leurs interlocuteurs. De plus, il arrive fréquemment que la suie qui recouvre leur visage s’échappe pour aller recouvrir les multiples pièces de cette demeure. C’est donc afin de garder les lieux propres, mais aussi dans le but de combler leur manque d’humanité que ce groupe a décidé de créer des êtres pouvant les assister au quotidien. Prenant la forme de “poupées vivantes” ces jeunes hommes et femmes se voient tous attitrés à l’un des membres de cette famille. Leur quotidien est alors une longue succession d’actions redondantes qui consistent à nettoyer les lieux, mais aussi à échanger avec leur maître ou maîtresse afin de créer un lien entre les deux. Cette relation naissante est avant tout destiné à ce que le mannequin ayant pris vie puisse retranscrire les émotions du Shadow qu’il suit.
C’est donc dans cette bâtisse que va naître Emilico. Cette poupée venant de naître il y a peu se voit comme mission de s’occuper de Kate. Prenant son travail très au sérieux, la demoiselle a pourtant la fâcheuse tendance à faire des gaffes. De plus, elle a beaucoup de mal à se représenter ce que sa maîtresse pense et va souvent s’attirer les foudres de cette dernière. Malgré cela, un lien fort commence à naître entre les deux dont le destin est étroitement lié. Après tout, c’est dans leur intérêt commun que de réussir à passer ces étapes avant de devoir faire face à l’Exhibition. Cette cérémonie secrète est un passage obligé pour tous les jeunes membres de la famille Shadow et leur servant pour savoir s’ils sont dignes de faire partie de l’élite familiale. C’est en ayant en tête cet objectif précis qu’Emilico va tout faire pour satisfaire les besoins de sa supérieure et surtout essayer de se rapprocher d’elle. Ce que tout le monde ignore, c’est que derrière les dépôts de suie revenants sans cesse entacher les murs de cette maison, cette jeune fille pourrait très bien apporter autre chose d’important. La lumière d’une innocente jeune fille va se confronter aux ténèbres insondables d’un endroit où les secrets pullulent et où il est difficile de cerner les véritables intentions des dirigeants de ce manoir.
Autant le dire tout de suite, Shadows House va nous avoir frappé à de nombreuses reprises à travers ces deux volumes. Cette série n’a de cesse de nous envoûter de par le mysticisme qui en ressort, mais aussi par la douceur qui vient se confronter à la brutalité de certains occupants. Un conflit rondement mené qui va énormément jouer sur notre immersion, mais aussi notre ressenti tout au long de notre exploration. Une oeuvre qui allie parfaitement ces deux faces d’une même pièce afin de donner naissance à une aventure poétique et sinistre.
Une atmosphère lugubre et inhumaine
Ce qui fait toute la saveur de Shadows House est ce contraste qu’il y a entre cette obscurité propre au lieu que l’on visite et la lumière apportée par cette poupée. Il est donc très intéressant de voir ces deux aspects du récit pour vraiment comprendre à quel point l’ensemble est maîtrisé. Tout d’abord, concernant cette sombre bâtisse, on est rapidement plongé dans cette ambiance assez oppressante. Déjà, le simple fait de rencontrer les propriétaires dont on ne peut voir le visage insuffle quelque chose de particulier chez le lecteur. L’absence d’expressions faciales due à la suie provoque en nous un certain recul. En effet, on est autant intrigué qu’effrayer à l’idée de s’approcher de ces gens dont on ne peut déceler les véritables intentions. Une énigme qui ne fait que se prolonger durant toute notre escapade et va provoquer un malaise en nous bienvenu. C’est une très bonne idée d’avoir imaginé une particularité aussi forte, car cela va faire prendre conscience au lecteur à quel point c’est déstabilisant de ne pas pouvoir lire le caractère d’un personnage de par ses traits physiques et son faciès. Outre cela, l’ambiance pesante du titre va aussi survenir dans le second tome qui va bien plus s’attarder sur l’exploration de ce bâtiment.
Alors que l’on accompagne notre héroïne dans sa découverte de son lieu de travail, on va vraiment sentir que chaque pas se fait de plus en plus lourd. C’est encore plus vrai durant les passages nocturnes qui ne rassurent absolument pas, car on a la sensation qu’une menace pourrait bondir sur nous et nos nouveaux amis à tout moment. Ainsi, l’auteur parvient avec ses deux premiers éléments à instaurer une toile de fond absolument savoureuse. On dit cela, car il y a un autre détail qui va entrer en ligne de compte et qui va justement nous pousser à vouloir en savoir plus sur cet endroit qui nous file des frissons. Autant le dire tout de suite, ce manoir regorge de secrets et l’on est attiré vers eux. Que ce soient les différentes pièces inexplorées de la zone, le mystère derrière cette famille hors du commun, le traitement de certaines poupées ainsi que leur fabrication sont autant de petits trésors que l’on désire trouver. Il y a donc constamment cette petite lutte intérieure chez le lecteur qui est tiraillé entre l’envie de quitter ce terrain de jeu et la curiosité que parvient à nourrir le mangaka. Des recherches qui vont être accentués au contact d’Emilico qui va se laisser guider par sa bonne humeur et cette soif de découverte presque enfantine. Des premiers pas qui resserrent l’étau autour de nous pour que l’on ne puisse plus quitter ce manoir. Un magnifique premier coup qui va être renforcé par l’autre partie du récit.
Comme on l’a dit un peu plus haut, Shadows House se distingue grandement de par cette confrontation entre lumière et ténèbres propre à son synopsis. D’ailleurs, tout est assez noir de par cette suie qui ne cesse d’envahir les lieux et que les poupées doivent nettoyer afin de ramener un peu de soleil dans toutes ces salles. Cependant, la plus belle lueur qui anime ce conte va provenir de notre personnage principal. Une jeune fille qui va illuminer notre parcours et surtout nous faire voir les choses du bon côté en compagnie de sa maîtresse.
Une lumière venant briser l’obscurité
Alors que l’on se retrouve presque pris à la gorge par la tension qui se dégage de ces diverses zones que l’on parcourt, on peut compter sur Emilico pour transformer une virée effrayante en un petit jeu fort plaisant. C’est en la voyant agir, se comporter telle qu’elle est et surtout avoir cette innocence qui montre à quel point l’auteur a su viser en plein dans le mille. Cette poupée vivante est ce dont cette oeuvre avait besoin pour atteindre un tout autre sommet. Elle représente cette lueur d’espoir, de gaieté, mais aussi ce côté enfant qui nous touche profondément. A ses côtés, tout ce qui peut être effrayant semble presque se transformer en un jeu. Les corvées deviennent des mines de découvertes. Elle désamorce en grande partie tout le côté sinistre de cette histoire et qui est propre à la famille Shadow. Alors que l’on voit les autres membres de ce groupe être droit, parfois même hautain et despotique, Emilico balaye cela en quelques secondes. Son esprit de camaraderie, mais aussi sa bonne humeur constante illumine autant notre voyage qu’elle déteint sur les autres personnages. Alors que tout est carré, froid et lugubre, cette demoiselle parvient en un claquement de doigts à donner le sourire.
Ainsi, ce qui peut sembler nous inquiéter au premier abord nous est montré d’une toute autre manière à travers les yeux de cette servante. Elle arrive même à dérider un peu tout son entourage qui va commencer à voir l’intérêt de se lier et de s’amuser. Cependant, cela va aussi apporter une source d’inquiétude supplémentaire, car à tout moment ce bonheur peut disparaître. Il suffirait juste que notre héroïne ne puisse répondre à ses devoirs pour qu’elle finisse au rebut. On a alors une telle sympathie pour elle que l’on ne peut envisager d’aborder la suite de l’aventure sans l’avoir à nos côtés. On a donc autant envie qu’elle nous fasse rire que de la voir réussir à remplir son rôle en tant que visage de Kate. D’ailleurs, le dernier tiers du second volume va parfaitement mettre cette problématique en valeur et confronter ainsi la gentillesse d’Emilico à la raison de sa création. Cet équilibre précaire rend cette confrontation aussi haletante que le plus violent des combats. Une lutte de tous les instants pour cette jeune fille qui cherche juste à se faire des amis et à en apprendre plus sur le monde qui l’entoure. Une magnifique prouesse de la part de l’auteur qui met en opposition l’innocence d’un enfant et la nature très froide de cette lignée de nobles.
Shadows House est d’une très grande richesse. On peut autant citer cet univers qui s’étend un peu plus à chaque page qu’à la construction de ses différents acteurs, ce manga ne cesse de nous surprendre. D’ailleurs, il fut vraiment pertinent de sortir les deux premiers volumes en même temps étant donné que cela permet d’avoir une vision plus globale de tout ce qui constitue le quotidien de ces jeunes filles et hommes au service de cette famille. Une épopée qui est encore bien loin de nous avoir révélé tout ce qu’elle cache et qui va donc réussir à nous donner envie de pousser une fois de plus les portes de ce lugubre manoir.
Shadows House nous offre une invitation d’exception
Shadows House est l’exemple parfait de ce que l’on aime dans les mangas. Cette envie de découverte qui nous plonge au coeur d’une aventure à la fois surprenante et qui nous livre une prestation incroyable. Proposant une identité qui lui est propre, cette série assume pleinement ses choix et parvient ainsi à apporter une émotion toute particulière au lecteur. Il suffit de quelques secondes pour vraiment s’attacher à Emilico ainsi qu’aux autres personnages qui ponctuent notre parcours Même Kate arrive à nous toucher de par son envie d’agir un peu différemment de ses congénères. De plus, ce manga maîtrise aussi à la perfection la notion de suspense et surtout de mystères nourrissant abondamment notre désir d’en apprendre plus. A chaque fois que l’on tourne la page, c’est un déferlement d’émotions qui nous assaille. Voir notre jeune poupée vivre tranquillement sa vie a quelque chose de rafraîchissant avant que l’on soit rapidement rattrapé par l’oppression qui se dégage de cette prison dorée où nul visiteur ne peut y entrer. On a donc encore plus l’impression d’être un témoin privilégié de ce qu’il se passe entre ces quatre murs.
Vous l’aurez donc compris, on a passé un moment incroyable au cours de cette lecture. Shadows House a réussi à nous faire vibrer et cela est d’autant plus remarquable que l’on ne savait pas vraiment sur quel pied danser en lisant simplement le synopsis. Une aventure littéraire qui dessine un tableau aux multiples nuances et où la notion de lumière et de ténèbres s’entrechoquent pour délivrer un spectacle d’excellente facture. Si vous cherchez un récit qui sort de l’ordinaire, avec une patte graphique soignée et surtout une écriture travaillée au niveau des protagonistes, alors cette licence devrait rapidement vous plaire. En tout cas, on est conquis de notre part et l’on a très envie de savoir ce qu’il va bien pouvoir se passer par la suite. Deux excursions qui nous laissent avec de nombreuses questions en tête. Quel est le fondement de ce mal étrange qui ronge les Shadow ? L’Exhibition sera-t-elle une réussite pour notre duo et les autres participants ? Quelle est donc l’origine de la fabrication des domestiques de cette demeure ? Il faudra maintenant être patient pour savoir la réponse à tout cela.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ces deux premiers volumes de Shadows House. Avez-vous apprécié l’atmosphère bien particulière de cette série ? Trouvez-vous qu’Emilico apporte énormément à l’oeuvre de par son écriture et surtout son caractère ? A votre avis, qu’est-ce qui se cache derrière cette particularité propre aux Shadow ? Pensez-vous que le manoir regorge d’autres secrets à élucider ? Qu’attendez-vous pour la suite de cette aventure littéraire ? On reste à votre disposition pour pouvoir échanger, discuter et débattre autour de ce sujet. 🙂
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