Gigantis tome 1 : des monstres asymétriques
Il y a des noms qui nous intriguent toujours quand on les voit sur un manga. Des auteurs dont on apprécie le style que ce soit dans leur écriture ou bien dans leur trait. On peut alors être curieux de voir ce que peut donner un artiste sur un nouveau projet. Cela peut être l’occasion de voir son évolution ou bien d’admirer son expérience s’exprimer à travers une histoire inédite. Voilà pourquoi on a été très intrigués en apprenant que Ken-ichi Tachibana revenait en France à travers sa nouvelle série Gigantis. Cette série a fait ses débuts la semaine dernière dans le catalogue de Crunchyroll. Alors qu’il nous avait déjà grandement convaincu avec Terra Formars, on était curieux de ce que pourrait donner cette licence dont le synopsis avait éveillé notre intérêt. Quand on a finalement pu se plonger dans cette lecture, on a alors pu retrouver tout ce qui faisait la force du mangaka dans un contexte différent. Il nous montre son expertise en matière d’horreur en nous amenant au cœur d’une histoire où la peur s’exprime à travers la chair. L’heure est donc venue de se rendre sur l’île de Tsushima pour vivre un cauchemar éveillé.
Un cauchemar à plusieurs faces
Gigantis, dessiné par Ken-ichi Tachibana d’après l’œuvre originale de Yoichi Komori, nous emmène au Japon et plus précisément sur l’île de Tsushima. Sur ce petit monceau de terre, la vie semble si paisible pour les habitants. C’est notamment le cas pour Gen, un lycéen ayant décidé de rapidement trouver un travail pour aider sa famille. Suite à la disparition de son père, il se retrouve à devoir veiller sur sa mère et sa petite sœur en prenant le rôle du patriarche. A ses yeux, le plus important est qu’elles ne manquent de rien et place tous ses espoirs d’avenir en sa sœurette. Mais ces petits instants de repos et de douceur vont s’arrêter brusquement du jour au lendemain. Alors qu’il est en cours, Gen va remarquer une étrange silhouette qui se rapproche de l’établissement. Il s’agit d’une vieille femme qu’il a l’habitude de voir sur le chemin le menant à l’école. Cependant, quelque chose de différent se dégage de celle-ci. Son physique est totalement difforme et elle affiche même deux têtes. L’une est humaine tandis que l’autre est celle d’un chat. Une monstruosité qui semble avoir été rapiécée avec de multiples corps différents. Pensant avoir halluciné en voyant ça, il va rapidement se rendre compte que tout ça est bien réel quand cette créature s’en prend à des membres du lycée. La panique se répand parmi les élèves et les adultes qui cherchent à tout prix à échapper aux griffes de ce monstre.
Malheureusement, il s’avère qu’elle n’est pas seule. C’est une déferlante de créatures aussi monstrueuses qu’elle qui ont fait leur apparition sur Tsushima. En seulement quelques heures, une grande partie de la population a été dévorée par ces êtres et assimilée pour renforcer leur corps qui ne cesse de muter. A chaque nouvelle victime, un monstre se transforme et laisse un témoignage du disparu à travers sa chair. Alors que l’armée entre en action pour stopper le massacre qui a lieu, les soldats vont devoir se rendre à l’évidence qu’ils ne font pas le poids. Aucune arme ne semble pouvoir venir à bout de ces ennemis et les quelques militaires survivants finissent par fuir en laissant sur place les habitants qui se retrouvent à la merci de ses créatures. Pour Gen, un éprouvant quotidien va alors débuter pour survivre au milieu de ce chaos et surtout protéger ce qui lui est le plus précieux. Pendant un an, les gens vont réussir à s’en sortir en se dissimulant dans les nombreux bunkers ayant été créés il y a plusieurs années sur l’île. Malheureusement, cette situation intenable ne pouvait qu’éclater au vu du danger qui se rapprochait lentement d’eux. En une fraction de secondes, la vie de ce jeune lycéen va basculer. Face à ces êtres qui furent appelés Ias du fait de leur nature sûrement extraterrestre, il va être acculé. Cependant, c’est en entrant en contact avec ces monstres qu’il pourrait bien obtenir la clé nécessaire pour enfin les vaincre. Pour vaincre ces abominations, il va sûrement falloir en devenir une aussi.
Il ne faut pas longtemps pour comprendre que derrière ce synopsis, Gigantis nous cache un récit qui va éveiller un pur sentiment de frayeur. En rencontrant ces monstres qui commencent à faire un massacre là où il passe, l’auteur ne va pas uniquement nous offrir un récit jouant sur le gore. Au contraire, la véritable frayeur va provenir du physique de ces créatures dont la simple présence suffit à représenter une véritable menace pour les personnages et aussi inconsciemment pour le lecteur qui a l’impression d’être présent sur place. Nous ne sommes pas uniquement dans le genre de l’horreur lié à des créatures surnaturelles. On se retrouve plongé dans un cauchemar maîtrisé et soigné.
Une bonne maîtrise de l’horreur
La première chose qui va rapidement frapper le lecteur en découvrant Gigantis sont les IAS. En fait, avant même que l’on fasse connaissance avec Gen, le récit s’ouvre sur la découverte d’une de ces entités qui se présentent déjà comme effroyables alors qu’il ne s’agit que d’une souris. On reste figé sur l’image de cet animal qui affiche d’effroyables difformités comme une seconde tête poussant à côté de la sienne. Avant même que l’on rencontre le protagoniste, nous voilà face à quelque chose qui nous est inconnu et qui rapidement provoque un malaise dans le cœur du lecteur. Une frayeur qui va n’avoir de cesse de grandir au fil des pages alors que l’on tente de nous faire oublier ça par le biais de ce quotidien chaleureux et doux de cette famille. Pourtant, plus on progresse et plus on assiste à l’étendue des dégâts et surtout à l’ampleur que va prendre cette invasion extraterrestre. Mais ce qui est remarquable, c’est que si on a quelques scènes assez violentes, la véritable peur ne vient pas de là. Le mangaka a su créer une histoire qui va nous prendre aux tripes bien plus par ce symbole de difformité que sont les Ias que par une déferlante d’hémoglobines. Au contraire, l’angoisse vient avant tout par l’aspect visuel de ces monstres qui nous rebute et va justement accentuer cette boule que l’on a au ventre. De même, le moment le plus flippant n’est pas la mort de personnages en soi, mais l’instant qui suit et précède cette tragique disparition.
Quand on voit l’une de ces atrocités poser ses griffes sur une personne, on sait instinctivement ce qui va se passer et ces quelques cases vont avoir un effet considérable sur notre immersion dans cet enfer. Le fait aussi de voir les victimes devenir une partie de ces monstres va renforcer ce dégoût que l’on a pour eux et ce non-respect de la vie. Nous sommes face à une lecture horrifique dont la frayeur découle de cet aspect charnel en constante mutation dont on est témoin. Il est impossible de rester de marbre face à ces êtres qui n’ont absolument rien d’humain. Ce qui est bien, c’est que ce parti-pris va prendre une bonne partie de ce premier tome. Si l’on a le droit dans le dernier pan de cette lecture au développement de l’intrigue et surtout de l’arme qui pourra venir à bout de ces créatures, c’est réellement tout ce qui se passe avant qui va nous happer dans l’histoire. Le spectateur reste figé devant ce triste spectacle comme si le moindre mouvement attirerait le regard de ces prédateurs. Une mise en scène fantastique qui va pleinement servir le récit et nous ouvrir les yeux sur la menace qui s’étend sur le globe. Une habileté incroyable de la part de l’auteur afin de jouer sur le dessin pour nourrir notre propre inquiétude à l’idée de devoir faire face à d’autres de ces abominations. La maîtrise des codes du récit horrifique prend tout son sens ici et sert à créer une toile de fond saisissante et suffisamment solide pour laisser le champ libre par la suite à la revanche des êtres humains.
On peut donc facilement considérer Gigantis comme une réussite dans ce qu’il souhaite nous raconter à travers ce premier volume. Il faut vraiment voir cet ouvrage comme une présentation de l’enfer que vivent les personnages et de réussir à nous partager leur angoisse. Cela fonctionne à merveille tant les monstres ont une efficacité quand on pose le regard sur eux. Même après en avoir croisé de toutes sortes, on a toujours cette boule au ventre en voyant leur physique contre-nature. Des morceaux de chair et de membres agglutinés en une entité et qui peuvent aisément hanter notre esprit pendant un moment.
Gigantis entame sa mutation
Autant le dire tout de suite, on a été totalement happé par ce récit qui se veut particulièrement viscéral dans le spectacle qu’il nous offre. Il est vrai que l’apocalypse venant de l’apparition d’êtres monstrueux n’est pas une chose si rare dans le monde du manga. Cependant, il faut reconnaître que ce premier volume frappe très fort dans l’oppression que l’on va ressentir au fil des pages. On se retrouve totalement à la merci de ces créatures difformes qui semblent invincibles et où le moindre contact peut amener à un destin particulièrement sinistre. De même, il est très intéressant de voir le traitement qui est amené concernant l’invasion progressive de ces cauchemars ambulants qui n’ont pas encore totalement pris la main sur l’ensemble de la planète. Ainsi, on voit chaque nation cherchant à se défendre au mieux face à ces attaques et surtout on nous prépare le terrain pour ce qui pourrait être le salut de l’humanité. On entre alors dans une dimension captivante et réfléchie de l’utilisation d’armes humaines à qui on aurait presque retiré toute humanité. Il va être très intéressant de voir comment cette idée va se développer par la suite, car cette introduction cherche avant tout à nous plonger dans cet enfer qui a frappé la population mondiale. On éprouve une forte aversion tout au long de la lecture pour cet ennemi qui n’est pas uniquement destructeur. Il se transforme peu à peu en une peur bien concrète qui va rythmer chacun de nos pas et surtout renforcer tout ce que l’on peut ressentir au fil de cette aventure. Un pari plus que réussi pour ce premier contact qui a instillé une graine d’effroi dans le cœur du lecteur pour mieux l’emprisonner dans cette intrigue haletante.
C’est donc avec beaucoup de joie que l’on recommande ce premier volume de Gigantis. Une aventure qui se réserve à un public averti au vu de ce que l’on peut observer entre ces pages. On a surtout été bluffé par cette faculté du dessinateur à retranscrire l’effroi propre à ces entités asymétriques qui semblent totalement surréalistes et dont on ne peut pourtant détourner le regard. Chacune de nos rencontres avec elles devient marquante tant elles sont uniques au vu de leur capacité spécifique et surtout par ce physique macabre qui sort tout droit de nos pires songes. Une bonne entrée en matière portée par un trait soigné et qui a su poser un décor sinistre dans lequel on avance en espérant juste éviter au maximum ces prédateurs. Si vous avez aimé un titre comme Terraformars ou que vous cherchez simplement une œuvre qui saura vous donner des sueurs froides, alors ce titre pourrait bien vous satisfaire pleinement. On ressort de cette lecture avec pas mal de questions au vu de ce qui se prépare dans les dernières pages. Est-il réellement possible de venir à bout de cette menace ? Quel avenir attend notre protagoniste au milieu de ce chaos ? Va-t-il jouer un rôle crucial dans la contre-attaque ? Jusqu’où peut aller la mutation de ces êtres infernaux ? Quelle est l’origine de leur apparition sur Terre ? On est à la fois tiraillé entre notre envie de ne plus croiser ces monstres et notre insatiable curiosité de voir comment va évoluer le récit. Un sentiment qui prouve l’efficacité de cette introduction.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume de Gigantis. Trouvez-vous que l’on a devant nous un titre qui arrive autant à jouer sur l’aspect horrifique que sur la science-fiction qui commence à se dégager ? Trouvez-vous le chara-design de ces créatures réussie et jouant un rôle prédominant dans le malaise que l’on peut éprouver à leur égard ? Est-ce que vous trouvez que le mangaka a su retranscrire la tension et l’état d’urgence découlant de l’apparition de ces effroyables monstres ? Qu’attendez-vous pour la suite de la licence ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.
© 2021 Komori Yoichi / Tachibana Kenichi, Shueisha