Bokko tome 1 : tout est dans la défense
Si vous me suivez depuis quelque temps, vous n’êtes pas sans savoir que j’adore les récits historiques. Un genre que j’apprécie tout particulièrement et qui peut offrir d’incroyables fresques où le passé refait surface. Il est alors toujours intéressant de voir comment est traité une époque à travers l’œil de ces artistes. Mais ce qui est aussi grisant, c’est quand une œuvre finit par faire son grand retour après avoir disparu depuis bien des années. Une occasion en or pour de nouveaux lecteurs de voir ce qui peut se cacher derrière un titre qui n’était plus forcément disponible. C’est exactement ce que l’on peut connaître aujourd’hui avec une sortie que j’attendais énormément chez VEGA-Dupuis. Dès son annonce, je n’ai pu contenir ma joie, car il s’agit de Bokko qui revient sur le devant de la scène à travers son premier volume. Nous amenant à une époque charnière de l’Histoire de Chine, ce récit va se centrer sur une bataille particulièrement éprouvante et sanglante. On va alors poser les yeux sur une confrontation qui ne se limite pas uniquement à deux pays, mais aussi à deux courants de pensée. Il est donc temps d’observer de loin ce champ de bataille où vont briller deux individus destinés à se faire face.
Une protection désespérée
Bokko, scénarisé par Sentaro Kubota et dessiné par Hideki Mori, est tiré de l’histoire originale de Kenichi Sakemi. Nous propulsant à l’époque des “Royaumes Combattants”, il y a environ deux mille trois cents ans, la Chine se montre divisée entre sept nations distinctes. Le pays est ravagé depuis des siècles par des combats incessants entre ces voisins qui cherchent à assurer leur suprématie sur ces terres. S’il y a eu des moments où certains pays se sont retrouvés au bord de l’extinction, il y a finalement toujours eu quelque chose pour venir rééquilibrer la balance. Rien ne semble pouvoir stopper cette ère de chaos qui ravage ces contrées et fait d’innombrables victimes. C’est durant cette époque que de nombreux courants philosophiques vont voir le jour et s’implanter dans l’esprit de nombreuses personnes. Parmi ces derniers, il y a une doctrine qui va rapidement se démarquer des autres. Il s’agit du moïsme qui prône l’égalité entre les hommes et rejette toute forme de guerre. Afin de suivre cette voie, les adeptes de cette pensée sont formés afin de se concentrer sur des tactiques de défense visant à protéger les citadelles assiégées. Pour eux, l’important n’est pas l’attaque, mais bel et bien la sauvegarde des gens qui luttent tout simplement pour protéger leurs terres. C’est ainsi que tous ces fidèles sont devenus des atouts pour ceux qui se retrouvent encerclés par l’ennemi et qui n’ont d’autres choix que de se replier au sein de leurs imposantes forteresses.
Après tout, même la plus solide des murailles peut tomber face à un ennemi trop important ou puissant. Il est important de savoir s’adapter et surtout de lire dans le jeu de l’adversaire pour le surprendre. C’est ce que les adeptes du moïsme ont juré de faire à travers diverses manœuvres stratégiques pouvant paraître invraisemblables pour les convenances de l’époque. Actuellement, tous les regards sont braqués sur l’armée du pays de Zhao qui s’apprête à attaquer la citadelle de Liang, de l’autre côté de leur frontière. Une attaque qui s’annonce dévastatrice au vu du peu de troupes qu’il y a dans l’enceinte de cette ville. Avec principalement des paysans, femmes, enfants et une noblesse trop centrée sur elle-même, les chances de survie sont faibles. C’est alors qu’un homme va faire son apparition en ville. Après avoir franchi les lignes ennemies et traversé la rivière séparant l’armée de Zhao des défenseurs, il se présente au seigneur comme Ke-Ri, disciple de Mo-Tseu. Ce dernier s’avère être la figure de proue de la doctrine moïsme et savoir qu’un de ses apprentis est à présent sur place pour les aider ne peut que réjouir les défenseurs. Malheureusement, la réalité est tout autre face à cette situation intenable. Pour réussir à atteindre son objectif de protéger les lieux, Ke-Ri va non seulement devoir faire face à un adversaire redoutable, mais aussi se faire accepter de ses nouveaux compagnons qui ne sont que peu confiants en ses méthodes et en leur chance de survie. C’est une longue et éprouvante bataille qui se profile à l’horizon.
Ce qui est bien avec le synopsis de Bokko, c’est qu’il nous donne tous les éléments de base pour bien cerner ce qui nous attend. Nous sommes face à un récit qui veut non pas se centrer sur toute une époque, mais bel et bien sur un moment précis de cette période afin de donner vie à cette histoire. En se concentrant sur une seule bataille, toute notre attention se focalise sur ces gens qui luttent pour leur patrie et ces envahisseurs déterminés à tout prendre. Le lecteur va alors être happé par la lutte de deux hommes ayant chacun un but bien précis à atteindre durant ce conflit.
La confrontation de deux philosophies
Bokko n’est pas le premier manga à s’attarder sur l’art militaire et même à cette époque si chaotique de l’Histoire de Chine. Cependant, ce qui va rapidement retenir notre attention, c’est que nous ne sommes pas dans l’optique de suivre toute cette période historique à travers les diverses grandes confrontations ayant ponctué cette ère. Au contraire, toute notre attention va être focalisée sur une seule bataille qui va surtout être l’occasion de faire connaissance avec le principal protagoniste de ce récit. Ke-Ri est un élément important de cette œuvre tant il représente une force non négligeable sur le champ de bataille. Pouvant paraître pour le moins étrange quand on le découvre pour la première fois, on va malgré tout se rendre compte rapidement à quel point son regard voit bien plus loin que ce qui se passe devant lui. Alors que l’on a l’habitude des grandes batailles stratégiques où détruire son opposant est la clé de la réussite, ce tome va prendre le problème sous un autre angle. Il n’est pas question ici de tuer pour conquérir, mais de se défendre pour protéger des terres et des innocents. Tout va s’axer autour de cette doctrine qui prône la protection plutôt que l’assaut et cela va se ressentir pleinement tout au long de cette lecture à travers les multiples manœuvres de notre protagoniste. On peut donc constater à quel point ses stratagèmes peuvent se montrer retors et surtout qu’un siège est très loin de s’organiser de la même manière que l’on soit attaquant ou défenseur. La question ici n’est pas l’extermination de l’ennemi quitte au sacrifice de nombreuses vies, mais bel et bien d’épuiser celui-ci en minimisant les pertes.
On attaque alors une partie majeure de cette lecture par rapport à la bataille en elle-même. Si celle-ci se montre déjà particulièrement captivante à suivre en plus de nous tenir en haleine, un autre point va rapidement se démarquer des autres. Il n’est pas uniquement question ici d’une lutte entre deux forces adverses. Nous faisons face à un bras de fer entre deux idéologies martiales totalement opposées. D’un côté, il y a Zhao qui cherche à tout prix à étendre son influence quitte à écraser tous ceux qui se dresseront sur leur route. De l’autre, on a Ke-Ri qui se soucie avant tout de la sauvegarde de ces civils obligés de prendre les armes pour défendre ce qui leur est cher. Deux facettes d’une même pièce et qui sont pourtant sont en totale contradiction dans ce qu’elles représentent. Ce conflit que l’on observe en tant que témoin silencieux est la représentation de ce que la guerre peut engendrer. Là où un camp combat pour tuer, l’autre lutte pour protéger. Deux objectifs en opposition, mais qui ne sont atteignables qu’en prenant les armes. Il y a ainsi deux visions qui se présentent à nous concernant le fameux “art de la guerre” et qui ne se limitent pas uniquement à nos deux principaux acteurs. Toute cette lecture est ponctué de moments plus ou moins forts afin de renforcer ce conflit d’idées afin de savoir ce qui prime entre l’attaque et la défense. Cela donne ainsi lieu à plusieurs niveaux de lecture qui rendent cette découverte encore plus passionnante et aussi symbolique d’une époque où la destruction prenait le pas sur la sauvegarde.
En un seul volume, Bokko nous transporte pleinement au sein de cette forteresse qui ne tient qu’à un fil. C’est grâce à un homme que les gens ont pu mettre de côté leurs craintes, leurs peurs et leurs différends pour faire face à un ennemi bien plus puissant qu’eux. On contemple silencieusement cette bataille en sachant pertinemment que personne ne ressortira gagnant de celle-ci. Le lecteur se demande simplement qui sera le dernier debout entre l’envahisseur prônant l’attaque et ce moine qui a dédié sa vie à la défense des autres. Une opposition qui se joue à bien des niveaux.
Bokko maintient ses défenses
Le fait de voir Bokko faire son grand retour à travers cette nouvelle édition est une très bonne chose. Cela donne l’occasion à ceux qui n’ont pu le découvrir de tomber sur une fresque historique haletante et où l’on confronte deux points de vue opposés de manière pertinente. Le fait de ne pas s’attarder du côté des assaillants, mais des défenseurs est aussi une très bonne proposition, car cela amène des problématiques bien spécifiques à ce rôle. Ainsi, on va passer du renforcement des murailles, au maintien du moral des troupes en passant par les divers stratagèmes pour piéger les assaillants. Tout est très bien ficelé et fait que l’on peut constamment être dans le doute concernant celui qui sortira vainqueur de cette bataille. Au vu de la force de cet opposant, on se dit que cela est joué. Mais avec un seul personnage, le récit prend une toute autre tournure et va montrer à quel point tout n’est pas uniquement une question de nombre. De même, le fait d’opposer diverses doctrines autour de l’art de la guerre est aussi un excellent parti-pris, car cela soulève d’autres thématiques qui entrent en concordance avec les enjeux de l’histoire. De par la défense, nos protagonistes tournent autour des notions de protection, de famille, de courage et de détermination. Du côté des envahisseurs, il est avant tout question de destruction, d’asservir et de raser. Une parfaite opposition et qui va aussi avoir le droit à une scène très forte symbolisant à merveille ce conflit qui se joue à plusieurs échelles.
En plus d’adorer les récits historiques, Bokko m’a totalement séduit par ce qu’il souhaite proposer en prenant pour toile de fond une telle époque. On ne se concentre pas tant que ça sur la manière dont cette ère va se conclure, mais sur un moment qui représente tout ce que cette philosophie martiale souhaite mettre en avant. Mais si l’on observe Ke-Ri comme un héros pour ce peuple, cela n’empêche que son art ne peut qu’éclore que dans la tourmente. Prônant l’égalité et la fin de la guerre, il n’en reste pas moins un homme qui a justement dédié sa vie à apprendre comment tuer autour de cette notion de protection. Un paradoxe qui est propre à cette thématique de la guerre et qui n’en est que plus captivante au fur et à mesure des chapitres et des décisions prises par cet individu. Sans oublier que la narration se veut particulièrement fluide et nous laisse ainsi pleinement apprécier du rythme du manga qui s’accélère progressivement au fil des pages. Une licence qui pourra donc plaire aux passionnés d’Histoire, mais aussi à ceux qui veulent suivre une bataille intense et pleine de rebondissements. Il est évident que j’ai beaucoup de questions qui me trottent dans la tête suite à tout ça. Est-ce que notre stratège va parvenir à stopper l’assaut de cet ennemi ? Ce dernier va-t-il trouver la faille dans la défense de cet homme ? Est-ce que tout le monde va accepter de se ranger derrière cet inconnu qui souhaite briser les barrières sociales et de richesses ? Il me tarde de connaître la suite de cette épopée.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume de Bokko. Avez-vous été happé dans le chaos de cette confrontation où chaque seconde compte ? Qui, selon vous, l’emportera dans cette bataille des idées ? Trouvez-vous qu’il y a un excellent travail qui a été apporté à l’écriture de ces figures de proue se démarquant du reste des soldats ? Ce titre a-t-il su mettre en avant, selon vous, l’art militaire et ses diverses subtilités dans la défense d’un lieu ? Qu’attendez-vous pour la suite de cette licence ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de cette excellente saga.