L’introspection-de-Tetsuo

L’introspection de Tetsuo

Si j’aime énormément toute la diversité dont peut faire preuve le manga, il y a quelque chose que j’apprécie par-dessus tout. Il s’agit d’observer comment les personnages évoluent au fur et à mesure de l’histoire et surtout des épreuves qu’ils vont vivre. C’est encore plus intéressant quand nous faisons face à une série qui dure dans le temps et qui aura donc amené plusieurs phases dans l’écriture d’un protagoniste. C’est justement en lisant l’un de mes derniers achats que j’ai pu me rendre compte à quel point un personnage principal avait su évoluer au fil des volumes. Il s’agit tout bonnement de Tetsuo de My Home Hero dont le tome 17 est sorti tout récemment chez Kurokawa. Si cette aventure a su éveiller bien des discussions concernant tout ce qui suivait la première grosse partie, force est de constater que l’auteur sait encore comment bien nous surprendre surtout dans la profondeur de ses personnages. C’est pourquoi, au vu de ce que l’on peut voir au sein de ces pages, que je me suis dit qu’il serait pertinent d’analyser comment la fin de cet arc est venue déconstruire tout ce que notre protagoniste pensait avoir établi depuis le début. L’heure est donc venue d’observer un combat entre deux diables qui va laisser bon nombre de séquelles.

La fin d’un arc cauchemardesque

My Home Hero Vol.17 - TetsuoPour rappel, My Home Hero est scénarisé par Naoki Yamakawa et dessiné par Masashi Asaki. On était projeté, depuis plusieurs tomes, dans le village natal de la femme de Tetsuo qui s’avère être coupé du reste de la société et dirigé par une secte ayant la mainmise sur toute la région. Tous les habitants considèrent que ce que leur dit leur prêtre suprême est vérité et sont des fidèles dévoués à leur cause. Alors que sa fille et sa femme se retrouvent entre leurs mains, Tetsuo est bien décidé à les libérer et va même jusqu’à causer la mort du grand prêtre et provoquer un conflit ouvert entre les yakuzas qui le poursuivent et les villageois. Cette situation est très importante pour bien cerner l’évolution de notre protagoniste, car c’est un plan qu’il a minutieusement établi. Ainsi, il désirait tout ce qui s’est passé et voulait profiter de la confusion et du chaos engendré par la bataille entre les deux groupes pour fuir avec sa famille. De ce fait, une fois de plus, il utilise le meurtre dans le but de protéger ce qui lui est précieux et là encore on arrive à comprendre ses motivations tant il nous est présenté comme un père souhaitant juste venir en aide aux siens. Un désir plus que louable même si on ne tolère pas ce qu’il commet comme crimes pour y parvenir. Mais là où Tetsuo va être surpris, c’est par la tournure que va prendre son stratagème en voyant que Kubo, sûrement son pire obstacle jusqu’ici, défie tous ses pronostics. Ce mafieux, à lui seul, parvient à tenir tête à quasiment l’ensemble des forces armées du hameau. 

Un prédateur qui va faire un nombre considérable de victimes et en ressortant le grand vainqueur de ce combat. Mais là où ce tome frappe encore plus fort, c’est dans la scène qui va confronter Kubo aux autres fidèles totalement démunis. Le spectateur va être témoin d’une scène effroyable qui va autant appuyer la monstruosité de cet homme que la triste résignation à leur sort de ces gens. On est donc sous le choc devant cette scène, mais qui va aussi amener autre chose de très important quand Tetsuo découvre ça à son tour. En fait, tout ceci découle inéluctablement de ce plan qu’il a ourdi dans l’espoir de sauver ses proches. Il a beau ne pas être celui qui a pressé la gâchette face à tous ces innocents, il est celui qui a conduit Kubo au cœur de ce village. Il prend conscience des conséquences de ses actes et surtout à quel point il n’a pas pensé aux autres et uniquement à sa famille. Un sentiment que l’on peut comprendre, mais qui a aussi entraîné un véritable drame. La raison à cela est toute simple. Tetsuo n’a jamais envisagé une seule seconde un plan qui ne fasse pas de victimes. Ce n’est pas que cela était impossible, mais c’est la première conclusion qui lui est venue de manière logique. On discerne alors un point très important concernant son développement. En ouvrant la boite de Pandore au tout début du manga avec son premier meurtre, il a fini par franchir cette frontière qui fait que ce type d’action immorale est maintenant acceptable à ses yeux. Une vérité qu’il va pleinement comprendre peu de temps après avoir observé le résultat de ce massacre.

Il est vrai que cet arc narratif a été sujet à bon nombre de débats au fil des tomes au vu de ce que nous avait proposé la première partie du manga. Cependant, je trouve beaucoup de qualités à celle-ci notamment justement dans l’écriture de Tetsuo qui va radicalement changer au fur et à mesure des chapitres. Un père qui pensait faire le nécessaire pour protéger les siens et qui, malheureusement, prend conscience d’une tragique vérité de la bouche du plus terrible des adversaires. On va alors avoir le droit à un duel magnifiquement bien écrit non pas pour désigner un vainqueur, mais ouvrir les yeux de notre protagoniste sur tout ce qu’il a fait.

Un face-à-face révélateur

Si une partie de ce volume 17 de My Home Hero va se concentrer sur les actes effroyables de Kubo, ce qui va finalement prendre une bonne partie de la lecture vient de la confrontation entre ce dernier et Tetsuo. Deux personnages qui commencent à se connaître depuis un moment et qui vont, cette fois, s’affronter pour de bon. Bien sûr, on imagine pas une seule seconde notre père de famille capable de l’emporter dans une confrontation directe avec ce tueur expérimenté. Dès le départ, on nous fait comprendre qu’il va encore faire preuve de ruse pour amener son adversaire à jouer selon ses règles. Mais ce qui va nous marquer avant tout, c’est le fait que ce duel va prendre, pendant un bon moment, l’apparence d’un échange presque amical entre les deux. Si cela est une volonté de l’ancien yakuza qui désire faire le point avec son opposant, Tetsuo ne se prive pas de cette discussion pour gagner du temps. Et pourtant, s’il nous présente ça comme un moyen de fignoler son plan, ces propos vont surtout être révélateurs de quelque chose que l’on savait tous, mais que l’on tentait d’ignorer. En fait, Kubo ne se cache pas d’être un accro au meurtre. Il s’agit de la seule chose qui l’anime et il se dit qu’il n’y a pas à avoir de raison valable pour ôter la vie de quelqu’un. S’il le fait, c’est uniquement par plaisir et là, il va remercier Tetsuo. Un merci qui sonne comme un coup de poignard dans le cœur de ce dernier, car cela confirme une fois de plus que c’est lui qui a offert sur un plateau d’argent ce terrain de jeu pour ce monstre. 

Et malgré toute sa volonté de réfuter de telles paroles, notre protagoniste ne va pas savoir quoi répondre. Il prend conscience petit à petit de tout ce qu’il a commis jusqu’ici sous couvert de défendre les siens. Cette discussion avec son adversaire est en réalité une manière pour lui de se remémorer le mal qu’il a pu faire en se disant que c’était pour la justice. Lui aussi commence à avoir énormément de cadavres dans son sillage et finalement, comme le dit Kubo, ils ne sont pas éloignés l’un de l’autre. Tetsuo le dit lui-même qu’il a trouvé un certain plaisir à appliquer ce qu’il avait pu écrire dans ses romans policiers. Le véritable tour de force de Tetsuo, c’est de s’être justement convaincu, ainsi que le spectateur, que tout ça était toujours l’unique manière de s’en sortir. Bien sûr, on comprend qu’il souhaitait ardemment venir en aide à sa fille et à sa femme afin de protéger leur petite vie paisible. Mais encore une fois, il n’a jamais réellement songé à une autre manière d’agir. De plus, il a toujours repoussé l’inévitable malgré son insistance à vouloir se rendre à la police. Avec ce tome, le conflit ne se joue pas entre Tetsuo et Kubo. Le véritable combat est celui de ce père face au meurtrier qu’il abrite en lui et qu’il a réveillé dès lors qu’il s’en est pris au petit ami de sa fille. Un choc autant pour lui que pour le lecteur qui montre à quel point l’écriture de ce dernier est remarquable. C’est justement en lui faisant commettre le pire, mais en le plaçant dans le rôle de protecteur que l’on a toujours pu fermer les yeux sur ses actes. Mais là, tout éclate au grand jour et il n’y a plus d’échappatoire possible comme le montre si bien les dernières pages de ce volume.

C’est pour tout ça que j’ai adoré ce dernier tome en date de My Home Hero qui parvient à amener Tetsuo dans une position toute particulière. Alors qu’il n’a eu de cesse de se convaincre qu’il faisait ça pour les bonnes raisons, sa confrontation avec Kubo va être l’occasion de chambouler la vision qu’il a de ses propres actes. D’ailleurs, on pourrait même aisément dire qu’il est à présent dans une phase d’acceptation de ce qu’il a commis qu’auparavant où il était plus dans la justification. Un protagoniste qui n’a eu de cesse de franchir la ligne rouge tout en parvenant à nous donner de l’empathie pour lui et sa famille.

Tetsuo accepte son monstre

My Home Hero-choixCe qui est fascinant avec ce tome, c’est qu’il marque un tournant majeur autant dans l’intrigue que dans l’écriture de Tetsuo. Comme dit précédemment, tout ce qu’il a fait jusqu’ici était là pour protéger sa famille et la quiétude de son quotidien. Cependant, dès l’instant où il a franchi la ligne rouge, il n’a eu de cesse de la traverser à de multiples reprises et avec toujours plus d’aisance. En fait, cet événement dramatique frappant le village et la discussion avec Kobe ont été les déclencheurs nécessaires pour qu’il comprenne que même s’il a fait ça pour une bonne raison, il n’en reste pas moins un criminel. Un tueur qui a sans cesse cogité pour éliminer ses opposants sans jamais que cela ne retombe sur lui. Un génie du mal qui a commis tout ça pour sa propre vision du bien. D’ailleurs, les dernières pages de ce volume sont révélatrices du fait qu’il accepte enfin cette part sombre de lui, car il comprend ce qu’il a commis et décide pourtant, d’un commun accord avec son épouse, de garder leur semblant de quotidien le plus longtemps possible. Il sait pertinemment que le jour viendra où il se fera attraper et aussi du mal qu’il a commis. Mais maintenant, au lieu de dire qu’il va se rendre de lui-même, il préfère attendre le jour fatidique en profitant au moins au maximum de son entourage avant que celui-ci ne lui soit à jamais retiré. D’ailleurs, la surprise des dernières pages va encore plus loin afin de préparer au mieux cet arc final pouvant amener une confrontation encore plus intense et symbolique.

Il n’y a pas à dire, l’écriture du personnage de Tetsuo est captivante à plus d’un titre. Je pense même que celle-ci prend une toute autre ampleur en lisant tous les tomes d’affilée afin de réellement ouvrir les yeux sur tout le parcours qu’il a fait et surtout ce qu’il a pu engendrer comme malheurs par ses bonnes intentions. Et c’est sûrement ça qui est le plus impressionnant dans le traitement de ce père de famille. C’est que même devant tout ce qui a été commis et le mal engendré par ses actions, il arrive à garder l’image d’un homme qui voulait au plus profond de lui veiller sur les siens. Mais ce que nous raconte aussi son histoire, c’est qu’il est tout à fait possible qu’un monstre se cache au fond de chaque être humain et qu’il suffit d’une fois pour que celui-ci prenne le contrôle. C’est donc pour ça qu’après avoir lu ce dernier tome en date, j’avais envie d’aborder ce sujet que je trouve remarquablement bien amené au fil de ces chapitres. Un individu pour lequel on a de l’empathie étant donné son but initial et à quel point tout ça l’a entraîné dans une spirale infernale. Mais derrière ce visage souriant et chaleureux se cache aussi un être capable de réfléchir aux pires stratagèmes possibles pour atteindre ses objectifs et peu importe si cela doit faire des victimes collatérales. Une dualité impressionnante et qui rythme toute l’histoire de ce personnage dès l’instant où il attendu pour se débarrasser de cette première menace.

N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant l’évolution de Tetsuo. Trouvez-vous que l’on a le droit à un développement intéressant venant ébranler la raison pour laquelle il a commis tout ça ? Est-ce que l’auteur arrive, selon vous, à semer le doute concernant la véritable personnalité de ce père de famille et du possible monstre qui habite en lui ? Avez-vous justement apprécié ce dernier tome pour ce qu’il arrive à nous apporter comme possible bouleversement pour le dernier acte de ce récit ? Qu’attendez-vous justement pour ce dernier ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.

© 2017 Asaki Masashi / Yamakawa Naoki, Kodansha

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