Manga Horror Show : les règles du survival-game
Le mois d’octobre continue de défiler à toute vitesse et il est déjà grand temps de vous proposer le second article du “Manga Horror Show” de cette année. Comme très souvent, je me questionne sur quel type de sujet je vais bien parler dans ce rendez-vous spécial. Après tout, j’ai déjà abordé bon nombre de thèmes depuis ses débuts. Et pourtant, le genre horrifique se montre très prolifique et peut surtout se décliner de multiples façons différentes. Il existe d’ailleurs un style de récit qui est un parfait représentant de ce que l’on peut trouver rattaché à l’effroi et qui sera justement notre thématique du jour. Je parle bien sûr de tout ce qui touche aux survival-games qui fut un type de manga ayant eu le droit à une grande vague de séries il y a quelque temps. Si aujourd’hui, on peut toujours en trouver quelques nouveaux, cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut totalement détourner les yeux de ces expériences. Après tout, en plus de nous offrir des récits haletants, c’est souvent l’occasion d’aborder des facettes intéressantes de l’être humain. J’espère donc que vous êtes prêts pour voir la manière dont ces œuvres cherchent à nous donner des frissons.
Il ne doit en rester qu’un
Bien évidemment, on est beaucoup à connaître le principe du survival-game ou jeu de survie en français. Son plus grand représentant et celui qui a vraiment lancé pleinement le genre n’est autre que Battle Royale. Mettant en scène de nombreux participants devant s’entretuer afin qu’il n’en reste plus qu’un, ces séries ont toujours su donner des sueurs froides aux lecteurs qui s’aventurent au sein de ces pages. Mais si ces jeux mortels vont nous offrir notre lot de rebondissements, de drames et de scènes terrifiantes, il est important de voir comment s’organise une telle proposition. Il faut d’abord se rendre compte qu’une grande partie de ce type d’ouvrage met en scène des adolescents se retrouvant aux prises avec leurs compères. Bien sûr, d’autres mangas amènent des changements concernant les participants et cela n’est jamais anodin. En confrontant des individus lambdas à ce type de situation, ces récits vont chercher plusieurs choses. Tout d’abord, il est avant tout question de voir ceux qui accepteront de jouer selon les règles et de commettre l’irréparable. Cela peut sembler être la base de toute série de ce genre, mais en prenant du recul, cela est loin d’être anodin. En effet, si l’on a le droit dans certaines histoires à des rebondissements scénaristiques propres à chacune, la majorité du temps il est question de confronter des personnes ordinaires entre elles. De ce fait, il va y avoir toujours quelque chose d’intéressant qui va s’opérer en tout début de lecture. Il s’agit d’un sentiment d’incompréhension et de refus par rapport à ce que les instigateurs de ces jeux de survie désirent. En faisant en sorte que les participants soient troublés au départ représentent très bien cette barrière que l’on peut se mettre pour ne pas accepter la réalité.
C’est souvent pour ça que lors de la phase où les personnages apprennent les règles propres à leur situation et le carnage qui s’annonce, beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à accepter ça. Après tout, cela va à l’encontre totale de ce que l’on peut connaître et l’on n’imagine pas un seul instant qu’une personne soit capable de pousser des gens à s’entretuer. Ce premier contact peut être vu dans bon nombre de séries comme c’est le cas justement dans le grand classique Battle Royale ou même dans des séries plus courtes comme Doubt. C’est pour ça que très souvent, on a le droit à un contraste qui va s’effectuer entre la vie que menait par exemple notre protagoniste et ce qu’elle devient au moment d’être embarquée dans un tel enfer. On veut mettre en parallèle une vie insouciante et le fait que tout puisse disparaître du jour au lendemain. Le confort habituel laisse place à une situation de danger immédiate et constante où le changement va s’opérer progressivement. L’horreur n’est pas immédiatement présente. Elle se façonne petit à petit dès lors que les personnages vont prendre conscience de cette prison dans laquelle ils sont enfermés et du prix à payer pour espérer en sortir. C’est d’ailleurs pour justement faire prendre conscience au lecteur et aux acteurs du récit que l’on a régulièrement une victime d’entrée de jeu afin d’appuyer le sérieux et le danger inhérents au survival-game. Il y a un mécanisme très intéressant qui se joue alors, car jusqu’à ce que le pire arrive, les participants se renferment dans cette envie de croire que tout ça n’est qu’une mauvaise farce. C’est quand la mort vient frapper une première fois l’un des leurs que l’on bascule pleinement dans l’effroi et le lancement réel de ce jeu de survie. Un basculement qui va réveiller la partie la plus sinistre de l’être humain.
Un thème éveillant les pires instincts
Ce qui fait aussi que ce genre peut autant provoquer des frissons chez le lecteur, c’est qu’il est propice à faire une introspection de l’être humain et de ce qu’il est capable de faire en situation de crise. Si l’on a souvent l’archétype du héros qui cherche tant bien que mal à sauver un maximum de vies, il va souvent être confronté à quelque chose de bien plus terrible que les organisateurs de ces sinistres événements. Il s’agit tout simplement des autres participants qui peuvent être des camarades ou alors de parfaits inconnus. En créant un environnement hostile où chacun doit penser avant tout à sa survie, on vient briser, comme je l’ai dit plus haut, la quiétude que l’on peut avoir en temps normal. Des gens ordinaires sont poussés dans leurs retranchements et vont alors non pas réfléchir pour trouver une solution, mais accepter ce triste sort et tout faire pour être le dernier en vie. Certains sont guidés par la peur de connaître un funeste destin préférant alors être les premiers à frapper plutôt que de subir le courroux d’autres participants. D’autres voient en cette situation l’occasion d’assouvir des instincts primaires effroyables du fait qu’on leur donne le droit de vie ou de mort sur les autres. Il n’y a plus de règles mises à part celles spécifiques à chaque jeu et c’est ce qui pousse ces individus à franchir la ligne rouge. Et c’est justement l’un des points les plus importants de ce type d’œuvre, car elle peut appuyer l’attitude de certains bourreaux tout en transformant des hommes et des femmes bienveillants en des êtres prêts à se salir les mains. Par exemple, quand on prend un titre comme Lethal Experiment, on découvre d’anciens camarades qui semblent avoir des liens forts.
Pourtant, il aura fallu d’un seul individu pour les entraîner dans les abîmes. Les anciennes amitiés volent en éclats et certains trouvent du plaisir à faire souffrir les autres tandis que d’autres sont simplement guidés par la peur d’être les prochaines victimes. Ce genre de manga est donc toujours l’occasion de traiter l’être humain et de ce qu’il est capable de commettre quand la panique prend le pas sur tout le reste. Et c’est justement ça qui rend ce type de lecture aussi efficace. Quand elles s’appuient sur cet élément, ces histoires nous mettent la boule au ventre, car on a vraiment le sentiment que cela pourrait être réel de voir une personne craquer et se transformer en tueur s’il est sujet à un tel cadre. Cela résonne bien sûr en nous et l’on va être autant terrifié par cette transformation qui s’opère qu’attristé en voyant ce que certains deviennent alors qu’ils auraient très bien pu mener une vie paisible sans tout ça. Dans un sens, le survival-game fait tomber le masque de chacun afin de voir ceux qui ont la force de rester fidèle à leurs principes et ceux qui succombent à cet appel à la violence et au sang. Et le plus tragique et terrifiant est que ce n’est pas forcément ceux qui sont dans une optique de sauver les autres qui ont le plus de chance de survie. Au contraire, les titres abordant un tel contexte sont souvent là pour mettre en avant ces individus qui craquent ou qui succombent face à cette brutalité. C’est donc souvent contre son gré que le protagoniste se retrouve à participer à toute cette mascarade sanglante et va être témoin de sa propre impuissance pour maintenir la cohésion tandis que la graine de la discorde a déjà commencé à naître. Alors que le groupe devrait être synonyme de force, le lecteur se retrouve à craindre la présence d’autres personnages, car il est incertain de leurs réelles motivations et de ce qu’ils désirent réellement. Le survival-game nous confronte à la part sombre de gens qui auraient très bien pu être des connaissances.
Survivre à tout prix
Ce qui va aussi faire la force des survival-game et créer une angoisse toujours plus palpable est la question de la survie à tout prix. Quand je parle de ça, c’est que l’on est déjà un peu avancé dans une série et que le jeu de survie a clairement commencé entre les participants. Si souvent, les premières victimes apparaissent à cause de gens qui ont finalement craqué face aux ordres des organisateurs, quelque chose de plus terrible va se forger au fil des chapitres et des confrontations. La tristesse, le regret et la peur liés à un tel acte vont peu à peu s’effacer pour laisser place à des participants qui sont bien décidés à rester en vie. De ce fait, on va plonger dans une approche beaucoup plus stratégique où il va autant être question d’alliances provisoires que de manipulations et trahisons. Tout est bon pour tenir ne serait-ce que quelques heures de plus et on ressent cette disparition progressive de toute forme de morale au fil d’une série. Et c’est là que ce genre peut se montrer brillant, car si ces histoires confrontaient des personnes ordinaires face à l’obligation de tuer pour s’en sortir au départ, on remarque au fil du temps que ces participants vont tragiquement se prendre au jeu. Les individus que l’on pouvait encore voir sourire innocemment au début d’un récit se transforment en des prédateurs qui n’ont plus une once de pitié à l’égard des autres candidats. En les poussant à devenir des criminels, ces histoires mettent en avant le fait que commettre l’irréparable provoquera quoi qu’il arrive un bouleversement dans le cœur du meurtrier. Si sa main est hésitante la première fois, elle va malheureusement gagner en assurance à chaque nouveau coup donné. Les prisonniers deviennent progressivement des bourreaux ayant de plus en plus de facilité à franchir la ligne rouge.
C’est pour ça aussi que le genre du survival-game est bien plus intéressant que le simple fait d’assister à un jeu morbide où les affrontements sont souvent sanglants. Il y a une véritable critique de l’être humain et de la société qui se dessinent très souvent derrière et c’est justement le fait de nous ramener à des thèmes aussi réalistes qui va aussi appuyer le malaise que l’on peut ressentir. En voyant des personnages qui pourraient être comme tout le monde se transformer en tueur par cette oppression constante dû à cette situation, on nous montre une autre facette sincère de l’homme. De même, c’est aussi souvent dans ces séries que l’on va aborder des questions comme le harcèlement, la vengeance ou bien la jalousie qui, poussés à leur paroxysme, sont des leviers pouvant amener certains protagonistes à sombrer. C’est cette diversité de raisons pouvant conduire à la rupture morale et mentale qui va aussi appuyer cette sincérité terrible qui rend certaines lectures pesantes. Après tout, le fait de voir un étudiant victime de violentes brimades qui a la possibilité de se venger de ses agresseurs à travers le jeu amène forcément des sentiments contraires chez le spectateur. On est tiraillé entre l’envie de les voir punis que la tristesse de constater que cela finira par transformer la victime en bourreau à son tour et entraîner un cycle infernal. Cet exemple peut aussi s’appliquer à bon nombre de sujets graves qui vont être traités à travers ces survival-games. A travers l’horreur et la peur engendrées par ces situations macabres, ces œuvres viennent aussi appuyer le mal-être que l’on peut vivre en abordant justement des thèmes graves, sombres et pourtant importants. Mais si nous avons pu aborder déjà de nombreuses parties essentielles à la construction de cette frayeur, il y a autre chose qui va jouer un rôle crucial dans cette angoisse grandissante.
Un sang qui ne disparaît jamais
Quand on parle de survival-game, on pense forcément à tout le déroulement de ce jeu de survie et les nombreuses tragédies qui vont avoir lieu. Après tout, c’est le cœur du récit et là où le spectateur va être le plus immergé. Cependant, il faut aussi prendre en considération ce qui vient après chaque affrontement ou bien à la fin d’une de ces histoires. Comme j’ai pu le dire un peu plus haut, ces ouvrages amènent des personnes ordinaires à se transformer en tueurs et donc à perdre tout ce qui faisait leur ancienne identité. Ils ont beau être les individus les plus doux qui soient, dès l’instant où ils font verser le sang des autres, ils ne sont plus que des bourreaux ayant succombé à l’appel de ces compétitions macabres. Cela contribue à l’horreur ressentie, mais il y a une autre partie qui va jouer là-dessus. Il s’agit tout bonnement de la manière dont ces survivants perçoivent leurs actes et leur vie alors qu’ils ne peuvent plus faire marche arrière. Après tout, même s’il arrive qu’un personnage ou plusieurs arrivent à s’en sortir, ils ne seront plus jamais les mêmes. Ils ont beau retrouver un semblant de vie normale, leurs mains restent tachées de sang et le souvenir des disparus reste bien ancré dans leur esprit. On découvre alors des survivants qui sont hantés à jamais par les fautes commises ou alors ont totalement succombé à l’emprise de ce jeu et se transforment en des êtres sinistres et capables du pire même après avoir regagné leur liberté. C’est l’impact que peut avoir le survival-game sur les protagonistes d’un récit qui va ainsi jouer un rôle important dans notre immersion et surtout dans l’angoisse d’assister à ces changements. Une construction narrative bien plus pertinente qu’on pourrait le croire et qui fait l’âme de ces séries.
En effet, si l’on pourrait voir principalement dans ces histoires seulement le côté sanguinolent de ces jeux macabres, ce serait malheureusement passé à côté de bon nombre d’autres facettes. Pour en revenir à l’horreur liée à ce genre, on veut nous montrer que n’importe qui peut devenir un monstre s’il est amené dans ses derniers retranchements. Dans une situation où il n’y a plus de lois ou de protections, c’est la règle du plus fort qui dirige tout. Même ceux qui vont tenter d’apporter un peu d’espoir dans ces récits vont soit se retrouver victime à leur tour ou bien être simplement le témoin des atrocités commises par les autres. Et quoi qu’ils arrivent, ceux qui arrivent à échapper à cet enfer ou à en ressortir vainqueur ne pourront plus jamais reprendre une vie normale. C’est exactement la raison pour laquelle on peut se sentir mal en lisant ces séries, car elles réussissent à nous confronter à une part sombre pouvant sommeiller en chacun de nous et où l’instinct de survie prend alors le pas sur tout le reste. Un basculement qui peut s’opérer par un nombre incalculable d’éléments qui vont ressortir par le biais de cet enfermement créé par quelques individus. Il est vrai que l’on peut avoir des personnages qui sortent du lot autant par leur propension à la violence que par leur attitude assez singulière. Mais ce qui va réellement marquer les yeux du lecteur est de voir un être humain lambda basculer dans la brutalité dans le maigre espoir de survivre et pouvant tout à fait connaître un sort tragique en jouant le sinistre jeu de ces organisateurs de l’ombre. Un très bon exemple de ça peut se trouver dans Darwin’s Game. Si ce survival-game joue sur le surnaturel, il n’empêche que l’on va constater l’évolution de Kaname, un adolescent lambda, qui va devenir l’un des participants les plus remarqués et les plus terrifiants. Un changement qui s’opère dès lors qu’ils sont pris dans la spirale de cette compétition sanglante.
Le survival-game et son lot de frissons
Cela faisait fort longtemps que j’avais envie d’aborder le cas du survival-game pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit d’un genre qui a grandement rythmé une partie de mon adolescence et qui a donc eu une grosse présence dans ma découverte du manga. De plus, je trouve qu’il y a énormément de choses à analyser sur la structure de ces histoires et surtout sur la manière dont les auteurs cherchent à utiliser cette idée initiale pour traiter de certaines thématiques. Mais si aujourd’hui j’en parle par rapport à l’effroi qu’ils véhiculent, c’est justement parce que je trouve que ce sont d’excellents représentants dans le domaine de l’horreur. On pourrait tout à fait les classer dans les œuvres d’action ou bien gore, mais il y a aussi une grande part de peur qui vient frapper les lecteurs. En nous mettant face à une situation où les personnages se retrouvent isolés et où ils n’ont surtout pas le contrôle des événements, cela ne peut que créer une profonde tension et inquiétude. Là où habituellement l’horreur vient du surnaturel ou d’une menace à part dans un quotidien paisible, ici elle s’exprime par le fait de transformer des gens lambdas en tueurs. L’ami d’hier peut alors se transformer en l’ennemi du jour et l’on assiste à un chaos poussant des individus à s’entretuer alors qu’ils n’auraient jamais osé faire ça en temps normal. Le survival-game nous confronte à la part la plus sombre de l’être humain et là où les autres récits veulent nous terrifier par le danger se trouvant face aux personnages, ici la menace ne vient pas uniquement d’en face, mais de tous les côtés et même interne aux protagonistes.
C’est donc pour toutes ces raisons que j’avais envie de dédier un numéro de “Manga Horror Show” à ce genre qui n’est plus aussi présent qu’auparavant en librairie, mais qui a pourtant accompagné beaucoup d’entre nous il y a de cela quelques années. Il est vrai que cette avalanche de titres que l’on pouvait avoir à l’époque a amené de nombreux stéréotypes autour de ce style et pourtant il est important de prendre du recul pour voir aussi tout ce qui peut être raconté à travers celui-ci. De Battle Royale à Doubt en passant par King’s Game ou bien plus récemment Your Turn to Die, il y a toujours des choses intéressantes à analyser de ces séries. Et, comme je l’ai dit un peu plus haut, il s’agit d’un type de manga qui me tient à cœur pour tout ce qu’il m’a fait ressentir au fur et à mesure des années. Des scénarios sanglants et angoissants qui ont aussi pour but de nous faire prendre conscience de nombreuses dérives, problèmes et souffrances liées à l’être humain et à la société. J’espère en tout cas que cette chronique vous aura plu et qu’elle vous aura donné envie de vous replonger dans ces épopées. N’hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous pensez de ce type de récit, mais aussi votre survival-game préféré. On se retrouve dès la semaine prochaine pour encore plus de frissons !