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Pourquoi j’aime #10 : Kujô l’implacable

Et nous voilà déjà au dixième numéro de “Pourquoi j’aime”. Je suis très content de voir que vous appréciez ce rendez-vous et c’est un plaisir que de vous donner les raisons qui font que j’apprécie une œuvre. Pour cette occasion, je me suis dit que j’allais changer radicalement de ton par rapport aux précédentes séries avec un manga qui te prend aisément aux tripes et souhaite aussi nous emmener sur un terrain particulièrement éprouvant. Je parle ici de Kujô l’implacable chez Kana et qui peut être difficile pour ceux qui sont particulièrement sensibles. Il faut dire que j’adorais déjà la précédente œuvre du mangaka et qu’il avait su créer une expérience comme rarement j’en avais vu auparavant. Et j’ai finalement décidé de me lancer dans cette nouvelle série et il frappe encore très fort. Chaque tome est autant une souffrance qu’une lecture captivante tant il parvient à capter la réalité d’un métier qui peut faire rêver et qui est pourtant loin d’être reluisant. C’était donc un titre idéal pour que j’en fasse le sujet d’une chronique. Préparez-vous donc à être défendu par un avocat remarquable, mais qui est prêt à accepter les pires clients.

Un avocat qui fait son métier

Kûjo l'implacable - avocat

La première chose qu’il est important de noter dans Kujô l’implacable concerne son thème de base. En effet, nous sommes plongés dans le domaine de la justice et plus précisément celui des avocats qui doivent lutter pour défendre leur client. Si ce sujet est déjà très intéressant de base et assez peu traité, il l’est encore plus quand on découvre le personnage principal que l’on va suivre. Kujô nous est présenté comme un homme brillant capable de se lancer dans les affaires les plus impossibles pour finalement l’emporter. On pourrait donc se dire qu’il serait au service des victimes et d’un jugement allant en leur faveur. Mais c’est tout le contraire qui se passe. En fait, cet homme nous exprime rapidement sa vision de son métier. Il ne se prend pas la tête avec des principes de bien ou de mal, car à ses yeux un avocat doit défendre son client peu importe qu’il soit réellement coupable ou non. Une mentalité qui le rend particulièrement populaire auprès des gangs locaux qui font souvent appel à lui pour se sortir des pires situations juridiques. Et à aucun moment il ne semble montrer le moindre remords à défendre de tels individus. Il accepte d’endosser ce rôle qu’il a choisi même si cela implique d’être détesté des réelles victimes et des autres membres du barreau. En nous faisant suivre un tel protagoniste, l’auteur veut justement que l’on ouvre les yeux sur le fait que ce job n’a rien de reluisant. S’il est satisfaisant de pouvoir aider une personne dans le besoin et qu’elle puisse réclamer justice, les criminels aussi ont leurs avocats. Un parti-pris qui rend le récit réaliste dans son approche et d’autant plus éprouvant à suivre au vu de notre sens moral qui se retrouve ébranlé par de tels agissements. Voilà un personnage qui n’est ni un héros, ni un méchant, mais juste un avocat faisant son boulot et dont on peut autant apprécier son talent qu’être attristé de comment il l’utilise.


Une tranche de vie éprouvante

Vous pourriez vous dire que ce point fort ressemble au premier. Pourtant, c’est très différent. Quand j’évoque le métier d’avocat, c’est surtout à travers le prisme de Kujô et de ce qu’il nous raconte sur sa vision de son job. Mais ce manga est aussi une tranche de vie qui nous narre le quotidien de notre protagoniste en dehors de cette cour de justice. D’ailleurs, on ne voit finalement que très peu de fois l’intérieur de cette salle pour se concentrer avant tout sur les interactions entre notre personnage principal et son entourage. Et quand j’évoque le fait que ce slice of life est éprouvant, c’est parce que l’on va être constamment au contact de ce qui peut se faire de pire chez l’être humain. On voit des bandes organisées qui font leur trafic et opérations sans se soucier des conséquences du fait de la présence de Kujô. Mais on va aussi être au contact de bien des vies brisées qui demandent réparation et qui finalement n’auront rien à cause du talent de ce maître pour l’emporter. Il va même jusqu’à pousser certaines victimes à devoir quelque chose à l’accusé et cela ne fait que renforcer le dégoût que l’on peut éprouver au fil de notre lecture. Mais c’est justement ce qui est recherché par l’auteur qui veut que l’on se sente mal pour tous ces pauvres gens tout en étant écoeuré des agissements de ceux qui s’en sortent. En fait, il veut nous dépeindre un quotidien peu reluisant, mais qui est réel et sincère. Oui, il peut y avoir de bonnes choses dans la vie, mais il y aussi bon nombre de vies qui peuvent être détruites en une seconde et c’est cette détresse frappant souvent au hasard qui se trouve au milieu de cette toile. Une volonté qui peut miner notre moral, mais qui est aussi importante à mettre en avant tant elle rend cette oeuvre captivante dans sa façon de capter une part de notre réalité sur laquelle on ferme souvent les yeux jusqu’au jour où elle frappe à notre porte.


Une réflexion de la justice

Kûjo l'implacable - intro

Evidemment, je ne peux évoquer Kujô l’implacable sans parler de la notion de justice qui est au cœur même des diverses affaires que l’on va suivre. Du fait d’avoir un avocat comme protagoniste, chaque situation va être amenée sur la balance de cette fameuse justice établie pour que chacun puisse avoir un procès juste. Mais quand on se penche sur ce manga, on se rend compte que c’est très loin d’être le cas. En effet, on nous présente des tragédies où c’est souvent le criminel qui s’en sort ou qui évite la pire peine possible grâce aux efforts de Kujô. On nous montre que cette impartialité signifie aussi que les victimes peuvent parfois, et même souvent, se retrouver démunies face au jugement rendu. C’est encore plus vrai que le manga s’inscrit dans le système judiciaire japonais qui est bien différent de celui que l’on peut connaître chez nous. Finalement, on assiste, au sein même de ces cours censées rendre la justice, à des injustices qui nous brisent le cœur. Il suffit tout bonnement de voir le tout premier cas qui va lancer la série pour comprendre totalement le ton que celle-ci va avoir. Et plus on progresse dans l’histoire et plus on ouvre les yeux sur le fait que les paroles de Kujô sont loin d’être anodines. S’il est loin d’être un parangon de vertu et ne cherche pas non plus à être quelqu’un d’autre, il est cependant bien conscient des failles autour de cette notion qui doit apporter équilibre et paix à chacun. Et c’est justement en ayant compris que le métier d’un avocat consiste à défendre son client peu importe s’il est oui ou non coupable qu’il peut se détacher de tout ça. Mais c’est justement là que le titre parvient à nous investir dans ce qui se passe, car il confronte cette justice et ses failles à la morale de chacun d’entre nous.


Un auteur qui maîtrise son sujet

Impossible d’évoquer Kujô l’implacable sans parler du talent de l’auteur qui est derrière cette histoire. Shôhei Manabe est un artiste que j’ai découvert, comme beaucoup, avec sa précédente oeuvre “Ushijima – l’usurier de l’ombre” édité aussi chez Kana. Et quand on met en parallèle ses deux séries, on se rend compte à quel point ce mangaka a su créer son propre style et surtout des histoires qui se veulent particulièrement tragiques. Que ce soit dans Ushijima ou Kujô, Shôhei Manabe cherche avant tout à mettre sur le devant de la scène ce qu’il peut y avoir de pire dans cette société. Si nous sommes dans deux milieux bien différents à travers ses deux titres, elles ont toutes les deux le point commun de nous montrer la détresse de personnes qui semblent totalement perdues. A chaque fois, c’est une descente aux enfers que l’on vit en compagnie de ces personnages qui se retrouvent blessés et même détruits par cette vie qui peut se montrer injuste. Il réussit toujours avec brio à capter le drame qui peut frapper n’importe qui et amener des personnes ordinaires qui n’ont rien demandé à vivre un vrai calvaire. Avec Kujô, il se sert de sa maîtrise du dessin et de son talent à l’écriture pour créer un récit où chaque tome regorge de moments qui nous déchirent le cœur. Des destins brisés qui tentent de se raccrocher à ce qu’ils peuvent, mais où un avocat peut tout faire basculer. Et c’est encore plus éprouvant dans cette série, car l’injustice est encore plus flagrante. Alors que chacun s’imagine pouvoir demander réparation à travers cette justice impartiale, c’est finalement une bien triste réalité qui s’offre à ces victimes. Un retour du réel d’une très grande violence, mais qui donne justement tout son attrait à ce manga qui est une fenêtre sur ce qui peut se passer non loin de chez nous.


Un récit haletant et éprouvant

Il est temps de conclure ce dixième numéro de “Pourquoi j’aime” dédié à Kujô l’implacable. Pour clore ce rendez-vous, j’ai envie de vous parler de ce que le manga réussit à nous raconter au-delà de ses nombreux thèmes importants. En fait, les premiers chapitres donnent l’impression que l’on va suivre une succession d’affaires et de défenses qui vont surtout servir à appuyer les propos sociétaux derrière tout ça. Mais plus on avance et plus on se rend compte que de nouvelles intrigues s’installent autour de notre avocat et qu’il y a aussi une dimension fictive laissant présager d’une histoire haletante. Ainsi, on assiste à certains fils rouges qui vont permettre à notre avocat de ne pas se limiter uniquement à l’image qu’il reflète depuis le début de cette aventure. Au contraire, on va voir qu’il est très loin de se cantonner à cette froideur qui le caractérise. Mais on va aussi être témoin des manigances qui ont lieu parmi les gangs du coin et les tentatives des forces de l’ordre pour les arrêter. Chaque affaire va amener discrètement sa petite pierre à la construction d’une intrigue beaucoup plus imposante et complexe. Et on va aussi avoir le droit à des arcs narratifs complets qui vont amener certains cas à s’étaler sur plusieurs volumes pour enfin connaître le fin mot de tout ça. Le titre va ainsi se permettre d’aborder d’autres thèmes difficiles ancrés dans la société japonaise comme les arnaques autour des maisons de retraite, l’industrie du X et bien d’autres sujets qui sont rarement traités. Et c’est autant intéressant d’avoir un titre qui aborde ces thèmes qu’il parvient à créer des petites histoires qui vont nous tenir en haleine jusqu’à leur conclusion. On se demande si l’on va avoir le droit à une lueur d’espoir pour au moins une de ces personnes et c’est aussi ce qui nous fait tant accrocher à cette série.

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