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Manga Horror Show : l’art d’être conteur

C’est le mois d’octobre et vous savez ce que cela signifie. Il est grand temps de dépoussiérer mon vieux grimoire afin de vous proposer de nouveaux numéros du “Manga Horror Show”. Un rendez-vous qui me tient toujours à cœur et dont je suis très heureux de pouvoir vous le proposer autour de ces nombreuses thématiques collant à l’effroi dans le monde du manga. Il faut dire qu’avec Halloween qui approche, je suis totalement dans cette ambiance avec pas mal de sujets qui me sont venus en tête pour cette année. Et je commence donc cette nouvelle salve avec un thème qui m’est rapidement venu à l’esprit en lisant un titre qui a commencé en 2023. Si j’ai déjà pu aborder l’horreur à travers plusieurs points de vue, il y a quelque chose qui pourtant n’a jamais été traité. Il s’agit de la notion de conteur, car cela fait partie intégrante de cette culture horrifique qui s’est très souvent transmise de vive voix. Que ce soit pour mettre en garde les plus jeunes ou simplement se faire peur autour d’un feu de camp, il y a toujours cette attirance à raconter des contes à glacer le sang. Et c’est donc pour ça que je vous propose aujourd’hui de parler de l’art d’être conteur et comment réussir à plonger une personne dans cette fiction en m’appuyant sur le manga “Mes cent contes mortels” chez Akata. Préparez-vous à frissonner d’effroi !

Savoir transmettre l’effroi

Avant d’aborder le cœur de notre sujet, il est important selon moi de nous attarder sur un point essentiel. Comment est-il possible de bien transmettre la peur à travers une histoire que l’on raconte ? Évidemment, il y a beaucoup de choses qui entrent en ligne de compte et quand on parle manga on peut autant partir sur quelque chose de très visuel ou bien la mise en place d’une atmosphère qui va progressivement nous oppresser. Les leviers pour atteindre cet objectif sont nombreux, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il est si facile que ça d’implanter la graine de l’effroi chez celui qui découvre cette histoire. Et quand il est question de transmettre verbalement un récit, c’est encore plus compliqué, car il faut réussir à poser le décor sans que les autres puissent avoir une image de celui-ci. Tout est question de stimuler l’imaginaire de ceux qui nous écoutent pour ainsi qu’ils se sentent immergé dans ce que l’on raconte. De ce fait, il y a plusieurs façons de parvenir à cet objectif. On peut s’attarder sur des contes qui sont finalement très courts et permettent d’accrocher rapidement l’attention du spectateur qui va être autant surpris par la vitesse de l’histoire que par la terrible chute qui va débarquer. Mais il peut aussi être pertinent de créer une ambiance qui soit propice à plonger l’auditoire dans cette fiction que l’on partage. Cela peut passer par quelques petits effets visuels, le fait de le faire la nuit ou bien d’autres possibilités pour amener les gens à être impliqué dans ce qui est raconté.

Et dans le monde du manga, on retrouve certains de ces points tout en ayant des éléments qui sont propres à ce médium. Rien que le dessin peut jouer un grand rôle dans l’impact que va avoir chaque histoire qui nous est proposée. Et surtout, il est très compliqué de réussir à créer un intérêt pour chaque récit étant donné qu’il faut proposer une grande diversité pour éviter la redondance, mais que cela implique que l’on va être plus sensible pour certaines et plus impassible pour d’autres. De même, comme dit précédemment, la nature d’une histoire joue aussi un rôle capital dans la manière que l’on a de la percevoir. On peut tout à fait partir sur un récit paranormal où la fiction prend le pas sur la réalité. La mise en place d’une atmosphère est alors cruciale pour que l’on en oublie notre logique et que l’on soit totalement sensible aux mots partagés. Sinon, cela peut être sur un conte beaucoup plus ancré dans le réel et qui va donc, tout naturellement, nous impacter plus étant donné que la réalité et la fiction vont ici se mélanger pour nous demander si ce n’est qu’une histoire ou que cela puisse vraiment arriver. Et dans le cas que je vais aborder pour ce Manga Horror Show, nous sommes face à une série qui arrive très bien à jongler entre tous ses nombreux aspects pour réussir à s’emparer de notre attention et nous donner des sueurs froides tout au long de notre lecture. Un exercice difficile où l’œuvre de Anji Matono brille tout particulièrement et nous donne une très belle leçon de narration horrifique.

Le cas “Mes cent contes mortels”

Mes cent contes mortels - PeurJ’ai déjà pu évoquer de manière classique ma découverte de “Mes cent contes mortels” dans une précédente chronique. Mais cette fois, j’ai envie d’utiliser ce titre comme support pour parler du thème qui nous concerne aujourd’hui. Car oui, comme le dit si bien son nom, ce manga nous amène au contact d’un jeune garçon qui va nous partager cent histoires après avoir eu connaissance d’une légende urbaine. Celle-ci dit que celui qui arrivera au bout de ce décompte verra un esprit vengeur apparaître et le tuer. Nous faisant rapidement comprendre que notre protagoniste souhaite mettre un terme à sa vie, il désire partager ses derniers instants avec le lecteur par le biais de ses multiples histoires. Ainsi, chaque tome de la série représente dix contes qui vont nous être partagés par cet enfant dans l’enceinte de sa chambre. Un cadre qui va avoir un rôle important par la suite, mais j’y reviendrai un peu plus tard. Ce qui est très intéressant d’entrée de jeu, c’est que l’on nous annonce pour combien de temps on va être en contact avec ce jeune conteur. Et le chiffre cent n’est pas anodin, car il a un effet assez choc sur le lecteur. On se demande comment le récit peut parvenir à nous accrocher aussi longtemps avec autant d’histoires. Et pourtant, le résultat est plus que réussi à chaque fois. Pour comprendre ça, il faut tout d’abord souligner que l’auteur, à travers son personnage principal, ne se limite pas à un type d’effroi. En réalité, le fait d’avoir autant de contes à proposer permet à celui-ci de nourrir sa créativité et ainsi donne le sentiment qu’il n’y a pas un seul récit identique à un autre. Et surtout, on va avoir de tout dans cette impressionnante liste. De la légende urbaine, du surnaturel, des fantômes, des tueurs et d’autres événements beaucoup plus réalistes.

Et l’on ne sait jamais sur quoi on va tomber au prochain chapitre. Cela est déjà la première clé de cette série pour réussir à accrocher notre regard et à nous donner envie de découvrir plus de ces contes horrifiques. Mais tout cela va avoir un second impact qui a son importance. Au même titre que “Les contes de la Crypte” ou bien “Chair de Poule”, cela va avoir pour effet de créer une sorte de rendez-vous régulier avec cet enfant dont l’imagination débordante arrive à nous terrifier à maintes reprises. Si l’on est parfois dans des histoires brutales et que l’on ressent aussi toute l’horreur de celles-ci, c’est parce que l’aspect visuel y est pour beaucoup. L’auteur nous délivre à chaque fois un style qui lui est propre tout en parvenant à amener diverses nuances en fonction de chaque récit. Et tout ça fait que chaque nouvelle plongée dans un tome est comme si on retrouvait un narrateur que l’on apprécie et dont on se demande ce qu’il nous a bien réservé cette fois-ci. Sans nous en rendre compte, on est scotché à cette série et l’on en oublie même ce fameux compteur qui baisse à chaque nouveau conte. Ce n’est qu’une fois que l’on referme un tome que l’on se dit que dix histoires sont déjà passées et que l’on se rapproche inéluctablement de la fin de tout ce “jeu” mortel. Pour finir, il y a un autre aspect que je trouve particulièrement important et qui n’est pas forcément celui que l’on va dire en premier. Il s’agit du fait que notre principal interlocuteur dans ce manga n’est autre qu’un enfant. Nous ne sommes pas face à un adolescent qui veut se montrer courageux et cherche juste à faire flipper ses camarades. Ici, on est devant un personnage qui a les allures d’un gamin et qui nous transmet des contes que l’on a du mal à concevoir qu’ils puissent être sortis de son esprit. Cela confronte la figure de l’innocence à celle de l’horreur qui habite chacun de ses mots. Un parti-pris qui va aussi nous amener à une autre facette importante de ce titre.

Quand fiction et réalité s’entrecroisent

Là, on s’attaque à un point très important de “Mes cent contes mortels” et qui prouve à quel point l’auteur a parfaitement su créer une histoire où l’on va être un peu perdu sur la notion de fiction et de réalité. Quand j’évoque ces deux derniers, ce n’est pas par rapport à notre monde et à celui de cet ouvrage. Il s’agit, au sein de cet univers, de ce qui fait partie intégrante du quotidien de notre narrateur et de ce qui est imaginaire quand il se met à raconter ses histoires. Si les premiers pas que l’on pouvait faire dans cette série se concentraient avant tout sur les échanges que l’on avait avec notre protagoniste, quelque chose d’autre va se former au fil des chapitres. J’ai évoqué précédemment le rôle crucial que va revêtir le cadre où se passe la plus grande partie de l’action. Je ne parle pas ici des contes, mais des quelques cases qui vont servir à introduire celles-ci. En effet, s’il y a un point commun à chacune d’entre elles est le fait que l’on va, avant de les découvrir, avoir un bref aperçu de la vie de cet enfant. Et si les premières fois, on a l’impression d’être face à un gosse qui a des petits problèmes liés à sa famille, nous sommes loin d’imaginer ce qu’il se passe réellement. Ce n’est qu’au fil de ses récits, mais aussi des tomes que l’on va lire que la vérité éclate peu à peu. On voit à quel point il subit un véritable cauchemar au quotidien de la part de sa famille et que son existence semble presque plus infernale que la plus terrifiante de ses histoires. Cela va avoir pour effet de créer une profonde empathie pour lui et surtout une profonde inquiétude à son égard. A chaque nouveau chapitre, on se demande si l’escalade de violence ne va pas nous amener à vivre des scènes de plus en plus tragiques.

Et on ne peut s’empêcher d’avoir la gorge nouée à l’idée de ce dont on va être témoin par la suite. Un peu comme s’il y avait deux histoires qui se passaient en parallèle. D’un côté, nous avons les cent contes que l’on désire découvrir pour tout ce qu’ils nous apportent comme frissons et intrigues surprenantes. De l’autre, nous avons cette sombre réalité qui ne fait que devenir de plus en plus dramatique au fil des pages. Cela va créer un sentiment très particulier chez le lecteur qui est tiraillé entre son envie de savourer toujours plus de récits et sa crainte de voir ce garçon souffrir toujours plus. Et c’est pour ça que la réalité et la fiction s’entremêlent pour créer une œuvre vraiment à part. Un manga dont l’horreur de la vérité est bien plus grande que la plus terrifiante des fictions. De ce fait, quand je parle de l’art d’être conteur, je trouve que “Mes cent contes mortels” est un très bon exemple de ça. On est face à un personnage qui réussit autant à nous convaincre de poursuivre ce rendez-vous tout en parvenant à créer une histoire en parallèle qui est sûrement son conte le plus terrifiant. Et alors que l’on pourrait être totalement interpellé par ce qui se passe chez lui, il arrive pourtant toujours à nous faire accrocher à son récit du jour. Cela nous est autant présenté comme une forme d’évasion de l’enfer qu’est son quotidien qu’une façon pour lui de nous partager un peu de sa peine à chaque fois. Et finalement, on comprend mieux pourquoi il s’est lancé dans cet objectif au vu de ce que symbolise pour lui la finalité de cette légende urbaine. Une construction narrative qui est remarquable et où l’on remarque que chaque élément est pensé pour renforcer l’impact de chaque conte tout en y saupoudrant cette réalité qui vient rattraper l’imaginaire.

Captivé par l’angoisse

Par rapport au sujet initial, je trouve très intéressant d’avoir une œuvre qui joue à fond la carte du conteur. C’est quelque chose de très rare dans le monde du manga d’avoir une narration qui prend ce parti-pris surtout quand il s’agit d’horreur. Et surtout, c’est fantastique de voir que c’est fait avec autant de brio. On nous montre, à travers cette série, à quel point c’est un art difficile que de savoir raconter une histoire et encore plus quand on part dans un challenge qui en regroupe cent. En s’aventurant dans cette série, on se rend compte qu’au-delà de nous donner des frissons, ces contes ont aussi ce petit truc en plus qui nous donne envie de poursuivre. Même en ayant fini l’un de ces chapitres, on a envie de continuer pour voir ce qu’il nous réserve ensuite. Cela démontre un talent indéniable pour capter son auditoire et surtout dans cette faculté à nous plonger dans des scénarios très courts et pourtant très intenses. En plus de ça, on est vraiment face à une très grande diversité dans les thèmes traités. Cela donne constamment le sentiment d’être face à quelque chose d’inédit et maintenant, on a tellement confiance en l’auteur que l’on ne craint plus la redondance. On est juste impatient de voir ce qu’il nous a réservé ensuite. C’est une excellente preuve de la capacité de cet artiste de créer une expérience horrifique que l’on ne voit nulle part ailleurs. Et finalement, cette incursion du réel au milieu de la fiction va aussi avoir un grand rôle à jouer.

Ce choix fait que même quand on quitte l’imaginaire de cet enfant, nous ne sommes pas sauf pour autant. On en vient presque à préférer le côté irréel de ces histoires que de retourner à cette réalité qui résonne si fortement en nous. On a envie de voir ce jeune garçon être heureux et ne pas subir tant de souffrances qu’il extériorise à travers ce face-à-face qu’il a avec le lecteur. Nous sommes impuissants face à sa détresse et l’on ne peut que le suivre en souhaitant de tout cœur que cela arrange même si on se rend compte que c’est loin d’être le cas. Une œuvre qui ne se limite pas à créer l’horreur de toutes pièces et qui joue justement sur notre sens moral et notre sentiment d’injustice pour créer un malaise encore plus pesant. Et c’est ça qui forme le noyau dur de “Mes cent contes mortels” qui se présente comme un indispensable en matière de titre pour Halloween. Une expérience plus que réussie et unique en son genre qui a su utiliser un concept peu utilisé et pourtant bien connu de tous, car faisant partie intégrante de cet imaginaire collectif. La narration est pleinement au service de l’immersion et cela peut même devenir bien plus efficace que dans une série horrifique qui doit constamment maintenir l’intérêt du lecteur. Ici, c’est une multitude d’aventures horrifiques que l’on vit et qui vont nous faire passer par tout un tas de sentiments différents. J’espère en tout cas que cette première chronique vous aura plu et qu’elle vous aura donné envie de découvrir cette série. J’étais très content de pouvoir aborder ce sujet, car c’est un peu l’essence même de toute histoire, mais où l’on a pour principal repère une personne centrale qui doit, à elle seule, nous emporter dans ses contes. Un pari plus que réussi et qui est une autre forme d’expression pour transmettre des émotions et particulièrement efficace pour ce qui est d’insuffler la peur. On se retrouve la semaine prochaine pour le second numéro de “Manga Horror Show”.

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