Pourquoi j’aime – PJ #16 : Shut Hell
Qui dit une nouvelle semaine dit aussi un rendez-vous que vous appréciez tout particulièrement. Je parle ici de “Pourquoi j’aime” dont je vous propose aujourd’hui un tout nouveau numéro. Il faut dire qu’il y a tellement de séries qui sortent que j’ai déjà eu l’occasion d’avoir énormément de coups de cœur. Et surtout, il y a une telle variété dans les histoires narrées que l’on a constamment de quoi s’émerveiller. Cette fois, on part dans le récit historique du côté de chez Panini pour vous parler plus en détails de l’excellent Shut Hell. Une œuvre qui, après plus d’une dizaine de tomes, a su largement montrer de quoi elle était capable. Avec ce voyage dans le temps, ce récit va nous amener au cœur d’un terrible conflit qui va opposer la destruction à la préservation de tout un patrimoine. Une lutte qui va nous tenir en haleine et mettre en scène des personnages qui vont profondément nous marquer et constamment évoluer. Préparez-vous donc à découvrir les cinq raisons qui font que j’apprécie autant cette licence qui propose autant des scènes d’action haletantes que des thèmes complexes.
Une guerre aux multiples conséquences
Pour bien commencer ce “Pourquoi j’aime” dédié à Shut Hell, il est important que j’aborde le contexte historique dans lequel se place l’histoire. Si les premières pages viennent mêler le présent et le passé, la suite du récit va pleinement s’axer sur cette période d’antan où la Chine a connu une redoutable invasion Mongole venant mettre à sac nombre de royaumes de cet imposant pays. Et il ne faut que quelques pages pour prendre conscience de l’ampleur de cette guerre. En une fraction de seconde, on nous montre l’horreur du champ de bataille et surtout à quel point cet envahisseur ne fait pas de quartier. Servant de principal antagoniste au récit, l’armée mongole se présente comme un adversaire redoutable et implacable que rien ne semble pouvoir arrêter. Avec à leur tête le grand khan, on nous dépeint constamment une force qui, malgré certains déboires, continue inexorablement sa marche. Cela va avoir pour effet de donner un important sentiment d’urgence pour ceux qui se retrouvent face à eux. En tant que témoin de ces massacres, on ouvre les yeux sur les conséquences que cela aurait de voir un tel ennemi posséder toujours plus de pouvoir. Le manga va alors beaucoup jouer sur son contexte géopolitique pour traiter de la guerre, de l’enfer qui en découle et de ce qui peut amener de telles armées à s’affronter. Une critique de la notion même de conflit qui va s’accentuer encore plus quand j’aborderais un autre point un peu plus bas. Mais ce qui est sûr, c’est que la mangaka retranscrit avec brio ce cauchemar qui s’abat sur ces terres et si l’on est pris dans les impressionnantes scènes d’action, on sait qu’il n’y a rien d’honorable dans ce qui nous est montré. Un élément que je trouve vraiment réussi et qui donne un ton dramatique à cette histoire.
Un cycle de vengeance
Un autre point que je trouve très intéressant dans Shut Hell et qui va être au cœur du récit concerne la vengeance. Il n’est pas rare, dans bon nombre de fictions, que celle-ci soit présentée comme quelque chose de néfaste qui ne fait qu’engendrer toujours plus de haine. Ici, on suit aussi cette voie, mais en y amenant une écriture encore plus profonde et pertinente. A travers le personnage qui donne son nom à la série, on suit quelqu’un qui n’est guidé que par sa haine à l’égard de ceux qui lui ont tout enlevé. Il en perd son humanité aux yeux de ses ennemis pour devenir un esprit vengeur qui assaille impitoyablement tout soldat mongole qui croiserait sa route. Au vu des horreurs commises par cette armée, on comprend ce qui anime notre héroïne et on ne ressent pas tant une envie de l’arrêter qu’une profonde tristesse à son égard. On sait qu’elle n’a que ça qui lui permette de s’accrocher un peu à la vie jusqu’à ce qu’elle fasse la rencontre de Yurul. C’est par le biais de ce garçon qu’elle découvre qu’il est aussi possible de suivre un autre chemin. Mais là où on pourrait croire que ce cycle de vengeance s’arrêterait, on se rend compte que le cas de Shut Hell n’est pas isolé. De par le conflit qui est en cours, on ne va avoir de cesse de rencontrer des gens qui crient vengeance que ce soit d’un côté comme de l’autre. Qu’il s’agisse d’Harabal, de Shut Hell ou même du khan, il est toujours question de représailles au final. Cela donne une dimension encore plus tragique à toute cette épopée, car on est constamment le spectateur de cette boucle sans fin qui grandit sur le champ de bataille. Une colère qu’un jeune homme cherche à contenir, mais dont il apprend rapidement qu’il ne peut stopper la rage et la détresse de certains tant elles sont profondément ancrées dans leur esprit.
Des personnages mémorables
Il m’est impossible de parler de Shut Hell sans évoquer l’incroyable galerie de personnages qui nous est proposée. Quasiment chaque individu que l’on va rencontrer, qu’il ait un rôle important ou non, va marquer notre esprit. Cela commence évidemment par Shut Hell et Yurul qui sont les deux principaux protagonistes de ce récit en plus de l’homme qui partage le corps de la guerrière. Et si le tandem qu’ils forment est excellent à suivre autant dans ses péripéties que dans son développement, les autres acteurs de cette pièce ne sont pas en reste. Et c’est assez représentatif de tout ce que la mangaka souhaite mettre en place, car elle ne veut pas créer un récit où il y a uniquement des gentils auxquels on s’attache et des méchants que l’on méprise. Au contraire, elle apporte énormément de soin à l’écriture de chacun afin que l’on puisse appréhender au mieux les principes qui dirigent la vie de chacun, leurs ambitions, idéaux et autres objectifs. Cela donne à ce manga une saveur toute particulière, car il s’agit bel et bien d’une fresque historique où de nombreuses âmes se croisent, luttent et tombent au nom de ce qu’ils pensent juste ou en adéquation avec leurs souhaits. Et s’il y a énormément de personnalités différentes, ils sont tous liés par cette humanité qui se dégage d’eux et qui est fragmentée, déchirée ou détruite par ces conflits constants. Chacun d’entre eux vient consolider les thèmes de cette œuvre et surtout tous les messages que cette série souhaite transmettre. Même un homme qui se présente comme un redoutable ennemi sur la route de nos protagonistes peut nous interpeller par tout ce que l’on va apprendre de lui. De ce fait, même ceux qui finissent par chuter ne disparaissent jamais vraiment et transmettent leur flambeau à ce jeune prince et sa garde du corps dans leur éprouvant périple.
Préserver l’héritage d’un peuple
Voilà un sujet qui est finalement très peu présent dans le monde du manga et qui trouve dans Shut Hell tout son sens. Ce titre nous propulse dans un contexte où l’armée Mongole cherche à tout prix à éradiquer les autres nations en faisant disparaître toute trace de leur civilisation. Voilà pourquoi ce conflit revêt une importance capitale, car il s’agit de stopper un adversaire dont l’unique but est l’annihilation totale de ses cibles. Et c’est à travers cette situation initiale que va découler la quête du jeune Yurul qui cherche à protéger les caractères d’écriture du peuple tangoute. Ainsi, on nous montre que si l’extinction de ce peuple semble inexorable au vu du raz-de-marée qui s’abat sur eux, il est encore possible de faire perdurer leur savoir et leur culture. Ainsi, cette épopée n’est pas uniquement là pour nous montrer des scènes de batailles spectaculaires ou bon nombre de soldats luttent. Il est avant tout question de préserver et non de combattre en faisant le maximum pour éviter qu’un tel trésor tombe entre de mauvaises mains. Cela permet à ce récit de nous amener sur des thèmes très importants qui entourent le savoir et l’héritage à faire perdurer de ceux qui ne sont plus. Il n’est pas seulement question de préserver ce dernier vestige d’un royaume disparu, mais de montrer qu’en laissant cette trace, tout ce peuple continue à vivre par le biais de cette écriture. Un témoignage de leur histoire qui ne les fera jamais tomber dans l’oubli et c’est finalement ça le propos de cette licence. Alors que l’on est face à un conflit de grande envergure, celui-ci symbolise surtout le fait de se souvenir face à ceux qui veulent tout effacer pour ne laisser en ce monde que leur propre vision de celui-ci. Un sujet complexe et particulièrement important qui forme le cœur de cette passionnante série.
A chacun sa vision du combat
Il est grand temps de conclure cette seizième chronique de “Pourquoi j’aime” en vous parlant d’un autre élément que j’ai trouvé captivant dans Shut Hell. J’ai déjà pu l’évoquer un peu plus haut, mais il s’agit du fait que cette série ne s’axe pas uniquement sur les événements ayant lieu sur le champ de bataille. En réalité, ce manga vient confronter non seulement des armées, mais surtout des visions diamétralement différentes sur ce que c’est que de régner. Et quand on se focalise sur ça, on se rend compte que cette œuvre regorge de personnages avec chacun sa propre réflexion sur le sujet. Certains vont penser qu’il est nécessaire pour une seule force de régner tandis que d’autres vont promouvoir l’entraide et le partage comme moyen d’avancer. Certains combattants vont accorder leurs principes avec la voie prise par leur souverain tandis que d’autres vont remettre en question celui-ci. Il y a tant de chemins présentés, certains qui nous sont abjects et d’autres utopistes. Et cela nous pousse à réfléchir sur le monde qui nous entoure et surtout sur l’être humain de manière générale. La mangaka cherche à ce que l’on ne soit pas uniquement spectateur de ce qui se passe et que l’on soit tellement touché par ce qui se passe que l’on participe nous aussi à ce débat opposant les principaux personnages de cette pièce. Je trouve ça remarquable, car cela montre à quel point l’artiste a parfaitement su cerner ce qui peut être au cœur des préoccupations et raisons de ces individus qui décident de se battre pour imposer leur choix aux autres. Sûrement l’une des séries qui symbolise au mieux le fait que chaque conflit est souvent une opposition dans les idéaux de quelques personnes qui finissent par entraîner des milliers de gens dans la tourmente.