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Ghost of Tsushima : la destruction du mythe du samouraï

Comme vous le savez sûrement, j’ai fait en live Ghost of Tsushima en prévision de l’arrivée de Ghost of Yôtei en fin d’année. L’occasion de me replonger dans cette aventure en compagnie de Jin que j’avais terminé juste une fois à sa sortie. Si le jeu m’avait bien marqué à l’époque, je me suis rendu compte que j’avais oublié certains éléments et surtout à quel point Sucker Punch avait su maîtriser la narration de son récit et l’écriture de ses personnages. Je me suis donc dit qu’il pourrait être intéressant de nous attarder, le temps d’une chronique, sur le thème principal de ce jeu vidéo. Car on peut clairement voir tout au long de l’aventure une volonté du studio de briser le mythe du samouraï à travers un protagoniste qui l’abandonne pour choisir une autre destinée. Un pari assez fou, car on se rend compte que ces figures mythiques de la culture japonaise ont très rarement été traitées sous cet angle. Des guerriers qui semblaient intouchables, mais que le studio a su amener ici à travers un prisme des plus pertinents. L’occasion de voir comment l’équipe derrière ce titre a su utiliser des codes d’autres médias, mais aussi une narration soignée pour nous raconter tout ça. Je vous invite donc à replonger avec moi sur l’île de Tsushima qui est en proie à un terrible conflit.

Le conflit de Jin

Pour ceux qui ne savent pas de quoi parle Ghost of Tsushima, on est projeté sur l’île du même nom durant la tentative d’invasion Mongole du Japon. C’est là que vont se dérouler les premières hostilités entre les samouraïs présents sur place et ces envahisseurs. Et le titre nous plonge rapidement dans ce conflit dès sa scène d’introduction où l’on voit Jin, son oncle le seigneur Shimura et les autres clans qui sont prêts à en découdre. Dès le départ, on ressent leur volonté de combattre cet ennemi avec l’honneur et la fierté qui sont propres à leur rang. Une image façonnée depuis très longtemps au fil des œuvres et de ce qui est raconté autour de ces hommes. Mais il suffit de quelques minutes pour observer quelque chose d’intéressant. Alors qu’on nous présente ces protecteurs de l’île comme le chemin à suivre, ils vont faire face à un adversaire qui n’a rien à faire de toutes ces valeurs. Khotun Khan, en l’espace d’une scène, va détruire tout ce qui façonne l’image du samouraï pour montrer qu’en temps de guerre, il n’y a pas de place pour tout ça. Un postulat de départ que je trouve vraiment intéressant, car c’est le reflet de ces conflits où il n’y a jamais une question d’honneur. C’est tué ou être tué et finalement, ce chef mongol est celui qui semble le plus logique dans sa façon d’observer la bataille à venir. C’est d’ailleurs peu de temps après ça que l’on assiste à une charge désespérée qui va causer la mort de quasiment l’intégralité des samouraïs de l’île. On peut aussi souligner à quel point cette introduction affiche une esthétique très cinématographique autant dans l’assaut des Japonais que dans le chaos qui va résulter de cette bataille sur cette plage. Cela permet de souligner encore plus l’enfer vécu en ce lieu au même titre que l’on peut voir ça dans certains films de guerre.

 Et c’est au milieu de tout ça qu’on joue Jin Sakai qui donne tout ce qu’il a pour faire honneur à son rang et aider son oncle. Mais le nombre de l’ennemi est bien trop grand et il finit par échouer. Survivant malgré lui grâce à l’intervention de la voleuse Yuna, notre héros a été le témoin de l’impuissance des samouraïs face à cet envahisseur pour qui tous les moyens sont bons si cela permet de gagner. Et là, il est important de noter que le changement chez notre protagoniste ne va pas se faire d’un claquement de doigts. Au contraire, il y a toute une première partie où Jin va rester fidèle à son code et agir comme le voudrait Shimura quitte à foncer de face contre un ennemi bien trop puissant. Cela est magnifiquement démontré durant la première tentative de sauvetage de son oncle qui se finit encore par un échec. Sucker Punch frappe fort en montrant que la voie des samouraïs n’est clairement pas la bonne face à un tel adversaire. Tout va être pensé pour emmener Jin progressivement sur un sentier différent. Cela passe par tout un tas de petits éléments brillants comme le fait qu’il soit contraint d’assassiner en frappant dans le dos ce qui est une honte pour un guerrier. Cela donne parfois lieu à des flashbacks montrant un Jin jeune qui se remémore les leçons de son oncle et le fait qu’il vient de les bafouer. Il y a un remarquable travail qui est fait pour montrer que ce code moral qui peut sembler juste, mais qui est aussi comme une prison pour cet homme qui s’en éloigne de plus en plus. Et plus on avance dans l’histoire et plus Jin abandonne tout ce qu’il était avant pour devenir un symbole d’une nouvelle forme de lutte. Ainsi, nous ne jouons pas un samouraï sans peur et sans reproche qui regarde son ennemi mourir droit dans les yeux. On assiste à la naissance d’un combattant de l’ombre qui se rapproche bien plus des méthodes de son ennemi pour mieux l’anéantir.

Ghost of Tsushima

La voie à suivre

Après toute cette première partie que l’on pourrait vraiment axer sur tout le premier acte de Ghost of Tsushima arrive le fameux deuxième chapitre. Un passage-clé, car il va permettre d’appuyer grandement cette destruction du mythe du samouraï pour lancer pleinement Jin sur la voie du fantôme. Tout d’abord, il est important de signaler que ces changements n’ont pas uniquement lieu chez notre protagoniste. L’ensemble des personnages secondaires qui vont l’accompagner vont progressivement changer leur vision ou montrer un autre visage qui dépasse de loin les principes qu’ils se sont donnés initialement. On nous montre ainsi qu’avant même des valeurs morales que l’on cherche à suivre, l’émotion est le premier moteur qui pousse certaines personnes à agir même au-delà de ce qu’elles souhaitent. C’est justement parce que Tsushima est en danger et le peuple oppressé que Jin ouvre les yeux sur ce qu’il doit faire. Et tout ce second acte va être là pour appuyer sa plongée dans ce sombre rôle qui est le sien. C’est là que l’imagerie et l’iconisation du Fantôme sont fascinants. Initialement, Jin est montré comme peu à l’aise avec ce titre qu’on lui donne. Mais plus les heures passent et plus on le voit accepter cette dénomination, car il sait ce qu’elle représente pour les gens. Un symbole de lutte et de vengeance capable de frapper les Mongols peu importe où ils sont. Une lueur d’espoir donc, mais qui amène aussi son lot de questions. Dans une société de l’époque où l’ordre est régi par les samouraïs et l’obéissance presque aveugle, la présence d’un tel acteur sur ces terres pousse à faire fi des règles. Après tout, Jin devient non pas un guerrier, mais un assassin de l’ombre qui frappe peu importe que ce soit de façon honorable ou non.

Il en vient même à briser l’un des plus grands tabous de son ancien code avec l’utilisation de poisons. C’est le moment fatidique où il tourne le dos à son ancienne vie et surtout à celui qui l’a élevé comme son fils. D’ailleurs, on voit à quel point cette partie du jeu détruit un peu plus l’image que l’on a de ces guerriers japonais en les montrant peu enclin à prendre les bonnes décisions à temps, à sacrifier des vies inutilement et à s’enchaîner à des valeurs qui les empêchent de prendre l’ascendant. Il n’est pas tant question d’en dépeindre un tableau néfaste, mais de montrer que cette vision de la guerre et de la vie ne suffit pas face à un tel ennemi. C’est montrer une évolution non souhaitée et même rejetée par ces hommes qui sont même endoctrinés par cette philosophie de vie. Jin est représenté comme celui qui arrive à faire ce fameux pas compliqué, mais nécessaire pour empêcher que d’autres drames se produisent. Cela ne signifie pas qu’il est dans le juste, car ses actions ont aussi de graves conséquences. Il montre juste une autre façon de lutter qui est ici le moyen de mettre un terme à tout ça. Cela rend son opposition avec Shimura d’autant plus forte, car il y a leur passé commun, mais aussi le fait qu’ils ne peuvent plus faire marche arrière. Ils comprennent les intentions l’un de l’autre, mais l’un est bloqué par ce système régissant le Japon depuis tant d’années tandis que l’autre devient un criminel aux yeux de la loi, mais le héros dont les gens ont besoin. Le samouraï perd ici son image de sauveur pour laisser la place à celle d’un spectre vengeur qui frappe sans que ses adversaires ne le remarque. Une dualité qui se renforce et va amener à une conclusion tragique, mais malheureusement prévisible au vu des positions de ces deux hommes. Cela nous déchire le cœur et transforme ce final comme le dernier clou planté dans le cercueil de ces combattants par celui qui fut autrefois l’un des leurs.

Ghost of Tsushima hante cette île

Finalement, c’est à travers cette seconde run que j’ai vraiment pu apprécier pleinement tout ce que le jeu cherchait à proposer. Jouant admirablement bien sur ses influences, notamment cinématographiques, l’aventure arrive à transformer une histoire assez classique en un récit haletant et déchirant autour de cette résistance et de cet homme qui amène un vent nouveau sur cette île. Je me rappelle très bien que si j’avais adoré ma première expérience avec le jeu, je trouvais Jin finalement assez neutre alors que c’est tout le contraire. Il est au cœur de la tourmente et est tiraillé entre son devoir en tant que fils de samouraï et les espoirs que l’on place sur ses épaules en tant que Fantôme. Ce qui est génial, c’est que l’on nous montre qu’il n’y a pas une solution qui est juste. On est avant tout dans une représentation réaliste de l’horreur de la guerre où les notions d’honneur et de droiture n’ont aucun poids. Il s’agit avant tout de savoir qui tuera l’autre en premier et c’est pour ça que Jin est un personnage loin d’être manichéen. Il devient l’arme nécessaire pour contrer cette invasion, mais va aussi apporter d’autres problèmes dans son sillage. Un héros en temps de guerre, mais qui peut aussi devenir une calamité une fois la tempête passée. Et d’ailleurs, même si c’est une nouvelle IP du studio, je trouve qu’il y a des similitudes très intéressantes avec la figure du super-héros dans l’autre saga phare de Sucker Punch : InFamous. Dans celle-ci, on nous montre des individus possédant des capacités extraordinaires et qui ne sont donc plus conformes à la société humaine. Cela amène de nouvelles questions sur le fait de quoi faire d’un tel pouvoir et quelle image on donne aux gens ordinaires.

Finalement, on retrouve cette question aussi dans Ghost of Tsushima du fait que le Fantôme n’est pas présenté comme un humain lambda. Il a beau être fait de chair et de sang, Jin, au fil de ses actions, dépasse le statut de simple mortel pour devenir une légende veillant sur cette île. Mais une telle aura apporte aussi son lot de problèmes et de bouleversements dans la perception des habitants de ce qui est juste ou non. Je trouve que c’est un pari à la fois osé et amplement réussi de la part du studio d’avoir su autant ébranler l’image du samouraï à travers un jeu qui n’est clairement pas là pour les mettre sur un piédestal, mais les ramener à leur condition d’être humain. Alors que l’on a tendance à voir des œuvres de tout genre et de divers médias encenser cette figure iconique du Japon, ici c’est l’inverse qui se passe. Un cheminement captivant qui permet de poser un autre regard sur ces individus qui se sont inscrits dans l’imaginaire collectif comme des guerriers redoutables ne connaissant pas la peur. Cette fois, on voit leurs failles et faiblesses pour donner encore plus de profondeur et d’empathie à ceux qui sont derrière ces armures. J’espère en tout cas que ce type d’article vous plait. N’hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous avez pensé de Ghost of Tsushima et si vous avez hâte pour le deuxième opus. Et surtout dites moi si vous voulez d’autres chroniques de ce style.

Ghost of Tsushima - décor

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