Mangas & Histoire : la vie d’artiste
Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas parlé de titres historiques alors que c’est pourtant quelque chose que j’adore. Il est donc temps de rectifier le tir en proposant un tout nouveau numéro de “Mangas & Histoire” où je vous parle de plusieurs œuvres autour d’un sujet commun. Et cette fois, on ne va pas s’attarder sur une période donnée ou bien sur une découverte de plusieurs cultures. En effet, le thème d’aujourd’hui va porter sur les œuvres centrées sur un artiste en particulier. Si on a souvent l’habitude de voir les récits historiques se focaliser sur de grands conflits ou bien des époques données, il y a aussi toute une partie qui se concentre sur des hommes et femmes qui ont su laisser leur empreinte à travers leurs travaux artistiques. Et il ne faut pas croire que cela n’en est pas moins palpitant. Au contraire, il est captivant de voir comment nos mangakas réussissent à retranscrire, à travers leurs dessins et imagination, le récit de ces personnes qui ont marqué le monde de l’art d’une façon ou d’une autre. On est donc paré pour une nouvelle virée dans le temps à la recherche de nouvelles histoires à savourer.
Cocoro
Le manga Cocoro de Kaiji Kawaguchi se distingue par plusieurs forces qui en font une œuvre captivante. Tout d’abord, son approche biographique unique, centrée sur la jeunesse de Léonard de Vinci, offre une perspective originale en s’attardant sur cette période de la vie de l’artiste, rendant le personnage historique accessible et humain à travers ses luttes intérieures et son isolement. Le style narratif de Kawaguchi, qui combine une exploration psychologique profonde avec des thèmes universels comme l’art, l’exclusion et la quête de sens, capte l’attention du lecteur en quête de récits introspectifs. De plus, le dessin détaillé et expressif renforce l’immersion dans l’Italie de la Renaissance, tandis que l’écriture propre à l’auteur permet une maturité dans le traitement des émotions et des conflits. Surtout que Panini a su proposer une édition particulièrement copieuse avec plus de 400 pages réunies sur chaque tome. Et ce que j’aime surtout avec cette histoire, c’est que l’auteur réussit à créer une empathie à l’égard de ce personnage historique dont on connaît tous les travaux, mais finalement assez peu de choses concernant l’humain derrière. En faisant de lui une sorte d’inconnu dans l’équation de l’époque, il en fait à la fois un paria pour certains qu’une étoile dont on ne peut détacher le regard pour d’autres. Un talent brut qui s’aiguise à chaque nouveau chapitre et expérience qu’il va vivre tout en montrant une personnalité portée par sa soif de test, de savoir et de projets en tête. Un manga qui réussit avec brio à nous immerger dans cette jeunesse imaginée par le mangaka pour un homme qui a révolutionné son temps et dont les travaux, aujourd’hui encore, sont source d’inspiration. Un récit qui s’attarde autant sur l’artiste que sur l’humain derrière avec ses échecs, ses erreurs, ses déboires et surtout cette détermination sans faille qui brûle dans ses yeux.
Le Mandala de Feu
Le manga Le Mandala de Feu de Chie Shimomoto brille par plusieurs atouts qui en font une œuvre remarquable et surtout envoûtante. Ce one-shot biographique, centré sur la vie du peintre japonais Tōhaku Hasegawa à l’ère Edo, se distingue par son mélange habile d’histoire et de fiction romancée. Les dessins spectaculaires de la mangaka, notamment ses planches saisissantes représentant les fresques de Tōhaku, plongent pleinement le lecteur dans l’art japonais avec une précision et une beauté visuelle à couper le souffle. Le rythme narratif, bien que condensé en un seul volume, est maîtrisé, offrant une immersion dans le parcours tumultueux de l’artiste, marqué par la frustration, la passion et les sacrifices personnels. En plus de ça, L’édition soignée de Mangetsu, avec un format agrandi et un papier de qualité, sublime l’expérience de lecture, tandis que l’exploration des thèmes universels comme la quête de reconnaissance et les dilemmes moraux rend l’histoire accessible, même pour ceux peu familiers avec l’histoire de l’art ou du Japon. Pour ma part, j’avais été bluffé par cette fresque que la mangaka dessine et qui sublime à merveille le parcours de cet homme qui a connu l’enfer et qui a vraiment tout donné pour son art quitte à s’éloigner de tout ce qui lui était précieux. Et quand on pose le regard sur ses travaux, on ne peut qu’être hypnotisé par tout ce qu’il a pu réaliser et surtout ce qu’il retranscrit à travers ceux-ci. C’était, à mes yeux, une parfaite expérience qui, s’en perdre de temps, réussit autant à nous plonger dans un contexte historique des plus troubles du Japon tout en se focalisant sur un artiste sans le sou qui va finir par devenir une sommité dans le domaine. Une évolution dans l’adversité qui va autant nous émouvoir, nous faire pleurer et nous éblouir par le résultat final.
Géricault
Le manga Géricault de Takaho Nakahara se démarque par ses nombreuses forces, en particulier dans sa capacité à fusionner histoire, art et psychologie dans un récit captivant. Ce one-shot, centré sur la vie du peintre romantique Théodore Géricault et la création de son chef-d’œuvre Le Radeau de la Méduse, excelle par son approche réaliste et immersive du drame historique du naufrage de la frégate Méduse en 1816. Le trait élégant et dynamique de Nakahara, combiné à une composition basée sur des archives historiques, retranscrit avec intensité les tourments du peintre, ses recherches controversées et son ambition de capturer l’essence de l’humanité dans son art. L’exploration psychologique de Géricault, dépeint comme un artiste anticonformiste et passionné, ajoute une profondeur émotionnelle, tandis que le contexte de la France post-napoléonienne enrichit le récit. Publié par Panini, ce manga josei se distingue par son sujet rare dans le genre et son exécution visuelle raffinée, offrant une expérience unique aux amateurs d’histoire et d’art. Et ce qui est génial, c’est que l’on utilise ici avec brio le contexte historique de l’époque pour appuyer l’humain qui se trouve derrière cette fameuse toile. Un homme dont le travail a été récupéré à des fins politiques là où il souhaitait surtout dépeindre la nature humaine. C’est ce contraste qui donne aussi à ce one-shot une sensation unique où l’on va passer par énormément d’émotions au contact de cet artiste qui aura finalement été tourmenté une bonne partie de sa vie. On va autant passer de la colère à son égard, à un certain malaise en finissant par avoir une profonde tristesse pour cet homme qui, jusqu’au bout de sa vie, n’aura pas été compris dans ce qu’il souhaite raconter.
Rose Bertin
Pour conclure, je me devais de parler d’une autre petite pépite qui va bientôt faire son retour. Le manga Rose Bertin, la couturière fatale de Jingetsu Isomi frappe fort et pour de nombreuses raisons. C’est notamment dans son traitement captivant de l’histoire et de la mode au XVIIIe siècle en France que le manga réussit à se différencier. Cette biographie romancée de cette célèbre couturière, une pionnière dans son domaine et connue pour avoir été aussi la couturière attitrée de Marie-Antoinette, brille par son équilibre entre fidélité historique et libertés narratives qui enrichissent le récit. Les planches de Jingetsu Isomi, magnifiées par des détails minutieux sur les robes, les coiffures et les décors parisiens, capturent l’opulence de l’époque tout en rendant hommage à l’art de la couture. L’héroïne, dépeinte comme une femme ambitieuse et déterminée dans un monde dominé par les hommes, incarne un message puissant où son combat pour se faire une place nous captive pleinement. Un manga qui souligne l’importance de croire en ses capacités et de l’acceptation de soi, notamment à travers certaines confections pour les grandes dames de l’époque. La tension dramatique, renforcée par des rivalités (comme avec Marie-Jeanne Bécu) et les intrigues politiques, ajoute une profondeur narrative des plus réussies. Après avoir été publié un temps chez Michel Lafon, c’est finalement naBan qui va reprendre la parution. L’occasion parfaite de découvrir ou redécouvrir cette oeuvre méconnue et pourtant saisissante sur cette femme qui a totalement chamboulé le monde de la mode et laissé son empreinte dans une époque où les apparences pouvaient plus compter que tout le reste. L’histoire d’une couturière qui a su amener à un autre niveau son art et montrer ce qu’une tenue pouvait apporter en plus qu’une simple prestance.