Pourquoi j’aime #43 : Kore Kaite Shine
Les semaines s’enchaînent et cela ne laisse jamais le temps de s’ennuyer au vu de tout ce qui sort. Et justement, je profite de la sortie d’un tome en particulier pour écrire cette chronique qui me tient à cœur. Avec ce nouveau numéro de “Pourquoi j’aime”, j’avais envie de parler d’un manga de chez Panini qui m’a profondément touché depuis ses débuts. Je parle ici de Kore Kaite Shine, un titre qui a fait grand bruit depuis ses débuts au Japon et qui a maintenant une assez grosse notoriété. Avec la parution de son dernier volume en date, je me suis dit que c’était l’occasion parfaite pour parler de ce qui fait, à mes yeux, toute la force de cette série. Il faut dire que l’on est sûrement face à l’une des œuvres les plus chaleureuses que j’ai pu voir récemment et surtout autour du travail de mangaka. A travers ses personnages colorés et son envie de mettre à l’honneur la passion du dessin, il y a énormément à dire sur le quotidien de nos héroïnes. Une ode à ce métier qui peut se montrer difficile, mais qui fait rêver tant de lecteurs à travers le monde. L’heure est donc venue de rejoindre un club où chaque jour est une petite aventure.
Ecrire son manga

Kore Kaite Shine excelle par son exploration réaliste et nuancée du monde de la création de manga, un thème assez rare sous cet angle et profondément immersif. L’histoire suit Ai Yasumi, une lycéenne passionnée de lecture de mangas vivant sur l’île isolée d’Izu Oshima, qui découvre les joies et les souffrances de la création artistique suite à un événement déclencheur lors d’un événement à Tokyo. Toyoda infuse le récit d’une authenticité remarquable, dépeignant non seulement l’euphorie de l’inspiration mais aussi les doutes, les nuits blanches et les sacrifices inhérents au métier. Ce focus sur le processus créatif – du croquis initial à la soumission éditoriale – rend à ce manga un hommage vibrant à l’industrie, accessible autant aux fans qu’aux aspirants artistes. Les chapitres alternent entre moments d’émerveillement et de réalisme cru (rejets, deadlines oppressantes), évitant les idéalisations que l’on peut avoir du métier pour une vision équilibrée. Cette profondeur thématique a contribué à son succès critique et je trouve que c’est un très bon reflet à quel point ce thème peut parler à bon nombre d’entre nous. En effet, on a déjà le droit à plusieurs séries traitant du quotidien de mangakas. Mais là, on suit avant tout des adolescentes qui veulent surtout se faire plaisir en dessinant et donner vie à leurs histoires les plus folles. Et ce qui est bien, c’est que l’artiste va constamment amener une bienveillance autour de tout ce travail sans pour autant mettre de côté tout ce qui peut être éreintant dans celui-ci. Une peinture détaillée de tout ce que cela implique de suivre cette voie et qui va parfaitement être représentée par l’ensemble du casting. Et cela fait du bien aussi de voir à quel point cette vocation, derrière toutes les épreuves à surmonter, a aussi pour but de nous faire rêver.
Un club aux multiples personnalités

Les personnages de Kore Kaite Shine sont un pilier de son attrait, avec Ai Yasumi en tête comme une héroïne en perpétuelle évolution. Cette adolescente timide mais déterminée incarne parfaitement ce moment où un lecteur passionné cherche aussi à donner vie à ses histoires. Elle a beau avoir des faiblesses (manque de confiance, isolement), ses forces ne sont pas en reste (curiosité insatiable, résilience). Autour d’elle, des mentors comme celle qui a pu lui donner envie de suivre cette voie apportent une sagesse mélancolique, tandis que des amis et rivaux de l’île ou de Tokyo ajoutent des dynamiques sociales enrichissantes, explorant l’amitié dans le contexte compétitif du manga. Toyoda excelle à donner à chacun une voix distincte : dialogues naturels, motivations personnelles et arcs dédiés à chacun. Ai n’est pas une génie instantanée ; son évolution est graduelle, marquée par des échecs qui la rendent humaine et encourageante. Ces portraits psychologiques profonds, influencés par l’expérience autobiographique de l’auteur, créent un attachement émotionnel fort, où les lecteurs se reconnaissent dans leurs luttes créatives. Les interactions, qu’elles soient tendres ou conflictuelles, soulignent l’importance de l’entraide dans l’art, rendant l’ensemble chaleureux malgré un travail pouvant être épuisant. Et ce que j’aime particulièrement, c’est la complémentarité entre les divers membres du club que l’on va suivre. En fait, chacune a ses talents et ses failles. C’est en travaillant ensemble qu’elles vont se stimuler et trouver la force de pallier leurs faiblesses pour aller de l’avant. Cela permet aussi de voir à quel point il est nécessaire d’avoir un regard critique sur son propre travail et surtout l’importance de pouvoir compter sur des personnes de confiance pour progresser.
Une lecture donnant du baume au coeur

Cela peut paraître assez simple, mais je trouve que c’est une qualité remarquable concernant Kore Kaite Shine. En effet, dès les premières pages, il y a une sorte d’atmosphère chaleureuse qui va se dégager de cette histoire. Une œuvre qui, au contact de cette héroïne, va nous faire vivre une histoire aussi douce qu’agréable à suivre. A l’image de cette île qui semble coupée du reste du monde, on a le sentiment de partir loin et de passer un moment tout bonnement heureux en compagnie de ces personnages attachants. Je le redis, mais ce manga ne s’arrête pas à simplement ça et veut aussi parler de sujets importants autour du métier de mangaka. Mais tout est amené avec une telle bienveillance que cela donne le sourire même quand on voit ces étudiantes en proie aux doutes par rapport à leurs prochains projets. En fait, tout est pensé ici pour que l’on profite de l’instant présent et que chaque expérience, qu’il s’agisse d’une réussite ou d’un échec, puisse nous apporter quelque chose. Mais surtout, il y a un vrai message qui est traité derrière cette douceur apparente. En effet, tout le manga repose sur ce point qui est qu’une simple histoire peut offrir énormément à une personne. Cela peut être une source de réconfort, un voyage imaginaire dans des contrées féériques ou tout simplement une histoire qui provoque un déclic en nous. Et c’est justement cet élément que l’auteur souhaite capter tout au long de sa série pour souligner que peu importe les défis, l’imaginaire peut devenir un moteur remarquable pour tous ceux qui ont envie de rêver et de partager ce besoin. Rien qu’en lisant les premiers chapitres, on partage l’enthousiasme de notre protagoniste et l’on comprend parfaitement ce que le manga a pu lui apporter, car ça pourrait totalement être le cas pour n’importe qui.
Un style inimitable

Le style artistique de Minoru Toyoda est une force distinctive de Kore Kaite Shine, alliant une esthétique pouvant sembler enfantine et pourtant si charmante. D’ailleurs, on voit au fil des tomes à quel point son trait s’affirme et cela reflète parfaitement l’évolution de l’histoire. Les dessins capturent avec finesse les émotions intimes d’Ai : expressions faciales subtiles lors des doutes créatifs, dynamisme des scènes de dessin frénétique. Les décors – l’île verdoyante d’Izu Oshima contrastant avec l’effervescence urbaine de Tokyo – sont détaillés sans surcharge, servant l’ambiance introspective. Les planches du manga regorgent de détails fascinants, avec des styles variés imitant divers genres pour illustrer le processus créatif. Cette approche méta-artistique ajoute une couche ludique, où l’art du manga commente l’art lui-même. Toyoda équilibre minimalisme et expressivité, rendant les moments centrés sur l’art visuellement enivrants. Et en fait, je trouve que ce trait assez unique colle à merveille à ce que le mangaka cherche à transmettre. Si cela peut être déroutant au départ, on finit par s’habituer à ce côté parfois cartoonesque qui est finalement un reflet de ce que le dessin doit être. Une fiction qui doit nous faire rêver ou bien nous transporter dans quelque chose qui nous sort de l’ordinaire. Et cela s’exprime à merveille par bien des éléments tout au long de notre lecture. Par exemple, le fait de faire intervenir le petit compagnon imaginaire de notre héroïne amène aussi cette importance de l’imaginaire dans la vie de chacun. A travers son trait, l’auteur nous offre une ode à son art, mais aussi à tout ce que ces histoires peuvent apporter à des gens ordinaires qui ont parfois simplement besoin de s’évader le temps d’une lecture.
Passion artistique et persévérance

Il est déjà temps de conclure cette chronique avec le dernier point que je tenais à évoquer pour Kore Kaite Shine. Celui-ci réside dans son exploration nuancée et motivante de la passion artistique, en mettant en lumière les défis réels de la création et la persévérance nécessaire pour les surmonter. Minoru Toyoda dépeint avec une honnêteté rare les hauts et les bas de l’inspiration : l’euphorie d’une idée qui prend forme, les blocages créatifs paralysants, et la vulnérabilité d’exposer son travail au jugement public. Ai Yasumi incarne cette quête, passant d’une lectrice passive à une créatrice active, confrontée à des rejets éditoriaux qui reflètent les réalités de l’industrie japonaise du manga. Le manga insiste sur le fait que le talent seul ne suffit pas ; c’est la résilience face aux deadlines impitoyables, aux critiques constructives et aux doutes personnels qui forgent un artiste. Des scènes comme les nuits blanches à gribouiller ou les discussions avec des mentors usés par le métier soulignent que cette voie est un défi constant, mais surmontable grâce à une persévérance et aussi le soutien de ceux qui vont être touchés par une histoire. Cette thématique résonne universellement, au-delà du manga, offrant des leçons pratiques sur la gestion de l’échec et la joie intrinsèque de l’art. Il célèbre aussi la diversité des styles et des genres dans le doujinshi, encourageant l’expérimentation libre. Contrairement à des œuvres idéalisées, ici la réussite est graduelle et méritée, rendant l’arc d’Ai profondément cathartique. Les dialogues introspectifs sur « pourquoi créer ? » ajoutent une dimension très profonde, questionnant le sens de l’art dans une société consumériste. Nous voilà face à un hymne à la persévérance qui transforme la lecture en un catalyseur personnel, prouvant que dessiner est un art qui peut faire battre le cœur de nombre de personnes au même rythme que celui de l’artiste en question.

