Yomotsuhegui – le fruit des enfers
On approche des derniers jours de 2025, mais cela ne signifie pas pour autant que l’on n’a pas le droit à quelques belles surprises de dernière minute. En effet, même si les sorties mangas ont ralenti avec l’approche de la trêve hivernale, j’ai tout de même pu lire quelques nouveautés qui valent le détour. Et c’est sur l’une d’entre elles qu’on va s’arrêter aujourd’hui et qui nous provient de chez Pika. Je parle bien sûr de Yomotsuhegui – le fruit des enfers, un one shot impressionnant que beaucoup attendaient. Déjà, j’ai été totalement subjugué par le travail sur l’ouvrage en lui-même avec une édition de haute qualité, imposante et qui sublime clairement l’expérience vécue. Mais au-delà de l’objet en lui-même, j’étais surtout intrigué par l’histoire qui allait être racontée. Il faut dire qu’avec l’auteur derrière, on pouvait s’attendre autant à de sublimes planches qu’à une histoire pouvant se montrer surprenante. Et je dois dire que j’ai été comblé à ces deux niveaux tout au long de ma découverte. Un récit qui ne va clairement pas nous faire de cadeaux et nous plonger à la frontière entre vie et mort face à des immortels qui n’ont que faire de la vie des autres. L’heure est venue d’accompagner un ancien flic dans une traque de longue haleine.
Un poids trop lourd à porter

Synopsis
Consumé par la rage après le meurtre de son épouse et de sa fille, le policier Kanetsugu Nawa n’a pas hésité à tout sacrifier pour tuer leurs deux assassins. Mais l’un d’eux a miraculeusement survécu et, à sa sortie de prison, Nawa n’a qu’un objectif : finir ce qu’il a commencé ! Sa cible se révèle cependant être bien plus qu’un simple meurtrier… Manger le fruit des enfers en a fait un monstre immortel que rien ni personne ne peut arrêter ! S’il veut espérer se faire justice, Nawa n’a qu’une option : s’allier à une mystérieuse déesse de la mort et devenir un monstre à son tour…
Mangaka : Masasumi Kakizaki
Ce que j’aime avec le résumé de Yomotsuhegui, c’est qu’il nous fait comprendre où l’on se dirige sans trop nous en dire. On nous donne toutes les clés en main pour titiller notre curiosité tout en laissant planer plusieurs zones d’ombre. Et c’est là qu’on va se retrouver propulsé dans une histoire qui part initialement sur une quête de vengeance pour ensuite se tourner sur quelque chose de bien plus surnaturel. Mais ce qui est captivant justement dans cette construction narrative est que le titre ne va jamais oublier ce qui importe le plus dans son intrigue : le thème de la vie et de la mort.
Une réflexion sombre et pertinente de l’immortalité
Bien évidemment, la première chose qui frappe quand on lit Yomotsuhegui est le dessin. L’auteur a un style très reconnaissable et absolument magnifique qui vient ici parfaitement sublimer le ton grave de son récit. Mais il est aussi important de se focaliser sur le fond du récit pour bien comprendre de quoi il en retourne. Et là, je dois dire que j’ai été soufflé à plus d’une fois. Au départ, on nous dépeint ce récit comme une quête de vengeance d’un policier ayant perdu sa femme et sa fille suite à un terrible meurtre. Se retrouvant en prison, il fait tout pour être un prisonnier modèle pour quitter celle-ci. Mais une fois en dehors de ces murs, on voit que la rage qui le consume n’a pas disparu. Déjà, on aborde ici, en seulement quelques pages, la vengeance de façon brillante. Quand on voit tout ce qu’il a vécu et ce que ça lui a coûté alors qu’il voulait simplement réparation, on a presque envie de le soutenir en sachant pertinemment que ce n’est pas la bonne voie. On joue avec notre morale notamment à travers cette figure policière qui franchit la ligne rouge. Et si tout ça donne déjà un départ diablement efficace, ce n’est rien en comparaison de la tournure que vont prendre les événements. Avec l’introduction du surnaturel par le biais de ces fruits rendant immortel et l’apparition de cette jeune femme en tant que faucheuse, le récit va basculer dans un monde encore plus sombre et fascinant. Ici, on utilise le thème de l’immortalité pour parler de la vie et de la mort de façon à la fois tellement juste et poignante.
Ce pouvoir peut sembler alléchant au premier abord et surtout permettre aux gens de ne plus souffrir, mais c’est là qu’est tout le génie du mangaka. Il oppose, à travers les deux camps qui s’affrontent, l’importance de la vie et la peur de mourir. Cela rend tout ce récit d’autant plus tragique que l’on voit notre tandem se confronter, pour la plupart, à des gens qui utilisent l’immortalité à de mauvaises fins ou bien veulent finalement s’en libérer en comprenant le poids que cela représente. On prend le temps, au fil des affrontements, à montrer que cette tentation est finalement à double tranchant. D’ailleurs, il y a certains arcs narratifs dans cet ouvrage qui sont absolument bouleversants tant ils montrent la fatigue des gens pris dans cette tourmente et pour des raisons diverses. La maladie qui condamne une existence, la peur de perdre sa famille ou tout bonnement l’angoisse de ce grand vide à venir sont autant de raisons poussant certains à convoiter ce fruit. Toute cette intrigue utilise la mort comme terreau pour sublimer la vie. C’est justement parce que chaque être humain va mourir qu’il faut savourer chaque instant sur cette terre. Et même quand la grande faucheuse est sur le point d’arriver, il faut encore plus apprécier ces quelques moments qui restent en compagnie de ceux qui nous sont chers. Le mangaka met en scène ce qui est sûrement la plus grande peur de l’Humanité avec énormément de sincérité et d’émotions derrière la dose d’action que l’on va avoir. Tout ça donne une aventure aussi spectaculaire que touchante dans cette lutte pour accepter notre propre finalité.
Yomotsuhegui est le genre d’œuvre qui n’est pas seulement un plaisir à lire visuellement et scénaristiquement. C’est aussi un manga qui nous pousse à réfléchir sur notre propre perception de la vie et cette crainte de ce qui arrive en bout de course. Mais en même temps, c’est une ode à tous ces moments que l’on savoure justement parce que notre existence est éphémère. Cela la rend d’autant plus précieuse et c’est, je trouve, très bien traité tout au long de ces chapitres. L’auteur réussit à créer une remarquable fresque à la fois brutale, sanglante et émouvante autour de ces questions et de ce choix : accepteriez-vous l’immortalité ?
Yomotsuhegui mange le fruit défendu
Clairement, Yomotsuhegui n’a pas besoin de plus tant il réussit à aller au bout de ses idées. Si l’on peut avoir l’impression que le récit accélère à certains moments, c’est surtout pour se concentrer sur l’essentiel dans cette épopée. Je trouve d’ailleurs qu’il y a un remarquable travail qui a été fait autour de Nawa qui représente à merveille les deux faces d’une même pièce. Un homme qui ne pouvait accepter de mourir tant qu’il n’avait pas assouvi sa vengeance et qui a fini par devenir immortel pour mettre un terme à l’immortalité des autres. Tout son parcours va être rythmé par cette confrontation contre ce qui semble contre-nature et en même temps la tentation de succomber à ce pouvoir qui pourrait régler tant de soucis. On a un vrai affect pour lui, car il symbolise si bien l’être humain autant dans ses failles que ses forces. De même, tout ce qui va se construire autour de ces fameux fruits et du combat opposant les deux forces est pertinent autant dans le divertissement proposé que les thèmes abordés. Une œuvre qui va autant nous en mettre plein les yeux que nous pousser à réfléchir sur notre propre existence. On se demande, tout au long du manga, ce que l’on ferait à la place des personnages et cela montre cette faculté à transcender ce média pour amener le lecteur dans une position où il va lui-même être impacté par ce qu’il observe. Une belle prouesse pour l’artiste dont le récit m’a pris aux tripes à plus d’une reprise tout en ayant une narration fluide et sans réel temps mort.
C’est donc, vous l’aurez compris à la lecture de cet article, un énorme coup de cœur que j’ai eu pour Yomotsuhegui. En plus d’avoir le droit à une sublime édition qui pourrait totalement en faire un objet de collection, ce titre sait comment mettre en scène des sujets qu’on a souvent tendance à mettre de côté. Nous voilà face à un manga qui nous met face à notre propre angoisse que tout s’arrête du jour au lendemain. Et si l’intrigue se veut sombre et souvent brutale, il y a tout de même un gros message d’espoir qui va être véhiculé de façon diffuse tout au long de notre lecture. Et cela est très bien amené en fin de tome quand on doit faire nos adieux à ces personnages qui ont su nous toucher. Car au-delà des quelques ordures qui nous sont présentées, la majorité des “immortels” sont avant tout des âmes ayant sacrifié beaucoup trop de choses et qui cherchent à se protéger de nouveaux adieux larmoyants. Si vous appréciez les autres œuvres du mangaka ou que vous souhaitez un one shot aussi beau que puissant dans ce qu’il raconte alors n’hésitez pas et foncez. Evidemment, c’est aussi un ouvrage qui se destine avant tout à un public averti. Pour ma part, je trouve que ce type d’histoire est important pour nous rappeler l’importance de profiter du moment présent, car on ne saura jamais de quoi est fait demain. Une œuvre dont on ne ressort pas indemne et qui vaut, à mes yeux, largement le coup d’œil pour toutes ces raisons.
N’hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous avez pensé et ressenti de Yomotsuhegui. Trouvez-vous que ce one-shot réussit à aller au bout de ses idées ? Avez-vous eu l’impression d’avoir des moments un peu rushé ? Avez-vous apprécié toute la construction narrative autour de Nawa et de cette nouvelle quête qui va dicter sa vie ? Est-ce que l’ouvrage réussit, selon vous, à parler de façon intelligente de cette peur de la mort et de ce qu’elle peut entraîner comme décisions ? Est-ce que le titre a su vous combler autant au niveau des émotions ressenties que de l’action proposée ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.

