Nekogahara tome 1 : la légende du chat samouraï
Il y a des auteurs qui nous ont profondément marqués et dont on suit avec beaucoup d’intérêt l’ensemble de leurs travaux. Ainsi, l’arrivée d’un nouveau titre signé de la main d’un mangaka que l’on apprécie est toujours accueillie avec beaucoup d’intérêt. Cela permet de voir ce qu’il peut offrir de nouveau à travers son style et cet univers inédit qu’il nous propose. Voilà pourquoi aujourd’hui, on va parler d’une nouveauté ayant rejoint récemment le catalogue de Pika et qui a été réalisé par l’auteur de Shaman King. Il faut savoir que cette série nous a longuement accompagné plus jeune et on a toujours eu cette envie de voir ce que pourrait faire l’artiste en dehors de cet univers qu’il a tant enrichi au fil des années. Il s’agit de Nekogahara dont le pitch de base fut assez surprenant. C’est donc guidé par une curiosité toujours très forte que l’on s’est lancé dans cette lecture. On a alors pu découvrir une épopée assez déroutante et sanglante où les chats luttent par l’épée pour survivre chaque jour. Une œuvre affichant plusieurs idées prometteuses. L’heure est donc venue d’accompagner un vagabond dans son long et éprouvant périple.
L’honneur d’un vagabond
Nekogahara, imaginé par Hiroyuki Takei, nous emmène au Japon à une époque où les guerres civiles ont laissé de profonds stigmates dans la vie de chacun. Alors que les humains sont au sommet du monde, toute une société féodale a vu le jour pour leurs compagnons félins. Les chats font de leur mieux pour respecter l’autorité de leurs maîtres et se voient peu à peu privés de leur liberté au profit d’une soi-disant cohésion. Cependant, un chamouraï va être l’exception à la règle. Nommé Norachiyo, cet animal errant passe d’une région à l’autre sans jamais prendre le temps de s’installer. Ayant perdu son maître il y a de cela fort longtemps, il continue de vagabonder avec pour seul souvenir son sabre et la clochette. Deux objets très importants à ses yeux et qui sont le témoignage d’une vie qu’il a maintenant perdu. Malgré tout, ce mode de vie semble lui convenir au vu de ce qu’il peut observer chez les “domestiqués”. Ces derniers ne pensent qu’à s’enrichir sur le dos des autres et n’affichent plus la moindre fierté propre à leur rang de chat. Un tragique constat qui fait que Norachiyo préfère rester éloignée de ces congénères qui n’ont plus aucun amour propre. A ses yeux, il n’a plus aucun respect pour les êtres humains et cela fait de lui un paria aux yeux des autres. Son arrivée dans chaque ville lui amène forcément le regard désapprobateur des autres chats et va même lui apporter bien des ennuis.
Mais cela n’a que peu d’importance pour ce guerrier qui n’a absolument aucune pitié pour ceux qui osent se mettre en travers de sa route. Malheureusement, un obstacle de taille vient se mettre en lui et le repos qu’il désire. En effet, les flammes du passé ne se sont jamais dissipées au plus profond de son être. Dès qu’il ferme les yeux, cet épéiste vit inexorablement le même cauchemar. Un sinistre songe qui semble si réel et qui lui rappelle tout ce qu’il a perdu au cours de son existence. Malgré tout ça, Norachiyo est déterminé à trouver enfin le lieu qui pourra lui servir de dernière demeure. Son souhait le plus cher est de pouvoir enfin reposer en paix et tirer un trait sur cette existence qui a surtout été rythmée par tant de souffrances. Mais s’il recherche l’ultime repos, cela ne veut pas dire pour autant qu’il veut que cela soit de la main d’un tiers. Au contraire, ce serait pour lui un terrible déshonneur que de mourir de la main d’un être qui serait un de ces bons toutous aux ordres des puissants. Ainsi va débuter un long et éprouvant voyage pour ce chamouraï où il n’hésitera pas à verser le sang de ses ennemis pour enfin accéder à son rêve le plus cher. La dernière épopée d’un vieux chat dont la vie n’a été qu’un tumultueux fleuve rythmé par le sang, les larmes et la douleur. Où l’amènera cette épée chargée de souvenirs au travers de cette masse qui le considère comme anormal ? Peu importe comment on le regarde, Norachiyo est bien décidé à rester fidèle à ses principes.
Cela peut sembler très étrange de suivre un chat ayant tous les traits d’un ronin errant d’un lieu à l’autre en semant le chaos derrière lui. Cependant, c’est en utilisant ce parti-pris que Nekogahara va réussir à proposer une expérience assez unique et surtout loin d’être inintéressante. En effet, on est très loin d’être dans un récit qui se veut mignon ou adorable. Le spectateur fait face à un environnement particulièrement violent où notre protagoniste ne va pas être en reste pour souligner le chaos ambiant. Une quête mortelle où chaque pas peut facilement être le dernier.
Un périple sanglant pour la liberté
Autant le dire tout de suite, on ne savait pas du tout dans quoi on s’embarquait avec Nekogahara. On avait lu le synopsis, mais c’est avant tout la couverture qui avait retenu notre attention. La surprise fut donc grande en voyant vers quoi tirait cette histoire qui peut paraître étrange au premier abord, mais qui réussit à traiter de sujets intéressants. En prenant des chats comme acteurs et en les faisant vivre dans une société similaire au Japon féodal, l’auteur peut se permettre pas mal de fantaisies autour de ses créations. Ainsi, on a réellement le sentiment d’avoir devant nous des samouraïs et autres individus de l’époque, mais sous des formes félines. On est donc forcément intrigué de voir comment va être utilisé ce contraste pour développer ce personnage central. C’est là où ce premier volume va frapper un grand coup, car notre protagoniste est loin d’être un enfant de chœur. Il est avant tout un guerrier blessé et fier qui n’hésite aucunement à tuer et à blesser ceux qui entravent sa route. Il est très difficile de le qualifier de héros au vu de ses actes qui sont avant tout guidés par des raisons personnelles et qui sont loin d’être bienveillantes. Le titre veut justement nous présenter un chamouraï qui a déjà connu bien trop de souffrances et qui se moque totalement de cet environnement qui l’entoure. En réalité, on sent qu’il n’a plus aucune attache à ces terres et que cela lui est égal de devoir se salir les mains en enlevant des vies.
On pourrait donc croire que l’on a devant nous un individu assez méprisable et pour lequel on aurait que peu de sympathie. Mais ça, c’était avant d’entrevoir ce qu’il cherche à nous raconter. Dans un monde où les chats obéissent aveuglément à leurs maîtres que l’on ne voit jamais au sein de ces cases, notre vagabond fait office d’ovni. Pour avoir connu ça auparavant, il est à présent libéré de ses entraves et montre à chaque fois l’importance de la liberté pour un félin. S’il y a une forme d’équilibre qui est trouvé à travers ce système, il creuse aussi des inégalités entre les puissants et ceux qui ne peuvent se défendre. Norachiyo n’a que faire des règles et peut donc frapper ceux qui sont au sommet sans la moindre crainte des répercussions. Derrière son aspect miséreux se cache surtout un guerrier qui a juste envie de suivre ce que lui dicte son cœur et ses envies. Il est le symbole d’un mode de vie qui a autant des bienfaits que des contraintes terribles. En plus de ça, il est fascinant d’avoir un protagoniste qui véhicule la notion de fierté, mais qui pour autant n’a aucun scrupule à utiliser des techniques surprenantes et collant très peu à l’image que l’on peut avoir d’un guerrier. C’est avant tout le récit d’un survivant qui cherche à lâcher son dernier soupir, mais là où il le désire. On ressent alors pleinement cette lente avancée vers cette destination finale qui sera forcément précédée d’une montagne de corps.
Il est remarquable de voir que Nekogahara a su transformer notre attrait avant tout graphique du titre en une expérience littéraire bien plus complète qu’on ne pouvait l’espérer. Ce qui est marquant, c’est justement la faculté de l’auteur a brisé cet aspect mignon collé aux chats pour les transformer en des guerriers souvent sans foi ni loi. Une aventure qui en plus de ça se permet aussi de traiter de sujets loin d’être anodins et qui collent parfaitement à la personnalité de ce protagoniste. Le prix de la liberté peut être terrible et notre épéiste errant n’hésitera aucunement à se salir les mains pour la conserver.
Nekogahara assène le premier coup
Comme on a pu le dire plus haut, Nekogahara a su nous délivrer un premier contact fort surprenant. A la fois étrange et captivant, on se laisse facilement emporter par le périple de notre chamouraï et les combats qu’il va mener. Le trait de l’auteur fonctionne très bien ici et va même se permettre d’être bien plus brutal que ce que l’on a pu voir dans certaines de ses séries. Une manière de renforcer l’aspect violent et dangereux de cette société féodale où cette paix n’est qu’un écran de fumée pour encore plus de souffrances. Mais en plus de ça, on a adoré tout le travail qui est fait autour de Norachiyo. Ce vagabond est un personnage incroyable à suivre, car il est très loin des standards que l’on peut connaître. Un maître épéiste qui pourtant peut tout à fait utiliser des techniques peu glorieuses si cela lui permet d’être victorieux. Le spectateur peut facilement être troublé par ce combattant qui peut être charismatique dans un chapitre et connaître une chute vertigineuse dans celui d’après. Pourtant, c’est ce qui fait tout l’attrait de ce récit de voir comment il peut réagir en fonction des situations. Il a beau ne pas toujours suivre des principes guerriers, il y a une forme de respect qui se forge à l’égard de ce chat dont la finalité est de disparaître. Les péripéties d’un ronin qui semble être le vestige d’un temps révolu et qui n’a plus sa place dans ce monde où l’obéissance aveugle obscurcit le jugement. Une dernière épopée dont on a envie d’être le témoin privilégié jusqu’à la fin.
Nekogahara s’est donc présenté comme une très belle découverte. On a vraiment été absorbé par les différentes escales de ce voyageur qui laisse derrière lui un sillage sanglant. On est captivé par ce détachement qu’il a de cet environnement où il ne se sent plus à sa place. Une confrontation palpitante entre le fait d’être un vagabond libre de toutes entraves si ce n’est de terribles souvenirs et ceux qui restent ligotés à des maîtres dont la présence n’est jamais affichée. Un récit qui peut dérouter au début, mais qui arrive à nous exposer un combat prenant entre ce chat et l’ensemble de ses congénères. De plus, l’action proposée est bien rythmée et va même se permettre des scènes assez spectaculaires. Une fresque guerrière qui arrive à nous donner des frissons et aussi à nous surprendre plus d’une fois. Si vous êtes fan du style de l’auteur ou que vous désirez une saga courte et intense alors ce titre pourrait totalement vous convenir. On a beau savoir que l’on part pour un périple qui sera assez court, cela n’empêche pas que l’on a pas mal de questions qui nous viennent en tête. Est-ce que Norachiyo va finir par trouver le lieu où il pourra enfin reposer en paix ? Finira-t-il par succomber aux lames de ses ennemis ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que ces nuits soient hantées par tant de fantômes ? Que cache son passé et les cicatrices qui ponctuent son corps ? On est curieux de voir ce que donnera la suite de son éprouvant voyage.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti sur ce premier volume de Nekogahara. Avez-vous apprécié la manière dont l’utilisation des chats est faite afin de créer une forme d’univers propre au Japon féodal ? Est-ce que vous trouvez que nous avons le droit à un protagoniste qui change de ce que l’on peut avoir l’habitude de voir dans ce genre de récit ? Trouvez-vous que le titre arrive à trouver un bon compromis entre l’action présentée, la brutalité de cet univers et le côté loufoque de ces chats ayant fondé toute une société ? Qu’attendez-vous pour la suite de la licence ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.
© 2015 Takei Hiroyuki, Kodansha