Daron Quest : les aléas de la vieillesse
Cela fait quelque temps que l’on voit fleurir dans le monde du manga des œuvres parodiant pleinement des genres que l’on connaît si bien. Cela peut autant concerner des styles précis que d’autres mediums comme le jeu vidéo ou bien le cinéma. On peut alors toujours se questionner sur la pertinence de ses récits en dehors du fait de nous faire rire. Réussir à faire une caricature tout en amenant une pertinence dans les propos tenus est un travail fort difficile. Pourtant, il arrive que cela donne de belles surprises comme le titre dont je vais vous parler aujourd’hui. Provenant tout droit du catalogue d’Omaké Manga, il s’agit de Daron Quest. Ce one shot au nom si évocateur ne laissait planer aucun doute sur son contenu. Que ce soit par son synopsis ou même tout ce qui gravitait autour du titre, il était indéniable que l’on allait faire face à une histoire totalement barrée. Mais s’il est vrai que l’on est face à un ouvrage particulièrement loufoque, cela ne veut pas dire que le manga joue uniquement sur cette facette. Au contraire, c’est à travers l’autodérision que l’on va découvrir une histoire parvenant à traiter avec légèreté, mais aussi pertinence de nombreux sujets que l’on peut tous connaître. Il est donc grand temps de faire la connaissance d’un héros dont le pire ennemi n’a pas d’enveloppe charnelle.
Le héros qui ne voulait pas vieillir
Daron Quest, scénarisé par Satoshi Miyagawa et dessiné par Yoshimi Nanjô, nous emmène dans un monde féérique où tout semble possible. Malheureusement, le redoutable seigneur du mal Calvados est sur le point de se réveiller et de précipiter ces terres dans les ténèbres. Un héros a alors fait son apparition pour empêcher ce destin tragique. Il s’agit de Evan Williams, un guerrier intrépide affichant l’emblème faisant de lui le sauveur de l’humanité. Bien décidé à suivre la voie qui se dessine devant lui, il se lance à corps perdu dans cette quête pour la sauvegarde du monde. Mais alors qu’il débuta son aventure au lvl 20, les années passèrent. Sans même s’en rendre compte, le voilà maintenant ayant atteint le vénérable level 41. Une expérience remarquable, mais qui n’est pas sans contrepartie. Alors qu’il pouvait se montrer fougueux et intrépide auparavant, il sent que quelque chose en lui est en train de changer. Ayant du mal à guérir, affichant des doigts secs et oubliant souvent ce qu’il recherche, il ignore totalement ce mal qui est en train de le ronger. Mais malgré ça, il est déterminé à avancer pour faire face aux défis qui se tiennent entre lui et son objectif final. Malheureusement, c’est face à un dragon que ses ambitions vont prendre un sacré coup. Les membres de son équipe se font vaincre les uns après les autres jusqu’à ce qu’il ne reste plus que trois d’entre eux.
Evan est prêt à lancer ses dernières forces dans la bataille, mais son esprit va pourtant vagabonder ailleurs qu’en direction de l’ennemi. Malgré la gravité de la situation, le héros ne peut s’empêcher d’être interpellé par des problèmes bien plus personnels. Cette inattention va lui causer du tort étant donné que lui et ses derniers compagnons vont perdre. Après cet échec, tout le monde décide de l’abandonner et le voilà maintenant seul, tentant vainement de soigner ses blessures. Mais c’est en se retrouvant seul face à l’environnement qui l’entoure qu’il comprend ce qui se passe. Tous ces changements qui s’opèrent en lui ne sont en réalité que la malédiction de son propre âge. Il vieillit et cela le terrifie d’imaginer qu’il perd peu à peu ses facultés tandis qu’il n’a même pas atteint son but. Craignant de devenir prochainement un vieillard incapable du moindre geste, il se lance dans une redoutable et délirante course contre la montre face au temps lui-même. Peu importe ce qu’il devra affronter concernant son propre corps, il ne veut pas que le héros qu’il est disparaisse sans laisser la moindre trace dans l’histoire. Mais malheureusement, difficile de faire face à un ennemi intangible et qui a déjà gagné avant même qu’il ne voit le jour. Ainsi débute un tout nouveau périple pour Evan qui, en plus de devoir se confronter à ses obligations en tant que héros, va aussi s’opposer à ces levels qui passent trop vite et apportent inévitablement des changements de taille.
Il est évident, en lisant le synopsis de Daron Quest, que l’on ne doit pas s’attendre à une épopée comme les autres. Ici, tout va tourner sur le fait que notre héros entre dans un âge difficile où de nombreux changements s’opèrent en lui. Jouant avec brio sur tout ce que l’on peut connaître autour du fait de vieillir, le manga va réussir à implanter ça dans un univers d’heroic-fantasy pour un résultat qui fonctionne très bien. En fait, il va y avoir un effet communicant entre l’humour découlant de ces situations improbables et le sérieux de ces évolutions que l’on est tous condamné à connaître un jour ou l’autre.
Entre humour et hommage
Il ne faut pas se le cacher, Daron Quest est une œuvre qui se veut avant tout parodique et totalement délirante dans ses propos. Mais il faut justement souligner l’ingéniosité derrière cette idée de base qui est de nous faire suivre les aléas de la vie d’un héros vieillissant. On pourrait croire que l’on serait face à un protagoniste qui, même s’il perd en capacités physiques, se montrerait plus sage, mais c’est tout le contraire qui se passe. On va justement utiliser le prisme de la fantasy et du rôle de héros pour nous parler du temps qui passe et de tout ce que cela entraîne chez l’être humain. Si cela peut sembler étrange et surtout propice à avoir le droit à bon nombre de scènes surréalistes, en réalité cette idée est ingénieuse. En tant que héros, Evan est un personnage qui se veut initialement assez caricatural dans son objectif de départ et la manière d’y parvenir. Tout le titre repose sur ce classicisme que l’on a pu voir autant dans le jeu vidéo, le cinéma ou la littérature du preux chevalier chargé de défaire le seigneur du mal. On pourrait donc facilement s’imaginer qu’il serait un modèle de vertu et de courage, mais c’est tout le contraire qui se passe. Au fur et à mesure que le temps passe, il est devenu un homme avant tout centré sur sa propre personne et ses problèmes personnels que tourné vers son but en tant que héros. Même en plein milieu d’un combat titanesque, son esprit va vagabonder vers d’autres sujets qui n’ont rien à faire sur un champ de bataille.
Cela amuse forcément le lecteur qui voit ici un décalage entre la dangerosité de la situation et la manière dont se comporte Evan. Mais quand on y pense, tout cet ouvrage est avant tout le reflet de ce que l’on peut connaître au fur et à mesure que l’on vieillit. On nous retranscrit très bien les douleurs que l’on peut avoir avec un corps usé par le temps, des comportements assez communs des personnes âgées tirés ici à l’extrême ou bien des petits oublis qui surviennent à tout instant. Si cela contribue à l’aspect comique du titre, c’est aussi une manière d’exposer des changements que l’on risque fortement de connaître un beau jour. Mais pourtant, si le manga nous montre que cela est un fardeau supplémentaire dans la quête du héros, il veut aussi nous exprimer le fait que cela est une partie de la vie. Des défis quotidiens à relever et qui vont amener Evan à évoluer en tant qu’individu. C’est ce qui fait la beauté de cette œuvre en dehors de l’aspect parodique. On nous conte avec brio les tracas quotidiens d’un homme qui vieillit et qui pourtant continue inlassablement d’avancer. Au départ, il pense que c’est juste à cause de son rôle de héros, mais en réalité Evan a su comprendre que peu importe le temps que cela prendrait, il restera fidèle à lui-même. Qu’il souffre d’un mal de dos terrible ou bien qu’il se mette à radoter, il est le seul à pouvoir écrire son histoire. Les années ont beau passer, cela ne fait que rajouter encore plus de chapitres à sa légende et à son existence.
Daron Quest est clairement une œuvre qui cherche avant tout à amuser son lectorat par le décalage entre l’image du héros que l’on connaît et celle que l’on nous présente ici. Le fait de jouer sur le temps qui passe pour modifier le comportement d’Evan et surtout lui amener bien des problèmes est aussi drôle qu’il résonne en nous. Il est en réalité le reflet de ce que l’être humain finit par être face au temps qui défile inexorablement. Mais pourtant, ce one shot réussit à amener ça avec une certaine tendresse en montrant que cela fait partie de la vie. Il ne tient qu’à nous de continuer d’avancer face à ces nouveaux défis.
Daron Quest traverse les âges
En fait, Daron Quest est une œuvre qui peut autant être prise comme un très bon divertissement humoristique que comme une manière ingénieuse de raconter les effets du temps et la manière dont on doit vivre avec. Évidemment, notre regard va avant tout se focaliser sur l’humour et les gags proposés tout au long de ce court périple. Mais c’est justement en utilisant la parodie que l’auteur réussit à faire véhiculer les propos qu’il souhaite. C’est en mettant en opposition la figure du héros que l’on a l’habitude de voir avec celle d’un homme de la quarantaine qui souffre de bien des manières que le manga offre un mélange réussi. Il y a bien sûr de très nombreuses références qui nous sont proposées et qui vont appuyer ce délire totalement assumé. L’exagération est totale, mais permet justement d’aborder avec le sourire une période de la vie pourtant loin d’être facile à vivre. Et c’est là que cette lecture est remarquable. Quand on regarde initialement le parcours d’Evan, on peut y voir un protagoniste totalement absurde qui nous délivre des situations désopilantes sous couvert de son âge avancé. Mais quand on prend du recul, on voit surtout un être humain qui a une certaine peur de ce qui le ronge petit à petit et qui se rattache du mieux qu’il peut à ce devoir qui est le sien depuis qu’il est gamin. Derrière les rires et les idioties se trouve une excellente ode à la vie et surtout à ce temps qui passe que l’on ne peut vaincre et avec lequel il faut s’accommoder.
Il est clair qu’initialement, je me suis lancé dans Daron Quest en me disant que j’allais vivre une expérience littéraire totalement barrée. Ce fut totalement le cas, mais j’ai aussi apprécié la manière dont l’histoire parvient à traiter de son principal sujet. L’enchaînement de gags fonctionne très bien et va être le symbole de cet homme perdu entre son devoir et ces changements qu’il n’arrive pas à comprendre. De même, il y a un passage qui m’a aussi beaucoup marqué et qui représente très bien le fait que l’on ne peut qu’accepter ce destin qui est commun à tous et faire de notre mieux pour vivre sans regrets. Ainsi, au milieu de toutes les vannes et blagues absurdes, ce manga peut aussi faire preuve de moments bien plus touchants et d’une profondeur surprenante dans son écriture. Une lecture qui pourra donc autant plaire à ceux désirant une aventure sans prise de tête qu’à ceux souhaitant un ouvrage mêlant habilement comédie et réflexion. En plus de ça, il s’agit d’un one shot qui nous délivre tout directement. Il n’est donc pas question ici d’avoir des interrogations pour le futur d’Evan. Je vais plutôt conclure en disant que Daron Quest est un ouvrage qui a su me parler, mais surtout peut facilement avoir une certaine résonance en chacun de nous. La fantasy ici n’est qu’un habillage pour mettre en avant le vrai thème du récit qui est le fait de vieillir. Une peur que l’on peut tous avoir étant donné que l’on ne sait pas de quoi sera fait le lendemain. Que cela soit le corps ou bien l’esprit, ils finissent tous par être frappés par cet ennemi invaincu qu’il nous faut accepter pour mieux avancer.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant Daron Quest. Trouvez-vous que le titre réussit à raconter tout ce qu’il souhaite à travers cet unique volume ? Avez-vous adhéré à l’humour présent tout au long de cette épopée ? Est-ce que vous appréciez le fait que le titre arrive à parler de sujets sérieux par le prisme de l’humour notamment autour de ce que la vieillesse entraîne ? Avez-vous eu une certaine sympathie pour les personnages que l’on a pu suivre tout au long de ces pages ? Auriez-vous aimé que cela continue un peu plus longtemps ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.
© 2020 Miyagawa Satoshi / Nanjou Yoshimi, Nihon Bungeisha