Recueil-d’histoires---Tombes--2

Recueil d’histoires : Tombes

On approche d’Halloween et quoi de mieux pour se mettre dans l’ambiance que de se plonger dans une œuvre de Junji Ito. Cela tombe bien, car Mangetsu a sorti récemment l’ouvrage Tombes qui est un recueil de plusieurs histoires de l’auteur qu’il a publié entre 1994 et 1997. Ayant pris le temps de lire et analyser cette lecture, je me suis dit que ce serait l’occasion parfaite de vous proposer une chronique assez particulière. Après tout, il est très difficile de jauger d’une œuvre dans sa globalité quand il s’agit de plusieurs histoires n’ayant pas de liens entre elles. Voilà pourquoi je vous propose aujourd’hui un article où je vais m’attarder sur chacune de ces nouvelles et vous donner mon ressenti à leur égard. C’est, à mon sens, le meilleur moyen pour savoir ce qui a pu fonctionner ou qui est intéressant dans ces contes horrifiques. Avec pas moins de onze récits regroupés au sein de ce tome, il y a de quoi faire et je vous propose de ne pas perdre plus de temps. Préparez-vous à bon nombre de frissons au contact de ces fictions qui mêlent habilement réalisme et surnaturel entre les mains de ce maître du genre.

La ville funéraire

La première histoire est aussi celle qui donne son nom à l’ouvrage étant donné que l’on se retrouve dans une ville où chaque personne décédée laisse place à une tombe peu de temps après. Le surnaturel de ces événements semble devenu le quotidien des habitants, mais va être perçu comme quelque chose d’irrationnel pour les deux personnages qui viennent rendre visite à leur amie. Ce qui est intéressant dans ce récit, ce n’est pas tant l’horreur qui va naître de l’aspect fictif de cette intrigue. En réalité, cette lecture aura été bien plus marquante sur le plan humain notamment par rapport à l’incident qui va avoir lieu et les répercussions qu’il provoque chez les principaux acteurs de cette pièce. Une œuvre qui vient justement utiliser le surnaturel pour accentuer le sentiment de culpabilité qui peut assaillir n’importe qui cherchant à dissimuler un tel crime. Et finalement, l’effroi ne vient pas tant des créatures que l’on va rencontrer que du cauchemar qui va assaillir cette fratrie dès l’instant où ils ont causé l’irréparable. Sûrement l’histoire qui a le droit au plus long développement dans cet ouvrage et qui est captivante dans ce parti-pris du mangaka pour axer notre attention sur l’humain. Une histoire où les frissons se combinent à merveille avec la tristesse que l’on ressent en tournant la dernière page.


Le QG

On s’attaque à la deuxième histoire et celle-ci renoue avec une horreur beaucoup plus présente. A travers le défi “idiot” d’un groupe d’amies de visiter une bâtisse abandonnée va finalement découler un récit où des esprits vengeurs vont ressurgir pour régler leur querelle. Ce qui est intéressant dans cette histoire est de la suivre à travers le prisme de la seule du trio qui ait refusé d’entrer dans ce lieu maudit. Elle est ainsi le témoin de ce qui va advenir de ses deux amies pour finalement devenir la principale victime de ce conflit qui oppose les deux autres personnages. Cela amène une peur bien présente dans le cœur de notre protagoniste et de celui du lecteur, car la première frayeur va rapidement s’enchaîner avec une seconde qui vient briser le maigre espoir que l’on pouvait avoir. Tout ça pour amener à une dernière page qui nous laisse supposer une fin horrible pour cette adolescente n’ayant rien demandé. Une histoire où l’effroi est bien plus suggéré au contact de ces êtres surnaturels sans jamais tomber dans l’effusion de sang.


La Femme Limace

Je connaissais déjà très bien cette troisième histoire qui est sûrement l’une des plus célèbres de Junji Ito en ce qui concerne ses courts récits. Et même en sachant ce qui m’attendait, le frisson est toujours là peu importe les années. La montée en puissance de l’horreur avec cette adolescente qui voit une partie de son corps se transformer en limace est tellement perturbante. On ne peut s’empêcher d’avoir des frayeurs en observant cette métamorphose qui semble inéluctable malgré toutes les tentatives de ses parents. Ici, l’auteur joue très bien sur le dégoût et la crainte qui se forment face à un événement aussi improbable et pourtant si repoussant. On a une profonde pitié pour cette étudiante qui ne peut rien faire et dont le destin va être encore plus terrible que ce que laisse suggérer le début du récit. Mais surtout, je trouve que la dernière page de cette histoire est la plus marquante tant elle exprime la tristesse de cette demoiselle condamnée à cette forme et qui nous lance un dernier regard empli de désespoir. Une forme qui reste ancrée dans notre esprit et qui nous marque profondément. Courte et efficace, cette nouvelle montre le talent de cet auteur pour poser rapidement un décor et un événement qui vont suffire à nous chambouler.


La fenêtre d’en face

On attaque la quatrième histoire et celle-ci conserve un certain attrait dans cette capacité à créer un sentiment de peur tout en donnant cette impression que personne ne la remarque sauf celui qui en est la victime. Il est question ici d’une famille venant tout juste d’emménager dans une nouvelle maison. Tout semble aller pour le mieux sauf le soir où l’adolescent dormant à l’étage est constamment réveillé la nuit par la voisine qui souhaite se rapprocher de lui. Il suffit d’une page pour que l’on soit face à une femme difforme et terrifiante qui semble inexorablement être attirée par ce garçon qui n’arrive plus à trouver le sommeil. Mais si son apparence hideuse est source d’effroi, ce n’est pas, à mon sens, ce qui est le plus terrifiant. En réalité, je trouve que l’idée qu’elle se rapproche chaque soir un peu plus de la fenêtre de cet étudiant est le plus angoissant. Car cela joue sur notre inquiétude de nous dire si oui ou non elle y parviendra et ce qu’il arrivera si elle atteint cette fenêtre. Et plus les pages tournent et plus on a le sentiment qu’elle est plus proche que jamais de sa cible. C’est cette inquiétude grandissante qui rend cette lecture aussi efficace dans l’effroi qu’elle insuffle chez le personnage et dans le cœur du lecteur.


La créature échouée

J’ai eu un peu plus de mal avec cette cinquième histoire qui va jouer sur le naufrage d’une créature inconnue sur une plage pour centrer l’action autour d’elle. On voit tout un tas de gens se réunir autour de ce monstre marin qui semble sans vie tandis que des chercheurs mènent leurs expériences.  Il est autant question de lever le voile sur l’identité de cette entité que de comprendre pourquoi autant de personnes se retrouvent inéluctablement attirées en ce lieu comme poussé par une force invisible. Pour ma part, ce que je trouve vraiment le plus terrifiant vient de la surprise de fin concernant cette histoire. Il va être difficile d’en dire plus pour ne pas spoiler, mais il y a une écriture pertinente qui se ressent et qui ne nous fait pas peur par rapport aux individus sur cette plage, mais concernant ce qui va être découvert. Il va y avoir alors une transposition qui va se faire pour nous dire comment on se sentirait dans une telle situation et la crainte que cela serait si cela pouvait arriver. Une angoisse qui se crée par le biais de l’imagination propre au lecteur que stimule l’auteur par cette révélation.


La lignée

Si la précédente histoire n’est pas celle qui m’a le plus marqué, celle-ci fut parmi les plus angoissantes. Encore une fois, il s’agit d’un des récits que je connaissais déjà bien avant et l’efficacité est toujours présente en la relisant. On y suit une jeune femme amnésique qui semble terrifiée à l’idée de se souvenir et qui va être accompagné par l’un de ses camarades désireux de l’aider au mieux. Mais ce qui est très intéressant avec cette nouvelle, c’est que plus on avance et plus on a le sentiment que quelque chose se cache derrière tout ça. On assiste aux crises de panique et cauchemars de notre protagoniste en essayant de démêler ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Et ce n’est qu’en découvrant la vérité que l’horreur va réellement prendre racine en nous. Le plus captivant provient justement de cette montée de la tension qui va servir à renforcer la révélation finale et l’effroi ressenti. Jouant toujours à merveille avec cet aspect déformation physique et excroissance terrifiante, il y a largement de quoi avoir de sacrés frissons surtout quand on découvre la dernière page et ce qu’elle laisse suggérer et dont la réalité n’est connue que de l’esprit de l’auteur. Un récit que j’affectionne pour sa capacité à jouer avec une peur bien réelle découlant du trauma que l’on imagine et qui a donné lieu à cette amnésie pour finir par nous surprendre par ce surnaturel qui fait froid dans le dos.


Un rêve sans fin

Dernière histoire que je connaissais déjà auparavant, Un rêve sans fin est une nouvelle que je trouve non pas tant horrifique que fascinante dans ce qu’elle raconte. Il est question d’un patient qui, quand il s’endort, à l’impression que ses rêves se rallongent de plus en plus. A chaque fois qu’il se réveille, il a le sentiment d’avoir passé plusieurs journées dans le royaume des songes. Cette idée est très bien trouvée, car elle s’attarde sur quelque chose qui est avant tout l’objet de notre subconscient et dont on ne peut avoir réellement le contrôle dessus. Voilà pourquoi cette histoire, derrière son aspect surnaturel, peut aussi facilement parler aux gens et amener quelques frissons par la même occasion. Encore une fois, nous ne sommes pas ici face à une véritable menace prenant forme devant nous. Il s’agit d’un phénomène inexplicable et qui suscite l’inquiétude, car impossible à comprendre. Et Junji Ito en profite pour mettre en avant la noirceur de certains êtres humains qui veulent profiter de l’occasion pour mener leurs recherches. L’homme est le réel danger ici et les dernières pages le montrent très bien tandis que l’on assiste médusé à la transformation physique de ce patient qui semble désirer qu’une seule chose, reposer enfin en paix. Sûrement une de celles que je préfère au sein de cet ouvrage.


Le tunnel

On se rapproche de la fin et on s’attaque à une histoire qui joue sur le surnaturel pour créer une intrigue qui va nous prendre aux tripes même si certains éléments peuvent sembler assez communs. En effet, ici on s’attarde sur un garçon qui revient bien des années après dans sa ville natale à présent abandonnée et qui retourne devant un tunnel où l’enfer s’est abattu pour lui et ses proches. Il nous raconte donc son passé et on va être témoin de l’étrange attirance que semble refléter ce lieu à l’égard de certains qui finissent souvent par ne plus en sortir et disparaître sans laisser de traces. Ce qui est bien avec cette nouvelle, c’est qu’il y a vraiment deux parties bien distinctes. La première nous permet de nous familiariser avec la légende autour de ce tunnel et de comprendre d’où viendrait le danger avant que cela ne soit un peu désamorcé par un changement au sein de cet édifice. Ce n’est alors qu’une question de temps avant que la vérité n’éclate. Et je trouve que le moment où tout bascule est très bien amené. On ressent l’horreur de la situation et le drame qui a lieu à chaque seconde passée dans ce tunnel. En plus de créer un sentiment d’oppression et d’urgence, cette histoire va aussi avoir pour effet de parler de la difficulté de faire son deuil et la culpabilité qui peut aussi s’en dégager. Un passage que j’ai beaucoup aimé pour toutes ces raisons.


Sculptures en bronze

J’ai été très agréablement surpris par cette nouvelle qui suit le schéma d’utiliser le surnaturel non pas pour faire peur, mais pour mettre en lumière la laideur morale de l’être humain. On assiste ici à l’histoire de la femme du maire dont le mari a mystérieusement disparu du jour au lendemain. La veuve ne semble pas plus chagrinée que ça et n’arrête pas de se vanter de sa jeunesse passée notamment en réalisant une sculpture d’elle lui rappelant cette époque. Et en fait, toute l’horreur que l’on va ressentir va directement provenir d’elle et de ce qu’elle est capable de faire envers ceux qui osent se moquer de son physique devenu repoussant. Je trouve que l’on est presque dans une réécriture du mythe de Narcisse avec la touche si personnelle de Junji Ito comme en témoignent plusieurs scènes qui vont se montrer dérangeantes et brutales. Et en plus de ça, l’auteur se sert aussi d’un vieux mythe comme quoi l’humanité serait façonnée à partir de statues pour donner vie à son histoire. Une réinterprétation horrifique et moderne de ces histoires où le désir de rester éternellement belle finit par se retourner contre la méchante de l’histoire. Une œuvre pas si angoissante, mais qui est brillante de bien d’autres façons et qui montre l’ingéniosité de cet artiste qui façonne, lui aussi, des personnages qui traversent le temps.


Idées noires

Voilà une autre histoire que j’ai trouvé brillante dans l’idée proposée étant donné qu’il est question d’étranges boules noires qui flottent dans l’air et qui sont le reflet des pensées les plus sombres des habitants de la ville. Alors que ça commence par un seul individu, cela finit par s’étendre à l’ensemble de la population. S’il est vrai que l’on n’est pas dans un récit horrifique à proprement parler, Junji Ito nous montre ici qu’il existe d’autres formes de peur qui sont bien plus concrètes que le plus effroyable des monstres. En fait, voilà une nouvelle qui peut facilement parler au plus grand nombre tant elle reflète une crainte que l’on peut tous avoir. On a tous un jardin secret ou des pensées que l’on veut garder pour soi. Mais que se passerait-il si tout ça venait à éclater au grand jour ? Il est ainsi question ici de l’angoisse de dévoiler qui l’on est réellement à travers nos idées les plus noires. C’est le regard des autres et leur jugement qui terrifie ici et montre à quel point nous sommes dans une société où le paraître est plus important que notre propre identité. Et je trouve que c’est incroyablement bien présenté entre ces pages avec des individus qui se délectent de dévoiler au grand jour les petits secrets de leurs proches et camarades tout bonnement pour les briser. Encore une formidable preuve de l’ingéniosité de cet artiste qui puise dans le réel pour façonner ses scénarios surnaturels.


Petit conte hémorragique de Shirosuna

Il est grand temps de conclure cette chronique en abordant la dernière histoire présente dans Tombes. Il s’agit de Petit conte hémorragique de Shirosuna qui, derrière son nom assez long, nous raconte la venue d’un jeune médecin dans un petit village isolé qui vit en autarcie. Il découvre alors des habitants livides et presque cadavériques qui vont aussi être victime d’un phénomène pour le moins singulier. Je trouve ce récit assez classique dans ce qu’il propose même s’il y a des éléments intéressants dans la manière de montrer ces étranges phénomènes qui assaillent ce lieu. Ce qui est le plus captivant selon moi vient de cette confrontation entre la logique et l’irréel symbolisé par le médecin et les habitants. Et plus on avance et plus on ressent le côté dérangeant de cet endroit et de ce côté charnel qui s’étend jusqu’au sol. Un récit imaginé autour de plusieurs contrastes et qui permet ainsi de donner deux visions très différentes de ce qui se passe sur ces terres.

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