Mujina into the deep T1
Il y a des noms d’artistes que l’on ne présente plus et dont chaque nouvelle série est attendue chaudement par les lecteurs. Des mangakas qui savent comment nous faire voyager ou nous marquer à leur manière surtout quand ils ont un style qui leur est propre et qui va profondément influencer notre appréciation du récit. Dans cette longue liste, Inio Asano a clairement su s’imposer, au fil des années, comme un auteur incontournable ayant l’habitude de nous proposer des histoires aussi inoubliables que profondément déroutantes. Et si je parle de lui aujourd’hui, c’est parce que l’on va s’attarder sur sa toute dernière série en date qui rejoint le catalogue Kana dans la collection “Big Kana” : Mujina into the deep. Autant le dire tout de suite, cette œuvre est à destination d’un public averti et ce premier volume le montre très clairement. Pour ma part, j’étais très enthousiaste de voir comment le mangaka parviendrait à créer une histoire qui retiendra toute notre attention d’entrée de jeu. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il sait y faire au vu de ce que cette introduction va mettre en place. Préparez-vous à faire la connaissance des Mujinas et de leur travail particulièrement sanglant.
Dans les bas-fonds de Tokyo

Synopsis
Dans un Japon dystopique où les droits humains sont strictement contrôlés, une carte d’accès à ces droits devient vitale. Sans elle, on devient une « Mujina », hors-la-loi insaisissable.
Entre missions périlleuses et secrets enfouis, Ubume doit survivre dans un monde où chaque choix pourrait être le dernier.
Parviendront-ils à survivre à cet enfer ?
Mangaka : Inio Asano
Ce qui est génial avec ce résumé, en plus de ne pas trop en dévoiler, est que Mujina into the deep nous fait clairement comprendre que l’on va être face à un récit qui va pousser à la réflexion. Le fait de mettre en place une dystopie où la majorité des gens semblent heureux et d’y amener ces “criminels” qui défient, par leur mode de vie, tout le système provoque forcément beaucoup de remous. Et c’est justement dans sa manière de développer ça en fond de ce que l’on va suivre qui rend cette première lecture particulièrement palpitante et prometteuse pour la suite.
Liberté sanglante ou joie d’une prison dorée
Tout d’abord, la première chose qui m’a frappé en lisant ce premier volume de Mujina into the deep concerne les dessins. Encore une fois, Asano nous montre tout son talent pour nous offrir des pages sublimes, épurées et pourtant regorgeant de détails où le visuel prône souvent sur les mots tant son trait se suffit souvent pour raconter ce qu’il veut. Mais il ne faut pas croire que l’écriture du titre est en retrait. Bien au contraire, j’ai trouvé que le manga réussissait facilement à poser les bases de cet univers dystopique en nous montrant rapidement la confrontation des classes qui se jouent. En effet, on nous dépeint ici une société où tout semble réguler afin de garantir, selon les hautes instances, le meilleur pour chaque concitoyen. Cependant, on voit très vite que cet encadrement sert plus de prison aux habitants qui finissent par se laisser porter par les décisions d’en haut et qu’ils ont perdu tout envie de liberté. Mais de l’autre, on nous présente les Mujinas comme des êtres exclus de cette société, n’ayant aucun droit, et qui sont présentés comme des tueurs n’hésitant pas à faire couler le sang de leurs cibles un peu partout en ville. Et c’est là que frappe en premier le génie de l’auteur. Il met d’un côté un monde où tout semble tout “blanc” face à des parias qui sont censés représenter le “mauvais”. Et pourtant, ces derniers sont aussi ceux qui font le plus preuve de liberté, certains devenant même des porte-étendards d’un mouvement de rébellion tandis que le gouvernement est plus dans l’oppression derrière ce discours de protection.
Et je trouve ça remarquable d’avoir réussi à créer de telles nuances d’un côté comme de l’autre. Car en réalité, les rôles sont inversés tout en continuant à avoir un discours peu reluisant sur ces individus exclus du système. Après tout, pour survivre, ils n’hésitent pas à tuer, kidnapper et à commettre l’irréparable. Cela amène énormément de réflexions pertinentes sur ce que l’être humain est capable de faire pour simplement se nourrir et sur l’oppression commis par les classes les plus aisées sur ceux qu’ils considèrent comme des parasites. Cela fait écho à bon nombre de sujets que l’on peut retrouver dans notre vie de tous les jours et Asano met en scène ces problématiques avec une maestria dont lui seul à le secret. Et même quand on se focalise sur des gens ordinaires, on nous montre des individus épuisés par la vie, presque désireux d’en finir ou qui cherche à retrouver une liberté qui leur semble si éloignée. Et c’est là que l’apparition de notre protagoniste va venir bousculer leur quotidien. Un manga très intéressant dans ce qu’il va transmettre au-delà de sa première couche qui n’en est pas moins spectaculaire. Car oui, si le message traite de problèmes de société graves, il est aussi question d’assurer un sacré spectacle avec un dynamisme fou qui se ressent au travers des planches surtout dans les moments où l’action prend le pas sur tout le reste. Ainsi, il y a un côté presque contemplatif qui se mêle à l’effervescence du combat permettant d’apprécier pleinement l’ensemble du tableau réalisé par l’artiste en question.
Mujina into the deep est clairement une œuvre qui nous fait poser un regard critique sur ce monde qui semble idéal dans un premier temps, mais qui affiche en réalité bon nombre de problèmes. Avec cette confrontation entre les gens ordinaires et ces exclus de la société, l’auteur nous amène à réfléchir sur des thèmes importants comme la liberté, la lutte des classes et le contrôle que certains souhaitent avoir sur le plus grand nombre. Tout ça est enrobé dans un sublime emballage où l’on peut être témoin des pires travers cachés derrière cette soi-disante paix universelle pour chacun.
Mujina into the deep s’envole
Inio Asano a un talent fou pour nous proposer des récits qui nous poussent à la réflexion tout en jouant sur le malaise et le désespoir que chaque humain peut connaître pour aller au fond de leur psyché. Et cela se ressent pleinement tout au long de ce premier volume de Mujina into the deep. Dans un premier temps, on en prend plein les yeux face à ce Japon aseptisé où la seule “tâche” au tableau des hautes instances vient de ces individus qui vivent en dehors du système. Ils sont à la fois un danger, une représentation de la liberté et des gens en détresse qui ne peuvent que survivre en se salissant les mains. Ce qui fait qu’en tant que lecteur, on est constamment tiraillé entre notre morale, notre envie de voir ces êtres de l’ombre secouer les fondements de ce monde et l’envie de voir certains s’en sortir. Et c’est toute la force du manga et surtout de son artiste qui joue avec toutes ces émotions que l’on va ressentir afin de nous faire ouvrir les yeux sur le fait que rien n’est manichéen. Car en même temps, on va voir toute la corruption, la noirceur et les crimes qui peuvent ronger cette fameuse société où tout le monde doit trouver son bonheur par rapport à ce qui lui est dicté. Tout ça donne lieu à un début de récit plus que captivant où l’on est autant envoûté par la forme que profondément touché par le fond. Une œuvre qui frappe fort d’entrée de jeu et qui a le potentiel de donner une histoire remarquable sur la durée. Encore une belle réussite de la part de cet auteur.
C’est donc, et je n’ai pas peur de le dire, un énorme coup de cœur pour le lancement de Mujina into the deep. J’ai été emporté autant sur le plan visuel que sur les thématiques traitées tout au long de ces chapitres. Et en plus de ça, le grand format donne encore plus d’impact aux dessins d’Asano qui se lâche pleinement ici. On a de l’action totalement folle et des instants de contemplation où les pensées se bousculent dans l’esprit des personnages, mais aussi dans le nôtre. Le genre de récit dont on ne peut rester insensible et qui finit inexorablement par nous amener à percevoir d’un autre œil le monde qui nous entoure. Avec son traitement réussi de la notion de liberté, de ce que cela implique et de la difficulté à la préserver, ce titre sait comment s’adresser à son lectorat. Encore une fois, on est face à une œuvre destinée à un public averti. Je n’ai en tout cas clairement pas été déçu de cette découverte et je la recommande aux fans des titres d’Asano ou ceux qui veulent une bonne porte d’entrée vers son style. A présent, j’ai plusieurs questions qui me trottent dans la tête. Est-ce que l’on va avoir le droit à un revirement de la population à l’égard de leur quotidien contrôlé ? Comment vont réagir les gens qui forment à présent l’entourage de notre protagoniste ? Les Mujinas vont-ils réussir à bousculer les choses ou bien simplement chercher à survivre ? Notre tueuse va-t-elle aussi changer sa perception de la vie ? Il me tarde de suivre tout ça dans le futur.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume de Mujina into the deep. Trouvez-vous que le titre réussit à nous plonger immédiatement dans son univers ? Appréciez-vous les thèmes traités tout au long de cette lecture ? Est-ce que la dualité qui se joue entre les deux camps montrés est prometteuse pour la suite ? Ce titre réussit-il à retranscrire tout ce que l’auteur a voulu y projeter selon vous ? Avez-vous apprécié les divers personnages rencontrés tout au long de ces chapitres ? Qu’attendez-vous pour la suite de la licence ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.