Pourquoi-j’aime-#48---Kemono Incidents-2

Pourquoi j’aime #48 : Kemono Incidents

On est en décembre et j’ai toujours envie de vous proposer des chroniques autour d’œuvres que j’apprécie. Le plus intéressant est souvent de se pencher sur des séries plus obscures ou moins connues que certains grands noms. Voilà pourquoi je profite de la sortie du prochain volume pour vous partager aujourd’hui un nouveau numéro de “Pourquoi j’aime” dédié à l’excellent Kemono Incidents, édité chez Kurokawa. Si ce manga a eu le droit à une adaptation anime, il est tout de même resté assez discret alors qu’il y a énormément de choses à tirer de son histoire. Une série qui, derrière ses couvertures pastels, cache des thèmes bien plus sombres et surprenants. Sûrement l’une des œuvres traitant du folklore japonais qui m’a le plus étonné de ces dernières années tant on ne s’attend pas à la tournure que va prendre l’histoire. Je me suis donc dit qu’il était grand temps de vous dire pourquoi j’apprécie autant cette licence. Préparez-vous à faire la connaissance d’une goule désireuse de découvrir un autre mode de vie. Une histoire bouleversante et intense qui offre bien des rebondissements.

Une proposition original

Kemono Incidents Vol. 1

Pour bien commencer, il faut savoir que Kemono Incidents réussit l’exploit de fusionner plusieurs genres qui fonctionnent à merveille ensemble. Enquête surnaturelle, folklore japonais, action, comédie absurde et drame psychologique sont autant d’atouts entre les mains de l’auteur qui donne vie à une histoire aux multiples facettes. Au départ, on a l’impression de partir sur un polar surnaturel en compagnie d’Inumagi, un détective occulte, qui dirige une agence spécialisée dans les affaires impliquant des kemono (demi-démons). Mais ce qui pouvait laisser présager de partir dans cette direction va finalement prendre une toute autre tournure avec la rencontre de celui qui sera sur le devant de la scène. Toutes les affaires initiales que l’on va nous proposer vont finalement nous conduire à une intrigue bien plus vaste et prenante. Progressivement, le manga prend une tournure beaucoup plus surprenante et dramatique menant à une grande saga sur l’identité, la famille et la coexistence. Le folklore japonais (tanuki, kitsune, yuki-onna, kappa, etc.) est revisité avec créativité : chaque kemono possède des règles propres, des faiblesses et une culture, évitant le simple bestiaire. Et à chaque fois que l’on pense que l’on s’habitue à ce qui se passe, l’auteur réussit à trouver le petit élément qui va venir nous étonner. Pour ma part, j’ai vraiment été bluffé par toute cette écriture qui ne se contente jamais de se satisfaire de ce qui pourrait déjà être bien. Au contraire, chaque arc narratif réussit à frapper un grand coup et surtout à donner un ton différent avec des enjeux propres à ce qui se passe. Une très belle utilisation et revisite du folklore japonais qui se mêle à tout un tas de styles variés avec un brio inattendu.


Un protagoniste en constante évolution

Kemono Incidents T5

Kabane Kusaka, le garçon goule au cœur si particulier, propose l’un des arcs de développement les plus touchants dans ce manga. Car oui, le titre va totalement se démarquer par ce protagoniste qui est assez loin de ceux que l’on peut connaître habituellement dans ce type de récit. Au départ, il est littéralement vide d’émotions : il ne sourit pas, ne pleure pas, ne ressent ni peur ni joie. Cette absence d’humanité rend ses premiers pas glaçants et fascinants. Surtout qu’on voit le traitement horrible de son entourage à son égard. Cela éveille en nous une furieuse envie de le voir se rebeller et sa rend son manque de sentiments encore plus triste. Petit à petit, grâce à ses amis et à Inugami, il découvre la colère, la tristesse, l’amitié, puis l’amour fraternel. Cette progression lente apporte justement une crédibilité et sincérité magnifiquement mise en scène : chaque émotion nouvelle est un événement majeur, provoquant souvent de l’émoi chez le lecteur comme ce fut le cas pour moi. Et pourtant, on n’est pas forcément dans une transformation complète en humain sur ce plan émotionnel. L’auteur conserve justement ce qui fait l’essence de la nature de goule de Kabane pour montrer aussi le fait que ce froid si caractéristique de ces êtres peut facilement revenir au galop. Cela permet de créer un effet assez unique où la joie de le voir faire preuve d’empathie et de camaraderie peut ensuite nous couper le souffle quand il décide de passer aux choses sérieuses. Un protagoniste qui évolue donc constamment au même titre que cette histoire. Il est l’exemple parfait que cette série est un petit ovni avec un personnage qui sort des sentiers battus. On a autant envie de prolonger l’aventure que de voir ce que Kabane va bien devenir au fil de ses péripéties.


Un trio tellement attachant

Kemono Incidents T13

J’ai pu parler un peu plus tôt de comment Kabane était un des points forts du manga. Cependant, il n’est pas le seul à briller sur le devant de la scène. Je dirais même que c’est au contact des autres qu’il va vraiment réussir à se développer au mieux. C’est là que l’effet de groupe est aussi formidable dans ce récit, car il s’agit d’une composante essentielle aux développements des trois principaux protagonistes. On est face à des adolescents qui sont très opposés avec d’un côté Kabane qui se montre toujours impassible, Shiki beaucoup plus sérieux et colérique ainsi qu’Akira à la fois douce, innocente et en contraste avec les deux autres. Ce groupe qui se forme avec eux va être très intéressant, car il montre des profils aux antipodes les uns des autres et qui pourtant vont se compléter parfaitement. A chaque arc narratif, on va avoir le droit à une progression de ces adolescents et surtout une complicité de plus en plus forte entre eux. C’est là que je trouve que le manga tire son chapeau parce qu’il réussit à créer un petit cocon pour ces trois âmes qui ont été profondément blessées dans la vie. Ce manga, à travers cette “famille” de substitution, va leur servir de renaissance au milieu de ce chaos que peut être la vie d’un kemono. Tout ceci fait que même s’il y a parfois des tensions, surtout au début, on est heureux de les voir s’épanouir ensemble. Ils apprennent à être fiers de leurs facultés, à avoir confiance en eux et surtout à faire face aux nombreux dangers pouvant les guetter durant cette quête. Une véritable réussite à ce niveau qui transforme des êtres surnaturels en des personnages profondément humains dans leurs réactions et leur évolution. On finit par s’attacher à cette petite bande qui ne cesse de nous surprendre.


Un style en constante évolution

Le style graphique de Shō Aimoto est l’un des exemples les plus flagrants d’une évolution fulgurante au fil des volumes. Les premiers chapitres, assez épurés et presque « mignons », cachaient déjà un sens aigu du character design (les yeux vides de Kabane, la silhouette androgyne d’Akira, les huit pattes arachnéennes de Shiki). Mais dès que l’on passe des premiers chapitres aux arcs narratifs majeurs, on sent que le trait devient d’une densité impressionnante. Les transformations kemono sont monstrueuses sans être confuses : écailles, fourrure, membres difformes, tout est détaillé avec une précision presque biologique. Les doubles pages de combat font mouche et montrent à quel point l’artiste a parfaitement su s’approprier les spécificités propres à chaque kemono pour les intégrer dans ses chorégraphies martiales. Tout ça donne un ballet fabuleux où l’on va autant apprécier les moments d’accalmie par un trait fin et délicat que les moments d’action où on en prend plein les yeux. Aimoto maîtrise à merveille le contraste : gros plans terrifiants sur des bouches béantes de kemono, suivis immédiatement d’un chibi comique pour détendre l’atmosphère. Cette mise en scène est plus que réussie et montre aussi à quel point le titre est pensé pour donner du dynamisme à tout ce qui se passe. Les instants d’enquête nous tiennent en haleine de par cette faculté à créer une atmosphère pesante pendant que les phases de confrontation vont amener une dimension bien plus épique au manga. Encore une fois, on retrouve ce savoureux mélange entre ces deux facettes qui forment l’identité si propre de ce manga qui ne s’arrête jamais d’évoluer au même titre que ses personnages. Une grande réussite autant sur l’écriture que sur le plan visuel.


Des thématiques d’une rare violence

Il est déjà grand temps de refermer cette parenthèse en vous parlant du dernier point que j’apprécie dans cette série. Il s’agit tout bonnement de l’écriture que j’ai déjà pu évoquer un peu plus haut, mais au niveau des thèmes abordés. Kemono Incidents est bien plus sombre qu’il n’y paraît au premier abord, et c’est précisément cette noirceur assumée qui constitue sa plus grande force thématique. Sous la couche d’humour absurde et de monstres rigolos se cache une réflexion brutale sur la violence faite aux enfants, qu’elle soit physique, psychologique ou institutionnelle par exemple. Presque tous les personnages principaux sont des victimes ayant soufferts d’abus, de traumas et toute autre forme de violence. On peut citer, par exemple, Kabane vendu par ses parents et élevé comme un outil et cela peut s’appliquer à tous les autres protagonistes, qu’ils soient adolescents ou bien adultes. Le manga ne tombe jamais dans les tropes classiques ou convenus : les flashbacks sont crus, parfois insoutenables et vont souligner toute l’horreur qui peut régner au sein de ce monde en parallèle du nôtre. Pourtant, Aimoto refuse le nihilisme : chaque trauma est contrebalancé par la construction lente d’une famille choisie et par des actes de rébellion concrets. Chaque thème souhaité par l’artiste est traité avec une maturité remarquable et une sincérité qui ne peut laisser de marbre. La série dénonce énormément de problématiques par le prisme du fantastique tel que le racisme, la corruption et tout ce qui peut toucher à une enfance brisée. Cette capacité à faire cohabiter horreur, critique sociale et guérison émotionnelle, sans jamais édulcorer la violence que certaines personnes peuvent subir, fait de Kemono Incidents une œuvre profondément bouleversante et importante à lire.

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