Ito Universe

Le Ito Universe

Vous le savez, c’est la dernière ligne droite avant Halloween. Il était donc impossible pour nous de ne pas faire plusieurs chroniques spéciales autour de sujets collant à cette période. C’est pour ça qu’aujourd’hui, il est grand temps de faire un focus sur un maître de l’horreur. Vous l’aurez compris en lisant le titre, il s’agit de Junji Ito à qui l’on dédie cette chronique autour du Ito Universe. Après avoir déjà abordé plusieurs mangakas par le passé, on s’est dit qu’il serait pertinent de se pencher sur ce dernier dont les ouvrages ont marqué le monde du manga, mais aussi de nombreuses personnes à travers le monde. Comme toujours dans ces chroniques, on abordera ce que l’on a pu ressentir concernant le style de l’auteur à travers les titres que l’on a pu lire de ce dernier. Il s’agit bien sûr d’une interprétation personnelle et l’on serait ravi de connaître votre propre opinion sur ce sujet. On va donc traiter ici de quatre titres bien précis qui ont tous su dévoiler une facette de cet artiste dont la peur est devenu son pinceau. Il est donc grand temps de se pencher sur un art aussi hypnotisant que terrifiant.

Tomie – le début de la légende

Tomie - Ito

On attaque sûrement l’œuvre la plus importante de l’auteur avec Tomie bien au-delà du simple fait qu’il s’agit de son premier manga. Comme il l’a souvent été dit, Junji Ito a un rapport tout particulier avec ce titre et surtout ce personnage qu’il continue à enrichir même des années plus tard. Quand on se concentre sur ce que l’on peut entrevoir entre les pages de ce manga, on peut se rendre compte de beaucoup d’éléments intéressants. En effet, ce récit horrifique est très représentatif de ce qui va constituer le style du mangaka quand il s’agit d’effroi et de faire trembler le lecteur à travers des situations qui dérangent. Là où l’on pourra entrevoir par la suite son attrait pour créer une menace surnaturelle et défiant la logique humaine, Ito va ici commencer en réussissant à nuancer ce danger. Le personnage de Tomie symbolise à merveille ça étant donné qu’elle est autant victime que bourreau dans toutes les nouvelles que regroupe cet ouvrage. Menant à la folie tous ceux qui croisent sa route, son pouvoir de séduction est à double tranchant étant donné qu’elle finit toujours par en faire les frais. A la fois protagoniste et antagoniste de sa propre histoire, elle nous terrorise tout en réveillant en nous une sorte d’empathie par rapport à cette finalité qui finit toujours par arriver. On sent donc cette volonté de la part du mangaka de montrer une sorte de punition à l’égard de l’être humain par rapport à cette entité répondant à son besoin d’attention sans pour autant en oublier cette sorte de malédiction qui frappe son personnage. Un contraste qui fait toute la force de son œuvre et qui va justement créer une peur unique en son genre. Alors qu’il va très souvent avoir l’habitude de créer des fictions avec à chaque fois des obstacles différents, il façonne ici son terrain de jeu autour d’un symbole précis qui n’est autre que cette créature.

Là où on peut être plus ou moins réceptif en fonction de l’histoire que nous propose Junji Ito dans les nouvelles qui suivront Tomie, il parvient entre ses pages à créer une figure du mal qui s’incruste profondément dans l’esprit du lecteur. Les nombreuses visions cauchemardesques, transformations macabres et déformations charnelles qui jalonnent le style de l’artiste se combinent ici pour former une seule menace qui va sans cesse revenir tel un esprit vengeur pour accomplir sa basse besogne avant de finalement disparaître pour mieux renaître. Tomie, c’est une étape fondamentale dans la création de la vision de l’horreur du mangaka en donnant vie à une figure emblématique dont le charme n’a d’égale que sa cruauté. On a tous des récits de cet auteur que l’on apprécie plus que d’autres. Cependant, parmi tous les travaux de ce dernier, il y a toujours un visage qui revient systématiquement. C’est celui de Tomie, cette jeune femme ayant connu un sort funeste et qui impose maintenant son courroux à tous ceux qui croisent sa route. Ce maître de l’effroi japonais a su mettre en place les bases de son art pour donner vie à une créature qui transcende cet ouvrage pour devenir une légende de la littérature horrifique influençant bon nombre de lecteurs. Ce premier jet va ainsi être l’élément déclencheur qui va ensuite l’amener à construire au fur et à mesure son style de prédilection. Une création qui va avoir une place centrale dans l’ensemble de ses projets et qui, au même titre que les victimes de Tomie, finit toujours par revenir sans prévenir dans l’esprit de tous ceux qui ont été à son contact y compris Junji Ito. Il peut ainsi donner libre cours à son imagination afin de multiplier les manières dont cette jeune femme devenue monstre va laisser son empreinte chez ceux qui survivent à cette rencontre.


Spirale – la malédiction fait son effet

Spirale - Ito

On aborde maintenant le cas de Spirale qui est une œuvre dont on peut tirer énormément de choses par rapport à ce que souhaite créer Junji Ito. Après son travail sur Tomie, on ressent dans cet ouvrage un désir de se concentrer non pas sur plusieurs cas, mais sur une histoire conséquente permettant de donner vie à une intrigue sur le long terme. En effet, l’auteur est connu pour avoir écrit de nombreuses nouvelles tout au long de sa carrière et il est donc intéressant de poser le regard sur un récit qu’il a pensé pour tenir le lecteur en haleine à travers une menace bien précise. Ainsi, on se retrouve propulsé dans ce village maudit où la représentation de cette spirale va faire bon nombre de victimes. Une fois de plus, on n’est pas dans une horreur qui se veut ici immédiate et brutale. Tout le talent du mangaka ici est de mettre en scène un danger presque impalpable dont on ne peut échapper à son emprise. Comme dans son premier ouvrage, Junji Ito apprécie de créer un malaise grandissant chez le spectateur qui va se sentir de plus en plus mal au fur et à mesure qu’il progresse dans le récit. C’est en parvenant à créer cette ascension dans l’effroi que l’on peut aisément se transposer à la place de ces protagonistes qui subissent aussi cette force supérieure qui semble s’amuser avec eux. L’effroi ici ne vient pas d’une crainte réelle, mais d’un mal qui dépasse la compréhension humaine.

C’est un élément très fréquent dans le style de Junji Ito et qui va être consolidé au sein de ces pages. Spirale va justement démontrer la capacité de cet artiste à créer un scénario qui transpire la réalité et la normalité pour y incorporer tout simplement un facteur qui va bousculer tout ça. D’ailleurs, si cette malédiction qui plane sur cette petite ville nous terrorise, c’est bel et bien le comportement des gens qui peut faire de cette peur un malaise encore plus profond. Le surnaturel accentue la terreur que peut insuffler la nature humaine dans ces moments les plus sombres. De plus, c’est en se penchant sur Spirale que l’on constate à quel point le trait de l’auteur s’exprime bien plus par le visuel que par des paroles. Véritable chef d’orchestre quand il s’agit d’imaginer une fresque dont les dessins en disent bien plus que le plus long des dialogues, il a ce désir d’être minimaliste en paroles. C’est face à ces planches aussi impressionnantes qu’effroyables qu’il parvient à exprimer toute la force de son art et surtout à transmettre une partie de ce danger au lecteur qui a l’impression que la frontière entre la fiction et la réalité s’efface. Tomie lui avait déjà permis de montrer ça, mais Spirale lui donne la toile nécessaire pour que son tableau final puisse prendre des dimensions inimaginables. Il nous prouve que le plus inquiétant pour un lecteur est ce qu’il s’imagine lui-même comme le plus terrifiant. Face à un tel phénomène, c’est le spectateur qui se perd dans ses pensées en tentant de comprendre l’incompréhensible et créer une spirale dont on ne peut en sortir.


La Déchéance d’un homme – une adaptation angoissante

La déchéance d'un homme

La Déchéance d’un homme est un titre très particulier à analyser, mais qui va aussi être le parfait reflet de ce que Junji Ito parvient à faire après avoir aiguisé son style pendant des années. Il faut savoir que ce manga est une adaptation de l’œuvre du même nom imaginée par Dazai Osamu. Nous plongeant au contact d’un individu lambda qui va voir sa vie lui échapper au fil de ses décisions et de ses échecs. Un drame qui s’inscrit à la base dans un contexte bien précis et ne laissant que peu de place à l’horreur. C’est là qu’intervient notre mangaka qui joue le jeu de la réinterprétation à travers son propre regard. Si le fond reste semblable en suivant la terrible chute d’un artiste qui sombre dans les travers de la nature humaine, la forme respire le trait de notre maître de l’effroi. Ce dernier parvient à instiller ce genre qu’il a tant traité par le passé afin d’amener cette histoire vers un nouvel horizon. Ainsi, ce récit réaliste va flirter avec une folie frôlant au paranormal. Ce qui est le plus remarquable, c’est que tout ça se fond à merveille dans cette trame narrative et souligne admirablement bien cette notion de déchéance qui frappe ce protagoniste. De plus, Junji Ito renoue aussi avec un schéma qu’il aime bien à savoir dessiner un personnage qui est autant victime que coupable de ses propres échecs. En fait, l’intrigue de base est idéale pour lui afin que son imagination florissante et terrifiante prenne le pas sur tout le reste. S’approprier ce scénario lui permet de trouver une parfaite raison pour enchaîner les situations cauchemardesques.

Tout ça est pensé pour enrichir ce personnage central qui sombre peu à peu dans une folie qui va le ronger de l’intérieur. Tout au long des deux tomes qui sont sortis en France, on se demande constamment si tout ce que l’on voit est réel ou bien les délires d’un être qui n’arrive pas à garder ce qui l’entoure. D’ailleurs, Ôba a quelques similitudes dans le récit avec Tomie dans la manière qu’ils ont d’attirer les convoitises. Si le premier le fait sans en être vraiment conscient, la seconde se complaît dans ça. Pareil pour cet effet de proie et de prédateur qu’ils sont tous les deux. Ils brisent de nombreuses vies, mais à travers des approches différentes. Ito nous montre donc dans ce manga qu’il maîtrise à la perfection son sujet et qu’il a toujours cette envie de fasciner le lecteur tout en le faisant frissonner. C’est pour ça qu’en plein milieu de ce conte dramatique apparaissent ses plans morbides où la chair prend le pas sur la raison. On est donc plongé en terrain connu, mais toujours d’une manière qui parvient à nous surprendre. Dans les deux précédents titres que l’on a traités plus haut, il était toujours question de quelque chose de plus grand dont il semblait impossible d’y échapper. Dans cette série, c’est le contraire qui se passe. L’effroi ne vient pas d’une malédiction ou bien d’une créature qui hante les vivants. C’est avant tout une terreur que l’Homme peut créer de lui-même et qui ne peut plus échapper à sa propre vision du monde. Une descente aux enfers dont il est impossible de remonter malgré toutes les mains tendues.


Sensor – la menace vient d’ailleurs

Sensor - Ito

On termine cette rétrospective avec l’œuvre la plus récente de Junji Ito. Disponible depuis peu en France, on a pu découvrir Sensor et poser un tout autre regard sur la vision de l’auteur concernant son propre style. En effet, dans nos précédentes escapades, il était quasiment toujours question d’une terreur dont on ne pouvait se défaire. Une emprise obscure qui ne faisait que resserrer son étreinte tout au long de notre expédition. Ici, le mangaka va justement contrebalancer en proposant une dualité très marquée entre lumière et ténèbres. Un contraste qui nous frappe rapidement et va être au cœur de ce récit mettant ainsi en avant une autre facette du dessin de l’auteur. Celle-ci consiste dans sa faculté d’aller contre tout ce qu’il a pu établir par le passé pour montrer qu’il peut aussi exister une forme d’espoir. Toujours impressionnant quand il s’agit de créer des plans nous mettant mal à l’aise, il veut étoffer son registre en montrant une autre voie possible à son style si spécifique. L’effroi est bien présent, mais il n’est pas forcément une fatalité. Cela s’exprime à de nombreuses reprises au cours de cette épopée où l’on ressent personnellement une très forte influence dans Sensor du travail de Lovecraft. On sent cette volonté de créer la peur par rapport à quelque chose qui nous dépasse et surtout un savoir qui nous est interdit. A travers ce manga, Junji Ito ramène l’être humain à un être finalement très ignorant des vérités qui entourent ce monde et au-delà. Accéder à de telles connaissances ne peut alors être supportable pour l’Homme qui sombrerait dans la folie. Un état de fait qui va beaucoup contribuer à enrichir le dessin de l’auteur afin que l’on ait cette sensation de faire face à une menace qui nous dépasse totalement et dont la portée est cosmique.

Même si on est très loin d’avoir pu découvrir tous les travaux de Junji Ito, il est captivant de voir à quel point son approche du manga horrifique est à la fois restée la même tout en évoluant dans une multitude de petites branches annexes. Un tronc solide qui permet ensuite de proposer tout un tas de ramifications permettant de créer un sentiment unique quand on se lance dans un manga de l’auteur. Cette sensation d’avancer sur un chemin qui nous paraît familier et qui pourtant va réussir à nous surprendre. Artiste confirmé dont le style passe passe avant tout par l’image. Sans même dire un mot, on fait face à cette horreur qu’il façonne à sa convenance pour créer des visuels qui s’inscrivent à jamais dans l’esprit du lecteur. Des pages qui nous ramènent à cet élément universel qu’est la peur qui relie chaque être humain. Un mangaka qui a dédié l’ensemble de son travail pour que l’on pose un autre regard sur ce genre si spécifique qu’est le récit horrifique. Construisant sa propre vision de celui-ci, chaque nouveau projet est l’occasion pour lui de s’amuser en utilisant ce qu’il a fait par le passé tout en s’ouvrant à de nouvelles perspectives. Un auteur qui évolue constamment dans son domaine de prédilection montrant qu’il est toujours possible de repousser les frontières de son imagination. Que l’on soit sensible ou non à un récit plus qu’à un autre, il arrive tout de même à nous faire toujours ressentir un petit frisson.

N’hésitez pas à donner votre propre ressenti du style si particulier de Junji Ito dans les commentaires. Etes-vous réceptif à son approche si singulière de l’horreur ? Trouvez-vous qu’il a su offrir une évolution intéressante au fil de ces ouvrages ?  Ce sera avec grand plaisir que de pouvoir débattre et discuter de ce sujet avec vous tous !

© Ito Junji

3 Comments

  • Vialyli dit :

    Ce que j’aime avec Itô Junji, c’est ce talent qu’il a de démontrer qu’il ne faut pas se fier aux apparences, dans ses récits les femmes sont toujours très belles, attirantes mais en même temps empoisonnées. Et même quand ce n’est pas le cas, les femmes qu’il dépeint interpellent toujours. Le personnage a du mal à se défaire de cette toile d’araignée, il est piégé, et c’est là que sa vie, sa personnalité vacille pour le pire. Folie, bourreau ou victime. Trop fort j’adore. Ça me rappelle un peu l’anime Yami Shibaï, ou la curiosité est toujours un défaut. On est happé par le genre. Merci pour ta chronique, son dernier titre, je ne le connais pas, je pense que je vais m’y intéresser 🙂. 👍

    • EspritOtaku dit :

      Il a toujours eu cette envie de mettre en avant des personnages féminins qui viennent justement casser les codes de l’horreur en nous montrant un contraste terrifiant entre ce que l’on croit et ce qui est vrai.
      C’est justement cette faculté à jouer avec notre propre perception du réel qui fait que l’on adore ce style !
      N’hésite pas à me dire ce que tu penses de Sensor 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *