Soul Keeper tome 1 et 2 : difficile d’être un esprit gardien
Décidément, cette semaine fut chargée en matière de mangas signés par Tsutomu Takahashi. Après avoir évoqué Black-Box, son œuvre sur la boxe, c’est au tour d’une autre grande licence du mangaka d’être analysé ici. Faisant son grand retour en librairies, cette saga n’est autre que Soul Keeper qui rejoint le catalogue de Panini. Une réédition très attendue pour notre part au vu de tout ce que l’on a pu découvrir autour de cet auteur. On était ainsi très curieux de voir ce que pourrait donner cette série qui change assez fortement de ce que l’on a pu lire par le passé. En fait, cette nouvelle aventure est l’occasion de renouer avec un domaine qu’affectionne tout particulièrement cet artiste et qu’il a déjà pu aborder dans certains de ses projets. Il s’agit du mysticisme et notamment tout ce qui touche cette frontière nébuleuse entre la vie et la mort. On a pu découvrir entre ces pages une impressionnante introduction qui va autant mettre en scène un récit prenant qu’une histoire aux nombreux messages. On espère donc que vous êtes prêts pour une épopée qui vous guidera aux portes de l’au-delà.
Une mission éprouvante
Soul Keeper, imaginé par Tsutomu Takahashi, nous emmène faire la connaissance de Riyon. Cette dernière a depuis longtemps perdu la vie. A présent, elle n’est plus que le fantôme d’une jeune fille indépendante et rebelle. A présent de l’autre côté de la barrière, elle doit se montrer assidue pour espérer se réincarner. Malheureusement, elle est très loin d’être une élève modèle et semble se moquer des cours afin de bonifier son âme. Un constat terrible pour les gens se chargeant de son enseignement. La jeune femme préfère nettement passer ses journées à jouer à Reversi plutôt que de s’ennuyer dans une salle de classe. Et puis elle se demande bien à quoi cela peut servir toute cette histoire qui lui donne l’impression de n’avoir jamais perdu la vie. C’est alors que le précepteur en chef de l’au-delà va prendre une décision importante pour son avenir. Afin de lui faire changer de comportement, il décide de lui confier une mission qui est loin d’être plaisante pour la majorité des âmes errantes. Elle est chargée de retourner sur Terre pour devenir l’esprit protecteur de la personne de son choix. Derrière cet objectif se cache un désir de la ramener dans le droit chemin afin qu’elle puisse enfin renaître. Mais Riyon prend cette décision comme un cauchemar. Après tout, cela signifie qu’elle va être coincée auprès de cet individu inconnu jusqu’à ce qu’il finisse par mourir. Cela peut autant être bref qu’une longue vie à attendre ce moment fatidique.
Elle regarde alors toutes ces feuilles qui se dressent devant elle comme si son avenir se jouait à un simple jeu de hasard. Finalement, elle jette son dévolu sur une personne qui semble convenir à ses attentes. Ce dernier est un homme d’âge mûr à qui il resterait à peine plus de cinq cents jours à vivre sur cette planète. Une aubaine pour la demoiselle qui se dit que cela est assez peu et qu’elle pourra revenir plus vite qu’elle ne l’espérait. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est que son hôte n’est autre que le Premier ministre du Japon. La plus grande figure du pays est loin d’être appréciée par ses concitoyens et son entourage. Malade et grandement affaibli, Riyon observe ce triste spectacle en se demandant s’il arrivera à tenir jusqu’à cette fameuse date butoir. Elle ne sait alors ce qu’elle doit faire pour accomplir son devoir si ce n’est chassé de son esprit toute la noirceur qui découle de l’opinion publique. Un travail conséquent au vu du rôle de cet homme qui n’a pourtant rien d’un leader. Il semble même s’être résigné à son sort et se laisse dépérir ce qui n’arrange pas les affaires de son nouvel esprit protecteur. Cette dernière ne sait pas encore que cette tâche qu’on lui a confiée va la conduire à renouer avec le monde terrestre et avoir un impact considérable sur celui-ci. La moindre décision peut avoir de terribles conséquences et elle est sur le point de l’apprendre au contact de ce politicien qui a perdu sa volonté de combattre et défendre les siens.
Il est vrai qu’utiliser le folklore religieux et tout ce qui tourne autour des esprits est assez fréquent dans le monde du manga. Cependant, Tsutomu a ce petit quelque chose en plus qui permet d’utiliser ce thème pour traiter d’un sujet complexe. Il s’agit de la nature humaine et de ce qu’il peut se passer quand on se rapproche de notre fin. Soul Keeper en est un parfait exemple qui va d’abord reposer sur un scénario haletant où le temps est constamment dans l’esprit du lecteur. Le récit de cet esprit et de son hôte va nous amener à poser un regard singulier sur l’Humanité.
Une tension palpable
Dans un premier temps, il est important de s’attarder sur le scénario de Soul Keeper. Avant même d’attaquer les thématiques derrière cette œuvre, la série va réussir à capter notre attention par rapport à ce qui se passe sur le devant de la scène. Au départ, on a l’impression que l’on est dans une œuvre étrange et qui va surtout s’axer sur la protection de cet esprit protecteur à l’égard du Premier ministre. Mais très vite, les événements prennent une tournure inattendue. L’histoire va nous amener dans une direction que l’on n’avait pas prévue en provoquant ce rapprochement entre le monde des vivants et celui des morts. On est alors propulsé dans une intrigue qui va se complexifier de manière très intelligente. Le mangaka va montrer sa faculté à créer un fil rouge qui nous surprend autant qu’il nous happe dans ce qu’il veut nous raconter. Dans un sens, l’évolution du récit va permettre de briser cette monotonie que Riyon ne voulait pas. Comme si tout ça était en réponse à ses désirs, mais en montrant aussi le prix qu’il faut payer pour ça. On va alors se diriger non pas vers une relation devant rester neutre, mais un rapport d’égal à égal entre les deux parties. Il y a véritablement un avant et un après au sein de ce manga et qui va contribuer à bousculer ce petit quotidien que l’on commençait à nous proposer. On attaque ainsi une seconde partie qui nous amène sur un terrain beaucoup plus politique avec tout ce que cela inclut de manigances, complots et tentatives de sabordage à l’égard de cet homme.
Un revirement de situation qui va justement empêcher que l’on reste trop longtemps dans l’inactivité afin de voir comment cette demoiselle va réagir face aux nombreux assauts qui visent l’individu dont elle a la charge. Ce qui est aussi bien réalisé, c’est que l’auteur montre avec beaucoup de sincérité la difficulté d’être aux commandes d’un Etat. Un devoir qui incombe de nombreuses décisions difficiles et surtout très peu d’alliés. Le lecteur se laisse alors prendre au jeu de voir si oui ou non il est capable de changer ce pays tout en voyant comment va réagir celle qui habite son corps. Il y a une véritable maîtrise de la narration et du suspens qui fait que ce que l’on pensait être une épopée assez calme se transforme en une bataille impressionnante pour préserver une place peu enviable. Le mangaka a su cerner toute la dangerosité de ce milieu où l’ambition règne en maître et sans même nous en rendre compte, notre regard est attiré par le destin de ces quelques personnages. Dans un sens, on peut facilement se transposer à la place de Riyon aussi surprenant que cela puisse paraître. Après tout, elle agit comme une personne lambda à qui on a confié une mission qui ne l’intéresse pas plus que ça. Elle va alors se retrouver mêlée à une quête qui la dépasse. Là où ce politicien semble renaître, nous essayons de saisir toute la portée de son combat. Une confrontation qui va autant se jouer sur le plan de la réalité que dans l’esprit de ce dernier. Un développement ingénieux et qui change grandement toute la structure du récit.
Comme on l’a dit par le passé, Soul Keeper est un excellent terrain de jeu pour son auteur. Il va ainsi s’en donner à coeur joie pour que la mort s’insinue partout dans le quotidien de ces gens. Que l’on soit en compagnie de ce duo que l’on suit ou bien des autres individus ponctuant l’histoire, il y a constamment cette frontière qui apparaît. Une ligne qui s’efface peu à peu pour révéler ce qu’il y a de pire chez l’homme, mais aussi ce qui peut être remarquable dans sa nature. Une vitrine sur notre propre société et où le cœur est dicté par des raisons autres que la notion de bien ou de mal.
Quand la vie et la mort se rencontrent
L’autre point que l’on a grandement apprécié dans Soul Keeper est le lien qui se forme entre les deux principaux personnages et ce que cela symbolise. On est avant tout dans une œuvre qui insère le mysticisme au cœur d’une réalité. Utilisant habilement tous les éléments tournant autour du folklore japonais, le mangaka va utiliser ce domaine pour sublimer le combat qui nous est présenté. On veut nous montrer que le rapprochement entre l’esprit protecteur et son hôte est loin d’être une bonne chose. Les deux mondes ne devraient jamais entrer en résonance et Riyon aurait dû rester dans son rôle que d’outrepasser ses droits. Si elle pense bien faire, on nous montre que chaque décision peut avoir des conséquences. D’ailleurs, il est captivant de voir que notre héroïne va aller outre le cycle naturel de son protégé. On veut nous montrer ainsi un fantôme qui se raccroche encore à cette humanité qui fut autrefois sienne sans prendre en compte la portée de ses actes. Dès lors, on est aspiré dans une spirale qui va autant apporter de bonnes choses pour le Premier ministre que provoquer d’autres souffrances. L’artiste derrière cette histoire se sert de ces deux aspects de la vie non pas de manière distincte, mais en venant justement briser cette barrière qui les sépare. Il nous présente ce qu’il imagine si jamais les morts pouvaient avoir une influence sur les vivants. Comme dit précédemment, il n’est pas forcément question de mal agir, mais de ne pas prendre assez de recul sur ce qu’une simple décision peut amener dans le futur.
D’ailleurs, un autre aspect qui nous a marqué dès le départ est le contraste entre l’homme qu’elle doit protéger et cette demoiselle. Dans les premières pages, Riyon nous est montrée comme une adolescente enjouée et qui passe le plus clair de son temps à échapper à la vigilance de ses surveillants pour s’amuser. On est très loin de l’image que l’on peut avoir d’un fantôme condamné à rester dans les limbes. De l’autre côté, on a ce Premier ministre bien vivant et qui pourtant a tout l’air d’un spectre. Un homme détruit par la vie et qui ne supporte plus ce poids qui pèse sur ses épaules. Le fantôme semble humain et l’humain se rapproche du fantôme. Une opposition hautement symbolique et qui va grandement évoluer par la suite au vu de tout ce qui va se passer. C’est pour ça qu’en dehors du scénario palpitant que l’on observe, la série resplendit aussi à travers cette relation entre les deux principaux personnages. Ils vont tous les deux prendre conscience de ce qu’ils doivent faire pour accomplir leur devoir. Un duo dont on ne sait jamais s’il cela fut bénéfique ou néfaste qu’il fasse éclater la barrière qui sépare la vie et la mort. On a envie de continuer cette expérience littéraire afin de justement répondre à cette question. Après tout, il n’est jamais bon de rester ancré dans cet environnement où la vie s’est envolée. Mais cela ne signifie pas pour autant que tout ce qui est surnaturel n’est pas forcément vital pour notre avancée. Une série qui nous fait réfléchir sur toutes ces questions et nous laisse imaginer, l’espace de quelques minutes, ce qu’il pourrait y avoir de l’autre côté.
Soul Keeper a beau être une œuvre que l’on a dévorée rapidement, elle est aussi d’une grande richesse à la fois psychologique et philosophique. Il est captivant de voir les deux points de vue de cette histoire par rapport à ce duo si atypique. D’un côté, on a ce chef d’état qui doit remonter la pente et de l’autre un esprit qui se sent dépassé par les événements. Un rapprochement de ces deux facettes de l’existence pour un résultat d’une grande efficacité. On se questionne sur le futur de ces deux entités et surtout si cette mission ne va pas conduire à un terrible drame.
Soul Keeper nous réserve un beau programme
Quand on se lance dans Soul Keeper pour la première fois, on ne sait pas où va nous conduire l’auteur. Utilisant sa première partie pour poser le décor et surtout établir le rapport naturel entre les deux mondes, le mangaka va ensuite briser ces codes établis pour laisser place à un suspens de plus en plus prenant. On sent que cette situation échappe petit à petit à cet esprit protecteur qui ne s’attendait pas du tout à ce que cette mission ennuyeuse puisse prendre un tel tournant. La série va ainsi jouer habilement sur les émotions de cette dernière, mais aussi sur cette “renaissance” du Premier ministre pour nous amener sur le terrain de la politique et du monde spirituel. Tandis que l’on observe en silence l’évolution des deux personnages, on prend conscience à quel point l’être humain peut rapidement sombrer dans le désespoir ou la haine. Un sujet qu’apprécie beaucoup l’artiste et qui va nous montrer que même le surnaturel peut avoir beaucoup de mal à se confronter aux ambitions de certains. Comme si l’Homme était capable du pire même si cela implique de se confronter à des forces qui le dépassent. En fait, quand on analyse bien Soul Keeper, on se rend compte d’une chose intéressante. L’aspect mystique de la saga n’est en rien considéré comme une puissance incontrôlable. Au contraire, Riyon est sûrement la première à se faire manipuler et à n’être qu’un pion sur l’échiquier qui se joue au niveau de ce pays. Cela ne fait que rendre le récit encore plus captivant, car l’au-delà n’est pas considéré comme quelque chose d’effrayant. Au contraire, l’âme humaine va y voir une chance d’assouvir leurs desseins ou bien d’accomplir ce qu’ils n’ont pu faire auparavant.
Vous l’aurez sûrement compris en lisant ces quelques lignes, mais on a été agréablement surpris par cette épopée qui mêle habilement le monde des morts et celui des vivants. On ne cesse de se demander tout au long de la lecture où va nous mener cette quête qui aurait dû se limiter à une simple protection de la part de Riyon. C’est tout l’inverse qui se passe et cela constitue un parti-pris d’une redoutable efficacité où les émotions se mêlent à une lutte pour le pouvoir. En plus de ça, le trait du mangaka sublime à merveille cette opposition entre humanité et esprit pour un rendu plus que spectaculaire. On recommande cette série à tous ceux qui souhaitent une aventure littéraire qui flirte entre le récit politique et l’épopée mystique. Une œuvre à la croisée des chemins et pouvant nous guider vers des sentiers aussi prometteurs qu’inattendus. On ne peut pas conclure une chronique sans évoquer les quelques questions qui hantent notre esprit. Est-ce que notre spectre va pouvoir aller au bout de sa mission ? Est-ce que le monde extérieur va finir par avoir raison du corps ébranlé de son protégé ? Ce dernier réussira-t-il à accomplir son projet jusqu’à son terme ? Qu’en est-il de ceux qui aimeraient le voir disparaître ? Une nouvelle limite sera-t-elle franchie ? On est curieux de voir comment tout ça sera mis en place au sein des prochains actes de ce scénario.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ces deux premiers volumes de Soul Keeper. Pensez-vous que l’on a ici une fresque réussie sur l’âme humaine et ses travers ? Avez-vous été happé par le combat mené par ce Premier ministre et son esprit protecteur ? Trouvez-vous que cette dernière se retrouve mêlée à quelque chose qui la dépasse ? Etes-vous réceptif aux messages véhiculés tout au long de cette intrigue ? Ce récit est-il parvenu à vous interpeller par sa thématique si spécifique ? Qu’attendez-vous pour la suite ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.