Manga Horror Show : l’impact de la panique
Que le temps passe vite étant donné que l’on attaque déjà le troisième Manga Horror Show de la saison. Après avoir abordé le cas de l’enfance dans les récits horrifiques ainsi que l’importance du décor, j’avais à cœur de proposer une chronique beaucoup plus centrée sur l’effet de groupe. Il est vrai que l’on peut souvent avoir l’habitude de prendre à la rigolade nos œuvres horrifiques quand on voit une bande qui finit inéluctablement par se séparer alors que les protagonistes pourraient rester groupés. Cependant, être à plusieurs ne signifie pas forcément avoir plus de chances de survie dans ce genre de récit. Parfois, c’est en étant au contact des autres que le danger est le plus présent et peut conduire à une fin tragique. Si un héros peut craindre pour sa vie face à une menace qui le poursuit, le fait de voir la panique s’emparer des autres va avoir un effet encore plus puissant sur la peur qu’il éprouve. Quand tout le monde est prêt à courir pour sauver sa peau, cela peut engendrer de nouveaux obstacles et surtout offrir un sentiment de solitude encore plus profond que si le protagoniste était livré à lui-même. L’heure est donc venue d’observer le comportement de ces gens face à l’angoisse.
Quand la peur s’incruste au plus profond de l’âme
On a déjà pu l’évoquer à maintes reprises, mais la peur est un sentiment qui est universel et en même temps a une infinité de représentations. Chacun d’entre nous est plus sensible à un élément en particulier qui va provoquer une profonde crainte. La peur du vide, des araignées, du noir et bien d’autres font partie intégrante de nos vies et on doit exister en compagnie de nos peurs. Dans le genre de l’horreur, il y a cette volonté de toucher le plus grand nombre en appuyant sur des phobies ou des scènes choquantes. C’est pour ça que l’on peut tout à fait être touché quand il est question de mort, de monstres ou tout simplement de sang. Le fait de se sentir à la merci de quelque chose d’autre éveille forcément en nous une envie irrépressible de fuir dans le but de survivre. C’est ce sentiment que l’on souhaite la plupart du temps nous faire éprouver en lisant un manga d’horreur. Au-delà du surnaturel, du fantastique ou du spirituel, ces titres cherchent à nous confronter à des peurs bien concrètes tout en restant dans l’aspect divertissement. Pour rebondir sur le précédent Manga Horror Show, cette crainte naissante peut tout à fait s’exprimer non pas par la menace principale, mais par la toile de fond prévue pour accueillir l’histoire. Enfermé dans un bateau ou un immeuble, les monstres ne sont finalement que peu de choses face au sentiment d’étouffer qui peut nous conduire à la panique. Cette dernière notion est importante en plus d’être notre sujet principal du jour. Celle-ci découle directement de cette peur grandissante qui nous assaille. Une conséquence qui va forcément avoir un impact sur le destin des personnages que l’on suit tout en nous décrivant cet état où l’instinct prime sur la raison.
En effet, il ne faut pas confondre les deux termes qui sont liés, mais bien différents. La peur que l’on éprouve en lisant un manga est un sentiment grandissant qui est justement réfléchi pour trouver le juste équilibre entre la crainte de tourner la page et la curiosité de connaître la suite. Pour les personnages que l’on va suivre, cette émotion est avant tout pensée pour symboliser le degré de la menace. Ainsi, l’effroi peut être très fort à certains moments du récit pour ensuite faiblir un tant soit peu pour donner une forme d’accalmie avant de repartir de plus belle. Des montagnes russes qui peuvent, à leur point culminant, nous amener à cet état de panique générale pour les acteurs d’un manga. Dès qu’un personnage atteint ce stade, il y a quelque chose de fort qui se passe aux yeux du spectateur. Ce dernier observe un individu succomber totalement à l’aura du danger et chercher par tous les moyens à s’en sortir quitte à aller contre toute forme de logique. Cela peut sembler idiot, mais c’est en même temps une réaction très humaine. Il faut prendre en considération que de tels agissements sont le reflet de ce que l’on peut devenir face à de tels dangers. Pour donner un exemple concret et qui représente bien ça, il suffit de voir le début de l’Attaque des Titans avec la disparition de la mère d’Eren. Dans un premier temps, ensevelie sous les décombres, elle demande surtout à ce que l’on sauve Mikasa et son fils. Elle n’a pas encore conscience de ce qui l’attend. Ce n’est qu’une fois que les enfants s’éloignent qu’elle a cette réaction déchirante et en même temps si forte. Elle, qui a privilégié la vie de son garçon au détriment de la sienne, finit par demander à ce que l’on ne l’abandonne pas. L’envie de vivre s’exprime par cette panique qui va atteindre son point culminant dès lors que le titan s’empare d’elle. Un exemple remarquable et qui pourtant n’est pas le seul à avoir su capter cette émotion terrible et pourtant si humaine.
L’effet de groupe
Si l’on a parlé juste avant du sentiment de panique que les personnages peuvent avoir, il s’agissait avant tout d’une seule personne dans la plupart des cas. Cependant, il est très important ici de prendre aussi en compte l’effet de groupe et à quel point cela peut décupler les émotions ressenties par les protagonistes d’une histoire. En effet, la panique ne va pas s’exprimer de la même manière que l’on soit seul ou à plusieurs. Depuis toujours, le fait d’être au sein d’une équipe rassure. Le nombre fait la force et ce qui semble impossible de faire de son côté devient réalisable en compagnie d’autres individus. Il a donc souvent été montré que l’union de plusieurs êtres est une solution pour surmonter bien des défis. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que cela a constamment un effet bénéfique. Outre des problèmes relationnels, des oppositions dans les caractères, mais aussi des problèmes de société, un groupe n’est pas forcément à l’abri dans un récit horrifique. Ce qu’il faut comprendre par-là, c’est que là où le solitaire va être principalement impacté par son environnement et ce qu’il éprouve personnellement, une bande va aussi être influencée par le comportement des autres. Une personne fait preuve d’assurance alors les autres vont se sentir plus en sécurité. Au contraire, s’il commence à y avoir une discorde au sein des membres, cela finit immanquablement par créer une méfiance les uns envers les autres. Dans le cas du récit d’horreur, la peur est un excellent catalyseur qui peut réfléchir les craintes d’un être à l’ensemble de ses camarades. Combien de fois on a pu voir un personnage émettre des craintes et finir par agacer le reste de l’équipe ou tout simplement à semer le doute aussi chez eux.
Un mécanisme fréquemment utilisé et qui a pour but de souligner le fait que ce que l’on pensait être une assurance peut s’avérer être aussi une lame à double tranchant. Si parfois on peut râler sur l’attitude d’un personnage un peu trop craintif, cela est en réalité une manière d’amorcer le danger au sein des acteurs d’une intrigue avant même que le couperet ne tombe. Les avertissements, les pressentiments ou tout simplement l’inquiétude de se fier à un plan peut autant être une bonne chose qu’une épine dans le pied. Cela permet d’envisager d’autres possibilités, mais aussi de briser une détermination qui pouvait déjà être fragile au vu du danger à affronter. Pour prendre un exemple cinématographique très bon dans ce domaine, Le Dernier Train pour Busan y arrive très bien. Dans ce train où se retrouvent bloqués plusieurs survivants, ils vont, pour beaucoup, être la victime de l’effet de groupe. La méfiance va pousser tout un pan des voyageurs à éloigner nos protagonistes. Ce qu’ils pensaient être la solution à leurs problèmes va se retourner contre eux. De ce fait, ce dernier se retrouve à la merci des zombies là où nos héros perdurent. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, mais qui montre que cet outil scénaristique est un excellent levier pour créer l’effroi, mais aussi la colère, la tristesse et la pitié à l’égard de tous ces gens. On veut nous montrer que suivre peut avoir du bon, mais que cela peut aussi nous conduire à un péril encore plus grand. En voyant ça, on se dit que le spectateur est pris entre deux feux et que l’étau se resserre petit à petit tandis que l’on cherche à trouver une solution à la situation. C’est exactement ce qu’éprouve un héros quand il est acculé au sein d’un rassemblement. Même le plus courageux des hommes peut succomber à la peur quand tout le monde y cède.
A plusieurs, la peur prend une autre voie
Il est donc maintenant de s’attaquer au cœur de notre sujet en abordant l’importance que peut avoir la panique dans un groupe quand l’horreur prend le pas sur tout le reste. Dans un sens, il existe pas mal de séries qui arrivent à faire appel à ce facteur. Après tout, il est très rare que l’on soit plongé dans une histoire où il est uniquement question d’un personnage en détresse. Il faut donc constamment pour les protagonistes faire face au péril imaginé par l’auteur, mais aussi aux échanges avec les autres. Pour représenter à quel point cet élément peut devenir crucial dans la peur engendrée, on peut prendre l’exemple de Blue Heaven. Tsutomu Takahashi base une grande partie de son manga sur cette course contre la montre pour éviter justement une panique totale. En se rendant compte qu’ils ont fait entrer le loup dans la bergerie, les membres d’équipage font de leur mieux pour retrouver l’intrus sans que les passagers soient au courant. Ils ont parfaitement conscience que savoir qu’un homme dangereux soit parmi eux finirait inévitablement par causer des mouvements de foule. Malheureusement, le mangaka va justement jouer sur cette opposition entre l’envie de maintenir le calme et ceux qui veulent jouer sur cette panique. Ce sont finalement ces derniers qui vont l’emporter et l’on assiste alors à un changement radical dans l’angoisse découlant du titre. Jusqu’à maintenant, on était bien plus dans une traque confinée où l’on se demandait où pouvait être cet inconnu. Dès lors que le grand nombre connaît son existence, tout va partir à la déroute. Au final, si notre antagoniste est une source de frayeur, c’est bel et bien la folie qui va envahir ces simples gens qui va être la cause d’un pur malaise.
Ils font totalement abstraction de leurs principes et préfèrent suivre une figure supérieure plutôt que de raisonner par eux-mêmes. On nous démontre qu’un acteur externe à ce paquebot suffit à mettre en péril la vie de l’ensemble des passagers. Un résultat qui peut sembler grandiloquent et qui pourtant s’inscrit dans une volonté d’exprimer cette peur viscérale de risquer sa vie. Face à la peur de disparaître à jamais, l’instinct de survie prime sur tout le reste et mène à encore plus de tragédies au sein de ce navire. Une démonstration de ce que le groupe peut engendrer comme conséquences dès lors que les frissons guident le cœur des gens. Il existe bien d’autres titres qui abordent ce sujet comme c’est le cas dans Shibuya Hell où ces poissons rouges géants mangeurs de chairs vont constamment entraîner la peur chez les survivants. A travers ces séries, on constate justement qu’il y a un effet domino qui se passe. Il suffit qu’un seul personnage finisse par céder pour briser le peu de cohésion qu’il y avait. Là où une personne solitaire est isolée, mais aussi libre de ses mouvements, la progression à plusieurs force à faire attention à tous ceux qui nous entourent. Dans un sens, il existe plusieurs manières de représenter l’impact de la panique au sein d’un groupe. Ici, il est avant tout question de fuite quitte à abandonner les autres. Un choix guidé par ces sueurs froides et qui peut, au bout du compte, amener encore plus de souffrances si ce n’est conduire jusqu’à la gueule du loup. Quand la peur s’insinue dans le cœur d’une personne, elle peut rapidement se répandre à tous ceux qui gravitent autour de lui. Une réaction normale, mais qui peut aussi coûter très cher.
L’inquiétude d’être ensemble
Si l’on a pu voir à quel point la panique pouvait faciliter la transmission de la peur au sein d’un groupe, cela ne signifie pas qu’elle va uniquement pousser les gens à fuir. En effet, celle-ci peut aussi avoir une incidence encore plus grave que ça à travers un sentiment qui va en découler. Il s’agit tout bonnement de la méfiance et même de la colère à l’égard de ceux qui étaient jusqu’ici des alliés. Dans une situation de profond stress, les récits horrifiques arrivent à pousser les personnages dans leurs derniers retranchements. Avant même que l’on soit happé par le funeste destin de certains, la plus grande crainte que l’on a est de voir un rassemblement d’hommes et de femmes se détruire de l’intérieur. Dans ces cas précis, on en arrive presque à oublier la menace initiale pour se concentrer uniquement sur ce danger que reflètent les autres. Ils ne sont pas uniquement des individus pouvant fuir à tout instant. Ces derniers peuvent se monter les uns contre les autres dans le vain espoir d’être le dernier survivant. Nous ne sommes donc pas dans le cas de figure où le nombre se transforme en un chaos général dans lequel chacun cherche à s’échapper d’un enfer. Ici, c’est encore plus dramatique, car le groupe multiplie les dangers initiaux et il faut donc autant se méfier de ce qui se cache dans l’ombre que ceux qui se trouvent devant nous. Cela ajoute une tension supplémentaire qui va accentuer le sentiment d’oppression du protagoniste et de ce fait avoir un impact sur le lecteur. Un très bon exemple de manga ayant réussi à faire ça est Monkey Peak. On a déjà pu en parler par le passé, mais la série utilise tous les atouts qui sont en sa possession pour faire vivre un véritable calvaire à ces employés venus dans les montagnes pour renforcer leurs liens.
Le principal danger qui est ce singe géant s’attaquant à ces gens ne va finalement être que peu présent. Il fait toujours son apparition pour faire des victimes, mais surtout empêcher les survivants d’avoir le moindre moment de répit. Un acharnement qui va conduire inéluctablement à épuiser ces derniers et ainsi provoquer cette panique dans le cœur de certains. On va alors assister à de terribles oppositions et même des attaques directes entre les membres de l’équipe alors qu’ils devraient se concentrer sur ce qui est le plus important. L’auteur arrive à nous montrer que si la peur peut nous pousser à fuir, elle peut aussi nous amener à agir de manière extrême. L’angoisse se transforme alors en une paranoïa qui nous pousse à voir des menaces tout autour de nous y compris sur le visage de nos alliés. Dans un sens, il s’agit encore d’un comportement compréhensible, mais qui va nourrir l’amertume et la rancœur du lecteur à l’égard de ceux qui succombent à leurs instincts presque primaires. Dans cette épopée au cœur des montagnes, on en vient même à craindre bien plus les gens qui sont encore présents autour de nos héros que ce monstre qui semble avoir atteint son but en créant un tel climat de méfiance. Encore une fois, le manga d’horreur nous montre que peu importe que l’on soit seul ou entouré de camarades, il y a toujours un moyen pour retourner cela à l’avantage de cette ombre qui s’étend de plus en plus. Folie, peur, l’envie de fuir, la colère qui en découle et l’insécurité qui se forme sont autant de pistes possibles pour détruire un groupe de l’intérieur. La panique réveille ce qu’il peut y avoir de pire en chacun de nous.
La panique attise l’angoisse
Il n’y a pas à dire, la peur est une formidable source d’inspiration pour les mangakas. Au-delà de simplement jouer sur les craintes de chacun, il existe tout un tas de leviers pouvant être actionnés et qui vont naturellement éveiller en nous une angoisse bien réelle. Si l’horreur a longtemps été perçue comme un genre de seconde zone, notamment au cinéma, suite à toute la vague de films assez médiocres qu’il y a pu y avoir, ce type de récit a pourtant tant à nous raconter. Il est vrai que dans le monde du manga, on peut tomber aisément sur des histoires où des monstres improbables font un massacre. On peut aussi avoir des scénarios alambiqués et qui pourtant vont réussir à nous interpeller. Si l’on est autant happé par ces voyages terrifiants, c’est parce qu’il suffit souvent d’un élément pour que l’on ait ce sentiment de malaise hypnotique. Une émotion qui nous fait comprendre l’effroi de ce qui se tient devant nous, mais qui pourtant nous pousse à aller plus loin dans l’expérience vécue. L’effet de panique est un de ces moyens pour susciter l’intérêt du lecteur et surtout lui donner la sensation d’être emporté par ce chaos qui s’installe. Cela peut se faire très rapidement dès qu’un événement tragique a lieu ou bien de manière progressive au fil des épreuves surmontées par les héros. Peu importe la manière dont elle est amenée, cette boule au ventre qui grandit est un outil idéal dans les mains de ces artistes.
Si elle est bien utilisée, elle peut refléter ce qu’il y a au plus profond de chacun de nous. Cette envie irrépressible de se préserver quitte à ne plus suivre notre raison et de se fier avant tout à des instincts quasiment primaires. Une fois de plus, ce genre littéraire est extrêmement codifié et pourtant peut se décliner de mille et une façons différentes. C’est pour ça que même si on a le sentiment d’être en terrain connu, ce que l’on éprouve en parcourant ces pages finit toujours par nous toucher d’une manière ou d’une autre et à des degrés qui nous sont propres. Dans ces lignes, c’est la sécurité du groupe qui est mise à mal et où l’on nous montre que même entouré d’amis, d’alliés, d’inconnus ou même de proches, il suffit qu’une graine de la discorde se mette à pousser pour que tout vole en éclats. Derrière le fantastique, le surnaturel, l’occultisme ou tout bonnement l’effroi, ces histoires nous confrontent à des pans bien réels de l’être humain. Des facettes que l’on apprend à contenir, mais qui peuvent ressortir quand la crise se fait sentir. On se souvient tous des partisans dans The Mist. Pareil pour les soldats d’InGen qui fuient dans les hautes herbes pour mieux se faire piéger dans le Monde Perdu. C’est quand les personnages se sentent le plus en sécurité que le couperet est souvent le plus fatal. J’espère que ce nouveau numéro de Manga Horror Show vous aura plu. N’hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous en avez pensé et aussi votre point de vue sur cet aspect du récit d’horreur.