Mangas & Histoire : les batailles du Japon
Pendant les vacances de fin d’année, j’ai pris le temps de réfléchir à de nouveaux rendez-vous qui me permettraient d’aborder toujours plus de sujets que j’aime autour du manga. De plus, je voulais aussi que cela soit intéressant à traiter autant dans la forme que dans la manière de parler de certains titres. C’est pour ça que j’ai commencé les “Vagues”, mais aussi d’autres projets en cours. Il est grand temps maintenant de vous dévoiler le premier rendez-vous inédit de cette année 2023 avec “Mangas & Histoire”. Vous le savez sûrement en lisant certaines de mes chroniques, mais j’apprécie énormément les récits historiques et le manga ne déroge pas à ça. Je suis toujours heureux en me plongeant dans une aventure qui me permettra de poser un regard sur des événements du passé ou qui offre la possibilité d’entrevoir tout ce qui est lié à ces époques révolues. Je me suis donc dit qu’il serait intéressant de faire un billet spécifique où je vous partagerais plusieurs séries correspondant à un thème précis de l’Histoire. Cela peut donner l’occasion de voir quelles licences peuvent correspondre à telle période ou sujet. Pour inaugurer ça, je vous propose un voyage dans le temps autour des batailles du Japon avec cinq titres précis. Bien évidemment, il peut y en avoir beaucoup d’autres et il n’est pas impossible que je les aborde aussi à travers d’autres points de vue. L’heure est donc venue de se poser et d’être emporté par les souvenirs du passé.
Angolmois – 1274
Pour bien débuter cette frise chronologique, on aborde Angolmois édité chez Meian qui s’est conclu avec son dixième tome. L’œuvre de Nanahiko Takagi nous emmène sur l’île de Tsushima qui sert de première ligne de défense face à l’impressionnante invasion mongole que va subir le Japon. Si la série va bien sûr prendre certaines libertés par rapport aux faits historiques, elle nous emmène tout de même au cœur de cette bataille qui va frapper ce lieu isolé et livré à lui-même. On y suit Jinzaburô, un samouraï ayant été condamné pour un crime effroyable. Lui et d’autres condamnés sont envoyés sur Tsushima pour y purger leur peine. Une fois là-bas, ils sont accueillis d’une manière étrangement amicale. En réalité, s’ils ont le droit à une telle réception, c’est parce que leur futur va rapidement devenir un enfer. Ce groupe de prisonniers se retrouve impliqué dans le combat à venir pour faire face à cette armada qui fonce sur ces côtes. Sûr de connaître une défaite inévitable, l’objectif n’est alors pas la victoire, mais de retarder suffisamment l’envahisseur pour que les défenses du Japon se préparent. On se retrouve donc dans une série où c’est quasiment une mission suicide qui s’opère. Là où la série est remarquable, en plus de ses batailles, est sa représentation d’une époque qui change grandement. Alors que les guerriers japonais suivent à la lettre le code du bushido et veulent lutter avec honneur, l’envahisseur apporte une autre forme de guerre. Une volonté d’écraser totalement ses ennemis peu importe les moyens appliqués. Ainsi, la volonté des samouraïs de l’île se cogne à un arsenal qui leur est inconnu. On va alors suivre toute une remise en question de l’art de la guerre dont la sauvegarde des quelques rescapés se trouve entre les mains de ces prisonniers qui ont une toute autre façon de combattre. Un récit qui représente cette lutte pour s’adapter au plus vite sur ce champ de bataille sanglant.
Le Tigre des Neiges – 1530 à 1578
On continue cette sélection avec Le Tigre des Neiges de Akiko Higashimura paru aux éditions Lézard Noir. Terminé en 10 volumes, ce manga nous raconte la vie de Kenshin Uesugi, un seigneur de guerre légendaire ayant vécu à l’époque Sengoku. A la fois autoritaire et doté d’un grand sens de la stratégie, il a su laisser son empreinte dans ce pays en proie au chaos. Là où cette œuvre va rapidement se démarquer est dans le traitement de cette figure historique. En effet, la mangaka part de la théorie existante que Kenshin Uesugi aurait pu être une femme et va ainsi nous dépeindre comment cette dernière aurait assis son pouvoir sur son clan et obtenu le surnom de “Tigre d’Echigo”. Qualifiée de Dieu de la guerre, le titre dépeint avec beaucoup de pertinence, mais aussi d’élégance le quotidien compliqué de cette demoiselle devant se hisser au sommet de son clan. Nous représentant avec brio cette époque de guerres incessantes et le rôle majeur que va avoir Kenshin sur le champ de bataille, ce récit n’a de cesse de nous tenir en haleine. En plus d’aborder le chemin parcouru par cette guerrière, c’est par son prisme que l’on va observer les bouleversements que subit le Japon en cette ère où les daimyô ne cessent de se quereller pour plus de pouvoirs. En plus de ça, Akiko Higashimura va aussi laisser beaucoup de place à ce qu’elle maîtrise en proposant une dose d’humour, mais aussi d’un travail de réflexion autour de la femme dans une époque grandement patriarcale. Le destin d’une cheffe qui va aller à l’encontre des convenances et faire fi des propos à son égard pour écrire son nom dans l’Histoire. Sans oublier bien sûr l’excellent travail de documentation que l’on peut ressentir au cours de cette remarquable fresque historique et humaine. Une approche unique de la part de la mangaka qui a su donner naissance à une Kenshin Uesugi charismatique et attachante.
L’homme qui tua Nobunaga – 1528 à 1582
On enchaîne en restant dans la même période avec L’Homme qui tua Nobunaga. Cette œuvre, scénarisé par Kenzaburo Akechi et dessiné par Yutaka Kodo, s’est terminée chez Delcourt Tonkam avec huit volumes au total. Avant toute chose, il faut retenir quelque chose d’important avec ce manga. En effet, nous sommes face à un titre qui cherche à montrer une autre version des faits historiques autour de la figure de Mitsuhide Akechi. Il est donc vital de prendre tout ce qui est dit dans cette saga avec beaucoup de pincettes. Mais alors pourquoi le mettre dans cette sélection ? En dehors de cette volonté d’amener un peu plus de lumière sur l’histoire de cette figure historique, il est important de souligner l’incroyable travail de documentation qui a été fait pour rester fidèle aux événements de l’époque. Tout cela est ensuite sublimé par le trait du dessinateur qui nous en met plein la vue. Ainsi, si l’on arrive à prendre cette distance avec le thème principal, on découvre une épopée historique captivante et riche en informations permettant de cerner tout ce qui a eu lieu durant l’ère Sengoku. Pour en revenir à l’histoire en elle-même, on se focalise ici sur le destin de Mitsuhide Akechi, l’un des hommes de confiance du célèbre Nobunaga Oda, et qui est connu pour être celui qui a mis fin aux ambitions de ce dernier. Une traîtrise bien connue et qui a marqué au fer blanc l’Histoire du Japon. Mais avant même d’arriver à ce moment fatidique, ces huit tomes particulièrement denses vont nous faire suivre toute la vie de ces hommes qui ont laissé leur nom dans les livres. Si l’on se concentre avant tout sur le trio que forme Akechi, Oda et Hideyoshi, on va aussi pouvoir poser notre regard sur l’ensemble de cette période trouble. Une approche très complète de l’ère Sengoku et des divers conflits qui ont ravagé ces régions entre les différentes forces en compagnie de celui qui sera qualifié de véritable démon et de celui qui aura été le félon l’ayant pourfendu.
Pilote Sacrifié – 1930 à 2015
On fait un bond dans le temps jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale avec le manga Pilote Sacrifié qui en est actuellement à son troisième tome chez Delcourt Tonkam. Scénarisé par Shoji Kokami et dessiné par Naoki Azuma, ce titre nous fait suivre Sasaki Tomoji de ses plus jeunes années jusqu’à la fin de sa vie. Inspiré de faits réels, on accompagne ce pilote hors-pair durant toute cette période sanglante de l’Histoire du monde. Faisant partie de l’élite des aviateurs du Japon, lui et ses collègues font de leur mieux pour lutter face à l’armée américaine. Malheureusement, alors qu’ils sont en train de perfectionner leur dernière stratégie, l’ensemble de son peloton est désigné pour une tactique d’un nouveau genre qui va leur glacer le sang. Ils vont devenir des kamikazes dans l’espoir de couler les bâtiments adverses tout en se sacrifiant pour leur patrie. Ce qui est tout de suite notable avec cette série, en plus d’avoir un dessin somptueux, est la manière dont elle nous raconte le quotidien de ces hommes qui sont désignés pour mourir sans qu’ils ne puissent rien y faire. On nous dépeint avec brio et effroi cette peur qui assaille ces soldats qui ne veulent pas aller vers une mort certaine. Même si on leur fait miroiter l’idée d’être des héros qui ont donné leur vie pour la nation, leur envie de vivre résonne fortement au sein de ces cases. On est face à une adaptation en manga du témoignage de cet homme qui est revenu vivant de neuf missions en tant que kamikaze. Le titre nous montre sans ménagement l’horreur de la guerre, mais va surtout nous serrer le cœur à travers la description psychologique de ce peloton qui s’engouffre petit à petit dans le désespoir. Alors que certains se résignent, d’autres cherchent une issue à ce sort funeste. Une lutte constante pour ne pas disparaître à tout jamais et dont on ne peut être que le témoin impuissant de leur cri de détresse. Entre propagande affreuse, manipulation et opposition entre devoir et envie de survivre, voilà une lecture qui ne peut laisser de marbre.
Peleliu – 1944 à 2017
On termine cette sélection historique sur le thème des batailles du Japon avec l’excellent Peleliu de Kazuyoshi Takeda avec la collaboration de M. Masao Hiratsuka. Terminé en 11 volumes chez VEGA-Dupuis, on a déjà eu l’occasion de parler longuement de ce manga qui nous a fait vivre bien des émotions. On est plongé au cours de la bataille de Peleliu où l’on suit le soldat Tamaru, un jeune homme rêveur qui rêve de dédier sa vie au dessin. Avec les autres troupes sur l’île, ils luttent face aux américains durant la Seconde Guerre Mondiale. Terrible représentation de l’horreur qui va frapper ce lieu autrefois paradisiaque. Ce qui marque tout d’abord les esprits, c’est le contraste qu’il y a entre le trait presque enfantin des personnages et la brutalité de ce qui nous est raconté. Cette différence ne va faire que renforcer le sentiment de malaise et de terreur que va ressentir le lecteur en voyant le chaos de ce champ de bataille. Mais le plus dur et aussi le plus poignant va être d’assister à la résistance de ces soldats qui sont coupés du reste de l’armée. Des hommes qui se cramponnent à leur patriotisme sans même savoir si la guerre tourne à leur avantage ou non. Un véritable enfer dont on est témoin et qui ne va avoir de cesse de nous retourner l’estomac tout en montrant de nombreux aspects de l’être humain. Cela peut autant être dans une forme d’esprit de camaraderie que ce qui peut être le plus sombre dans le cœur de chacun. On est alors tenu en haleine par l’avenir incertain de ces rescapés qui ne sont plus dans une bataille pour leur patrie, mais pour survivre. Sans oublier aussi le formidable travail de documentation fait justement en collaboration avec Masao Hiratsuka. Cela ne fait qu’ajouter encore plus d’impact et de réalisme à cette bataille qui fut un éprouvant chapitre de l’Histoire.