Kuro

Kuro tome 1 : un conte loin d’être féérique

On a déjà pu en parler par le passé, mais le style d’un mangaka peut énormément jouer sur notre appréciation d’une œuvre ou bien l’envie de découvrir d’autres de ses séries. Chaque artiste a sa manière de raconter une histoire et cela peut autant s’exprimer dans l’écriture que dans le dessin. C’est ce qui rend chaque lecture unique et qui fait que l’on s’attache ou non à ce qui fait l’identité d’un auteur et de ses projets. Si je vous parle de ça aujourd’hui, c’est parce qu’il y a un mangaka qui a su capter toute mon attention à travers l’une de ses histoires. Il s’agit de So-ma-to qui est derrière Shadows House. Pourtant, ce n’est pas cette série dont on va parler aujourd’hui, mais de celle qui l’a précédée et qui vient tout juste de faire ses débuts dans le catalogue de Glénat. Etant donné que j’avais été totalement fan de ce que l’auteur a su proposé, j’étais curieux de voir ce que pourrait offrir Kuro, un ouvrage antérieur à celui-ci. Autant le dire tout de suite, on renoue rapidement avec ce qui fait le charme de cette ambiance si particulière que cet artiste semble si apprécié. Une aventure qui cache bien son jeu et dont il est grand temps de parler.

La jeune fille et le chat

Kuro Vol.1Kuro, imaginé par So-ma-to, nous plonge au cœur d’un petit village qui semble en apparence tranquille. En effet, les gens vaquent à leurs occupations et les enfants jouent sans vraiment s’inquiéter de l’avenir. Pourtant, ce lieu cache de nombreux secrets et aussi des dangers tapis dans l’ombre. L’un des principaux mystères qui planent dans cette région se trouve au sein d’un grand manoir en périphérie du hameau. C’est entre ces murs que vivent une jeune fille et son chat. Répondant respectivement au nom de Coco et Kuro, ces deux êtres semblent mener un quotidien tout à fait paisible. Mais c’est étrange qu’ils soient les seuls occupants de cette immense bâtisse. En plus de ça, les autres villageois semblent garder une certaine distance à son égard, allant même jusqu’à retenir certains de leurs enfants pour qu’ils ne s’approchent pas d’elle. Pourtant, cela ne dérange pas cette petite fille qui fait de son mieux pour survivre, subsister et surtout prendre soin de sa maison et de son compagnon. Ce dernier va un beau jour disparaître et provoquer l’inquiétude de sa jeune maîtresse. Elle prie pour qu’il revienne très vite et son vœu semble avoir été exaucé quand il revient comme si de rien n’était. Mais quelque chose semble avoir changé en lui. Son regard si doux et attendrissant laisse place à un visage assombrit ne laissant même plus voir ses yeux. En plus de ça, il affiche des crocs inquiétants qui lui donnent un air de monstre. 

Malgré cela, Coco ne semble pas prêter attention à ces changements, étant avant tout heureuse de voir sa seule famille de retour. En réalité, la paix qui règne au sein de ce manoir et ce village n’est qu’une façade. Ce n’est pas pour rien qu’il est dit aux enfants de ne jamais quitter la route et de s’aventurer dans les fourrées ou bien les bois. Dès lors que l’on s’éloigne un tant soit peu du sentier, des ombres menaçantes apparaissent et personne ne revient jamais d’une rencontre avec ces êtres. Mais que sont ces monstres cauchemardesques qui s’en prennent à tous ceux qui ont le malheur de s’être égarés hors de la voie ? Personne n’a la réponse et il faut donc aux habitants vivre dans la peur constante de ces entités qui n’attendent qu’une pauvre âme perdue pour se jeter dessus. Et quoi de mieux pour ça que les enfants de ce village qui sont encore si peu conscients du danger qui les entourent. Ainsi débute l’histoire de ces villageois qui font de leur mieux pour vivre tout en sachant que les monstres existent. Sans oublier Coco et Kuro qui semblent si présents dans les conversations et inquiétudes de la population. Les mystères sont multiples en ces lieux et cela peut être risqué de vouloir faire la lumière sur ces derniers. L’avenir semble en tout cas assez incertain pour les enfants du village, y compris Coco, dans un environnement bien plus hostile qu’il n’y paraît. Comment vivre normalement quand on sait ce qui se cache non loin de chez soi ?

Quand on s’attarde quelques instants sur le synopsis ainsi que les premières pages de Kuro, on peut se demander où veut nous emmener cette histoire. On suit après tout des petites scènes de la vie de tous les jours des différents personnages composant ce récit. Pourtant, plus on progresse et plus on se rend compte du fil rouge qui commence à se dessiner et des intrigues qui naissent petit à petit. Les couleurs des premières pages vont alors contraster avec ce sentiment de malaise que l’on va avoir en parcourant ces rues dont il ne vaut mieux pas s’en décaler.

Ne pas se détourner du chemin

Comme j’ai pu le dire en introduction, le style si spécifique de l’auteur va rapidement se faire ressentir dès les premières pages de Kuro. En plus de proposer une partie du tome en couleurs, cet ouvrage va surtout réussir à nous happer dans cet environnement parfois onirique et souvent inquiétant. A l’image de Shadows House qui développera une ambiance jouant sur ces deux tableaux, cette série réussit à nous intriguer d’entrée de jeu. Pour comprendre en quoi, il est important de bien cerner la narration de cette œuvre. En effet, quand on découvre le quotidien de Coco et Kuro, on a vraiment le sentiment que tout va bien. Même si on remarque que ce chat est loin d’être réellement ordinaire, on se laisse facilement emporter par cette sorte de tranche de vie qui englobe cette jeune fille, mais aussi d’autres enfants du village. C’est là que l’histoire va prendre un tournant intéressant, car toute la lecture prend la forme de petites scènes du quotidien en apparence banale, mais qui vont servir à construire cette atmosphère qui va peu à peu s’alourdir. Les couleurs ont beau être chatoyantes et chaleureuses, notre regard ne peut s’empêcher de voir des petits détails qui viennent obscurcir ce tableau si parfait. Il y a, par exemple, les réactions des villageois à l’égard de Coco allant même jusqu’à une certaine haine de la part d’un personnage sans que l’on ne sache pourquoi. 

Il y a beau y avoir certaines interactions touchantes entre notre protagoniste et certains habitants, on sent que la majorité cherche à l’éviter. Progressivement, la tranquillité qui pouvait découler de ce mode de vie s’étiole pour laisser place à toujours plus de questions et d’inquiétudes. Ce n’est qu’en apprenant la vérité sur ce qui se trouve aux alentours du village que tout va prendre une dimension plus tragique. L’apparition de ces monstres fait disparaître ce sentiment de paix que l’on pouvait avoir et nous donne presque la sensation que ce village est une sorte de prison où le moindre faux pas finit par réveiller ces terribles geôliers. Et c’est là que le titre va aussi amener un sujet très intéressant sur la table et qui va s’exprimer dans l’opposition entre Coco et les autres enfants. Alors que la première connaît, comme tout le monde, la règle qui est de ne pas quitter les routes, elle ignore cependant pourquoi. Elle garde donc cet esprit très enfantin et qui apporte un peu de joie et de tendresse au sein de cette lecture. De l’autre côté, les autres gamins du village sont bien conscients des monstres qui rôdent et ont alors perdu toute forme d’innocence et d’insouciance au contact de ce danger permanent. L’ignorance préserve la figure de l’enfant représenté par Coco tandis que les autres, ayant connaissance de la vérité, ne peuvent plus se permettre d’agir en adéquation avec leur âge. Ils vivent dans la peur constante et même s’ils tentent de donner le change au sein de cette protection que revêt leur foyer, leur regard finit toujours par être tremblotant en posant les yeux vers l’extérieur. Un double discours qui va appuyer ce mélange brillant entre instants chaleureux et une vérité bien plus morbide et angoissante.

Avec cette atmosphère si singulière, allant de l’envoûtement à une approche plus glauque, Kuro se démarque rapidement lors de la lecture. On avance en étant curieux d’en savoir plus sur l’ensemble du casting et surtout de mieux cerner ce qui se passe avec ces créatures ayant élu domicile tout autour du village. Une œuvre qui va donc jouer habilement la carte du mystère tout en montrant déjà cette capacité de l’auteur à créer un environnement qui dénote de ce que l’on a l’habitude de voir. La figure de l’enfance est distordue entre les mains de ce mangaka qui veut confronter ce que ses personnages devraient vivre et la terrible réalité de leur quotidien.

Kuro pose ses griffes sur le lecteur

Il y a vraiment quelque chose de fort et d’unique qui se dégage des œuvres de So-ma-to. C’était déjà le cas avec Shadows House, la principale série de l’auteur, et Kuro ne fait pas exception à ça. On peut même ressentir pleinement l’émergence de son style à travers ce premier volume qui arrive à se jouer de nous. Tout semble si mignon, doux et coloré de prime abord que l’on se laisse facilement convaincre par tout ça avant que l’on ne soit face à la réalité de ce monde. Sans jamais être dans le sanglant ou la brutalité directe, le mangaka parvient toujours à créer une oppression qui nous fait hésiter en tournant les pages. Même quand on est face à une situation pouvant être anecdotique ou banale, on finit par craindre de ce qui pourrait arriver ensuite. Derrière ses allures de conte pour enfants, ce titre va aussi proposer des réflexions importantes sur plusieurs thèmes. Mais cela ne veut pas pour autant dire que la lecture se veut entièrement sombre. Au contraire, il y a un juste-milieu qui est trouvé entre la peur que l’on peut ressentir au sein de cet environnement et les moments de paix que l’on va savourer en compagnie de Coco et Kuro. Je l’ai dit précédemment, mais nous avons là deux faces d’une même pièce tournant autour de la notion d’enfance et à quel point celle-ci ne tient qu’à un fil. On est tellement obnubilé par ces monstres qui rôdent un peu partout que de voir cette jeune fille simplement vivre sa petite vie et être insouciante nous donne du baume au cœur. Le lecteur veut alors qu’elle soit protégée de tout ça et ainsi s’appliquer encore plus dans le déroulement de l’histoire.

Kuro est donc un très beau coup de cœur pour moi, mais qui ne sera pas forcément au goût de tout le monde de par ses spécificités. Avec toute une première partie en couleurs, une tranche de vie qui semble banale au départ et qui se décompose en diverses scènes du quotidien, le manga a de quoi dérouter. Pourtant, il y a ce petit truc en plus qui fait que l’on est emporté dans ce que l’on regarde. Sans oublier la maîtrise de l’artiste pour tout ce qui intrigue, zones d’ombre et mystères. Plus on avance et plus le brouillard s’épaissit autour des grands éléments de cette histoire. Cela nourrit notre désir de progresser dans cette aventure malgré la peur que l’on peut éprouver au contact de ces monstres. Une expérience originale et captivante qui a cette faculté d’envoûter tout en faisant naître une crainte bien réelle pour les protagonistes. En plus de ça, nous sommes face à une série courte en trois volumes et qui va donc rapidement monter en force par la suite. Voilà en tout cas un ouvrage qui plaira à tous ceux qui ont pu apprécié Shadows House, qui veulent s’imprégner un peu plus du style de l’auteur ou simplement qui désirent une épopée à l’ambiance saisissante. A présent, il est grand temps de s’attarder sur les diverses questions qui me viennent en tête par rapport au futur de la série. Quel est le passé de Coco qui semble terrifier autant les autres habitants ? Quelle est l’origine des créatures qui peuplent les alentours du village ? Comment vont évoluer les rapports entre notre protagoniste et les autres enfants ? Va-t-on rester dans cet équilibre entre les deux facettes du manga ? Très intrigué par le prochain volume de cette licence.

N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume de Kuro. Avez-vous été convaincu par l’ambiance si spécifique de cette œuvre ? Trouvez-vous que le titre utilise à merveille cet aspect conte pour nous étonner et raconter une histoire assez oppressante ? Etes-vous curieux d’en apprendre plus sur ce monde ainsi que ces divers personnages que l’on rencontre ? Avez-vous ressenti une profonde empathie pour ces enfants qui se retrouvent privés de toute forme d’innocence au vu de leur environnement ? Qu’attendez-vous pour la suite de la licence ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.

© 2013 Somato, Shueisha

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