Kaguya

Kaguya-sama Love is War : les rires laissent place à l’introspection

En ce moment, il y a beaucoup de séries qui proposent une évolution captivante dans l’écriture de leur histoire, mais aussi de leurs personnages. J’avais alors envie de m’attarder sur l’un de ces mangas qui m’a bluffé avec son dernier tome en date. Un titre que j’apprécie énormément et qui a su totalement transformer son idée de base pour nous amener vers des sujets aussi captivants qu’importants. Il s’agit tout simplement de Kaguya-sama Love is War, imaginé par Aka Akasaka, qui nous a délivré un quinzième volume absolument fantastique. La comédie romantique des éditions Pika a toujours su nous proposer des scènes drôles et créer un attachement à l’égard de ses principaux acteurs. Mais ce qui a commencé comme une histoire assez comique dans la forme a finalement basculé progressivement pour mettre en scène des passages beaucoup plus émouvants. C’est notamment le cas de ce que l’on a pu voir il y a peu avec le plus gros tournant majeur de la licence. On pouvait donc facilement se douter que l’on allait franchir un cap, mais ce tome m’a littéralement mis une grosse claque dans sa manière de traiter notre duo. Il est donc grand temps de voir en quoi cette lecture fut incroyable.

Une douce et attendrissante comédie romantique

KaguyaAvant toute chose, il est important de voir ce que Kaguya-sama fut initialement aux yeux des lecteurs. En effet, que vous ayez découvert la série par le manga ou bien l’anime, la première chose qui ressort est le fait que le titre joue habilement sur cette confrontation amoureuse se déroulant entre nos deux protagonistes. Une situation poussée à l’extrême où chacun refuse d’avouer ses sentiments en premier. De ce fait, on assiste à tout un tas de situations différentes qui vont servir à nourrir cette bataille des cœurs tout en nous délivrant bon nombre de rires au vu des réactions et gags que l’on va observer. Bien sûr, cela ne signifie pas pour autant que le manga jouait uniquement sur cet humour pour attirer le regard. Il s’agissait avant tout d’un moyen d’expression pour parler de cette peur de se déclarer à l’autre et d’avouer ses sentiments. Quand on prend conscience de ça, le rire se mélange à une certaine empathie pour Shirogane et Kaguya qui n’arrivent pas à franchir ce pas qui semble pourtant si proche de céder à chaque fois. En plus de ça, les autres personnages gravitant autour de notre tandem initial vont appuyer ce côté amusant et même totalement barré à plusieurs reprises. Cela amène une sympathie à l’égard de ce BDE qui arrive à briser l’image très sérieuse de nos élèves modèles pour en faire des étudiants finalement normaux qui ont leurs failles et leurs moments d’égarements. Ainsi, tout est amené pour avoir une ambiance presque bonne enfant au fil des premiers chapitres. Un constat qui est plutôt bien pensé justement par l’auteur qui réussit grâce à ça à attirer notre regard par l’amusement qui s’exprime de ses planches. 

On a ce sentiment d’évasion qui se fait ressentir et l’on retourne avec joie sur les bancs de l’école pour retrouver cette bande qui a le don de nous faire sourire. En plus de ça, cela permet d’aborder des thèmes finalement sérieux par le prisme de la comédie et cela fonctionne très bien tant on prend conscience de ce qui se cache réellement derrière cette incapacité à franchir cette frontière des sentiments. Ainsi, les premiers tomes vont s’enchaîner et l’on continue à enchaîner les situations farfelues avec même quelques running gags qui sont présents. On citera notamment les entraînements de Shirogane qui donneront bien des cauchemars à Chika. Mais ce n’est pas uniquement ça qui va faire que l’on va être conquis par Kaguya-sama. En effet, le titre va progressivement diversifier son écriture pour laisser de temps en temps l’humour de côté pour nous concentrer sur un aspect slice of life bien plus profond. On va ainsi avoir le droit à bon nombre de moments qui vont souligner l’écart entre Shirogane et Kaguya autant dans leur manière de vivre que dans leur statut social. Alors qu’ils nous paraissent tous les deux égaux au sein de cette école, on voit en dehors que le président est avant tout un adolescent qui s’est empêché d’avoir le moindre loisir pour se concentrer pleinement sur ses études et le soutien à sa famille loin d’être aisée. De l’autre, Kaguya se présente comme l’héritière d’un grand groupe qui a été élevé dans du coton, mais qui a aussi subi une éducation stricte l’enfermant dans une bulle qui fait qu’elle ignore tout de ce que c’est que d’être une adolescente lambda s’amusant avec ses amis. Un travail qui va s’étendre à une bonne partie du casting et ainsi montrer au lecteur que la série n’est pas uniquement là pour amener le sourire. C’est aussi une œuvre qui est là pour traiter de sujets sérieux et nous faire réfléchir sur ces inégalités, ces failles et cicatrices qui peuvent rendre notre rapport aux autres bien compliqué.

L’événement qui va tout changer

Comme vous l’aurez compris, Kaguya-sama est une œuvre qui ne va pas se limiter uniquement à enchaîner les situations comiques et maintenir cette situation où chacun cherche à faire avouer à l’autre ses sentiments. Si l’on pouvait déjà apercevoir une évolution dans le ton de l’œuvre, mais aussi dans les sujets traités, il était pourtant facile de croire que le moment tant attendu du rapprochement entre Shirogane et Kaguya se fasse à la fin du manga. Pourtant, l’auteur va réussir à nous surprendre totalement en transformant cet amour inavoué qui était jusqu’ici le principal moteur du récit. En effet, c’est durant l’arc narratif du festival de l’école que tout va être bouleversé alors que l’on assiste au fameux moment que l’on attendait tous. Un événement survenu plus tôt qu’on aurait pu le croire, mais qui va justement être utilisé de manière brio pour métamorphoser l’ensemble de la série. Et c’est réellement dans le tome 15 que l’on va être témoin du gros tournant qui s’opère autant dans la narration que dans l’écriture des personnages. Comme dit un peu plus haut, on était avant tout dans une œuvre qui prônait l’amusement en détournant les codes de la romance pour en faire un terrain de jeu propice à des scènes hilarantes. Si on avait tout le droit à des passages bien plus émouvants et centrés sur le développement des protagonistes, Kaguya-sama restait une licence qui se voulait assez chaleureuse. Et c’est justement en nous habituant à ça que le mangaka va frapper un grand coup. Du jour au lendemain, alors que ce mur a enfin été brisé entre nos deux membres du BDE, la tension n’a jamais été autant à son paroxysme.

Car évidemment, il ne suffit pas que nos deux protagonistes franchissent ce cap pour que tout aille bien dans le meilleur des mondes. Au contraire, on peut même dire que c’est là que tout se joue, car on va découvrir une toute nouvelle facette du président et de la vice-présidente. Alors que cette dernière a toujours su alterner entre son visage sérieux et ce petit côté attachant qu’elle cherche à cacher, cette fois, on fait face à une Kaguya bien plus sombre et glaciale. Pareil, pour Shirogane qui se montre de moins en moins sûr de lui et qui va perdre progressivement cette image de premier de la classe pour montrer ses failles. C’est là où se trouve tout le génie de l’auteur dans l’écriture de ses protagonistes. On pouvait déjà apercevoir de nombreuses facettes de leur personnalité jusqu’ici. Le lecteur se disait même qu’il connaissait très bien ces derniers alors qu’en réalité c’était loin d’être le cas. Si on avait été témoin de certaines de leurs inquiétudes et peurs, le côté un peu loufoque de leur caractère venait toujours contrebalancer tout ça. Mais là, on s’attaque à une partie bien plus sombre de leur existence et qui reflète une partie de leur histoire que l’on n’imaginait pas aussi sinistre. Le fait d’avoir enfin franchi un cap dans leur relation ne va pas mettre en réalité en avant la joie d’être ensemble, mais des préoccupations encore plus profondes qui vont être renforcées par cette décision de partir étudier ailleurs. On touche alors à une autre facette de la série qui va nous amener bien plus de réflexions que tout ce que l’on a pu avoir avant de façon logique et si bien amenée. Les rires s’effacent totalement le temps d’un tome pour amener ces étudiants à ouvrir pleinement leur cœur.

Kaguya-sama et le reflet de l’âme humaine

Kaguya-sama - Love is War Vol.15Comme j’ai pu le dire plus haut, quand on atteint un total de tomes déjà bien avancé comme c’est le cas ici pour Kaguya-sama, on a une sorte de petite routine qui s’installe. Un élément essentiel qui permet justement aux artistes d’attendre le bon moment pour créer une profonde césure entre ce que l’on connaissait et ce qui s’amorce. C’est ce qui se passe totalement ici où l’on est très loin de l’ambiance chaleureuse des débuts du manga. Cette fois, on va aborder la partie la plus obscure de nos deux protagonistes. On avait déjà pu voir auparavant qu’ils venaient de deux milieux différents et que c’est en se rencontrant qu’ils ont pu devenir les étudiants que l’on connaît maintenant. Cependant, cette lecture va réveiller les fantômes du passé du fait de cette relation naissante entre eux. D’un côté, on a Kaguya qui est oppressé par le poids de son propre nom. Un héritage maudit à ses yeux qui l’a privé de tant de joies au profit d’être au sommet du monde. On retrouve ici l’adolescente qui préférait s’enfermer dans la solitude tout en préférant garder une attitude froide et hautaine. Pour Shirogane, on y voit un garçon qui semble perdre pied. Mais là où il était parfois en décalage avec son image de premier de la classe pour éveiller l’amusement, ici c’est tout autre chose qui s’exprime. On y voit la peur de se rapprocher de l’être aimé, de ne pas être à la hauteur et surtout l’angoisse de montrer ce qu’il est réellement. 

Le lecteur est témoin des véritables défauts de nos protagonistes qui les poussent, de manière consciente ou non, à leur paroxysme. Ainsi, si les premiers tomes donnaient une aura rayonnante à ce tandem, cette fois nous plongeons dans leurs failles. En faisant ça, le mangaka ne veut pas uniquement enrichir l’écriture de ses protagonistes. Il veut aussi ramener ces deux êtres à leur statut de simple être humain. En un seul tome, on nous raconte avec brio que l’on a tous des qualités et des défauts plus ou moins prononcés. On cherche quasiment tous à paraître au mieux devant les autres alors que la réalité de notre personne est tout autre. Tout est une question de masque que l’on porte en fonction des situations et ce n’est finalement que lorsque l’on est confronté à nous-même que l’on voit réellement nos mauvais côtés que l’on évite d’exprimer en public. Ce volume est la représentation parfaite de ce conflit constant que l’on peut tous avoir à chercher à être bien sous tout rapport devant les autres alors qu’au fond de nous on sait que cela n’est pas représentatif de ce que l’on est. Le lien unissant Shirogane et Kaguya montre habilement ça et va surtout nous prouver que ce manga n’est pas une comédie romantique. Nous sommes face à une œuvre tranche de vie qui a parfaitement su capter ce qui peut nous ronger à cette période de la vie et même au-delà. L’humour, les gags, la romance et les liens entre les personnages sont avant tout ici des outils entre les mains du mangaka pour créer une fresque nous faisant réfléchir sur notre perception de nous-même et de ces craintes que l’on peut avoir dès lors que l’on interagit avec d’autres gens. C’est pour ça que ce passage est pour moi l’un des plus brillants de la série, car elle représente si bien ce que l’on peut connaître au quotidien. On partage la détresse de nos protagonistes et cela nous pousse à réfléchir sur ce qui nous entoure. Mais cette lecture est aussi l’occasion de montrer qu’il faut accepter les autres autant pour leurs qualités que pour leurs défauts. Cela est fait par le prisme de cette romance, mais peut aussi s’appliquer à une amitié, à un lien familial ou tout simplement à notre entourage. Il est du devoir de chacun de faire de son mieux, mais sans pour autant effacer tout ce qui lui semble péjoratif, car il est impossible d’être parfait. 

Voilà pourquoi Kaguya-sama reste encore aujourd’hui un manga qui réussit toujours autant à retenir notre attention. Le moule dans lequel on pouvait penser être au départ s’est progressivement fissuré pour finalement voler en éclats au même titre que les masques portés par ces jeunes gens. On ressort de cet acte avec un mélange d’émotions particulièrement fort, car l’amusement laisse place à une brillante introspection. N’hésitez pas à me dire dans les commentaires si vous avez aussi été profondément touché par cette évolution du récit. Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour du sujet.

© 2015 Akasaka Aka, Shueisha

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