Pourquoi j’aime – PJ #03 : Gannibal
Après déjà deux premiers numéros de “Pourquoi j’aime”, il est grand temps de vous proposer une nouvelle chronique à ce sujet. Il faut dire qu’il existe énormément d’œuvres en tout genre qui ont su me séduire, que ce soit par leur scénario, leur univers, leurs personnages ou tout simplement pour l’expérience proposée. J’ai donc toujours à cœur de vous proposer des articles permettant de vous parler de ce que je trouve intéressant dans ces histoires. Et cette fois, on va partir vers un manga qui a trouvé sa conclusion l’année dernière et qui fut une claque monumentale à chacun de ses tomes. Je parle bien sûr de Gannibal des éditions Meian. Alors oui, ce n’est pas la première fois que j’aborde cette licence étant donné que j’ai eu beaucoup à dire sur son évolution au fil des volumes. Mais cette fois, j’avais envie de faire un point global de tout ce que je trouve réussi dans ce récit particulièrement haletant. Il faut dire que l’auteur, Masaaki Ninomiya, a vraiment su montrer toute l’étendue de son talent au fil de ce périple qui aura fait frissonner bien des lecteurs. Posez-vous donc confortablement, car aujourd’hui on se rend de nouveau dans le village de Kuge.
Un trait somptueux
Avant même de se concentrer sur le fond de Gannibal, la première chose qui m’a frappé est tout bonnement le style graphique. Masaaki Ninomiya nous délivre d’entrée de jeu des dessins absolument magnifiques. On pose les yeux sur ces montagnes et ce village en ayant vraiment le sentiment d’un profond dépaysement. Affichant un important réalisme dans son trait, celui-ci va énormément jouer sur l’immersion que l’on va ressentir. Que ce soit autant sur les premières pages qui se veulent chaleureuses ou par la suite quand le récit prend une dimension bien plus étouffante, les dessins sont le premier maillon de cette incroyable épopée. Sans même dire le moindre mot, l’auteur délivre tellement de choses à travers ses illustrations. C’est en voyant le visage de ces habitants chaleureux que l’on se dit que cet endroit semble être un petit havre de paix avant que l’on ne soit réellement témoin de ce qui peut se cacher derrière leur sourire. Ce manga est un très bon exemple que l’on peut raconter énormément de choses et transmettre beaucoup d’émotions avant tout par le visuel. C’est pour ça que de nombreuses scènes de la série vont rester ancrées dans la mémoire des spectateurs. L’ambiance paisible du début s’estompe au fur et à mesure que le titre prend une teinte plus sombre. Et surtout, chaque case affiche un sens du détail bluffant. On peut littéralement rester un bon moment sur chacune d’entre elles pour décortiquer tout ce qui peut y avoir. D’ailleurs, l’un des points que je trouve les plus réussis en matière de dessins vient des visages des personnages. A travers de simples mimiques, changement dans le regard ou des gestes bien précis, l’auteur réussit à créer la méfiance en nous. Un pur régal pour les yeux qui vont être happés par tout ce qui va défiler devant eux.
Une enquête angoissante
A présent, il est temps de se concentrer sur le cœur du récit que propose Gannibal et cela commence avec l’enquête en elle-même. Très vite, on va comprendre que ce petit village de montagne cache une facette bien plus sinistre. Et on ne va avoir de cesse d’être interpellé par tout ce qui constitue le nouveau quotidien de cette famille. Dès que l’on nous montre le message laissé par le prédécesseur de Daigo, notre esprit va entrer dans une spirale infernale de doute, d’inquiétude, mais aussi de recherche de réponses. Et finalement, au même titre que ce policier, on va avoir l’envie de connaître le fin mot de cette histoire. Alors que l’on pourrait s’attendre à avoir des moments où l’enquête va faiblir, c’est tout le contraire qui se passe. Chaque révélation va amener de nouvelles questions et surtout une crainte de plus en plus forte à l’égard de ces gens qui entourent notre protagoniste. Et c’est encore plus vrai quand on s’attaque au passé du clan Gotô. Principaux antagonistes de cette histoire, les membres de cette famille vont autant être nimbés de mystères que nourrir grandement cette peur qui nous ronge le cœur. D’ailleurs, je peux aussi facilement les citer comme l’un des points forts du titre au vu de ce qu’ils amènent à l’intrigue, mais aussi de leur impact considérable sur l’expérience ressentie. Plus on s’enfonce dans les secrets de ce lieu et de ces gens et plus on est prisonnier de nos propres investigations. Le danger se fait ressentir, mais Gannibal est un si bon thriller policier que l’on a constamment envie de tourner les pages pour découvrir la suite. D’ailleurs, on sent la maîtrise du mangaka concernant son intrigue qui arrive à tout raconter sans la moindre fioriture pour délivrer une aventure qui s’inscrit dans notre esprit pour très longtemps.
Une atmosphère pesante
Ce qui est fantastique avec Gannibal, c’est la manière dont chacun de ses points forts résonne avec les autres. Il ne s’agit pas uniquement d’éléments séparés qui rendent la lecture palpitante. Tout est pensé pour s’emboîter parfaitement afin de créer un tout global absolument incroyable. C’est pour ça que je ne pouvais pas ne pas citer l’ambiance générale de l’œuvre qui va nous prendre aux tripes. Ce qu’il faut comprendre avec ce manga, c’est que l’on cherche absolument à nous transposer à la place de Daigo. Il a beau être le protagoniste de cette histoire, on va partager tellement d’émotions communes avec lui. C’est par exemple le cas dans les premières cases où l’on ressent sa joie à l’idée de débuter cette nouvelle vie. Une tranquillité accentuée par l’accueil des villageois qui se montrent particulièrement chaleureux pour cette nouvelle famille. Mais plus on progresse dans l’intrigue et plus cette lumière va s’estomper pour ne laisser place qu’à une brume étouffante. Pour faire écho avec ce que j’ai dit plus haut, il suffit de quelques visuels pour que cette joie initiale se brise pour laisser place à une méfiance de plus en plus forte. Un simple regard de travers de la part des habitants ou bien des membres du clan Gotô suffit à nous donner des frayeurs. Et cela prouve l’implication du lecteur dans la trame narrative qui se déroule devant lui. On frissonne à l’idée que tout puisse basculer d’une page à l’autre et l’envie de crier à Daigo et ses proches de fuir ne cesse de résonner dans notre tête. Et cette sensation ne va aucunement faiblir comme si on était pris entre les griffes de ce clan et des habitants qui nous empêchent de détourner les yeux tant que l’on n’a pas atteint la conclusion de tout ça. Une aventure qui va dépasser les frontières de sa fiction pour nous impacter réellement.
Un flic prêt à tout
L’autre très gros point fort qui vient frapper un grand coup tout au long de Gannibal n’est autre que son personnage principal. Daigo est un protagoniste absolument captivant à suivre notamment dans son évolution. On nous le présente comme un père prenant soin des siens et qui est même prêt à quitter la ville pour offrir un nouveau départ à sa famille. Une première image très chaleureuse et bienveillante de ce policier qui fait de son mieux pour s’adapter à ce nouvel environnement. Mais dès l’instant où les choses s’accélèrent et que ses proches sont en danger, on découvre un tout nouveau visage de cet homme. Un être bien plus terrifiant et sinistre qui arrive à nous procurer aussi bien des frissons. On comprend qu’il est loin d’être un saint et, en même temps, c’est justement parce qu’il a cette part d’ombre qu’il est capable de s’opposer aussi efficacement à ces gens. Et dans un sens, on se dit presque qu’il est similaire à ceux qu’il va affronter. C’est justement ce rapprochement entre ces monstres et lui qui va rendre ce personnage aussi intéressant à suivre. Il est loin d’être un saint, mais il est aussi capable de se battre de toutes ses forces pour ceux qu’il aime. Un démon à forme humaine qui va traquer d’autres démons. Et on a beau savoir qu’il est capable de commettre l’irréparable pour des intentions finalement louables, on a peur de le voir sombrer et de devenir celui qu’il a failli être précédemment. Ce titre n’est pas uniquement une affaire haletante qui va nous prendre aux tripes tout du long. C’est aussi le combat interne d’un homme qui représente la justice, mais qui est prêt à franchir la frontière menant à la criminalité pour empêcher de nouveaux drames. Un protagoniste bien plus complexe qu’il n’y paraît et qui va nous faire vibrer un nombre incalculable de fois.
Une tension qui ne faiblit pas
Il est déjà temps de mettre un terme à ce troisième numéro de “Pourquoi j’aime” et je finis avec la qualité que je trouve la plus difficile à maintenir et qui est pourtant parfaite ici. Je parle bien sûr de la tension qui va être créée dès le départ et qui ne va jamais faiblir. Au contraire, tout est réfléchi pour que l’on soit de plus en plus pris par la tournure des événements. Et cela ne s’opère pas en un claquement de doigts. En fait, l’auteur va constamment installer des petits éléments qui vont venir enrichir cette oppression que l’on va ressentir. Je ne parle pas ici de quelque chose lié à l’atmosphère, mais bel et bien à l’intrigue en elle-même. A chaque fois que l’on pense avoir touché le paroxysme de cette histoire, le mangaka nous montre que l’on se trompait. Chaque nouvelle information vient ajouter de l’huile sur le feu concernant le terrible secret de ce village. Et même le conflit opposant Daigo au clan Gotô est écrit pour jouer là-dessus. Il va falloir du temps au récit pour que les hostilités soient réellement ouvertes et même comme ça, l’auteur parvient toujours à ce que cela n’explose pas en une seule fois. Il met en place des jalons qui vont faire monter cette tension d’un cran tout en nous faisant comprendre que c’est loin d’être encore fini. C’est pour ça que les premières altercations entre les deux parties vont être désamorcés comme étant juste une première escarmouche. Tout ça pour finalement nous amener à un conflit ouvert où chaque page va nous faire craindre le dénouement de celui-ci. Une démonstration du talent de Masaaki Ninomiya pour créer une histoire qui va droit au but sans pour autant précipiter les choses et qui n’a besoin de rien de plus pour qu’elle nous tienne en haleine. Chaque nouveau tome est l’occasion de renforcer cette boule au ventre qui nous assaille et qui nous donne pourtant encore plus envie de connaître la suite.