Pineapple Army T1 : un mercenaire au combat éternel
On le sait, il y a des noms qui se sont gravés dans le monde du manga comme des incontournables. Mais il est souvent très intéressant de voir comment ces artistes ont débuté et ce qui fut leur première œuvre majeure. Cela permet de remettre en perspective tout le chemin parcouru jusqu’ici et de contempler comment le talent de chacun a pu se développer. C’est exactement le cas avec le titre dont je vais vous parler aujourd’hui et qui nous vient tout droit du catalogue de Kana. Il s’agit de Pineapple Army qui fait son grand retour dans une édition imposante. Si ce titre est important, c’est autant dans ce qu’il aborde que sur le fait qu’il s’agit de la première série d’un certain Naoki Urasawa en tant que dessinateur. S’il n’est pas scénariste, cette œuvre est l’occasion de voir sur quoi il a commencé et comment il a pu être influencé par le travail de Kazuya Kudô, scénariste sur le projet. Et au-delà d’évoquer ça, cette licence mérite que l’on s’attarde dessus au vu de son histoire et de ce qui nous est raconté par le biais de cet instructeur militaire qui n’a jamais pu oublier le chaos du champ de bataille. Soyez prêts à suivre un entraînement spartiate pour surmonter des menaces particulièrement conséquentes.
Apprendre à se défendre
Synopsis
Jed Gôshi, ancien mercenaire reconverti, est devenu instructeur pour la CMA, une organisation privée de conseils militaires. Son rôle est d’enseigner à ses élèves des techniques de combat afin qu’ils puissent se défendre par eux-mêmes. Malgré sa règle de ne pas s’impliquer personnellement, Gôshi n’aura de cesse de participer activement à la protection de ses élèves. Entre New York, Paris, Francfort et même la Belgique, son programme d’entraînement est bien chargé et ses missions ne seront pas de tout repos.
Scénario : Kazuya Kudô
Dessin : Naoki Urasawa
Rien qu’avec ces quelques lignes, Pineapple Army place rapidement le décor de ce qui nous attend. Il n’est pas question ici d’avoir un fil rouge bien précis ou une intrigue principale se développant sur la longueur. Nous sommes plongés dans le quotidien de ce mercenaire qui s’est reconverti en instructeur et qui enchaîne les contrats. Ce qui est intéressant va autant provenir de l’écriture de ce personnage que de ce qu’il nous raconte par le biais de ce choix de vie et de carrière. Un soldat qui n’a jamais réellement arrêté le combat et qui est toujours rattrapé par les démons de son passé.
De multiples champs de bataille
Comme je l’ai évoqué un peu plus tôt, Pineapple Army ne cherche pas à suivre une trame principale bien précise. Nous sommes avant tout plongés dans le quotidien de Jed Gôshi en tant qu’instructeur pour la CMA. De ce fait, cet ouvrage se présente comme une succession de contrats où il va transmettre ses enseignements à bon nombre d’élèves différents. Et on touche déjà ici à quelque chose de très intéressant, car cela amène énormément de diversité dans les situations que l’on va vivre. Loin d’être joyeuse, cette série cherche à nous raconter de vrais drames et la tentative de gens ordinaires de pouvoir se défendre face à des puissances bien plus grandes qu’eux. De ce fait, ce récit est tout d’abord une violente représentation de ce que la société peut engendrer comme injustice à l’égard des petits gens qui souhaitent juste rectifier de terribles erreurs. Dans ce contexte, on nous présente notre ancien soldat comme une lueur d’espoir, mais sans pour autant qu’elle soit infaillible. C’est justement intéressant de voir qu’il ne veut jamais s’impliquer personnellement et que tout ce qui compte est l’enseignement qu’il inculque à ses nouveaux disciples. S’il va tout de même aider à plusieurs reprises, on est dans une volonté de montrer des personnes lambdas devant apprendre à se défendre pour réussir à s’en sortir dans ce monde où certains se pensent supérieurs aux autres.
Mais encore plus que tout ça, je trouve que Pineapple Army est un titre qui s’inscrit dans une époque bien précise tout en continuant à être d’actualité aujourd’hui. En réalité, cette œuvre est avant tout celle de militaires, soldats ou anciens combattants qui ne connaissent que la guerre. Même après avoir quitté le front, on voit à quel point ils ne peuvent se détourner de cette voie qu’ils ont choisie. On veut nous partager cette difficulté à retourner à la vie civile. Cela se ressent dans une grande majorité des personnages qui vont nous être présentés. Même Jed Gôshi en est un parfait exemple. Il reste dans ce qu’il sait faire de mieux à ses yeux et même s’il est hanté par les horreurs de son passé, il continue à lutter à sa manière. Dans son fond, cette série se veut particulièrement tragique et dramatique, car elles nous présentent des hommes brisés qui ne se sentent finalement vivants qu’avec une arme entre les mains. Et s’il peut y avoir quelques moments comiques, notamment dans certaines interactions avec ses anciens frères d’armes, l’histoire de notre mercenaire va faire naître et consolider cette boule au ventre que l’on va avoir. Nous voilà face à des sujets très complexes à aborder, mais dont ce duo d’artistes a parfaitement su retranscrire pour que l’on ouvre les yeux sur ces combattants qui, pour certains, ont commis des atrocités et d’autres cherchent à protéger leur patrie. Une retranscription réaliste de ce chemin pris par tant de gens et qui ne pourront sans doute jamais en sortir tant elles marquent à jamais ces âmes blessées à jamais.
Je trouve que Pineapple Army est une œuvre assez coup de poing dans ce qu’elle nous montre. Un récit sur des thèmes difficiles et qui peuvent paraître complexes surtout aujourd’hui. Mais je trouve que tout est amené avec beaucoup de soin et surtout il y a une vraie maîtrise qui se dégage de l’histoire de cet homme qui n’a jamais pu tirer un trait sur son ancienne vie. Un manga qui, en plus de nous mettre en contact avec énormément de situations extrêmes et violentes, cherche à nous transmettre ces traumatismes qui rongent la vie de ceux qui vont se battre.
Pineapple Army et son sujet délicat
Encore aujourd’hui, Pineapple Army est pour moi un titre vraiment captivant dans les thématiques traitées. Un sujet qui est finalement assez peu présent de nos jours alors qu’il peut totalement résonner dans le contexte actuel. S’il y a un bémol que je mettrais concerne l’édition en elle-même. Le format proposé est beaucoup trop imposant à mes yeux et fait qu’il est assez difficile de garder en main le tome. En dehors de ça, on est face à une excellente découverte et qui montre aussi à quel Urasawa a pu être influencé par cette première expérience. Si l’on reconnaît facilement le trait du mangaka, on remarque aussi à quel point celui-ci a pu évoluer depuis tout ce temps. Nous sommes donc autant devant une lecture qui nous plonge dans le passé de ces soldats que celui de cet artiste qui est devenu une vraie légende. Cette lecture est, à mes yeux, une sacrée claque dans le sens où elle réussit à mettre en scène l’enfer que peuvent vivre tous ces soldats qui reviennent à la vie civile et qui ne peuvent pourtant tourner la page. On fait autant la connaissance au sein de ces pages de vraies ordures que d’individus qui sont tout bonnement prisonniers de ce sang qu’ils ont sur les mains. Et cela donne une profondeur d’écriture captivante à Goshi qui est très loin d’être l’image du soldat sans peur et sans reproche. Au contraire, l’assurance et le sérieux qu’il montre au quotidien dissimulent en réalité les stigmates qui sont profondément ancrés en lui. Un protagoniste qui n’est pas un héros, mais juste un combattant qui se raccroche à ce qui l’a façonné pendant toutes ces années.
C’est donc un gros coup de cœur que j’ai eu pour Pineapple Army même si je suis très rarement attiré initialement par de tels thèmes. Mais ici, tout est amené avec une telle sincérité que l’on ne peut s’empêcher de voir que derrière cette fiction se cache une tragique réalité. Et surtout, cette lecture nous montre à quel point la paix est un rêve irréalisable pour ceux qui ont connu l’enfer du champ de bataille. A leurs yeux, la guerre n’est jamais finie et cela se ressent totalement au sein de ces cases. Une lecture qui m’aura pris aux tripes à de multiples reprises en fonction des histoires qui nous sont racontées. Et même dans la narration, je trouve que le titre s’en sort bien, car même si nous n’avons pas de fil rouge, cet enchaînement de contrats représente totalement à quoi se résume la vie de cet ancien mercenaire. Si vous souhaitez un récit qui ne vous ménagera pas et capable de parler avec aisance de la vie de soldat alors n’hésitez pas et foncer sur cette série. A présent, j’ai quelques questions qui me trottent dans la tête suite à tout ça. Est-ce que l’on va rester dans ce schéma ou bien une intrigue va finir par se démarquer du reste ? Est-il encore possible pour Jed de s’extirper de cette existence où il risque sa vie à chaque instant ? Va-t-il continuer à lutter pour enseigner aux plus faibles à se défendre ? Le titre continuera-t-il à critiquer avec brio ces sociétés où la guerre est surtout une question de profits ? J’ai hâte de me replonger dans la suite.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume de Pineapple Army. Trouvez-vous que cette œuvre est toujours aussi impactante aujourd’hui ? Appréciez-vous le fait que le titre réussit à aborder des thèmes graves et importants avec autant d’aisance ? Est-ce que vous avez pu voir, à travers le trait de Naoki Urasawa, toute son évolution depuis cette première série ? Le format de cette édition vous convient-elle ? Avez-vous été emporté dans cette succession de combats que va superviser notre ancien militaire ? Qu’attendez-vous pour la suite ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.