Fall in Love with Spring : le coeur surpasse la machine
Le thème des machines et androïdes a toujours été une source inépuisable d’inspiration pour les artistes en tout genre. Après tout, cela ne date pas d’aujourd’hui que l’on se questionne sur le fait que les robots puissent, un jour, dépasser le cadre de leur programme pour s’émanciper de leur condition. Dans la culture pop, cela a autant pu donner des œuvres parlant du cataclysme que ce serait que des histoires plus émouvantes nous faisant réfléchir sur ce qui fait réellement que l’on est humain. Le monde du manga n’est pas en reste et le titre dont je vais vous parler aujourd’hui en est un très bon exemple. Il s’agit de Fall in Love with Spring, dernière licence en date des éditions Chattochatto. J’étais intrigué de voir ce que donnerait cette lecture sans forcément connaître tout ce qui tourne autour de son histoire. Une surprise qui fut surtout construite par l’attrait pour la couverture. Finalement, je suis content d’avoir franchi le pas tant on est sur un one-shot qui a su faire mouche avec brio. Soyez donc prêts à faire la connaissance d’un robot qui va se poser bien des questions au fil de son existence.
Un cadeau qui va tout chambouler
Synopsis
Nous suivons ici l’amitié entre Lily et le robot N° A-00, ou plus simplement nommé Shelly, créé par le Dr Milburn, la mère de Lily. Bien qu’elle soit considérée à la fois comme une gardienne et une sœur par Lily, Shelly essaie de comprendre qui elle est, et sa place dans cette société où elle n’est perçue par les autres que comme un “outil”. Néanmoins, à la suite d’un événement mystérieux, Shelly commence progressivement à voir germer, de son corps froid, des émotions compliquées et contradictoires. Comment un robot peut-il ressentir cela ? Qu’est-ce que l’humanité ? Peut-on devenir humain dès l’instant où nous ressentons les mêmes émotions qu’eux ?
Artiste : Wu Yushi
Quand on s’arrête quelques instants sur le synopsis de Fall in Love with Spring, on peut avoir le sentiment d’être en terrain connu. Après tout, il existe bon nombre de séries souhaitant traiter de la robotique et de cette frontière entre l’homme et la machine. Cependant, là où ce one shot va frapper un grand coup est dans la manière de raconter ça. En effet, en seulement quelques pages on va être balloté entre un début joyeux et plein d’espoir à une dernière partie beaucoup plus tragique et sombre. Une œuvre qui réussit, avec simplicité, à nous transmettre l’essence de ce sujet.
Réflexion sur ce qui fait l’être humain
Avant toute chose, il faut mettre un point au clair d’entrée de jeu. Fall in Love with Spring est un one shot qui se concentre donc sur la frontière très fine pouvant séparer la machine de l’homme. De ce fait, notre regard va surtout se poser sur le personnage de Shelly qui est présenté, initialement, comme un robot conçu pour permettre à Lily de ne pas se sentir seule. Présentée comme un cadeau d’anniversaire, notre protagoniste va constamment être là pour sa maîtresse. Et ce qui est intéressant, c’est que la première partie se concentre véritablement sur ce lien qui se limite juste à une machine de compagnie et cette demoiselle. Cette dernière sait au fond d’elle que sa gardienne n’est avant tout faite que de métal et même s’il y a des moments où elle a envie d’y croire, on nous montre qu’elle est consciente que c’est avant tout un objet créé pour briser sa solitude. Mais dès que l’on assiste à un événement en particulier, toute cette situation va être bousculée. On va voir Shelly présenter de plus en plus de signes d’émotions au fond d’elle. A tel point que l’image de la machine s’efface progressivement pour voir une personne à part entière. Et ce qui est fascinant, c’est la manière dont cette évolution est représentée. On ne montre pas un brusque changement qui va lui faire voir d’un autre œil le monde qui l’entoure. Notre robot va au contraire avancer pas à pas et se questionner sans cesse sur ce qui est en train de se passer au plus profond d’elle.
C’est autant ingénieux d’avoir une telle construction narrative que pertinente, car on est face à un être qui ignore tout de ces émotions qui l’assaillent de par ses origines. On voit l’attachement qu’elle ressent pour celle qu’elle considère comme sa grande sœur, mais aussi l’amour naissant qu’elle éprouve pour un jeune homme. Et tandis que l’on a envie de croire en sa faculté à dépasser sa condition de machine pour être elle aussi heureuse, c’est une descente aux enfers que l’on va vivre. Un véritable ascenseur émotionnel se déclenche, car c’est une fois qu’elle semble toucher sa propre humanité du bout des doigts qu’on vient la ramener violemment à la réalité. Que ce soit sa plus proche amie depuis tant d’années, sa conceptrice, son amour, mais aussi son avenir, c’est un enchaînement d’événements qui vont lui rappeler qu’aux yeux des autres, elle n’est qu’un robot. Cela va avoir pour effet de nous déchirer le cœur, car on voit à quel point elle a transcendé ça. On a passé tant de temps à la suivre et à assister à son évolution que cela nous fait verser des larmes de voir les réactions à son égard. Et même dans sa conclusion, rien n’est vraiment joyeux tant des émotions comme l’amour, l’amitié et la notion de famille disparaissent au prix d’un seul sentiment : la jalousie. En fait, toute cette histoire va s’axer sur celle-ci et ce n’est qu’en progressant au sein de ces pages que l’on s’en rend compte. Il s’agit sûrement d’une des émotions les plus fortes, mais aussi les plus destructrices qui puissent exister, mais qui symbolise aussi tellement bien la nature humaine. Une humanité qui naît dans l’envie d’avoir ce que les autres ont et qui, pour ce robot, est l’unique moyen de devenir humaine à son tour.
Je ne m’attendais pas du tout à ce que Fall in Love with Spring puisse être aussi saisissant dans les émotions que le titre véhicule. On nous présente une œuvre qui a tout pour nous délivrer une touchante amitié, mais qui va progressivement se transformer en un drame humain. Et c’est dans cette dégringolade de cette relation, mais aussi la propre conscience de son statut que ce robot va alors ouvrir les yeux sur l’être humain et la part sombre qui peut l’animer. Une lecture qui fait tomber les masques à travers le prisme d’un être fabriqué de toute pièce et qui ne souhaitait qu’être une personne à part entière.
Fall in Love with Spring vise juste
Je suis toujours très friand du travail qui est fait sur un one shot. Il faut dire que c’est fascinant de voir comment un artiste peut réussir à aller au bout de ses idées en seulement un ouvrage. Fall in Love with Spring est un très bon exemple de réussite à ce niveau. En reprenant un thème déjà bien connu, le titre réussit à nous faire rapidement adhérer à son histoire. Ce n’est qu’ensuite que l’autrice va apporter sa petite touche personnelle. Et sur ce point ça fonctionne à merveille. Je n’ai eu de cesse d’être secoué tout au long de cette lecture par toutes ces émotions qui m’ont assailli. D’un côté, on nous propose un récit touchant sur la création de ce robot pour briser la solitude d’une petite fille à la constitution fragile. Une naissance et des premiers jours chaleureux pour Shelly et Lily qui vont pleinement profiter de cette complicité naissante. Mais au fil des années et des changements qui s’opèrent, cette amitié innocente s’est transformée en une jalousie intense d’un côté et une méfiance de l’autre. On ne peut s’empêcher d’avoir beaucoup d’empathie pour Shelly qui a passé tout ce temps à observer et faire de son mieux pour que sa maîtresse soit heureuse et à qui l’on empêche d’atteindre ce statut d’être humain qu’elle désire. En lui donnant la possibilité d’avoir des émotions pour être plus proche de sa fille, sa créatrice a fait d’elle une entité à la frontière de ces deux mondes et qui ne peut connaître finalement le bonheur qu’en détruisant celui des autres. Et même comme ça, ce récit ne cherche pas à éveiller la colère à son égard, mais une tristesse de voir tout ce que cela entraîne. Voilà un ouvrage qui nous fait réfléchir tout bonnement sur ce que cela signifie d’être humain.
J’ai donc eu un gros coup de cœur pour Fall in Love with Spring. Un one shot qui n’a pas besoin de plus pour séduire et qui, surtout, réussit à délivrer des messages forts et poignants. J’ai eu le cœur serré à plus d’une reprise en suivant le récit de ce robot se confrontant, malgré lui, à l’humanité qui voit le jour au plus profond de son être. Une preuve que même face à un sujet déjà vu et revu, il est toujours possible d’émouvoir et de raconter une telle histoire avec ses propres mots. Une très belle pioche de la part de Chattochatto qui continue de proposer d’excellentes petites séries ou one shot. Mais surtout, j’ai été bluffé par cette capacité de l’artiste à représenter aussi habilement une part aussi sombre de l’être humain tout en l’amenant d’un point de vue beaucoup plus tragique. Et c’est pour ça que même en assistant à la conclusion de cette histoire, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée émue pour ces personnages qui ne sont que le reflet d’une humanité trop souvent centrée sur elle-même. Si vous cherchez un titre parlant avec brio de la nature humaine par le biais de la robotique alors vous serez conquis par cette histoire. Évidemment, pas de futures questions étant donné que l’on a déjà tout réuni entre ces pages. Mais malgré tout, j’ai envie de prolonger cette expérience en imaginant ce qu’il aurait pu advenir de ces personnages si un autre chemin avait été trouvé.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti sur ce one shot qu’est Fall in Love with Spring. Avez-vous trouvé le titre réussi dans ce qu’il cherche à nous raconter ? Avez-vous été touché par cette recherche d’humanité de la part de ce robot ? Trouvez-vous que la finalité de cette œuvre est bien trouvée tout en étant dramatique ? Pensez-vous que l’on a le droit ici à un traitement intéressant de ce qui fait l’être humain et de ce qui peut toucher au libre-arbitre des androïdes ? Cette œuvre a-t-elle su vous émouvoir ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.