Derrière les codes #5 : Lovecraft
On approche lentement de l’automne et je ne pouvais pas résister à l’idée de parler déjà de certains thèmes collant à la saison et notamment le genre horrifique. Je me suis donc demandé ce qui pourrait être intéressant de traiter à travers celui-ci et j’ai finalement posé mes yeux sur la collection des “Chefs-d’œuvre de Lovecraft” de chez Ki-oon. Depuis son lancement, j’ai été très friand de ce qui fut proposé surtout au vu du talent de Gou Tanabe pour réussir à retranscrire le style et l’univers si particulier de cet auteur. Mais il est vrai que l’on peut se questionner sur ce qui peut vraiment faire la différence d’un titre à l’autre étant donné que l’on a parfois une vision très restreinte de ce que ce maître de l’horreur a pu créer au fil du temps. Voilà pourquoi je vous propose de nous attarder sur trois des mangas de cette collection afin de voir ensemble ce qui fait l’attrait et surtout la diversité de celles-ci. Vous allez voir, il existe bien des façons de retranscrire la même peur. Bien sûr, n’hésitez pas à me dire votre propre ressenti sur le sujet et surtout si vous voulez que j’aborde les autres titres de cette partie du catalogue de l’éditeur. On est parti pour vivre quelques cauchemars !
Le Cauchemar d’Innsmouth
On commence avec sûrement mon préféré de toute la collection Lovecraft qui n’est autre que “Le Cauchemar d’Innsmouth”. A la base, il faut savoir que je ne suis pas le plus grand connaisseur des œuvres de l’auteur si ce n’est concernant ses récits les plus cultes. Et c’est donc ignorant totalement dans quoi je m’embarquais que je me suis lancé dans ce périple. Bien évidemment, j’avais déjà lu les autres œuvres qui l’ont précédé et donc il était tout naturel que je me dise que l’on allait partir dans une direction similaire. Et pourtant, c’est une expérience bien différente que j’ai vécu tout en restant sur cette volonté de traiter de la folie et du malaise que l’on peut ressentir face à quelque chose qui dépasse notre entendement. Là, contrairement aux autres titres du même genre, nous sommes assez rapidement confrontés à l’élément qui va créer l’effroi chez nous. En effet, on va tomber nez à nez avec l’un des habitants de ce lieu maudit et dont l’apparence va être terrifiante et repoussante tant on est plus proche de la créature que de l’humain. Là encore, il y a un formidable travail visuel qui est fait pour que l’on soit à la fois happé et terrorisé par ces visages et surtout ces yeux sans vie qui nous fixent. Pareil pour la représentation d’Innsmouth qui provoque une boule au ventre dès l’instant où l’on s’y rend et que l’on passe du temps au milieu de ces bâtisses délabrées. Et plus on avance dans le récit et plus cette panique qui grandit en nous va prendre le contrôle sur notre propre raison. Gou Tanabe joue admirablement bien sur une menace qui semble proche et qui nous serre le cœur pour que l’on avance en tremblant. C’est aussi ça qui fait que l’on va facilement partager les mêmes émotions que notre protagoniste qui, désireux de prouver le contraire, va finalement plonger dans une spirale infernale le conduisant à une folie palpable.
Les Montagnes Hallucinées
J’enchaîne à présent avec le titre qui a inauguré la collection des “Chefs-d’oeuvre de Lovecraft” avec “Les Montagnes Hallucinées”. Il s’agit sûrement d’une des histoires les plus connues de l’auteur initialement et c’était un bon moyen pour lancer cette partie du catalogue. Car on se rend très vite compte, en plus du talent en tant que dessinateur de Gou Tanabe, à quel point l’horreur selon Lovecraft peut prendre bien des formes. Ici, contrairement au titre que j’ai évoqué précédemment, nous sommes très loin d’être en contact direct avec des créatures monstrueuses ou des horreurs qui nous frappent d’entrée de jeu. Au contraire, on plonge dans une expédition dont le danger premier repose sur le voyage en lui-même. Un périple glacial qui va conduire cette expédition face à un terrible secret qui va les changer à jamais. C’est ce que j’aime énormément avec cette proposition, car la peur va venir d’un sentiment que l’on peut facilement qualifier d’inexplicable. Nous sommes face à la nature avant tout et c’est face à ces paysages singuliers et angoissants que va réellement naître notre peur. Plus on avance sur ce terrain inconnu et plus on sent notre coeur se serrer sans pouvoir mettre de mots sur ce qui nous terrifie autant. C’est là où je trouve que ce titre se démarque admirablement bien des autres, car même s’il y a des éléments surnaturels et “cosmiques” qui s’installent au fur et à mesure, on n’a jamais l’impression d’être face à une menace palpable. C’est justement cette incompréhension de ce qui nous fait frissonner qui rend l’expérience aussi saisissante, car cela montre que l’artiste a su créer une atmosphère et un environnement où l’on ne se sent pas du tout en sécurité. D’ailleurs, ce sont finalement presque les changements chez nos protagonistes qui vont être la plus grande source de peur tant on assiste à cette transformation dans leur personnalité. Une série qui a parfaitement su retranscrire cette curiosité parfois malsaine et morbide qui nous pousse à aller plus loin, là où tous nos sens nous disent de fuir.
Celui qui hantait les ténèbres
Il est déjà temps de conclure cette chronique et j’avais envie d’aborder le cas de “Celui qui hantait les ténèbres”. Ce n’est pas forcément le plus connu de la sélection, mais il a énormément fonctionné sur moi surtout dans sa manière de transmettre la peur. Jusqu’à présent, on a pu voir deux formes d’effrois différents et pourtant ancrés dans cette thématique de la folie qui ponctue bon nombre des œuvres de Lovecraft. Ici, ce que j’aime avant tout, c’est que l’on va rester dans un décor assez limité en se focalisant uniquement sur une ville, et même plus particulièrement autour d’un individu précis. C’est suite à une découverte d’importance que ce dernier va plonger progressivement dans la peur et la paranoïa. Là, ce qui est vraiment fort, c’est que l’on nous prépare à la menace qui le guette dans l’ombre. Plus on avance dans le récit et plus on sent cette ombre grandir. Encore une fois, la grande force ici réside dans le fait que l’on fait languir le lecteur et le protagoniste dans la rencontre avec cette entité monstrueuse. Ici, l’angoisse vient du fait de se sentir observé, et même traqué. Ce qui n’était qu’une sorte de pressentiment au départ finit par se muer en une crainte viscérale de sortir sous peine d’être emporté dans l’obscurité. Que ce soit vrai ou non, ici on joue sur cette angoisse pour exprimer à quel point vivre reclu peut découler de quelque chose de fort et presque inexplicable. Une terreur qui nous vise personnellement et qui empêche de revenir à un quotidien normal. Là où précédemment j’ai évoqué l’angoisse d’un lieu et de ses habitants ou bien d’une menace intangible, cette fois nous sommes dans la situation du chasseur et de la proie. Un prédateur qui rôde en attendant le bon moment pour se jeter sur sa cible et dont la peur est une arme pour la piéger;