Itagaki Universe
En ce mois de novembre, je me suis dit que c’était l’occasion de ressusciter un vieux rendez-vous que j’avais beaucoup aimé faire il y a plusieurs années. Vous le savez, si on se concentre beaucoup sur les histoires proposées, il faut aussi s’attarder sur ceux qui sont justement derrière ces récits. Des artistes talentueux qui nous en mettent plein les yeux et parviennent à nous faire rêver à travers leurs dessins et scénarios. Voilà pourquoi il est temps de se plonger dans “L’Universe” de l’un d’entre eux. La question était alors de savoir qui allait être notre sujet du jour pour signer ce retour. C’est justement en revoyant l’actualité qu’un nom m’est venu à l’esprit rapidement. Je parle bien sûr de Paru Itagaki dont les mangas sont tous présents dans le catalogue de Ki-oon. Une autrice remarquable qui a su se démarquer par l’originalité de son style graphique, mais aussi son travail remarquable pour aborder des sujets assez peu exploités à travers des prismes ou univers assez inédits dans le genre. Voilà pourquoi, on va voir comment son style a évolué au fil de ses histoires et surtout comprendre tout ce qui fait l’ensemble de celui-ci. Préparez-vous pour une petite rétrospective à travers trois de ses fables.
Beastars

Pour bien commencer, impossible de parler de Paru Itagaki sans évoquer l’œuvre qui l’a fait connaître au grand public avec Beastars. On plonge ici dans un monde où vivent des animaux anthropomorphes. Le récit se concentre sur les étudiants du lycée Cherryton où se mêlent carnivores et herbivores dans une paix qui semble inébranlable. L’objectif de beaucoup est de devenir le Beastar, l’individu qui trône au sommet de cette école et qui parvient à marquer l’esprit des gens par ses actes et son influence. Malheureusement, la quiétude de ce lieu est ébranlée quand un corps est découvert. Dans le viseur des accusations, Legoshi, un loup particulièrement renfermé sur lui-même qui terrifie de par sa carrure imposante, mais qui est en vérité très peu sociable. C’est dans ce contexte chaotique qu’il va tout faire pour mener une vie normale, mais où cette sombre affaire va engendrer de graves répercussions sur l’ensemble de cette société. Pour une première série longue, la mangaka frappe très fort et va vraiment donner ici une œuvre reflétant parfaitement le style qui va être le sien. Un manga qui va autant sonner comme une manière de parfaire celui-ci que de sublimer celui-ci. Car oui, Beastars est un titre qui, dès le départ, déborde d’originalité sur tellement de points. Tout d’abord, il y a ce trait si spécifique qui offre des chara-design qui se démarquent énormément par la manière de représenter les émotions des personnages.
On a beau être face à des animaux agissant comme des humains, on ne va avoir aucun mal à comprendre, sans le moindre mot, ce qui peut les assaillir comme sentiments. Un style graphique qui va être une des marques de l’autrice et qui va justement consolider notre attrait pour tout ce qu’elle va construire. En effet, ce qui fait le charme de ses mangas ne repose pas uniquement sur la partie graphique. L’écriture est aussi l’un des gros points forts de l’artiste et Beastars est sûrement l’un des meilleurs exemples possibles. A travers tous ces volumes, on va avoir le droit à une remarquable critique de la société dans tout ce qu’elle a de plus bestiale, mais aussi des rapports humains, des différences de classes, l’opposition entre certains groupes et bien d’autres sujets. En s’emparant des codes du règne animal pour les transposer dans un environnement finalement très humain, Paru Itagaki réussit à montrer tous les travers de l’homme, mais aussi ce qui peut le rendre aussi fascinant. Pareil pour l’écriture des divers personnages que l’on rencontre et qui sont absolument mémorables. Dans un contexte où la paranoïa s’installe entre herbivores et carnivores, on assiste à la montée en puissance de ces étudiants qui vont devoir trouver leur place dans un monde qui ne peut être tout blanc ou noir. Une œuvre pleine de nuances qui nous fait réfléchir sur ce qui nous entoure et surtout traite, avec brio, des rapports humains et de la peur des autres sans même réellement chercher à comprendre la personne en face. Jouant toujours avec les limites de tout ce qu’elle construit, la mangaka sait viser juste pour autant nous emmener sur des terrains inconnus et traiter de problématiques bien concrètes derrière l’aspect fictif de son récit.
Bota Bota

Avant d’attaquer l’autre grosse série de Itagaki, j’avais aussi envie d’aborder le cas de Bota Bota qui est un très bon reflet de ce que la mangaka cherche à traiter. J’ai pu l’évoquer précédemment en parlant de Beastars, mais l’artiste a toujours cette envie de proposer des récits assez uniques et propres à son imaginaire pour traiter de sujets qui vont faire écho en beaucoup de gens. C’est exactement ce que l’on peut retrouver dans le one shot Bota Bota qui s’attarde sur une demoiselle qui se met à saigner abondamment du nez dès qu’elle touche quelque chose de sale selon elle. Cela concerne autant des déchets que les hommes quand il s’agit d’avoir des rapports intimes. Un problème qui fait souvent fuir ses partenaires. Son objectif est donc de trouver le véritable amour qui lui permettra de faire fi de ce problème pour lui permettre de guérir. Et là, on entre clairement dans ce que je citais plus haut : les rapports humains et leur complexité. On parle ici surtout de ce qui peut unir un homme et une femme dans leurs rapports sexuels, mais aussi la vie de couple. On nous dépeint une société où la norme fait que ce problème de notre protagoniste est considéré comme anormal et rebutant. Pendant une grande partie du récit, on nous montre des hommes qui ne cherchent nullement à comprendre réellement ce qui assaille le cœur de Mako.
Une façon de montrer à quel point certaines personnes ne cherchent juste qu’à satisfaire leurs pulsions sans mettre la moindre émotion ou à s’ouvrir à leur partenaire. Mais au-delà de ça, cette lecture est aussi une fenêtre ouverte sur des traumas qui peuvent grandement impacter une personne, même de façon indirecte. C’est exactement ce que l’on nous montre ici à travers Mako et sa mère qui a transmis à sa fille sa peur grandissante d’être rejetée. Un rapport assez toxique qui impacte forcément la vie de notre protagoniste dans son rapport avec les autres. Mais il est aussi question de tromperie et de mensonges de la part des hommes pour obtenir ce qu’ils veulent comme le montre très bien la dernière partie de l’ouvrage. Et si Itagaki nous conte ici une histoire pouvant sembler assez loufoque à première vue, c’est finalement un titre particulièrement déchirant dans son fond, mais avec aussi un message d’espoir. Et c’est quelque chose qui rythme en grande partie son style. Elle ne cherche pas à amoindrir l’effroyable vérité de certains sujets ou l’attitude destructrice de personnes au quotidien dans le seul but d’assouvir leurs désirs. Et malgré la noirceur de l’âme humaine qu’elle expose régulièrement dans ses histoires, elle cherche aussi à montrer une possibilité d’espoir à la fin. C’est exactement le cas ici avec Mako qui ne va plus vivre dans le but de trouver quelqu’un qui la complète, mais de vivre simplement pour elle. On nous montre alors ici l’importance de son propre bien-être pour ne pas dépendre des autres et surtout refuser de se conformer à ces derniers surtout quand ça va en contradiction avec ce que l’on est.
Sanda

Il est maintenant temps d’attaquer la dernière série de cette liste afin de voir ce que le style de Paru Itagaki symbolise. Et quoi de mieux pour ça que d’évoquer Sanda, la dernière série en date de la mangaka chez nous et qui s’est terminée au Japon au bout de seize volumes. En plus de ça, une adaptation anime est actuellement en cours et c’est donc l’occasion parfaite de découvrir une autre facette de cette artiste. Ici, on plonge dans une société fictive où l’on met sur un piédestal la jeunesse tandis que les adultes sont considérés comme inférieurs en tout point. On cherche alors à préserver le plus possible ce qui fait l’essence de ces enfants tout en les éloignant un maximum de certains éléments pouvant perturber leur épanouissement. La figure du Père Noël en fait partie et est même considéré comme une menace à éliminer à tout prix. Mais c’est là que notre protagoniste, simple étudiant profitant de sa vie, découvre, suite à une demande d’une de ses camarades, qu’il a le pouvoir de se transformer en ce bon vieux Santa Claus. Va alors débuter pour lui un combat de chaque instant pour ne pas être découvert tout en endossant ce rôle ô combien crucial pour chacun et malheureusement tombé dans l’oubli. Là encore, on peut voir pas mal de similitudes avec ce que l’artiste a déjà pu créer par le passé. On se retrouve face à une société fictive qui pourtant va traiter de sujets bien réels.
Ici, l’autrice s’approprie le mythe du Père Noël pour aborder notre rapport à l’enfance, à l’imaginaire perdu quand on est grand, mais aussi à confronter ces deux étapes de la vie que sont la jeunesse et le passage à l’âge adulte. En nous plongeant dans un monde où les enfants sont mis sur un piédestal à l’extrême, quitte à leur laisser passer les pires actes possibles, on nous fait forcément réagir. On confronte ici notre vision des choses en pesant le pour et le contre là où dans cette société, tout est fait pour que ces étudiants soient des rois. Une façon très intéressante de parler de cette difficulté à franchir le pas de la vie d’adulte tout en nous rappelant aussi l’importance de garder une âme d’enfant. Tout ça est représenté de façon remarquable par notre personnage principal. Se retrouvant coincé entre ces deux camps, il est celui qui doit faire la jonction entre eux. Dans cet environnement où tout semble dérégler, il est là pour permettre à certains de retrouver le vrai sens du mot innocence et surtout de montrer aussi le rôle que doivent avoir les adultes à l’égard des plus jeunes. Un récit original autant dans le fond que dans la forme et qui parvient ainsi à rester dans cette voie tracée par la mangaka tout en y amenant de nouvelles thématiques. Car oui, ce qui fait vraiment toute l’identité du style de Paru Itagaki au sein de ses mangas, c’est qu’elle cherche constamment à nous faire réfléchir et prendre conscience du monde qui nous entoure. Cela passe autant par le pire que le meilleur et ainsi nous questionne sur notre propre manière de voir les choses. On peut trouver ses récits étranges au départ, mais quand on laisse sa chance et que l’on finit par progresser dans les chapitres, on ne peut retirer cette qualité indéniable : chacun de ses titres peut nous parler d’une façon ou d’une autre.

