Happy Land tome 1 et 2 : Quand le rêve vire au cauchemar
Halloween se rapproche et c’est toujours un petit bonheur de se lancer dans des œuvres qui peuvent coller à l’ambiance de cette fête. Dans ce domaine, les récits horrifiques ont toujours une grande place dans nos lectures dédiées à ce moment. On a la chance d’avoir beaucoup de séries de ce type qui ont fait leur apparition cette année et même très récemment. C’est l’une d’entre elles dont on va parler aujourd’hui et qui nous provient tout droit du catalogue d’Omaké Manga. Il s’agit de Happy Land, un titre en deux volumes, qui est apparu la semaine dernière en librairie. Dès son annonce, on nous promettait une histoire totalement barrée au vu de ce simulacre de parc d’attractions qui allait se transformer en véritable enfer. Curieux de ce que ce pitch de départ pouvait donner et aussi toujours impatient de découvrir de nouvelles épopées capables de nous faire frissonner, on s’est rapidement jeté sur ce récit. Si le côté déjanté est bien présent, ce manga se veut bien plus intelligent qu’il n’y paraît et va tenir des propos très forts en seulement deux actes. Il est donc grand temps de prendre son courage à deux mains et de faire un tour dans ces attractions.
Bienvenu au pays des cauchemars
Happy Land, imaginé par Shingeo Honda, nous fait suivre la famille Komiya. Cette dernière semble sans histoire avec deux parents qui s’aiment profondément, un aîné qui est promis à un brillant avenir et une adorable cadette. L’image de la famille parfaite qui ferait rêver plus d’une autre famille. Cependant, il ne faut jamais se fier aux apparences. Alors que Kenji, le père, décide de faire une surprise à sa femme et ses enfants en les emmenant vers une destination qu’il garde secret, ils se retrouvent perdus au milieu d’une étrange forêt. S’ils commencent à se demander si cette virée était une bonne idée, leurs doutes sont rapidement remplacés par l’incompréhension en voyant qu’ils se retrouvent face à l’entrée d’un étrange parc d’attractions. De prime abord, ce lieu semble en assez piteux état et presque abandonné. Cependant, il s’avère qu’ils ne sont pas les seuls à se retrouver dans cet endroit. D’autres familles, couples et inconnus semblent avoir été amenés jusqu’ici. Si l’étonnement et l’inquiétude sont bien présents dans le cœur de la majorité de ces gens, la plupart semblent se dire que c’est l’occasion rêvée de profiter des divers manèges. Mais pour ne rien arranger, ces invités font aussi la connaissance de la mascotte de ce parc à thèmes et qui revêt un étrange costume de monsieur loyal à tête de lapin. Ce dernier va alors déclarer que cet endroit est là pour permettre à chacun de s’amuser et d’exprimer tout ce qu’il garde au plus profond de lui.
Des propos particulièrement étranges et qui éveillent la méfiance de certains. Mais le pire arrive au moment où les premiers entrent dans les montagnes russes. Les rires et les cris de joie des premières minutes se transforment en hurlements d’effrois. Pour ceux qui restent en bas, le spectacle offert est un véritable cauchemar dès l’instant où d’innombrables têtes chutent au sol. Il s’agit de celles des passagers qui viennent de périr sur les rails de cette attraction mortelle. C’est en voyant ça, que les survivants comprennent que ce lieu n’a absolument rien de joyeux. Ils viennent d’arriver en enfer et ils vont devoir se soumettre aux règles du maître des lieux pour espérer s’en sortir. Pour Kenji et les siens, cette virée en famille se brise pour ne laisser que le désespoir. La peur qui assaille ce père s’accentue quand il voit que sa fille est obligée de participer au premier manège. Le souvenir encore vivace des têtes tombantes du ciel lui fait craindre le pire pour son enfant. Le temps est à présent compté pour savoir comment échapper au funeste destin qui attend ceux qui prennent place dans le wagon. Mais quel peut bien être cet endroit qui n’a rien de paradisiaque ? Pour ce père de famille, il faut à tout prix protéger les siens. Après tout, c’est en voulant les emmener en virée qu’ils ont fini ici. Alors que la peur de la mort envahit tous ceux présents sur place, cet homme est prêt à tout pour sauver les êtres qu’il aime le plus. Mais dans cette situation intenable, il est possible que certaines vérités finissent par éclater au grand jour.
Il est évident que le synopsis de Happy Land semble totalement surréaliste et propice à un enchaînement de scènes violentes et d’événements effroyables. Pourtant, le récit ne s’arrête pas uniquement à cette volonté de donner des frayeurs à travers une escalade de sang. Il faut d’abord voir toute l’ingéniosité qui se trouve derrière cette histoire qui va brillamment utiliser les codes du parc d’attractions pour créer des épreuves redoutables et surtout pousser les personnages dans leurs derniers retranchements. On entre dans cet univers la boule au ventre en se demandant la prochaine épreuve qui attend ces pauvres âmes perdues.
Des jeux mortels
Comme on peut s’en douter avant même de se lancer pleinement dans Happy Land, une grande partie de la force de ce titre va être amenée sur la créativité de l’auteur pour insuffler l’effroi. Cela passe par un changement radical de ton par rapport au décor proposé. En effet, l’idée d’utiliser un parc d’attractions comme toile de fond n’est pas anodine. Il s’agit avant tout d’un lieu où l’on est censé s’amuser et rire de bon cœur. Un endroit qui rapproche les gens et qui peut aussi donner quelques sensations fortes. Ici, on transforme toute cette joie en une source de terreur sans nom en voyant ce qu’il se passe. Le fait d’avoir fait un premier manège aussi marquant est ingénieux, car cela va insuffler l’effroi chez les personnages, mais aussi chez le lecteur. On avance dans l’intrigue en ayant la boule au ventre du fait que notre cerveau imagine inconsciemment quelle prochaine attraction sera diabolisée. Mais le mangaka ne s’arrête pas là dans sa métamorphose de ces conceptions en engins de mort. En effet, il n’est pas rare de voir un élément normalement banal ou bien inoffensif être détourné pour devenir la cause de nombreuses souffrances. Mais dans ce manga, cela atteint un tout autre niveau, car le fonctionnement de ces machines funestes va être régi par des règles en concordance avec leur premier usage. Dès le départ, on nous présente cette zone comme un endroit devant répondre aux critères habituels de n’importe quel parc.
Cela signifie que les gens doivent s’amuser dans les attractions et être en concordance avec ce que font d’habitude les visiteurs. Ne pas agir dans ce sens peut justement piéger ces pauvres victimes. C’est là que cette histoire va tirer toute sa force dans l’horreur. Instinctivement, le fait d’assister à un tel spectacle macabre va dicter notre raison à réagir à la peur suscitée. Ainsi, on bloque forcément tout forme d’amusement pour se concentrer sur la survie. Mais ici, il faut réussir à faire comme si de rien n’était pour survivre. Une source d’angoisse qui vient de ce décalage entre l’attitude que l’on doit avoir en temps normal et l’état d’urgence dans lequel on se retrouve. C’est pour ça que derrière cette apparence barrée, cette série est bien plus intelligente dans sa conception de l’effroi et sa manière de la nourrir. Cela va même aller encore plus loin au vu de la dimension humaine qui va se dégager de cette œuvre. Il est très difficile de rentrer dans les détails à ce niveau étant donné que c’est vraiment l’épine dorsale de la saga. En tout cas, tout est pensé pour pervertir ce qui est normalement un symbole d’innocence et pousser les gens à faire abstraction de ça. En faisant ça, l’auteur va réussir à créer une atmosphère morbide qui nous prend aux tripes et qui surtout va provoquer une forme de libération chez les survivants qui doivent justement se lâcher totalement pour espérer s’en sortir. Tout est pensé afin de coller au mieux à ce que cette sinistre mascotte a dit au départ de cette épopée sanglante.
Mais la symbolique de Happy Land ne s’arrête pas là. Si la partie horreur est déjà bien maîtrisée, il y a aussi un rebondissement qui va faire l’effet d’une bombe. Un élément qui va totalement changer la donne et faire basculer cette histoire dans une approche bien plus personnelle et déchirante. Un récit qui commence en nous donnant la chair de poule pour finir par se présenter comme un drame qui va profondément nous émouvoir. En deux tomes, l’artiste réussit la prouesse de caser tout ça sans jamais que cela ne soit forcé. Voilà un parc qui cache très bien son jeu !
Un récit à la forte symbolique
Comme on a pu le dire un peu plus tôt, Happy Land n’est pas qu’un récit horrifique dont le but premier est de choquer par l’utilisation de scènes violentes et frappantes. Cela n’est qu’une toute petite partie de l’adn de cette série qui va bien plus loin dans ce qu’elle désire raconter au travers de ces diverses épreuves. En effet, il ne faut pas voir ces défis mortels comme une simple envie de créer la peur chez les personnages et le lecteur. L’ensemble est travaillé pour faire ressurgir tout ce que les survivants ont sur le cœur. Il est très difficile de rentrer dans les détails sans spoiler beaucoup de choses, mais il faut comprendre que l’objectif premier de tout ça est de révéler la vérité au grand jour. C’est en faisant face à cette peur de la mort que les protagonistes vont devoir vider leur sac. On va alors se rendre compte que ce que l’on pensait être une famille modèle est très loin de l’être en réalité. Chaque nouvelle avancée ou tentative de survie va être l’occasion de protéger le corps, mais pas l’esprit de ces quatre protagonistes qui vont sans cesse en apprendre plus les uns sur les autres. Le récit bascule ainsi dans le drame familial et plus largement humain en nous présentant des proches qui, en réalité, ne cessent de se cacher des choses. La peur du regard des autres, la pression d’un parent, l’envie d’attention ou tout simplement la manipulation sont autant de thèmes qui vont être traités entre ces pages avec brio.
Plus on progresse dans l’histoire et plus l’horreur des premiers instants se met en retrait pour nous présenter les véritables souffrances de tous ces visiteurs. Les masques tombent et l’on vient justement nous montrer que l’image que l’on reflète n’est jamais totalement représentative de ce que l’on est au fond de nous. Dans un sens, la plus terrible torture que propose ce parc d’attractions est de dévoiler le jardin secret de toutes ces personnes. De simples mots peuvent être plus acérés que la plus tranchante des lames et c’est incroyablement bien mis en scène tout au long de ces deux tomes. La prochaine épreuve, si elle reste sinistre et angoissante, va réellement tirer sa force de cette peur de dire ce que les protagonistes ont sur le cœur. Mais ce manga ne s’arrête pas uniquement là. En effet, c’est en continuant d’avancer et de voir toutes ces vérités éclater au grand jour que l’on va nous amener progressivement vers la plus grosse surprise de cette épopée. Un rebondissement qui va remettre en perspective tout ce que l’on a pu voir jusqu’ici depuis notre arrivée en ces lieux. Si cela peut dérouter au premier abord, l’idée proposée est en réalité soigneusement réfléchie pour coller à tout ce dont on a été témoin jusqu’ici. L’angoisse laisse alors place aux larmes et surtout à une extrême empathie pour ces individus qui se sont retrouvés dans cet enfer. Un voyage qui n’aura duré que deux volumes et qui pourtant a su raconter tellement de choses en si peu de temps.
Happy Land est une œuvre surprenante à bien des égards. Il est vrai que l’on peut rapidement s’imaginer avoir devant nous un autre récit qui suscite la peur par l’escalade de violence et de sang. Cependant, si on prend le temps de voir ce qui se cache derrière tout ça, on remarque une impressionnante ingéniosité dans l’effroi et le message véhiculé derrière tout ça. Ce manga a beau être déjanté dans son apparence, le fond est loin d’être mis de côté. Au contraire, la peur et le drame se mélangent dans cette courte épopée qui a réussi à nous faire verser une petite larme.
Happy Land nous délivre de grandes sensations
Finalement, notre excursion dans ce parc à thèmes qu’est Happy Land fut remarquable. Ce que l’on a surtout apprécié, plus que d’assister à l’imagination terrifiante de l’auteur pour ses pièges mortels, est la manière dont l’horreur sublime le véritable message de l’œuvre. En effet, ce manga est barré quand on pose les yeux sur ce lieu où les rires se transforment en hurlements à déchirer le cœur. Pourtant, ceci n’est qu’une façade pour happer le lecteur avant de faire tomber le décor et qu’il voit ce qui fut construit derrière. Ce qui est aussi le plus remarquable, c’est d’avoir su faire tenir tout ça en seulement deux volumes. Ainsi, on a un bon récit horrifique et surtout une incroyable épopée humaine où les mensonges s’écroulent pour qu’une famille choisisse entre avancer ou s’arrêter. En prenant pour personnage principal ce père de famille, le titre va nous présenter un homme tout à fait ordinaire et qui pourtant nous touche particulièrement concernant l’amour qu’il porte à ses proches. Un lien qui va être mis à rude épreuve dans cette prison à ciel ouvert et qui pourrait pourtant en ressortir encore plus grand. Une belle maîtrise du début jusqu’à la fin de cette intrigue qui va sans cesse nous étonner et nous donner envie d’atteindre la conclusion de cette histoire. Une excellente série qui convient parfaitement à cette période de l’année et où un niveau de lecture peut en dissimuler bien d’autres.
Cela faisait bien longtemps qu’un titre ne nous avait pas autant surpris dans le déroulement de son intrigue et surtout dans les messages véhiculés. Un récit qui utilise à merveille tous les codes de l’horreur non pas pour jouer uniquement sur la peur éprouvée, mais pour sublimer l’aspect dramatique de cette saga. On ne peut s’empêcher de conclure cette lecture par un mélange de tristesse et d’envie d’aller de l’avant. En quelques pages, cette œuvre nous montre l’importance d’aller de l’avant et des valeurs familiales qui dépassent de loin l’aspect purement biologique. Bien évidemment, ce titre est avant tout réservé à un public averti. C’est donc un énorme coup de cœur que l’on a eu pour Happy Land et sa construction brillante de sa narration. Un manga qui plaira autant aux amateurs du genre qu’à ceux désirant une aventure courte, intense et loin d’être uniquement basée sur un spectacle morbide. Comme la série a déjà tiré sa révérence, il n’y a pas tant de questions qui nous viennent à l’esprit. Après tout, on a eu le droit à toutes les réponses que l’on espérait au sein de ces chapitres et même bien plus encore. On ne peut qu’avoir des pensées pour cette famille qui a connu bien des tourments en se perdant pour finalement arriver en ce lieu hors du temps. Face au lapin qui veille au bon déroulement des épreuves, on tient des gens qui ont tous leur part d’ombre et qui doivent l’accepter pour avancer.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant cette série qu’est Happy Land. Avez-vous été emporté par le calvaire de ces personnages face au maître des lieux et ses attractions mortelles ? Est-ce que vous avez éprouvé beaucoup d’empathie pour cette famille qui va non seulement devoir survivre, mais faire face à la vérité ? La série est-elle parvenue à vous surprendre au vu de son twist principal et de ce que représente toute cette histoire ? Trouvez-vous que l’auteur a su proposer un récit qui s’exprime pleinement à travers ces deux volumes ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.