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Manga Horror Show : l’importance du décor

Après vous avoir proposé un précédent numéro tourné autour de la figure de l’enfant dans le manga horrifique, le Manga Horror Show revient. Depuis que j’ai lancé ce format l’année dernière, je n’ai eu de cesse de trouver des éléments captivants tout au long de mes lectures sur ce genre. Souvent considéré comme peu pertinent, le récit d’épouvante a pourtant tellement de choses à nous transmettre. C’est pour ça qu’aujourd’hui, j’avais à cœur de m’attarder sur une facette capitale de ces histoires et que pourtant on oublie facilement. Il s’agit tout bonnement du décor dans lequel va se dérouler l’action. Relégué la plupart du temps comme une simple toile de fond pour suivre le cri de détresse de nos protagonistes, cette partie a pourtant un rôle considérable dans l’émotion que l’on éprouve. Si l’on peut autant être happé par ces sinistres fictions, c’est aussi parce que l’on progresse dans un environnement enclin à renforcer la menace que l’on découvre. C’est en observant ce qui nous entoure que la peur va grandir progressivement. Il est donc grand temps de prendre notre courage à deux mains pour explorer ces endroits funestes.

L’horreur oui, mais dans un bon environnement

Dans le monde du manga d’horreur, et même dans l’épouvante de manière générale, l’objectif est toujours de susciter des émotions fortes. Cela peut passer par de nombreux aspects comme la brutalité de ce que l’on va voir, l’angoisse d’être face à un être néfaste ou tout simplement le sentiment d’insécurité qui va s’exprimer tout au long de notre voyage. Il existe une multitude de façons d’arriver à un résultat où le lecteur puisse se sentir impliqué dans l’histoire et qu’il fasse une forme de transfert avec les protagonistes. Malheureusement, cette émotion a été assez mise en retrait pendant longtemps afin de se concentrer surtout sur une escalade de violence où le spectacle proposé est à la fois morbide et surréaliste. Pourtant, on a aussi le droit à des histoires qui arrivent à renouer avec cette approche plus discrète et finalement si efficace. Mais comment est-il possible de capter l’attention du lecteur pour qu’il ait la sensation d’être à la place de ces personnages en détresse ? Une question bien difficile à répondre tant il existe de possibilités pour l’atteindre. On peut même dire que chacun a sa propre manière d’exprimer l’effroi tout en jouant sur des codes qui fonctionnent toujours très bien. Cela peut passer par une menace tangible ou plus spirituelle, un danger qui provoque un terrible malaise, une atmosphère oppressante qui met un poids sur nos épaules ou bien de venir confronter la raison à un obstacle dépassant notre compréhension. Mais s’il y a une chose qui est toujours bien présente et qui est loin d’être anecdotique, c’est le décor qui va se construire autour des personnages. Si cette facette d’une histoire est plus ou moins travaillée d’une œuvre à l’autre, il y a souvent cette volonté de nous amener sur un terrain propice à l’auteur pour jouer sur la peur.

Même si l’on crée le monstre le plus terrifiant qui soit, son effet sera toujours moindre si le climat entourant la confrontation n’est pas suffisant pour faire grandir cette inquiétude. Il y a quelque chose d’incroyable qui se passe quand l’environnement dans lequel on progresse en compagnie des personnages finit presque par prendre le pas sur le véritable danger. Une façon de se retrouver dans une sorte de prison dont on ne peut s’échapper jusqu’à ce que le bourreau fasse son apparition. Mais d’ailleurs, ce n’est pas propre uniquement à ce genre précis que l’on peut prendre conscience de l’importance qu’a une toile de fond sur le ressenti que l’on peut avoir. Même dans des œuvres oniriques ou féériques se trouvent des lieux qui arrivent à insuffler une envie de fuir. Il suffit de prendre par exemple un long-métrage d’animation comme Blanche-Neige pour s’en rendre compte. La forêt qui se tord pour donner l’impression d’avoir des yeux qui nous suivent partout est un excellent moyen de faire basculer un récit dans l’effroi. Ce n’est pas tant l’endroit qui est effrayant que la perception déformée que l’on a sous le coup de la tension. Un simple arbre peut devenir aux yeux d’une personne une figure terrifiante et ainsi de suite. C’est pour ça qu’il ne faut jamais délaisser cette partie à la fois captivante et importante. En effet, mettre en place une zone précise pour lancer l’action ne va pas tant contribuer au développement de l’intrigue, mais il va servir à renforcer l’expérience ressentie. Un point crucial pour ce qui est de sublimer l’épouvante et saisir le spectateur afin qu’il n’ait plus aucune échappatoire. Mais comment fait-on un bon décor pour arriver à un tel résultat ? Une question qui a bien des réponses !

Manga Horror Show - Gannibal

Le rôle du décor dans l’angoisse

Il est grand temps de s’attaquer au cœur de notre sujet à savoir l’importance du décor dans l’appréciation globale d’un manga horrifique. Avant toute chose, il faut bien comprendre qu’il n’y a pas un environnement parfait et que chaque lieu peut devenir un incroyable terrain de jeu pour l’auteur dès lors qu’il entre en résonance avec les mésaventures des protagonistes. Savoir où placer l’action est vital pour enrichir une histoire en dehors même du genre qui nous intéresse aujourd’hui. Une longue réflexion qui ne s’arrête pas uniquement à placer des éléments servant à délimiter la zone où va se passer l’intrigue. Il est aussi important de comprendre en quoi un tel lieu en temps normal basique peut refléter une forme d’angoisse. En effet, il est tout à fait possible de transformer un endroit où l’on serait en temps normal apaisé pour en faire un enfer où on est dans la crainte de voir débarquer une menace à tout instant. En fait, le décor doit servir d’émissaire à ce qui nous attend et nourrir progressivement l’effroi désiré afin que l’on soit terrifié à l’idée de rester sur place, mais aussi d’avancer. Il y a donc un lien direct qui se joue entre le spectateur, cette toile de fond et le véritable ennemi qui se tapit dans l’ombre. Il suffit de voir certains exemples dans la pop culture pour prendre conscience de l’impact que peut avoir un environnement sur l’aura d’un monstre. Il arrive aussi que certains éléments soient indissociables d’une histoire et vont servir à enrichir le principal obstacle dans l’histoire. Dans Museum – Killing in the rain, la pluie va devenir un signe annonciateur de la venue de ce tueur en série. Pour Freddy Krueger, la nuit devient son terrain de jeu et nous donne l’envie d’insomnie pour éviter que le cauchemar ne se transforme en réalité. Destination Finale a su transformer des objets du quotidien en un danger constant pouvant frapper à tout moment.

On pourrait même dire que l’élaboration d’un cocon propice à l’épanouissement du danger est un élément clé dans le développement de l’histoire. C’est parce qu’ils se retrouvent dans un tel lieu que certains personnages vont se retrouver en péril. Savoir métamorphoser un lieu pour qu’il soit le sujet de possibles cauchemars est un travail difficile, car il faut justement savoir comment faire en sorte de fragiliser la conscience des protagonistes, mais aussi du lecteur. C’est pour cette raison que l’on fait souvent appel à des lieux ou bien des terrains pouvant rapidement basculer de la quiétude à l’angoisse. Pour symboliser ça, il suffit de prendre une zone comme une forêt tout à fait classique. Un paysage pouvant être magnifique où l’on entre en cohésion avec la nature. Cela peut donner vie à des scènes splendides où la main de l’homme n’est pas présente. Pourtant, c’est aussi un endroit où l’absence d’êtres humains peut aussi causer de l’angoisse. Après tout, il y a forcément un sentiment d’isolement qui s’opère alors que l’on se met à entendre des bruits tout autour de nous. Ce qui nous fascinait alors il y a seulement quelques minutes peut basculer pour devenir un terreau fertile au pire des scénarios. Il est donc captivant de voir à quel point cet élément peut devenir déclencheur de l’enfer qui s’apprête à débuter au sein d’un de ces récits. Comme si tout ce qui entourait nos héros venait les prévenir qu’il fallait fuir au plus vite sous peine de connaître un terrible sort. Il n’est alors pas idiot de dire que le décor peut devenir une clé pour amorcer, et même construire l’oppression qui va ainsi renforcer l’impact d’une œuvre sur la personne qui va s’aventurer au sein de ces pages. Une fresque qui se doit de transformer un quotidien lambda en une source perpétuelle et grandissante de terreurs.

Vive la nature

Pour étoffer notre analyse de cette thématique, on va s’attarder sur quelques exemples bien concrets qui montrent l’ingéniosité qu’il y a derrière l’installation d’un décor. Il ne suffit pas de nous plonger dans un environnement menaçant pour que l’on soit totalement sous l’emprise du manga. Il faut que cela se fasse de manière progressive. Dans ce domaine, on remarque très souvent que l’utilisation de lieux externes à la société est souvent efficace. Que l’on soit, comme évoqué plus tôt, dans une forêt particulièrement dense, sur les sentiers d’une montagne ou bien au milieu de l’océan, il y a tout un tas de possibilités pour installer les bases d’une histoire horrifique. Si l’on se penche sur une œuvre comme Monkey Peak, tout est construit sur le fait que nos protagonistes soient en excursion au cœur du pic du Singe. On a le droit à de magnifiques paysages qui montrent la beauté de ce lieu qui est pourtant éprouvant à parcourir. Mais dès l’instant où la menace de ce singe géant fait son apparition, cet endroit autrefois attirant se transforme en un sentier infernal. Il ne s’agit pas uniquement d’un lieu isolé du reste du monde. Avec ses pentes escarpées, le chemin à parcourir pour s’enfuir et l’effort qu’il faut pour avancer, ce massif devient presque un ennemi à part entière. Si l’ennemi qui guette dans l’ombre fait pas mal de dégâts, l’environnement hostile dans lequel évolue le groupe fait aussi énormément de victimes. Il va même appuyer la paranoïa qui s’installe au sein des personnages et devenir une arme pour ceux qui décident de se séparer des plus faibles ou des plus dangereux. On est ici dans une utilisation fantastique du décor qui ne sert pas uniquement à écrire par-dessus celui-ci. C’est un acteur important qui va apporter sa pierre à l’édifice et tourmenter ces victimes qui espèrent plus voir le bout de cette chaîne de montagnes que d’échapper à leur poursuivant.

L’auteur a donc fait un travail remarquable pour montrer la difficulté d’un tel milieu qui est loin d’être sous l’emprise d’une main humaine. Mais ce n’est pas la seule manière d’utiliser la nature comme accessoire à un récit horrifique. On peut citer la manière dont est utilisé le silence dans ces lieux pour renforcer cette solitude étouffante. Que l’on parcourt les eaux sanglantes de Shark Panic ou bien que l’on se retrouve en plein cœur d’un village perdu comme dans Firefly, le fait d’avoir de longs plans où il n’y a pas le moindre mot accentue cette oppression que l’on a. On a le sentiment que ceci est simplement le calme avant la tempête. C’est encore plus efficace dès lors que l’on a fait la connaissance de la principale menace d’une œuvre. Le fait de voir celle-ci disparaître et de nous laisser juste avec les héros va avoir un effet terrible. On sait pertinemment que le danger est là, mais on ignore totalement quand elle va ressurgir. Le silence se transforme alors en une attente mortelle où l’imagination du lecteur et des protagonistes prend le pas sur tout le reste. Les pires scénarios s’installent dans notre esprit et de ce fait, c’est nous-même qui provoquons notre propre frayeur. C’est là tout le génie de ce type d’environnement qui arrive à renforcer l’aura de l’ennemi et surtout d’amener le lecteur à devenir acteur de sa propre peur. Et finalement, même en envisageant toutes les possibilités, on ne peut être sûr du moment où l’artiste a décidé que le couperet tombe. Une incertitude nourrie par le bruit des feuilles, les clapotis de l’eau et le sentiment d’être observé sans avoir le moindre lieu pour s’échapper. Être transposé loin de toute forme de société provoque inéluctablement la crainte de se retrouver sans aide face à une menace qui se fait de plus en plus violente et imposante.

Manga Horror Show - Monkey Peak

On est un peu à l’étroit

Une autre très bonne représentation de l’utilisation du décor dans le manga horrifique en tant qu’atout est quand on est propulsé dans des espaces clos. Là où la nature semblait si immense que l’on pouvait s’y perdre, les lieux où les personnages se retrouvent enfermés entre quatre murs vont avoir un effet diamétralement différent. Cette fois, ce qui prime avant tout est de créer une atmosphère claustrophobique qui va nourrir ce sentiment d’étouffer. Un bon exemple d’un tel cas est Bloody Cruise ou bien Blue Heaven. Dans ces deux œuvres, on est embarqué dans un paquebot de luxe qui a tout pour proposer une traversée de rêve. Pourtant, ce lieu enclin à l’opulence et à l’amusement se transforme vite en une prison sur l’eau où chaque couloir nous donne un sentiment de malaise. En parcourant les différents étages d’un tel navire, l’émerveillement des premières cases s’efface pour montrer que ce décor n’a rien d’enviable. Une cage où l’on a le sentiment de suffoquer tant tout semble étroit. Ce qui fait que là où dans les espaces ouverts, on se questionne sur le moment où le danger va apparaître, ici c’est surtout le refus de voir une menace faire son apparition. Dans l’esprit du lecteur, on se dit direct que le fait de se retrouver face-à-face avec le principal antagoniste de l’histoire signera la fin immédiatement, car les opportunités de fuite sont limitées. Progresser dans ces divers niveaux devient un calvaire qui nous laisse totalement partager la détresse de ces gens pris au piège. Chaque bruit résonne comme un signal annonciateur d’une conclusion tragique. Un croisement se change dans notre esprit en un carrefour maudit où un être malfaisant peut se cacher au prochain virage. 

Sans même que l’on soit en contact direct avec l’ennemi, la peur nous ronge de l’intérieur au même titre que les personnages. Encore plus vrai quand on est conscient de ce qui se passe sur un tel bateau. Dans un autre registre, la première histoire du Molosse est une excellente représentation de ce que peut engendrer l’enfermement sur des personnes. S’il y a bien sûr l’aspect ésotérique et occulte propre à l’univers de Lovecraft, le fait d’être plongé dans un sous-marin va finir par rendre fou cet équipage qui en plus de ça commence à subir la malédiction de ces eaux. L’obscurité silencieuse et opaque des abysses est plus efficace que le visuel le plus terrifiant que l’on puisse voir. Une sensation d’être aspiré vers une destination dont il est impossible d’en revenir et qui nous serre progressivement le cœur. Les exemples de ce style sont nombreux et même quand on se retrouve dans un manga horrifique prenant place en plein cœur d’une ville, on peut se sentir comme écrasé par le danger ambiant. Si l’on prend une œuvre comme Denjin ou plus récemment Threat Zone, la société peut rapidement se transformer en un piège infernal. La technologie censée venir soulager le quotidien des gens devient un outil mortel entre les mains d’un tueur omniscient et dans la seconde, le simple fait de sortir peut devenir un terrible drame pour le héros. Cette approche est loin d’être inintéressante, car elle joue sur le fait de montrer que même dans un milieu que l’on pense sûr, le danger est en réalité présent partout. L’effervescence de la ville peut dissimuler un piège qui se referme sur nous et les personnages au centre du récit. L’artiste peut ainsi, à travers sa maîtrise du décor, nous faire passer d’un quotidien tout à fait lambda à un revirement où tout semble propice à nous asphyxier de peur.

Rien ne vaut un bon décor

Shibuya Hell - fuir - Manga Horror ShowA travers ce billet, je tenais absolument à parler du fait qu’un élément pouvant sembler normal au premier abord pouvait avoir une influence considérable sur notre manière d’apprécier une histoire. Dans le monde du manga horrifique, l’environnement où se passe l’intrigue peut facilement devenir un immense point fort quand celui-ci est travaillé de manière à faire ressurgir l’urgence de la situation. Cela est encore une fois valable dans toutes les formes de fiction. La période d’Halloween qui est entré dans l’imaginaire collectif comme une fête où tout le monde s’amuse devient un présage funeste quand Michael Myers débarque. La mer où les gens profitent d’une bonne baignade vire au rouge dans Les Dents de la Mer. Dans Resident Evil, le manoir Spencer est le lieu où les membres du S.T.A.R.S vont vivre l’enfer. Chaque zone réserve son lot de monstres et de zombies et l’on a alors qu’une envie qui est de quitter cet endroit. Pareil pour Shibuya Hell. Si les poissons rouges géants mangeurs d’humains sont terrifiants, c’est aussi parce que leur arrivée fait basculer Shibuya de quartier animé à une zone où la mort rôde à chaque instant. Toutes ces histoires ne sont pas uniquement marquantes par rapport au monstre ou au tueur qui se tient devant nous. Il y a tout un tas de facteurs qui entrent dans la formule et qui servent justement à faire d’une fiction horrifique classique à une expérience glaçante et inoubliable. Bien sûr, comme à chaque fois, on est tous plus ou moins sensible à certaines peurs et aussi à des lieux.

Certains ne vont pas broncher alors que des personnages courent à perdre haleine dans la forêt, mais se sentir oppressé dès l’instant où l’on passe dans une ambiance plus étouffante. C’est à chaque artiste de réussir à trouver ce qu’il souhaite exprimer à travers cette peinture qui lui sert de toile de fond. C’est ce qui est fascinant quand on se penche plus en détails sur un genre aussi riche que l’horreur. On a beau croire que celui-ci est régi par des codes vus et revus, il y a pourtant beaucoup de possibilités quand on prend du recul. Même deux œuvres qui semblent similaires peuvent se démarquer par les thèmes traités, la manière de les amener ou tout bonnement le lieu où tout va se dérouler. Voilà pourquoi j’aime ce style qui peut tellement jouer sur tous ces aspects pour atteindre son but. Si la peur est universelle, il existe une infinité de moyens de réveiller cette dernière. Cela nous laisse présager aussi toujours plus de sujets à traiter dans ce domaine et on a hâte de pouvoir frissonner un peu plus à travers tous ces univers. J’espère en tout cas que cette chronique vous aura plu et qu’elle vous aura donné envie d’approfondir votre intérêt pour ce qui se passe parfois en arrière-plan. Il arrive que la forme ait un impact sur le fond et il est toujours palpitant de voir ce que cela peut créer. N’hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous avez pensé de ce second numéro, mais aussi de votre décor favori dans un manga d’horreur.

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