Ikusa no Ko tome 1 et 2 : le récit d’un conquérant
Vous le savez si vous me suivez depuis longtemps, j’adore tout ce qui touche à l’Histoire et cela découle naturellement sur un grand attrait pour les mangas historiques. C’est encore plus vrai lorsque l’on aborde des périodes que j’adore étudier, car c’est souvent l’occasion d’en apprendre plus sur celles-ci tout en ayant un regard différent sur les récits de ces époques. C’est donc tout naturellement que quand Mangetsu annonce Ikusa no Ko, je ne tiens plus en place. Cette œuvre, qui nous conte la légende de Nobunaga Oda, est la dernière série en date de Tetsuo Hara et j’étais impatient de voir ce que son style pourrait apporter à cette figure importante du Japon. C’est maintenant chose faite avec l’arrivée des deux premiers volumes que j’ai rapidement dévoré. Il y a alors beaucoup de choses à dire en ressortant de cette lecture que cela soit sur l’impact au niveau des dessins que dans le traitement apporté à cet individu qui a fait trembler tout un pays. Une fresque historique qui est bien décidée à frapper un grand coup. L’heure est donc venue de remonter le temps pour suivre celui qui sera considéré comme un véritable démon.
Les débuts de Nobunaga
Ikusa no Ko, scénarisé par Seibô Kitahara et dessiné par Tetsuo Hara, nous fait suivre le récit de Nobunaga Oda. Alors qu’il était encore dans le ventre de sa mère, il pouvait entendre le fracas des batailles qui avaient lieu au loin. Un enfant né en plein cœur de la guerre et qui a grandi dans les bras de cette dernière. Il est la progéniture de ces conflits qui rongent le pays et il est destiné à embraser celui-ci à son tour. Son nom va résonner à travers les âges alors qu’il s’apprête à entamer une longue route pour écrire son nom dans les livres d’histoires. Mais avant tout ça, cet homme n’était même pas encore connu sous ce nom. Dans sa jeunesse, il était appelé Kippôshi et en faisait voir de toutes les couleurs à tout son entourage. Un véritable vaurien qui semblait impossible à arrêter et qui surtout donnait l’image d’un idiot impossible de pouvoir prendre la relève de son père à la tête du clan. Mais ce dernier ne s’inquiète absolument pas concernant l’avenir de son fils. Il le voit au fond de son regard, cette flamme qui l’a animé aussi tout au long de sa vie. En voyant cet enfant vagabonder d’un lieu à l’autre en compagnie de sa bande de garnements, il sait qu’il va bouleverser la manière de mener la guerre et qu’il laissera son empreinte sur la province d’Owari ainsi qu’au-delà de cette région. En plus de ça, Nobuhide sait parfaitement que le temps lui est compté pour son clan qui se retrouve pris entre de nombreux ennemis. Alors qu’il a été un chef de guerre redoutable, il sent que le vent tourne.
Après avoir connu une défaite particulièrement violente face à Dôsan, il se prépare à la tempête qui s’approche. En effet, ses troupes sont affaiblies et surtout leur pire opposant commence à poser son attention sur eux depuis l’Est. Il s’agit de Yoshimoto Imagawa, le nouveau régent du clan du même nom. Après tant d’années de querelles entre les deux forces et une période de flottement, les feux de la guerre se présentent de nouveau à la frontière. Tout semble indiquer qu’il cherche à reprendre le château que le père de Kippôshi a pris il y a de cela bien longtemps. Pour ne rien arranger à tout ça, il existe aussi de nombreuses dissensions entre les différentes branches du clan Oda. Conflit fratricide, vengeance et désir de conquête se réunissent dans la province d’Owari et risquent fort de l’amener à sa destruction. Mais il est aussi possible qu’un individu sorte du lot pour guider le vent d’une nouvelle ère sur ces terres. Alors que tous les regards se braquent sur les Oda et leur avenir, Nobuhide et ses plus proches conseillers gardent le sourire. Dans leur esprit, ils savent qu’ils peuvent compter sur la nouvelle génération guidée par celui que tout le monde prend pour un imbécile. Celui qui deviendra Nobunaga a beau ne pas connaître les défis qui l’attendent dans le futur, ses rêves se portent déjà vers l’avenir. Un futur où il changerait la face du Japon en utilisant tous les moyens à sa disposition. Voici la légende d’un vaurien qui allait faire trembler les plus grands chefs du pays.
Il est évident, si l’on connaît l’histoire de Nobunaga Oda, que l’on ne sera pas tant surpris par ce qui va nous être raconté étant donné que l’on va suivre sa légende. Cependant, là où Ikusa no Ko va attirer le regard, c’est dans la manière de nous exposer cette histoire et surtout comment va être amené tout ce qui a façonné le mythe de cet homme à travers le papier. Il faut dire que cette grande figure historique a inspiré bon nombre de récits. Malgré tout, cela n’empêche nullement aux grands artistes derrière ce manga de parvenir à capter notre attention notamment, dans un premier temps, concernant le traitement de ce jeune garçon promu à un avenir aussi éclatant que sanglant.
Jouer les idiots
Comme on a pu le dire un peu plus haut, Ikusa no Ko cherche à nous raconter l’histoire de Nobunaga Oda. Une figure mythique qui a nourri bien des récits. L’important n’est donc pas tant la finalité de ce destin bien connu qui a frappé cet homme que tout le récit qui a façonné sa légende. Voilà pourquoi il est très intéressant d’observer comment notre duo d’artistes va exposer ce passé. Bien sûr, il faut comprendre que tout ceci est romancé, mais sans pour autant dénaturer les faits historiques bien présentés tout au long de ces premiers tomes. Étant le protagoniste principal de ce manga, il est clair que Kippôshi est celui sur lequel se braquent tous les regards. Présenté comme un petit voyou préférant passer son temps en compagnie des gamins du peuple que d’être restreint à un cercle de nobles et de riches seigneurs, on apprécie très rapidement cette image qui lui est offerte. Si cela est bien sûr accentué, cela exprime à merveille la différence qu’il y a entre notre personnage principal et le reste de son environnement. C’est ce qui donne l’impression à ses ennemis qu’il est un idiot aimant plus traîner avec sa bande que d’apprendre réellement comment diriger. Mais c’est aussi ce qui fait tout le charme de ce jeune garçon qui est à part au sein de cette époque où tout est codifié. En le faisant devenir le chef d’une bande de vauriens, on souligne le fait qu’il marche en dehors des sentiers battus sans pour autant être inattentif à tout ce qui l’entoure.
C’est justement parce qu’il sait parfaitement ce qui se passe et le rôle qu’il peut jouer dans tout ça qu’il décide de le faire à sa manière. Un excellent élément scénaristique afin de symboliser cette innovation qui le caractérise au milieu d’un pays qui reste très ancré dans ses traditions et notamment en ce qui concerne l’art militaire. Ces deux premiers volumes sont donc la parfaite vitrine pour ce garçon qui semble n’être qu’un grain de sable sur ces terres en proie au chaos. Pourtant, alors que tout le monde juge sur son âge et sa personnalité atypique, on l’accompagne et l’on est happé par sa faculté à voir au-delà de ce que tout le monde regarde. Pour reprendre ses mots, chacun cherche à étendre son bras pour toucher sa cible et lui ne cesse jamais d’accroître sa portée sans même que les autres s’en rende compte. Derrière ses idioties et ses stratégies inédites pour l’époque se cache un individu bien conscient de ce qu’il fait. C’est donc génial de voir ce parti-pris qui colle autant à l’image que pouvait avoir cette célébrité historique tout en y amenant une forme assez unique. Une série qui a parfaitement su cerner ce surnom d’idiot d’Owari que l’on pouvait donner à Nobunaga Oda pour mieux baisser la garde de ses principaux rivaux. En tant que témoin privilégié, on est happé par ce contraste qui organise tout pour amener notre voyou vers sa première et plus importante victoire. Une excellente représentation de ce qui a permis à l’héritier du clan Oda d’écrire les pages de sa légende.
En dehors de tout ce qui touche à l’écriture du personnage principal, Ikusa no Ko va aussi se démarquer sur un point essentiel. Il s’agit tout bonnement du style qu’amène Tetsuo Hara dans cette légende. Le talent de cet incroyable mangaka s’exprime pleinement au travers de cette lecture où son sens du détail, mais aussi de l’action, va amener les diverses confrontations à un tout autre niveau. Si cette série se veut historique, elle va aussi avoir un côté très spectaculaire qui va nous en mettre plein les yeux alors même que Nobunaga n’est même pas encore totalement lancé sur le chemin de la conquête.
Un style explosif
Ce qui allait s’annoncer aussi très intéressant dans Ikusa no Ko était de voir comment le style si spécifique de Tetsuo Hara parviendrait à exprimer le récit de Nobunaga Oda. Il est clair, dès les premières cases, que l’on reconnaît immanquablement le design du mangaka. Mais ce qui est réellement important est de voir comment ce trait peut jouer un rôle important dans l’appréciation que l’on a de cette œuvre. En effet, là où on a l’habitude de le voir mettre en scène des personnages imposants et qui nous semblent si puissants, c’est tout le contraire ici qui se passe. On a toujours le droit à des individus qui semblent totalement disproportionnés et qui ont plus l’air de géants que d’êtres humains. Mais là où tout bascule, c’est que le protagoniste est un enfant qui évolue dans un monde peuplé de colosses. Cela prend à contrepied cette habitude où ce n’est pas la force première qui compte, mais bel et bien la ruse et la stratégie de ce vaurien. Il est captivant de voir cette opposition qui ne se joue donc pas uniquement au niveau de l’écriture, mais aussi dans le trait de cet artiste qui a su appuyer cette différence. On ne s’attend donc pas à des duels épiques où tout repose sur les arts martiaux ou bien la force brute, mais à des combats qui sont plus du domaine de l’intellect afin d’ébranler ces montagnes. C’est pour ça que l’on est autant séduit par les actions de Kippôshi qui est tel David contre Goliath. Cela n’est pas anodin étant donné l’impact que ça va avoir sur l’ensemble de notre épopée.
Nous sommes ici dans le récit d’un être qui, même s’il a des prouesses martiales, est avant tout un général ayant mené ses hommes à la victoire. De ce fait, le style du dessinateur va ici briller pour sublimer justement ce contraste entre l’ingéniosité du jeune homme et les muscles de ses opposants. Un parti-pris redoutable qui va même donner lieu à des scènes où Nobunaga sait très bien que le combat ne peut être gagné et préfère se retirer plutôt que de subir une déconvenue. Tout cela s’exprime aussi sur le fait qu’il n’est qu’un gamin qui fait face à des adultes. Toute la lecture se joue justement sur des oppositions qui sont renforcées par le dessin et la mise en scène. Nous ne sommes pas du côté d’un monstre de puissance, mais d’un être dont la fébrilité n’a d’égale que ses ambitions démesurées. D’ailleurs, on peut même dire que les deux artistes derrière le manga ont habilement su représenter ça pour que le fossé entre sa vision du monde et celle de son entourage se creuse un peu plus à chaque chapitre. Il est même fantastique de voir un personnage comme Nobuhide, personnage aussi charismatique qu’impressionnant, comprendre que derrière les agissements étranges de son fils se trouve en réalité une nouvelle manière de préparer l’ère à venir. Un manga qui ne cesse jamais de jouer sur ces diverses oppositions et qui le fait remarquablement bien à chaque occasion qui se présente. Même en sachant ce qu’il adviendra de ce protagoniste, on est déjà captivé de voir comment il arrivera jusqu’à ce final flamboyant.
Ikusa no Ko a su, avec ses deux premiers volumes, nous donner le sentiment d’assister à quelque chose de grandiose. On a beau être encore que dans l’enfance de Nobunaga, cela suffit déjà amplement à nous faire vivre tout un tas de péripéties et surtout d’admirer le chemin qu’il parcourt au fil du temps. Un individu dont le duo derrière l’œuvre a parfaitement su retranscrire cette aura qui lui colle à la peau. On est happé par les décisions de ce dernier, mais aussi par cette ambition dévorante qui se lit dans son regard. Une grande épopée qui vient à peine de débuter.
Ikusa no Ko amène sa version d’Oda
On pourrait croire au premier abord qu’Ikusa no Ko est un manga qui se veut simplement historique tout en étant romancé avec pour style graphique celui de Tetsuo Hara. Cependant, cela serait passé à côté de tout ce que propose ce récit en matière d’interprétation et d’écriture de ses personnages et surtout de cette thématique entourant le conflit des générations. Alors que l’on nous montre tout au long de ces pages que l’on semble coincé dans une boucle infernale de batailles ne laissant que peu de chance à une possible réelle issue, Nobunaga Oda incarne un changement dans le conflit. Il a beau ne pas être directement impliqué, pour l’instant, dans les enjeux politiques de son clan, on voit ce qu’il manigance de son côté. De même, l’excellente utilisation de cette forte personnalité qu’il a et qui en fait, aux yeux de certains, un idiot est un outil formidable entre les mains de nos deux auteurs. Ils font de cette attitude la plus puissante des armes entre les mains de ce garçon qui sait pertinemment où il se dirige malgré les moqueries et autres rumeurs à son sujet. Bien moins verbeux que certaines des autres séries de Tetsuo Hara, le titre n’est pourtant en rien moins enrichissant et efficace. Au contraire, beaucoup de choses s’expriment avec brio par le dessin et on peut même constater que le simple écart entre la carrure du jeune homme et celle de ses ennemis est déjà un symbole fort du combat qu’il doit mener. Voilà une fresque historique captivante et spectaculaire ayant réussi à nous offrir sa propre interprétation de la jeunesse de Kippôshi.
En tant que grand amateur de récit historique, il était évident que j’attendais énormément de ce titre même si je me doutais fortement que l’on serait sur une narration bien différente de ce que l’on peut connaître dans le genre. Cependant, j’ai été conquis autant par le traitement que reçoit la figure de Nobunaga Oda dans Ikusa no Ko que tout ce qui est amené sur le plan visuel. Des idées et des thèmes intéressants qui collent habilement à toute la symbolique que pouvait avoir ce daimyô de renom tout en prenant le temps de nous montrer comment il est parvenu à faire perdurer son nom à travers les siècles. Sans oublier bien sûr que le manga arrive aussi à avoir cette dimension épique qui rend le spectacle aussi fluide que divertissant. Là où l’on peut avoir des séries qui vont grandement s’attarder sur la véracité des informations de l’époque tout en se voulant instructifs, ici il y a une volonté d’amener une vision à la fois unique et correspondant d’une certaine façon à cette image qu’a laissé ce personnage. Si vous êtes fan de ce type de lecture ou que vous souhaitez découvrir une autre utilisation pertinente du style graphique de Tetsuo Hara alors vous aimerez sûrement cette saga. Evidemment, on ne peut s’empêcher d’avoir beaucoup de questions concernant le traitement futur de ce protagoniste si emblématique. Est-ce que l’on va prolonger cette opposition entre ce que symbolise Nobunaga et ce Japon renfermé sur lui-même ? Comment va se passer cette fameuse transition qui fera de ce vaurien attachant un seigneur craint de tous ? Est-ce que l’on aura le droit à des approches uniques concernant les autres grandes figures qui vont graviter autour de notre personnage central ? Je suis impatient de connaître la suite.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ces deux premiers volumes d’Ikusa no Ko. Avez-vous été happé par le dessin de Tetsuo Hara et trouvez-vous que son style colle parfaitement à la légende de Nobunaga ? Etes-vous curieux de voir comment va être interprétée l’histoire de cet homme qui a secoué le Japon tout au long de ses conquêtes ? Est-ce que le début de cette licence a su vous convaincre concernant le développement des personnages, mais aussi l’aspect historique propre à celle-ci ? Qu’attendez-vous pour la suite de la licence ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.
Intéressant tout ça.
J’avoue que ce manga historique m’intrigue aussi énormément. Nobunaga étant l’une des figures du passé que j’apprécie le plus pour ce qu’il a apporté pour son pays.
J’attends de pouvoir justement mettre la main sur les deux premiers tomes afin de me faire ma propre idée car ce qui est toujours appréciable dans ce genre d’oeuvre c’est de pouvoir observer la touche personnelle de l’auteur avec les écrits officiels afin de comparer un peu chaque vision.
De plus, Tetsuo Hara n’en était pas à son premier manga sur le Sengoku Jidai donc je suis curieux de voir l’avancée de cet ouvrage (et aussi s’il a été capable de nous faire des petits clins d’oeil potentiels à son interprétation de Keiji !)
En tout cas, le départ du récit de ce conquérant me conforte dans l’optique d’acquérir les 2 premiers tomes ^^
Je suis content que la série t’intéresse et il y a une très intéressante appropriation de la légende de Nobunaga Oda qui est ici traitée avec la brutalité, mais aussi l’élégance dont peut faire preuve Tetsuo Hara.