Bosse ou crève tome 1 et 2 : une critique aussi importante qu’haletante
On a pu déjà le voir par le passé, le manga peut être un formidable medium pour parler de sujets de société. Cela peut être une critique à l’égard de tout un système ou le traitement de thématiques importantes faisant partie de notre quotidien. Si l’on peut souvent voir cela comme un reflet de ce qui se passe au Japon, il y a aussi une résonance qui peut se faire jusqu’à chez nous au vu de cette mondialisation qui s’opère partout. C’est pourquoi j’étais très curieux de voir ce que pourrait donner la dernière licence en date de naBan : “Bosse ou crève”. Un titre assez explicite sur ce qui nous attend et qui débarque directement avec ses deux premiers volumes. Si j’avais été interpellé par ce manga dès son annonce chez l’éditeur, je me demandais bien comment allait être amené cette thématique du travail. Un sujet qui peut se montrer souvent sensible, autant au Japon que dans le reste du monde notamment par rapport au contexte que l’on peut connaître. J’ai pu découvrir une histoire qui arrive autant à nous amener des pistes intéressantes autour de ses divers thèmes qu’une épopée pouvant être haletante dans le destin de ses protagonistes. L’heure est venue d’assister au reconditionnement éprouvant de certains individus considérés comme peu productifs.
La déchéance d’un homme
Bosse ou crève, scénarisé par Atsushi Kamakura et Akira Rei, nous plonge dans un Japon contemporain où de nouvelles règles sont en vigueur. En effet, si une personne n’a pas travaillé depuis six mois et qu’elle ne possède pas un revenu considéré comme suffisant sur lui, ce dernier est considéré comme une charge pour la société. C’est dans ces moments-là qu’une brigade arrive pour arrêter ces individus et les emmener pour un programme de réhabilitation tenu secret. D’après le gouvernement, cela leur permet de mieux se réinsérer sur le marché du travail et surtout d’être plus actif au sein d’une entreprise. Pour les gens ordinaires, de nombreuses rumeurs circulent au sujet de ceux qui reviennent de ce programme. Il est dit qu’ils subissent un lavage de cerveau et que toutes leurs pensées ne sont plus tournées que vers l’efficacité et la réussite. Pour beaucoup, cela va à l’encontre de la morale et il y eu beaucoup de résistance au lancement de cette nouvelle loi. Cependant, la réussite de ceux qui en revenaient et le fait que cela finisse par arranger l’économie du pays a fini par calmer les ardeurs du plus grand nombre. Ce qui est sûr, c’est que personne ne souhaite voir débarquer cette unité chez soi et cela pousse donc aussi la population à redoubler d’intensité de peur de devenir une autre victime. C’est dans ce contexte que l’on fait la connaissance de Tatsuya, un jeune homme brillant qui a toujours tout fait pour réussir ce qu’il entreprend.
Bien considéré dans son entreprise et ayant une copine adorable, tout semble aller pour le mieux dans sa vie. Mais ce bonheur fut finalement de courte durée quand il est renvoyé du jour au lendemain. Une succession d’événements va alors mettre un frein à son avenir et même à ses possibilités de trouver un autre travail. Ayant tout perdu, il finit par avoir la fameuse visite pour l’emmener en réhabilitation. Mais il ne parle pas cette fois de reprogrammation comme pour la majorité des gens, mais de travaux forcés. Ne pouvant rien faire face à cette situation, il se retrouve alors embarqué en direction d’un camp qui n’a absolument rien à voir avec tout ce qu’il avait pu entendre. Ressemblant autant à une prison qu’à un centre militaire, le voilà devenu un simple numéro pour les matons qui sont au-dessus de lui. Il va alors connaître des traitements aussi humiliants que brutaux pendant toute la durée de son séjour. Au fond de lui, il se demande bien quelle est la vraie raison de sa présence en ces lieux ainsi que de ceux qui font partie de son groupe. Il se passe des choses louches au sein de cet endroit et il se pourrait bien que son futur soit encore bien plus sombre qu’il ne pouvait l’imaginer. Il n’a plus qu’une solution, travailler ou mourir de la main de ces gardiens. Mais au plus profond de lui, il n’a pas totalement perdu espoir. Il veut croire en une possibilité de quitter tout ça et surtout de comprendre ce qui a bien pu se passer pour que sa vie devienne un enfer.
Rien que par son synopsis, Bosse ou crève nous donne le ton de ce qui nous attend tout au long de cette première partie. Cependant, si tout semble nous indiquer que l’on va traiter avant tout des sujets bien implantés dans ce résumé, le manga va aussi faire preuve d’une autre facette très tournée vers le spectacle par un objectif captivant. On va alors être emporté dans une course contre la montre pour que les protagonistes puissent échapper à un destin tragique tout en essayant de regagner ce qui leur reste de liberté. Une lecture qui va se vouloir à la fois prenante sur le plan humain que pertinente dans ses propos tenus.
Une prison aux multiples facettes
Pour bien cerner ce que peuvent donner ces deux premiers tomes de Bosse ou crève, il faut s’attarder sur les deux principaux éléments régissant cette histoire. En premier, il y a bien sûr cette envie de parler de tout ce qui tourne autour du travail et de ce que cela implique dans une société proche de la nôtre où l’on est grandement jugé par rapport à ce que l’on peut produire. Il ne faut pas longtemps à la série pour que l’on soit témoin du traitement subi par ceux qui ne suivent pas la norme. Si, dans un sens, on veut nous montrer l’importance de posséder un job, ici tout est amené à l’extrême afin de souligner le côté néfaste d’une telle société. Quand on lit ces chapitres, on remarque que tout tourne autour de cette notion de boulot sans qu’il n’y ait le moindre instant d’évasion, de joie ou de bonheur. On nous décrit tout bonnement un monde où la vie se résume à travailler et à contribuer à l’essor du pays en se donnant corps et âme pour son métier. On comprend que tout ceci est poussé à l’excès afin de justement souligner à quel point c’est la société qui cloisonne les gens et les pousse à rentrer dans le moule sous peine de devoir appliquer cette transformation elle-même. Cela amène ainsi de multiples réflexions sur la notion de liberté, de droit, et même de condition humaine où les individus ne sont plus vus comme des entités à part entière, mais comme les rouages d’une immense machine servant à faire plus de profits. Bien évidemment, on nous présente aussi des cas qui sont là pour chambouler notre regard avec des gens qui ne cherchent pas à faire ses efforts et préfèrent rester reclus chez eux.
Mais c’est là aussi où le titre va se montrer pertinent. Il veut aussi nous montrer que beaucoup de ces gens ne sont pas dans cette situation de leur plein gré. De multiples facteurs entrent en ligne de compte et peuvent influencer la réussite ou non d’une personne sur le marché du travail. On veut ainsi nous faire prendre du recul sur toutes ces âmes esseulées qui sont broyées par un système qui les pousse à être en constante compétition avec les autres et à ne penser à rien d’autre qu’à être rentable. Si le traitement de ces diverses thématiques, à la fois humaines et sociétales, est soigné dans leur écriture, un autre élément va venir nous étonner. Il s’agit de ce qui va graviter autour de notre protagoniste dès lors qu’il arrive dans ce fameux camp. Si ce lieu va être l’occasion d’approfondir certains des thèmes du manga, il va aussi permettre au manga de prendre une dimension bien plus intense et spectaculaire. On bascule alors dans une sorte de résistance de l’ombre pour ne pas succomber à ces effroyables traitements subis. L’histoire se recentre sur le destin de quelques personnages et surtout leur tentative pour ne pas être broyé par ces gardiens qui veulent les amener vers leur propre monde. Rebondissements, course contre la montre, tension grandissante et bien d’autres éléments viennent constituer un ensemble qui nous prend aux tripes. On enchaîne les pages en se demandant s’il est réellement possible d’échapper à un avenir dicté par une force pouvant dépasser l’entendement.
Bosse ou crève se présente donc comme une œuvre jouant habilement sur deux tableaux bien distincts et pourtant si complémentaires. A travers le périple de nos protagonistes, on va nous présenter à quel point cette société basée sur le travail peut aussi être destructrice pour ceux qui souffrent ou n’ont pas forcément les moyens de répondre à de telles attentes. Une critique captivante et surtout prometteuse sur ce qu’elle peut nous raconter sur les prochains tomes. Affichant déjà pas mal de rebondissements, on se demande alors comment tout cela va bien finir.
Bosse ou crève réussit à nous tenir en haleine
Nous sommes donc face à une série qui arrive à atteindre ses objectifs tout en nous proposant une histoire plus que saisissante. Les diverses parties qui viennent enrichir l’écriture de cette critique de la société sont à la fois soignées et réfléchies pour que l’on soit nous même poussés à la réflexion. Cela nous amène à être pleinement impliqués dans ce qui se passe en faisant le parallèle avec ce que l’on peut connaître au quotidien dans un monde qui se veut de plus en plus tourné vers la productivité que sur l’humain. En faisant ça, on va ensuite être totalement emporté par cette quête de liberté et de vérité de nos protagonistes cherchant à aller contre le sens que prend cet environnement. Ce qui est remarquable, c’est à quel point le scénario réussit à nous montrer le désarroi et le désespoir de ces gens à qui on retire toute forme de liberté et de libre-arbitre. Sans oublier aussi le dessin qui appuie très bien le côté presque pervers de cette société et de cette brigade qui semble prendre un malin plaisir à détruire ces esprits jugés “récalcitrants” pour en faire des gens dignes de ce nouveau monde. Mais même en essayant de nous présenter ces faux-semblants, le titre réussit à nous montrer l’envers du décor de ce système où certains succombent à la détresse et où d’autres ne deviennent plus que des marionnettes pour le profit du plus grand nombre. Une aventure qui aura su frapper un grand coup d’entrée de jeu et surtout proposer un mélange étonnant et plus que réussi comprenant une critique soignée du capitalisme et un divertissement de haute volée.
C’est donc, à mes yeux, une excellente réussite pour ces deux premiers tomes de Bosse ou crève. Si l’on savait un peu dans quoi on allait se lancer avec un tel titre, je ne m’attendais pas du tout à ce que la série puisse prendre une telle direction. Il est presque impossible de ne pas ressortir de cette lecture avec de nombreuses réflexions sur le monde qui nous entoure et notre propre place dans celui-ci. Cela est couplé à une intrigue qui va rapidement gagner en intensité et où la moindre erreur peut être fatale pour ces “prisonniers” ne désirant que retrouver un quotidien normal. Manipulations, sévices et autres formes de harcèlements vont nous être présentés tout au long de cette première partie afin de créer un profond sentiment de malaise autour de ce programme de réhabilitation. Cela ne va faire qu’accentuer notre désir de voir ces protagonistes réussir à échapper à tout ça. Une œuvre qui pourra autant plaire à ceux désirant une lecture engagée qu’une série réussissant à avoir une dimension spectaculaire. Il est évident que j’ai énormément de questions suite à cette découverte. Est-ce qu’il est seulement possible de changer ce système ? Que va-t-il advenir de nos protagonistes suite à tout ça ? Qu’elles vont être les conséquences des événements dont nous avons été témoins ici ? Est-ce que cette société va finir par broyer totalement ces individus voulant juste une existence normale ? Très curieux de connaître le prochain acte de tout ça.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ces deux premiers volumes de Bosse ou crève. Trouvez-vous que le titre réussit à parler de ces diverses problématiques liées au travail tout en gardant un aspect purement divertissant ? Est-ce que vous avez senti que ce manga parvenait à critiquer habilement une partie de la société ? Avez-vous été interpellé par tous ces personnages que l’on rencontre ? Ce titre a-t-il su vous parler rapidement tout au long de ce conditionnement terrible et particulièrement brutal ? Qu’attendez-vous pour la suite de la licence ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.