Portraits croisés : Oda & Keiji
Pour aujourd’hui, on va partir du côté de chez Mangetsu, mais pour une chronique un peu spéciale. En effet, on sait que l’éditeur a pu mettre en place une collection entière autour de Tetsuo Hara. L’artiste devenu célèbre avec Ken le survivant ou bien Soten no Ken se dévoile à nous au sein de ce catalogue à travers bien d’autres œuvres. Et c’est justement en m’attardant sur deux d’entre elles que m’est venue l’idée de cette chronique. Il s’agit d’Ikusa no Ko, se focalisant sur Nobunaga Oda, et Keiji qui s’attarde sur la figure historique du même nom. Comme vous le savez, j’apprécie énormément les récits historiques et plus je me penchais sur ces deux sagas et plus je me rendais compte d’un élément très intéressant. Si les deux personnages qui sont au cœur de ces histoires sont bien différents l’un de l’autre, ils ont pourtant un point commun qui rend leur développement d’autant plus fascinant. Voilà pourquoi je vous propose de nous attarder en ce jour sur ces deux êtres qui ont marqué l’Histoire du Japon et surtout la manière dont ils sont mis en scène dans leur manga respectif. Préparez-vous pour une rencontre au sommet avec ces deux géants de leur époque.
Oda, un jeune homme tourné vers l’avenir
On commence tout d’abord avec Ikusa no Ko et donc le personnage de Nobunaga Oda. Figure culte de l’histoire du Japon, il a été utilisé à de très nombreuses reprises dans des mangas, animes ou bien jeux vidéo. Un daimyo qui a laissé son empreinte à jamais sur son pays, mais aussi dans le monde. Mais ce qui est avant tout intéressant à noter, à travers le titre qui nous intéresse, c’est la manière dont il nous est présenté. S’attardant en premier sur sa jeunesse, on se rend rapidement compte que l’on a devant nous un être qui veut balayer les vieilles institutions de son foyer et se tourner vers le futur. C’est une facette du personnage bien connu des historiens et qui a grandement rythmé son parcours tout au long de sa vie. Nous sommes face à un jeune homme qui ne regarde nullement derrière lui, mais bien vers l’horizon. Son esprit se perd au loin comme pour nous montrer que tout ce qui l’entoure n’est qu’une simple étape vers un objectif bien plus grand. Mais surtout, il veut montrer qu’il est nécessaire, pour survivre, d’avancer et de s’adapter rapidement à ce qui se passe en dehors de leurs frontières. Voilà pourquoi on peut le voir sympathiser avec un étranger dans le manga. Il considère ceux venant d’autres pays comme une source intarissable d’informations sur ce qui se passe dans le monde et ainsi constater l’écart pouvant exister entre le Japon et les forces extérieures. Ainsi, en plus d’assister à son ascension au sein de ces terres, Oda se présente aussi comme une personne qui cherche à innover l’art de la guerre tout en introduisant une partie de la culture extérieure dans sa manière de développer ce qui l’entoure.
De ce fait, il est une personne qui va à contre-courant de tous ceux qui restent ancrés dans ces traditions qu’il considère comme désuet ou qui font stagner le pouvoir en place. Ainsi, si son désir de conquête se construit de façon progressive, ce qui symbolise avant tout ce futur seigneur et son envie de bousculer les fondements même de cette société japonaise. Une vision qui n’est pas au goût de tout le monde et qui pourtant se montre comme nécessaire pour ne pas être à la traîne tandis que d’autres ennemis pourraient apparaître de l’extérieur. Dans Ikusa no Ko, on ressent pleinement cette volonté de retranscrire cette avancée du personnage. Voilà pourquoi on le voit si intéressé par l’arrivée des mousquets, mais aussi dans la manière qu’il a de s’entourer. Quand on pose les yeux sur ceux qui le suivent, on n’a nullement le sentiment d’être devant des soldats aguerris et disciplinés comme on pourrait l’imaginer. Au contraire, ils sortent du lot par leur différence et c’est justement ça que met en avant celui qui leur sert de chef. Pour lui, le changement s’opère justement en remaniant totalement la façon de penser, de guerroyer et de diriger. Un homme qui veut avant tout construire l’avenir même si cela implique de balayer une partie de ce qui fait son pays. S’il y a bien sûr un côté romancé dans l’œuvre et que l’on se concentre avant tout sur les premiers pas de cet adolescent, il est important de voir à quel point cette approche de la géopolitique fait partie intégrante de celui-ci. Amenant déjà pas mal de chamboulements à son niveau, il prépare le terrain pour ce qui sera une route longue, éprouvante et sanglante dans le but de transformer à jamais l’archipel. Un garnement pris pour un idiot alors qu’en réalité, il est un futur souverain qui s’apprête à changer à tout jamais la face du Japon.
Keiji, la liberté du présent
Après avoir abordé Oda Nobunaga et son envie de se tourner vers l’avenir, il est maintenant temps de s’attarder sur ce cher Keiji. Autant le dire tout de suite, il est diamétralement différent du premier autant dans sa manière d’être que dans sa façon d’aborder le monde. N’ayant absolument aucune attache, nous voilà face à un kabuki-mono qui chérit avant tout sa liberté. Il ne faut pas longtemps dans le manga pour être témoin de ça avec notre protagoniste qui n’en fait qu’à sa tête. N’hésitant pas à humilier, taquiner ou bien se montrer impoli face à ceux qui servent d’autorité à ce pays, il montre ici son souhait de ne pas être bridé par d’autres gens. Cela ne veut pas dire qu’il se montre asocial ou qu’il n’a que faire de son rapport aux autres. En réalité, il est avant tout un guerrier qui préférera les gens qui vivent avant tout dans l’honneur et le respect de leurs principes que ceux qui s’accrochent désespérément à un peu de pouvoir. D’ailleurs, le pouvoir est synonyme pour lui de prison étant donné que le simple fait d’en avoir un petit peu signifie qu’il n’est plus possible d’être totalement libre. Cela concerne autant l’esprit que le corps et c’est pour ça que l’on a constamment ce sentiment que Keiji est un vagabond qui évolue en marge de la société. Il ne souhaite pas faire partie du jeu des puissants et préfère passer ses journées en compagnie des gens ordinaires. Ce personnage est le représentant même de l’importance d’apprécier le moment présent. Pour lui, rien n’a plus d’importance que ce qu’il vit à l’instant T et il n’a pas vraiment ce besoin de se projeter loin dans l’avenir pour être heureux.
Contrairement à un Nobunaga Oda, Keiji est tel un oiseau qui se contente simplement de savoir ce qu’il va bien pouvoir faire aujourd’hui, ce qu’il mangera et ce qu’il fera pour s’amuser. Dans un sens, il peut paraître être une personne changeante au vu de son mode de vie. Pourtant, s’il savoure avant tout son libre-arbitre, cela ne signifie pas pour autant qu’il est un homme faisant fi de ce qui l’entoure. Alors que cette époque est encore en proie à un certain chaos et à de nombreuses querelles, ce kabuki-mono va de sentier en sentier pour voir ce que chaque escale peut lui réserver comme surprise. Tandis que l’on ne cesse de lui rabattre les oreilles avec des notions comme l’obéissance, l’ambition ou bien la politique, ce géant ne jure que par la liberté, l’amitié et le respect de ceux qui vivent pleinement leur existence. Un être qui semble à part de toutes les considérations de ces seigneurs et qui est son seul maître. C’est justement captivant de voir la manière dont cela est représenté dans la série, car dans une époque aussi codifiée et aussi ancrée sur des principes ancestraux, Keiji fait figure d’électron libre que rien ne peut arrêter. Même en se moquant des hommes les plus puissants du pays, il parvient toujours à s’en sortir et à conserver cette existence qui est pour lui le plus beau des présents. Un guerrier qui choisit ses propres combats et surtout un être humain qui vit selon ses propres choix. Cela peut autant l’entraîner dans un important conflit pour ses amis que lutter seul contre des gens que personne n’oserait contredire. Nous suivons donc un personnage qui va à l’encontre de toutes ces vieilles coutumes ou codes pour suivre sa propre boussole morale qui se moque totalement du statut ou du rôle de celui qui se tient en face. Cela amène une familiarité réconfortante et chaleureuse dans une ère où tout le monde semble terrifié à l’idée de sortir des sentiers battus.
Deux êtres luttant contre le passé
Si je vous parle de ces deux personnages en particulier, c’est justement parce que même s’ils sont opposés sur beaucoup de choses, ils sont aussi unis par leur volonté de s’opposer à une société qui s’enlise dans certains codes qui ne font qu’obscurcir leur vision du monde. D’un côté, on a Nobunaga Oda qui représente le fait d’aller de l’avant et d’accepter le changement pour pouvoir l’emporter. De l’autre, on a Keiji Maeda le guerrier pour qui rien ne compte plus que l’instant présent. Deux figures iconiques qui veulent montrer l’importance de ne pas rester prisonnier du passé et de savoir autant savourer les petits plaisirs de la vie que de se tourner vers l’horizon dans l’espoir de s’épanouir. Ainsi, s’ils mènent chacun leur propre lutte, on ne peut s’empêcher de ressentir, à travers ces deux œuvres, cette envie de balayer une ère qui a fait son temps. On ne peut qu’être admiratif de ce jeune garçon qui veut que son bras puisse s’emparer de cet horizon lointain et changer le futur de sa patrie. Le lecteur se sent aussi proche de ce guerrier imposant qui ne tremble nullement à l’idée de remettre à leur place les seigneurs de ce pays. Deux facettes importantes qui dépassent le cadre du récit historique pour nous parler aussi d’éléments pertinents façonnant l’être humain. Si le passé est là pour nous aiguiller, nous enseigner ou nous empêcher de faire certaines erreurs, il faut aussi savoir s’arrêter un moment pour observer ce qui nous entoure avant de se remettre à marcher vers un chemin inconnu. Voilà en quoi je trouve captivant de faire un parallèle entre ces deux personnages importants de l’histoire japonaise qui ont leur propre vision du monde, mais qui passe forcément en rejetant une partie de ce que la société impose.
Ce qui est intéressant de voir, c’est à quel point deux personnalités totalement différentes peuvent pourtant amener une même réflexion, mais à travers leur propre point de vue. Des individus qui, aujourd’hui encore, vivent à travers toutes ces œuvres et qui ont su marquer, d’une manière ou d’une autre, leur ère. Que ce soit Oda ou bien Keiji, chacun d’entre eux à ses messages personnels à transmettre, mais aussi une manière de nous faire réfléchir sur la vie de manière générale. Ces mangas sont bien sûr une forme de divertissement avant tout. Cependant, ils peuvent aussi nous faire réfléchir sur bien des sujets captivants. On a réellement, par le biais de ces deux séries, le passé, le présent et le futur qui se confrontent. On pourrait même dire que ces histoires sont complémentaires dans ce traitement de ces trois temps qui ont tous un rôle à jouer. A travers ces pages, on observe un pays fier de ses traditions et de son système, mais qui n’ose pas regarder au-delà de ce qu’il connaît. On a le récit d’un kabuki-mono pour qui le plus beau cadeau est la liberté de choisir au jour le jour ce qu’il va faire de sa vie. Et pour finir, on a les ambitions d’un jeune garçon dont le regard porte vers un horizon que personne, à son époque, n’est encore capable d’imaginer. J’espère en tout cas que cette chronique un peu spéciale vous aura plu et surtout qu’elle vous aura donné envie de découvrir ces deux séries. N’hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous pensez de ce type d’article et aussi votre propre ressenti sur ces deux personnages.