Le bestiaire du manga : les ombres du manoir
Alors que l’on arrive déjà au douzième tome de Shadows House, j’étais en train de réfléchir à comment je pourrais parler de cette série, éditée chez Glénat, sous un autre angle. Et c’est là que je me suis dit qu’il était temps de réveiller un vieux rendez-vous qui n’avait pas eu le droit à un nouveau numéro depuis fort longtemps. Je parle bien sûr du “Bestiaire du manga” dont je vous avais déjà proposé quatre chroniques l’année dernière. Je peux donc vous dire officiellement que l’attente est terminée, car c’est l’heure du grand retour pour ces articles qui me tenaient beaucoup à cœur. Et vous l’aurez donc compris, aujourd’hui on ne va pas se focaliser sur nos protagonistes “marionnettes” et leurs partenaires. On va surtout poser un œil global sur ces êtres qui résident et gouvernent ce fameux manoir cachant bien des secrets. Si l’on est encore loin d’avoir toutes les informations nécessaires autour de leurs origines, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas cerner une partie de leur personnalité. Il faut dire qu’ils symbolisent quelque chose de très fort au sein de ce manga. Préparez-vous donc à vous confronter à ces entités qui sont loin d’être majoritairement des alliés.
Un premier contact entre inquiétude et questionnement
Dans Shadows House, imaginé par So-ma-to, toute l’intrigue va tourner autour des étranges habitants de ce manoir perdu au milieu de nulle part. Des êtres dont on va rapidement faire la connaissance par le biais de notre tandem principal comprenant l’une de leur représentante. Et ce qui est intéressant à noter en premier lieu, c’est que tout est amené de manière à provoquer rapidement le contact avec eux. Sans même nous donner de réelles explications, nous voilà face à ces êtres au visage noirci par la suie et qui vivent entre eux accompagnés de leurs fameuses poupées vivantes. De ce fait, le lecteur est projeté dans un environnement qui lui est totalement inconnu en compagnie de personnes tout aussi mystérieuses. Cela va créer un premier ressenti assez spécifique en nous avec un mélange de crainte et d’attrait pour tout ce qui nous entoure. L’ignorance insuffle une certaine frayeur de ce que l’on pourrait découvrir, mais tout est pensé aussi pour que l’on ait pourtant envie d’explorer un peu plus ces sombres couloirs. En axant justement toute l’intrigue autour des habitants de ce manoir, l’artiste nous pousse à aller plus loin dans notre découverte des lieux. D’ailleurs, la majorité des premières ombres que l’on rencontre sont loin d’avoir des mauvaises intentions. Ils sont plus centrés sur leur objectif d’être choisis pour monter en grade au sein des divers pavillons. De ce fait, on va finalement s’acclimater petit à petit à ce que cette série veut nous présenter comme décor et les acteurs qui vont jouer devant cette toile de fond.
Et pourtant, plus on progresse dans l’intrigue et plus on se rend compte que So-ma-to maîtrise la manière dont il va créer le mythe autour des Shadows. Si l’on se prend d’amitié pour les quelques membres qui vont se différencier de la foule et chercher aussi à lever le voile sur ce qui passe, les autres habitants de cet endroit vont nous filer bien des frissons. C’est notamment le cas concernant ceux qui servent de supérieurs aux jeunes recrues. En effet, on ouvre les yeux à quel point ces entités sont autant source d’admiration que d’angoisse de la part de ces enfants qui cherchent à se démarquer. Alors que tout est réglé au millimètre près concernant leur existence, ce manoir qui nous paraissait si luxueux et grand au premier abord finit par se resserrer comme pour représenter une sorte de prison empêchant ces nouvelles pousses de se mettre à réfléchir sur toute cette routine. A cela va aussi s’ajouter le fait que certains d’entre eux vont faire étalage de facultés qui vont définitivement faire basculer le récit dans le fantastique où l’action est possible. Des capacités propres à chacun et qui peuvent autant se présenter comme des atouts pour les ambitions de certains que de terribles punitions pour d’autres. Une préparation qui va non seulement nous impliquer de plus en plus dans l’intrigue, mais aussi façonner la légende des propriétaires de cette bâtisse. Même parmi les ombres, tous ne sont pas égaux alors que les puissants voient les plus jeunes comme des pions sur leur échiquier.
Il est donc vrai que la première chose qui nous anime quand on fait la rencontre des ombres de Shadows House est plus de l’intérêt que de la peur. Cela est dû, en grande partie, au fait que certaines d’entre elles sont justement au cœur de l’histoire et donc servent de protagonistes. On se dit ainsi que l’on ne doit pas se méfier au point d’en devenir paranoïaque. Et pourtant, plus on progresse dans le récit et plus on va se rendre compte qu’il y a de quoi avoir peur. Même au sein de cette très grande “famille”, les conflits sont nombreux pour simplement atteindre certains objectifs.
Des êtres manipulant les leurs
Et là on entre dans la partie la plus importante des shadows qui dirigent ce lieu. Dans les premiers arcs du manga, on peut voir des choses étranges sans pour autant que l’on tombe directement dans l’horreur. On voit surtout des ombres qui cherchent à asseoir leur autorité sur les plus jeunes et à ainsi contribuer à leur propre désir d’ascension. Ils servent un peu d’obstacles à la progression de nos héros et ainsi ajouter du piment à l’histoire. Mais plus on progresse dans l’intrigue et plus on ouvre les yeux sur la noirceur qui existe en ce lieu. Toujours à l’abri dans leur aile dédiée, on aperçoit brièvement ceux qui servent de tête pensante à ce manoir et à ses habitants. Mettant à l’œuvre les directives de l’Aïeul, ils ne vont pas hésiter un seul instant à manigancer, jouer et se servir des ombres des castes inférieures. Alors que l’on nous montrait, à travers notre tandem principal, des valeurs de partage et d’entraide qui finissaient par avoir une influence sur leur entourage, on comprend que cela est plus une anomalie dans cette bâtisse où tous les coups sont permis. En fait, c’est une fois que l’on franchit un certain cap dans le scénario que c’est un tout autre regard que l’on porte sur l’ensemble de cet environnement. Là où on nous donnait le sentiment que le but à atteindre était de grimper les échelons de cette hiérarchie, c’est finalement tout l’inverse qui va se passer après plusieurs tomes. Si s’élever est synonyme de réussite dans cette “famille”, la réalité du monde extérieur est tout autre et c’est là que l’on comprend toute la mascarade qui embrume notre esprit depuis le début.
En réalité, tout le côté faste de ce manoir se transforme aux yeux de nos protagonistes en une terrifiante geôle où l’on cherche à briser le libre-arbitre dont ils pourraient faire preuve. On le voit à la perfection durant tout un arc narratif qui va être le premier gros pas pour déceler l’horreur qui se cache derrière tout ça. Et plus on déniche de nouveaux indices sur ce qui se passe et plus on prend conscience que tout ça n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux dans le but d’assurer l’autorité de ceux qui se tiennent au sommet de cette île. Et c’est justement ce qui est remarquable quand on se penche sur la mise en scène et la montée en puissance des membres de ce cercle très fermé qui restent entre eux. En faisant d’eux initialement un but à atteindre, on nous les montre comme un modèle à suivre et qui est appuyé par l’obéissance sans borne de l’ensemble des habitants de ce lieu. Mais plus nos héros, et de ce fait le lecteur, se défont de ces chaînes, et plus on entrevoit la noirceur qui se dégage de ce sommet. Des meneurs qui ont asservi tant de gens et qui se délectent de ce luxe qui les entoure. N’étant jamais aux premières loges pour se confronter directement à nos protagonistes, ils affichent une sorte d’aura qui les rend inquiétants et menaçants comme s’il était impossible de les atteindre. Ils sont ceux qui tirent les ficelles et dont la puissance pourrait être bien plus grande qu’on ne le croit. Ainsi, à travers ces quelques maîtres, l’artiste va créer une menace qui est bien réelle sans pour autant être directement là. L’angoisse en est encore plus forte, car il est impossible de contrer efficacement leurs assauts qui sont bien plus centrés sur la stratégie et la ruse.
Finalement, les ombres de Shadows House ne sont pas uniquement construites comme des héros ou bien une source de curiosité par le lecteur. Après ces premiers contacts prometteurs, la série va justement se jouer de nous pour que l’on puisse voir le vrai visage de certains au milieu de toute cette suie. Voilà des pensionnaires qui ont un plan bien précis et qui n’hésitent pas à commettre de terribles actes dans le seul but d’y parvenir. Ainsi, nous sommes face à des “monstres” dont l’angoisse n’apparaît qu’une fois que l’on a suffisamment enquêté sur les secrets de ce lieu.
Les sombres ambitions de ces ombres
Si j’ai choisi les ombres comme sujet de ce numéro du bestiaire, ce n’est pas pour rien. En effet, s’ils ont une apparence humanoïde et qu’ils sont au cœur de cette histoire, ils n’en restent pas moins des entités dépassant la compréhension humaine. Des êtres qui ont un but bien précis et qui n’ont aucun scrupule à se servir les uns les autres pour l’atteindre. Un contraste encore plus fort quand on observe le groupe composé de nos protagonistes contrairement à leur entourage. Des jeunes gens qui ne veulent plus des promesses qu’on leur fait miroiter, mais qui recherchent la vérité. Une quête qui va les amener à lever le voile sur les exactions de leurs semblables ainsi que sur le réel destin de ces “poupées vivantes”. On bascule ainsi progressivement dans une sorte d’horreur très spécifique et unique à cette série. Entre le mystère et l’angoisse, les têtes pensantes de ce manoir ainsi que leurs subalternes directs sont ceux qui détiennent toutes les clés dont on a besoin. Que ce soit pour connaître le fin mot de tout ça ou bien pour tout bonnement quitter cet enfer, tout passe par eux et on est à la fois impatient et inquiet de ce que pourra donner une confrontation future contre eux. Avec leur capacité à tromper, à se jouer de leurs semblables et leur acharnement à vouloir fusionner d’autres ombres et leur pantin, les Shadows ont clairement leur place au sein de ce bestiaire. Des ennemis redoutables qui sont encore très loin d’avoir dévoilé tout leur jeu et dont le plus grand danger n’est pas tant leur pouvoir que leur capacité à manipuler les gens pour les conduire là où ils veulent.
L’univers du manga regorge de monstres, créatures emblématiques et autres entités qui peuvent nous faire trembler ou bien, au contraire, nous fasciner. Il est alors, à mon sens, toujours intéressant de voir comment ces derniers peuvent influencer une lecture et surtout jouer sur notre manière d’appréhender une œuvre. De plus, ils peuvent être porteurs de bon nombre de messages, thématiques ou sens qui vont rendre leur évolution encore plus impactante aux yeux du lecteur. Les ombres de ce manoir ne sont pas uniquement des antagonistes qui semblent quasiment intouchables du haut de leur tour d’ivoire. Ce sont ceux qui ont façonné tout cet environnement dans lequel nos protagonistes se débattent pour enfin révéler la vérité. Une étrange et singulière “famille” où l’amour et les liens n’existent pas. Tout ce qui compte est la volonté d’un seul être dont on ne sait finalement rien et la cruauté dont peuvent faire preuve ceux qui constituent son entourage rapproché. Chaque nouveau pas que l’on fait vers notre quête de savoir est une avancée pour cerner toute la portée de leur cruauté et surtout prouver à quel point ils sont bouffi d’orgueil et n’ont que faire de ceux qui sont à la traîne tant qu’il y a une poignée d’élus pouvant leur servir. Ils sont les gardiens de cette prison dorée où l’humain n’est qu’un pantin entre leurs mains au même titre que ces jeunes ombres qui ne se souviennent de rien. J’espère en tout cas que cette chronique vous aura plu et qu’elle aura su mettre en lumière tout l’intérêt derrière ces personnages.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant les ombres de Shadows House. Trouvez-vous que ces entités arrivent autant à être envoûtantes que terrifiantes ? En dehors de nos protagonistes, est-ce que vous avez le sentiment que l’on peut difficilement faire confiance à ces êtres ? Etes-vous curieux de savoir quels sont les véritables objectifs de ceux qui se trouvent au sommet de cette bâtisse ? Pensez-vous que le manga continuera à trouver ce juste équilibre autour de ces personnages qui servent autant de protagonistes que d’antagonistes ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.