Crescent Moon, Dance With The Monster T1 : Le musée rouvre ses portes
Il y a quelques mangakas dont j’admire la capacité à nous surprendre quasiment à chaque ouvrage notamment par leur créativité débordante. Parmi eux, il y a un nom qui résonne fortement en moi pour tout ce qu’il a su proposer à travers ses ouvrages. Il s’agit de Kazuhito Fujita qui revient en force sur le devant de la scène au vu des séries éditées de l’auteur actuellement ou à venir. On ne compte plus le nombre de fois où cet artiste à su étonner son lectorat par ses histoires qui ne semblent n’avoir aucun semblable dans le monde pourtant riche du manga. Et parmi ses nombreux écrits, il y a une sorte de collection qui éveille bien des curiosités. Je parle ici du “Black Museum” qui est un regroupement de plusieurs séries plus ou moins longues ayant pour point commun ce fameux musée. Édité chez Ki-oon, j’avais déjà été conquis précédemment avec les titres liés à ce nom et quel joie de savoir qu’un nouvel ouvrage allait faire son apparition. Intitulé Crescent Moon, Dance With The Monster, ce premier tome va rapidement donner le ton de ce qui nous attend et nous montrer la capacité de cet auteur à se servir d’un nom bien connu pour nous emmener sur un terrain inconnu.
Une invitée de marque
Synopsis
Le Black Museum accueille une visiteuse de choix : Mary Shelley, autrice de l’acclamé Frankenstein ! Parmi les reliques de crimes célèbres rassemblées au cœur de ce lieu étrange, elle s’intéresse à une mystérieuse bottine rouge à talon retrouvée lors d’un bal royal en 1842, dont elle prétend connaître la propriétaire…
À cette époque, Mary Shelley vit dans le besoin, malgré le succès critique de son roman. Veuve et mère, elle se démène pour payer l’éducation de son fils. Alors, quand son riche beau-père lui demande d’aller le voir, lui qui s’est pourtant toujours opposé à son mariage, elle accepte à contrecœur, de peur de voir sa pension suspendue…
Mais, une fois sur place, Mary comprend qu’il l’a attirée là pour une entrevue secrète avec un capitaine de l’armée anglaise. Un an plus tôt, celui-ci a affronté sept combattantes de talent qui ont décimé son bataillon avant de disparaître… sauf une, tombée d’une falaise, dont le corps a été récupéré et ramené à la vie ! Une femme enveloppée de bandelettes cachant ses horribles cicatrices et chaussée de bottines rouges à talons apparaît alors devant les yeux effarés de l’autrice… Cette dernière se voit confier une mission : la rendre présentable pour un bal très spécial donné par la reine Victoria dans quatre mois. Car qui de mieux que l’inventrice de Frankenstein pour amadouer cette créature ?
Mangaka : Kazuhiro Fujita
Quand on se penche sur le synopsis de Crescent Moon, Dance With The Monster ou que l’on est habitué à la saga “Black Museum”, on comprend vite où l’auteur veut en venir initialement. En utilisant une figure aussi forte et marquante que Mary Shelley, il va nous emmener en territoire connu au vu de sa célébrité et du célèbre roman qui a fait connaître son nom. Cependant, il ne s’agit pas ici de nous attarder sur le parcours de cette jeune femme l’ayant amené à créer ce best-seller. Il s’agit ici de l’amener en tant que narratrice pour découvrir une toute nouvelle histoire ayant beaucoup de similitudes avec sa fiction.
Une histoire pour changer la société
Quand on s’attarde en détail sur ce premier volume de Crescent Moon, Dance With The Monster, on se rend compte qu’il y a deux éléments bien distincts qui vont retenir notre attention. Tout d’abord, il y a le parallèle qui est fait entre l’œuvre imaginée par Mary Shelley qui relève de la fiction et ce qu’elle va nous raconter qui fait partie de sa réalité. On veut alors briser la frontière entre ces deux parties en faisant de la créature de Frankenstein une entité existante dans cet univers. Si le monstre qui nous est présenté est différent sur de nombreux aspects de son homologue réservé à la littérature, ils partagent tout de même plusieurs points communs. On nous conte ici avec brio la création d’un être qui n’a rien de naturel et qui a vu le jour uniquement à cause d’un homme cherchant à se rapprocher de Dieu. Ainsi, ce qui semblait n’être qu’un cauchemar réservé au papier prend vie devant nous et les yeux écarquillés de terreur de cette autrice légendaire. On va alors aborder le fait que cette nouvelle entité est jugée avant tout sur son apparence sans laisser la moindre place à la compréhension de ce qu’elle peut ressentir et surtout du malheur que ce doit être pour elle d’être dans cet état. Là où beaucoup ne voient en elle qu’une monstruosité dont ils peuvent se servir à leurs fins, le spectateur observe surtout une créature apeurée cherchant à se raccrocher à ce qui fut autrefois son mode de vie simple. Une représentation efficace qui nous fait comprendre que le monstre n’est pas forcément celui que certains pointent du doigt et que même derrière une apparence humaine peut se cacher une atrocité.
Si l’utilisation du mythe de Frankenstein est ingénieusement utilisée au sein de ces pages, il y a une autre facette importante qui vient s’ajouter à tout ça. Il s’agit du message porté par le manga et qui va souligner l’important combat mené par les femmes dans cette œuvre, cette époque et cette société. En effet, on se rend rapidement compte que derrière l’aspect “surnaturel” du titre se cache surtout une volonté de présenter la lutte constante de la gente féminine face à des hommes qui pensent qu’elle ne sont en rien leur égale. Ainsi, si nos premiers pas se concentrent énormément sur l’intrigue autour de la création de ce monstre, on va progressivement ouvrir les yeux sur ce que l’auteur souhaite réellement nous raconter à travers tout ça. On nous présente ici une époque où le patriarcat domine absolument tout et où les femmes sont conditionnées à de simples rôles décidés par les premiers. Si tout ça éveille bien sûr en nous un sentiment de colère, cela est voulu par le mangaka afin de justement appuyer le fait que le véritable ennemi ici n’est pas celui que l’on nous présente initialement. C’est toute une partie sombre de la société qui nous est présentée et qui peut tout à fait faire écho à ce que l’on peut connaître encore aujourd’hui. Plus le temps passe et plus on voit que ceux qui se pensent légitimes et supérieurs aux autres sont en réalité les véritables monstres de ce monde. Des êtres qui détruisent la vie de tous ceux qui ne font pas partie des leurs et qui n’hésitent pas à se servir des autres pour leurs propres ambitions.
Nous ne sommes donc pas uniquement face à un manga qui cherche à se servir d’une célèbre figure de la littérature pour nous divertir. Crescent Moon, Dance With The Monster est une œuvre qui veut aussi nous partager des propos cruciaux sur le rôle des femmes dans cette société où elles sont rabaissées plus bas que terre. Au contact de figures féminines fortes et de ce monstre cherchant à trouver sa place, l’auteur nous délivre non pas une fresque fantastique autour d’une créature terrifiante. Il nous conte la lutte de ces femmes pour simplement améliorer leur quotidien et être appréciées à leur juste valeur.
Crescent Moon nous offre une valse sanglante
Comme je pouvais m’y attendre, Kazuhiro Fujita nous délivre une fois de plus une œuvre très ingénieuse autant dans sa forme que dans son fond. Utilisant avec brio tout ce qui entoure Mary Shelley et ce qui a fait sa renommée, il donne naissance à une histoire inédite qui arrive à jongler entre appropriation du mythe de Frankenstein et réflexion sociétale. En plus de ça, le titre brille justement par sa narration qui alterne entre flash-back de l’autrice et moment présent plus léger. Sous forme de témoignage oral, on se retrouve à la même place que notre gestionnaire du musée qui écoute avec attention le récit de cette dame. On va ainsi aller d’une émotion à l’autre au fil de ses souvenirs en se demandant si tout ce qu’elle raconte est bien réel ou une autre création de son imagination. Mais le plus important, c’est que l’on est totalement emporté par ce qui nous est présenté et l’on finit même par s’attacher à cette créature qui a fini dans ce triste état uniquement à cause de la main de quelques hommes avides d’asseoir leur puissance et leur savoir. Nous admirons toutes les femmes de cette œuvre qui se battent au quotidien pour montrer leurs capacités tandis que l’on est horrifié par le comportement effroyable de ces hommes qui n’ont pour seul réel exploit que de s’être montré plus monstrueux qu’un être fait d’amas de corps. En seulement un volume, Crescent Moon parvient donc à faire forte impression et à nous délivrer un premier acte retentissant.
C’est donc un énorme coup de cœur que j’ai eu pour ce nouvel arrêt au Black Museum et aux histoires qui y sont racontées. On est à la fois tiraillé entre l’envie de connaître l’avenir de cette créature qui va à l’encontre de la moralité et le désir de la voir trouver sa place dans cet environnement qui ne voit pourtant en elle qu’un outil ou une arme. On décèle l’humanité qui se cache derrière ces bandages et qui fait que l’on peut autant apprécier cette fusion qui a donné vie à un être vivant bien plus sublime que la plupart des humains. Nous sommes face à une fresque qui met à l’honneur le désir d’un monstre de mener une vie tout bonnement banale. De même, le rôle de Mary Shelley peut aussi être prometteur par la suite en se demandant si elle parviendra à passer outre l’apparence de sa nouvelle connaissance pour l’aider à réaliser son rêve. Si vous appréciez le style du mangaka et que vous souhaitez une lecture à la fois captivante et pertinente dans ses propos, alors Crescent Moon, Dance With The Monster peut totalement vous convenir. Evidemment, j’ai plusieurs questions qui me viennent à l’esprit suite à cette découverte. Est-ce que le destin qui attend ce monstre sera tragique ou bien radieux ? Peut-elle encore espérer obtenir la paix qu’elle désire malgré son apparence ? Trouvera-t-elle des alliés pour la soutenir face au regard du monde qui n’est pas prêt à l’accepter ? Qu’est-ce qui l’attend après que sa tâche sera accomplie ? Il me tarde déjà d’avoir la suite entre les mains.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier tome de Crescent Moon, Dance With The Monster. Trouvez-vous que Kazuhiro Fujita parvient toujours à insuffler sa patte si spécifique à cette nouvelle histoire ? Avez-vous été emporté par le récit conté par cette célébrité et ce qu’elle laisse présager pour la suite ? Est-ce que le titre parvient, à vos yeux, à transmettre d’importants messages autour de la condition féminine de l’époque ? Trouvez-vous que cela résonne encore fortement aujourd’hui ? Qu’attendez-vous pour le futur de la licence ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.