Portrait d’un antagoniste : le combat de Shôgo Makishima
On le dit très souvent, mais on a toujours eu beaucoup d’intérêt pour les antagonistes dans les œuvres de fiction. Il est souvent pertinent d’analyser ces derniers afin de comprendre à quel point une série peut marquer les esprits. Chaque ennemi peut alors devenir une épreuve redoutable pour le héros qui doit alors se surpasser pour en venir à bout. C’est donc afin de mettre en avant ces êtres de l’ombre que l’on lance notre nouvelle chronique destinée à traiter d’un antagoniste à chaque fois. Afin d’inaugurer ce nouveau rendez-vous, on s’est longtemps demandé quel serait le personnage idéal à traiter. Il faut dire que les possibilités sont incroyables au vu de tous ces individus qui ont su s’inscrire dans l’esprit des spectateurs, joueurs ou lecteurs. On a finalement jeté notre dévolu sur l’un des rares méchants à être parvenu à ses fins. On parle ici de Shôgo Makishima, le principal adversaire dans la première saison de Psycho-Pass disponible sur ADN et dont le manga est chez Kana. Ce passionné de littérature a su se hisser parmi les grands monstres de l’animation et est même parvenu à tirer grandement la couverture pour lui lors de ses prestations. A noter que la chronique contiendra des spoilers afin de cerner au mieux tout l’intérêt de cet homme. L’heure est donc venue de voir pourquoi cet homme charismatique est parvenu à s’inscrire dans l’esprit des gens.
Le génie criminel
Tout d’abord, il faut remettre un peu le contexte concernant Psycho-Pass. On est plongé dans un Japon futuriste où existe un système intitulé “Sybille” qui a été imaginé afin de permettre aux citoyens de trouver le bonheur parfait. Suggérant les meilleures possibilités de carrière et s’insinuant dans tous les éléments de la vie courante, il est impossible d’échapper à ce contrôle désireux de créer une certaine utopie. D’ailleurs, ceux qui se détournent du droit chemin peuvent voir leur Psycho-Pass, une unité de mesure prenant la forme de diverses couleurs, s’assombrir. C’est donc à cet instant précis que les Exécuteurs interviennent en compagnie d’un de leur supérieur afin d’appréhender ou d’éliminer ceux qui s’apprêtent à sombrer dans la délinquance. C’est là que va finalement apparaître l’homme qui va faire chanceler tout ce système et ainsi bousculer l’existence des protagonistes. La première chose à noter est que Shôgo Makishima apparaît assez tard dans la série. Il est toujours dans l’ombre sans se mettre en avant et ainsi on ne mesure pas tout de suite la dangerosité de cet inconnu. Notre regard s’attarde en premier sur ces criminels qui semblent prendre de plus en plus d’essor au fil des épisodes. Un contraste bien étrange au vu de ce que le système est censé réguler. On ignore alors totalement à ce moment précis le rôle que joue ce garçon aux cheveux blancs et surtout l’impact qu’il va avoir par la suite. En fait, il est celui qui motive les autres à aller contre ce monde qui les prive de leur droit d’être la personne qu’ils sont vraiment. Comme il le dit très souvent, son unique objectif est de contempler la splendeur de l’âme humaine. Une phrase qui va avoir beaucoup de sens et sur laquelle on reviendra après.
La première impression que l’on a de lui est celle d’un homme qui reste dissimulé afin de manipuler son monde. Féru de littérature, il aime citer de grands noms afin d’accompagner ses propos. A l’image du célèbre prince du crime, il dégage une aura formidable qui nous procure des frissons alors même qu’il ne fait rien mise à part pousser les autres à commettre des meurtres. Cependant, son charisme incroyable est en réalité sa première arme dans sa lutte qu’il ne dévoilera que bien plus tard. Parvenant à modeler l’esprit des gens par de simples mots, il brille justement par cette intelligence lui permettant de permettre à ceux qui le souhaitent de s’opposer à ce système qui est loin d’être si bénéfique que ça. Cet individu est donc un excellent marionnettiste qui contemple de loin ou de près ceux qui embrassent sa cause. Trouvant une joie immense de voir ces personnes se débattre pour ne plus être enfermé dans ces cases, Shôgo Makishima va alors provoquer un déclic en nous. Par ses actes, ses propos et surtout sa manière de penser, il ne nous apparaît pas comme un simple anarchiste désireux de renverser le pouvoir en place. Son objectif s’en rapproche sans pour autant suivre cette route. Il suffira alors d’une scène précise pour que l’on voit autant toute sa cruauté, mais aussi la portée de ses actes. Un antagoniste cruel, manipulateur et rusé, mais dont le discours est loin d’être dénué de bon sens. C’est là qu’il est le plus effrayant, mais aussi le plus intéressant à analyser. C’est finalement suite à notre premier face-à-face avec lui que l’on va cerner toute l’écriture de ce personnage.
Une anomalie dans la matrice
C’est suite à une affaire sordide et qui va mettre les enquêteurs en difficulté qu’Akane Tsunemori va alors se retrouver devant Shôgo Makishima. C’est réellement la première confrontation entre les forces de l’ordre et ce criminel qui va présenter son plus grand atout. Alors que l’inspectrice met en joue son opposant qui tient en otage son ami, son arme ne peut tirer. En effet, celui-ci a un Psycho-Pass totalement neutre. Il dévoile alors qu’il est une erreur dans le système. Un homme qui ne peut être mesuré par Sybille et passe donc totalement inaperçu. On prend alors conscience à quel point Makishima est un ennemi redoutable dans ce monde où tout est contrôlé. En effet, cette particularité lui permet d’être totalement libre de ses mouvements et surtout de commettre n’importe quel crime sans avoir à s’inquiéter des répercussions. Un constat qu’il va rapidement prouver à son interlocutrice qui va ressortir profondément marquée de cette confrontation tout comme le spectateur. En plus d’être choqué par ce que l’on a pu observer, on sait maintenant à quel point cet individu est redoutable. Un homme qui n’a aucun scrupule à tuer si cela lui permet de se rapprocher de son objectif et surtout de montrer la futilité d’une telle société où le libre-arbitre n’existe plus. A partir de cet instant, l’ensemble du récit bascule totalement dans une autre phase étant donné que l’on connaît l’ennemi à abattre. Pourtant, quelque chose se passe en nous, mais aussi chez les agents que l’on suit. Toutes les actions menées par ce meurtrier vont semer le doute entre ce groupe et le système Sybille.
Il va donc y avoir deux enquêtes parallèles qui vont s’organiser et qui vont nous ouvrir les yeux sur ce que voit vraiment Shôgo. Alors qu’il a toujours pu passer sous les radars, il fut le meilleur témoin pour comprendre à quel point ce pays partait dans la mauvaise direction. Sous prétexte d’offrir la sécurité et surtout une vie parfaite sans le moindre problème, la population s’est retrouvée enfermée dans une cage dorée. Se tenant à l’extérieur de celle-ci, Shôgo Makishima ne peut accepter ça. Par rapport à ses idéaux, mais surtout à sa vision de la nature humaine, le combat qu’il mène n’est nullement contre la police, mais cette société entière. C’est là que réside toute la force de cet antagoniste qui se bat pour un but compréhensible et pouvant même paraître louable, mais qui le fait en suivant une route bien trop sombre. Pour lui, les autres criminels qu’il regroupe ne sont que des pions pour finalement faire chavirer ce monde et lui faire retrouver sa splendeur d’antan. Il est donc autant un amoureux de l’Homme qu’un être pouvant se montrer dénué de la moindre émotion. Un parallèle pouvant sembler étrange, mais qui est en réalité parfaitement compréhensible. A ses yeux, cette voie sanglante est l’unique moyen de faire bouger les choses et de tester la solidité du système. Un choix qui est pour lui la meilleure solution pour montrer l’inutilité de tout ça. Nous ne sommes donc pas face à un seul antagoniste, mais bel et bien deux. D’un côté, on a ce génie du crime dont on arrive à comprendre le combat sans pour autant accepter ses actes. De l’autre, on a Sybille qui souhaite se présenter comme bienveillante, mais qui est en réalité bien différente de ce que l’on imagine. Un processus intelligent qui ne souhaite pas perdre la mainmise qu’il a sur le commun des mortels.
La splendeur de l’âme des gens
En fait, chaque action que fait Shôgo Makishima a pour but de montrer à quel point tous ces gens sont devenus les esclaves de Sybille. Si Akane n’avait pas été dépendante de ce dernier, elle aurait peut-être pu l’empêcher de commettre l’irréparable. On a presque la sensation qu’il fait exprès de se présenter comme le grand méchant afin d’exacerber la haine de ses opposants qui va alors se rediriger vers ceux qui les enchaînent. D’ailleurs, on peut considérer cet homme comme le principal antagoniste de la saison 1, mais en réalité il se pourrait bien que l’ennemi à abattre ne soit pas lui, mais un adversaire qui s’est installé depuis bien longtemps. Ainsi, l’ensemble de la série va alors se transformer en une lutte constante concernant le bon chemin à prendre. Est-ce qu’il faut accepter le combat de Makishima ou bien se fier à cette autorité supérieure qui dicte tout ? Plus le temps passe et plus cette question va résonner dans notre tête, mais aussi dans celle des protagonistes allant même jusqu’à causer de nombreuses souffrances pour certains. Rien que le fait d’avoir semé le doute dans l’esprit des gens est déjà une victoire en soi pour cet homme de l’ombre que personne ne peut repérer. Mené par son amour de l’humanité, cet adversaire implacable semble même savoir jusqu’où le mènera sa quête même si on ignore pour notre part la conclusion de tout ça. Contrairement à certains antagonistes qui ne sont là que pour détruire ou obtenir plus de pouvoir, Shôgo Makishima n’a que faire de tout ça. Il souhaite détruire cette société, mais sans forcément le faire de ses mains.
Il veut faire prendre conscience aux gens de cet état proche de l’esclavage dans lequel ils se sont retrouvés. Pour en revenir à cette phrase qu’il aime tant dire, notre sujet du jour tient grandement à l’utiliser. Cela montre son intérêt de voir l’être humain sous sa vraie forme et non une vision distordue et formatée par une puissance supérieure. A ses yeux, il n’y a pas de plus beau présent que de voir un homme ou une femme décider par lui-même de la route à suivre. En brisant cette liberté sous prétexte d’un bonheur factice, Sybille s’est contenté de museler cette âme pour mieux contrôler les foules. Cependant, son approche est aussi extrême car pour lui, il faut tout simplement céder à ses pulsions qui peuvent nous assaillir. Psycho-Pass nous montre ainsi un conflit à plusieurs niveaux entre ces deux antagonistes qui sont diamétralement opposés. L’ordre face au chaos, l’emprisonnement face à la liberté et le libre-arbitre face à une pensée collective. Finalement, Makishima aurait très bien pu être le protagoniste de cette première saison tant son regard n’est pas porté vers la police, mais uniquement vers son but. De même, Akane et toute son équipe sont presque des témoins ou des marionnettes concernant leur relation avec cet individu. Ils sont censés être le bouclier de la paix, mais qui commence juste à se briser au vu des actes de leur cible. Shôgo brille alors aux yeux du spectateur qui voit un redoutable ennemi, porté par des principes qui sont loin d’être idiots dans le contexte du récit et qui se donne les moyens d’accomplir ce qu’il souhaite. Rien que par sa présence, celui-ci nous fait réfléchir sur la condition humaine, mais aussi sur ce qui fait que l’on est humain ou non.
Sa dualité avec Kogami
Il est impossible de parler de Makishima sans évoquer son opposition avec Kogami. L’exécuteur joue un immense rôle dans l’intérêt et l’appréciation que l’on a de sa némésis. On peut clairement désigner notre criminel par ce terme au vu du lien qui l’unit à l’ancien policier. Il est celui qui a condamné l’homme pétri de justice à devenir un simple chien obéissant aux ordres. N’ayant jamais pu mettre un visage sur ce tueur qu’il a tant recherché, Kogami ne va avoir de cesse de nourrir sa rancœur à l’égard de cet inconnu. C’est ainsi que son Psycho-Pass va se troubler et le conduire au statut qu’il a maintenant. Le fait que Shôgo puisse avoir une telle influence sur ce personnage que l’on a appris à apprécier renforce son charisme, mais aussi la menace qu’il représente selon nous. Cependant, quelque chose de bien plus important va ressortir dès lors qu’ils se retrouvent l’un contre l’autre. Ces deux entités, que tout semble opposer, sont en réalité bien plus proches qu’il n’y paraît. Si notre antagoniste suit avant tout ses désirs et souhaite changer ce monde, ses compétences n’ont rien à envier à son poursuivant. Que cela soit sur le plan physique ou intellectuel, on a presque l’impression de voir un homme et son reflet. Mais c’est surtout dans ce qu’il va découler de cette confrontation que l’on va rester ébahi par l’influence de ce monstre sur ce représentant de la loi. Comme dit précédemment, Makishima ne souhaite rien de plus que de voir les gens être comme ils sont réellement. En voyant Kogami, il comprend tout de suite qu’il est la pièce maîtresse qui lui manquait.
Après tout, c’est un ancien policier ayant été brisé et qui est même allé contre le système pour simplement arrêter celui derrière cet effroyable meurtre. Il a donc réussi à le faire vaciller il y a de ça plusieurs années avant qu’il ne soit à nouveau formaté par Sybille. Quand on prend conscience de ça, on ne peut qu’être épaté en comprenant qu’il a tout simplement suivi ce que souhaitait ce féru de littérature. Dès cet instant, il est devenu une marionnette entre les mains de cet incroyable manipulateur. Pour autant, il ne cherche pas à prendre le contrôle des gens, mais bien à leur faire regagner cette liberté perdue. En partant sur les traces de Shôgo Makishima, Kogami ouvre les yeux sur son impuissance s’il reste cantonné à ce poste. Il doit faire fi des règles établies pour assouvir sa vengeance et surtout empêcher d’autres de suivre les mêmes traces que lui. Dès le moment où il s’est mis à penser comme ça, son adversaire avait déjà gagné. C’est justement dans les derniers instants de cette saison que l’on comprend tout ce chemin parcouru qui était ce que souhaitait cet individu que rien ne semblait pouvoir arrêter. L’unique moyen de le stopper était justement de se défaire des chaînes de Sybille pour utiliser des méthodes allant à l’encontre de cette société conditionnée à obéir. Une liberté payée par le prix du sang, mais que Makishima est tout à fait prêt à accepter si cela lui permet de contempler la splendeur de l’âme humaine. On est donc à la fois effrayé par cette figure importante de l’œuvre que l’on est impressionné par le combat qu’il a mené. Un individu maléfique, mais qui exposait aussi les travers de ce pays qui abusait de ses concitoyens.
Shôgo Makishima aura atteint son objectif
Si l’on aime tant voir ce qui se cache derrière un antagoniste, c’est parce qu’il contribue énormément au plaisir que l’on a en découvrant une œuvre. Il est celui qui permet au protagoniste de se surpasser ou même d’entreprendre un périple qu’il n’aurait jamais pensé suivre. Il est donc crucial de réussir l’écriture d’un tel individu, car cela a un impact considérable sur l’ensemble d’une histoire. Shôgo Makishima fait clairement partie de cette liste des personnages fictifs qui nous ont totalement chamboulés. A la fois sinistre dans ce qu’il fait et troublant dans sa façon de penser, ce criminel s’incruste à merveille dans le contexte de base de Psycho-Pass. Tout ce qu’il entreprend n’a pour unique but que de nous montrer les défauts du système Sybille et surtout l’idiotie de vouloir se rattacher à un bonheur qui n’est pas écrit de nos propres mains. En fait, il est celui qui brise le masque de cette société soi-disant utopique, mais qui prend presque une tournure inverse. Une dystopie camouflée où chacun vit dans la peur de se voir accuser d’être un criminel dormant. Les fers que se trimballe chaque habitant aux poignets ne font alors que renforcer leur emprise jusqu’à ce qu’il n’y ait plus la moindre résistance de chacun. Il est bien sûr impossible de pardonner les gestes de Makishima qui n’a pas hésité à tuer et faire souffrir bon nombre de gens. Malgré tout, il est aussi celui qui a su dévoiler le véritable antagoniste. Voilà un personnage qui n’a jamais dévié de sa trajectoire même dans ses derniers instants.
Au contraire, sa conclusion était presque celle qu’il désirait au plus profond de son être. Il laisse alors derrière lui un héritage à la fois maudit et important à celui qui a appuyé sur la gâchette. On ressent alors une émotion que l’on n’aurait jamais imaginé ressentir à cet instant. Une certaine tristesse nous envahit non pas parce que Shôgo ne méritait pas son sort, mais parce que l’on venait de perdre une figure emblématique qui a su diriger de main de maître toute l’intrigue de cette saison. Chaque apparition de sa part, son ton calme et assuré, ses allusions littéraires ainsi que la réflexion philosophique qu’il amenait ont contribué à le hisser au statut de légende dans le monde de l’animation. Un méchant comme on n’en voit peu et pour qui on avait une sorte d’attachement étrange, car l’on ne pouvait choisir au sein de ce combat où les deux côtés avaient leurs bons et mauvais côtés. On espère donc que vous avez apprécié cette chronique où l’on dépeint cet individu aussi terrifiant que captivant. N’hésitez pas à nous dire en commentaires ce que vous pensez de lui, de ce rendez-vous et l’antagoniste que vous aimeriez bien voir comme prochain sujet. Il faut parfois s’attarder de l’autre côté de la barrière pour constater à quel point un titre peut être grandiose dans ce qu’il raconte. Psycho-Pass y est parfaitement arrivé avec Shôgo Makishima qui restera à jamais dans notre liste des grands méchants qui ont sublimé leur œuvre.