Butterfly Beast tome 1 et 2 : une lutte sanglante dans l’ombre
Ce qui est génial à travers le manga, c’est qu’un genre précis peut donner vie à des dizaines d’histoires différentes. Les récits historiques peuvent ainsi être utilisés de multiples manières afin de nous raconter l’existence des gens de l’époque, mais aussi s’attarder sur des éléments plus précis. Une variété qui fait la richesse de ce média et que l’on a pu constater une fois de plus il y a seulement quelques jours. En effet, c’est du côté de Mangetsu que l’on a pu poser les yeux sur une œuvre que l’on attendait beaucoup et qui nous fait voyager dans le temps. Il s’agit de Butterfly Beast dont les débuts ont aussi signé la fin étant donné que cette saga se compose de seulement deux tomes même si une suite a vu le jour. Nous amenant à une ère de changements pour l’archipel nippone, cette aventure nous met aux prises avec des shinobis qui ne peuvent accepter ce revirement dans leur vie. Cette lecture sera parvenue à nous offrir un divertissement pertinent autant dans le fond que dans la forme. Portée par une protagoniste bien plus complexe qu’il n’y paraît, cette virée fut enrichissante en de nombreux points. Il est donc grand temps de vous emmener au contact d’une femme dont le charme n’a d’égal que son talent au combat.
Une époque révolue pour les shinobis
Butterfly Beast, imaginée par Yuka Nagate, nous entraîne en 1635 au début de l’ère Edo. Après avoir connu une période de troubles où chaque province s’affrontait pour sa suprématie, un équilibre fut finalement trouvé grâce à Ieyasu Tokugawa. Ce dernier fut celui qui unifia enfin le Japon pour amener une paix encore loin d’être solide. Pour permettre d’accompagner son pays vers un horizon plus calme, de nombreuses décisions furent prises. Parmi elles se trouve le fait que les shinobis, ces guerriers de l’ombre dévoués à leur clan, soient forcés de tirer un trait sur cette vie faite de massacres. Entraînés depuis leur plus jeune âge à tuer, ces individus se retrouvent à devoir s’insérer dans cette société comme n’importe quelle personne lambda. Les houes ont remplacé les lames pour la majeure partie de ces hommes qui se sont rangés et ont fait de leur mieux pour suivre le mouvement. Une reconversion réussie pour certains qui profitent de leurs anciennes compétences pour devenir par exemple apothicaire. Malheureusement, là où une telle décision change drastiquement de nombreuses vies se trouve toujours des êtres qui ne peuvent accepter ça. Préférant mourir plutôt que de faire leurs adieux à leur ancien mode de vie, ces parias sont devenus pour la plupart des criminels ne pouvant trouver la quiétude que dans l’application de leurs compétences. Ainsi, derrière les sourires de la populace qui vaque tranquillement à ses occupations se cache une menace grandissante pouvant amener de nombreux troubles à ce nouveau gouvernement.
Pour pallier à ça et mettre un terme aux exactions de ces renégats, il fut décidé de combattre le feu par le feu. De ce fait, certains anciens shinobis et kunoichis ont été désignés pour traquer leurs semblables. Une chasse qui se déroule dans les coulisses de ce pays et qui ne peut conduire qu’à la mort de la proie ou du prédateur. Un conflit bien plus violent qu’il n’y paraît et qui a déjà fait de nombreuses victimes un peu partout dans le pays. Dans le quartier des plaisirs de la capitale, Ochô est une kunoichi qui dissimule son identité derrière son masque de courtisane. S’étant fait une rapide réputation, tout le monde connaît cette femme d’une grande beauté dont les services sont prisés de bon nombre de gens. Cependant, dès que la nuit tombe, elle abandonne les sourires et courbettes pour laisser exprimer qui elle est réellement. Assassin dans l’âme, elle est sans cesse mandatée pour faire taire ses congénères qui se sont égarés en chemin. Peu importe qu’ils s’agissent de ses anciens frères d’armes, car rien ne pourra la détourner de sa mission. Malgré les doutes qui l’assaillent ou le poids de ces vies qu’elle a arraché, son regard ne laisse transparaître aucune faiblesse. Ayant tissé sa toile depuis maintenant plusieurs années, elle ne laisse jamais personne se défaire de son emprise. L’un des atouts indéniables de ce renouveau du Japon qui ne peut tolérer ceux qui restent dans un passé où le sang se devait d’être versé. Mieux vaut alors ne pas traîner le soir sous peine de subir son courroux.
Derrière ce récit qui s’inscrit dans une période bien réelle, Butterfly Beast va parvenir à traiter de thématiques fortes et qui s’inscrivent habilement dans ce contexte historique. Une manière intelligente d’aborder la question du changement et du fait que celui-ci peut autant apporter une lueur d’espoir que plonger certaines personnes dans l’inquiétude. Un manga qui exprime avant tout sa force par l’écriture de ses personnages et notamment dans leur façon d’appréhender ce monde dont ils doivent accepter les nouvelles règles sous peine de finir par devenir la proie.
Une histoire portée par ses personnages
Comme dit un peu plus haut, Butterfly Beast est une œuvre qui repose en grande partie sur les gens que l’on va suivre ou qui vont croiser la route de Ochô. En fait, ils ne sont pas uniquement fascinants par leur écriture, mais aussi par la manière dont le contexte historique influence leurs choix. Il est vrai que l’on suit avant tout des tueurs et autres combattants ayant été élevés pour arracher des vies. Par ce postulat de base, on comprend rapidement qu’il ne va pas être question ici de situations joyeuses ou pouvant apporter un peu de lumière à ce monde. La mangaka souhaite justement que l’on partage la détresse, la haine et la peur qui peuvent assaillir ces anciens guerriers qui ne peuvent trouver leur place dans cette société de paix. Il y a un message très intéressant qui est véhiculé dès les premières minutes de l’œuvre et qui concerne ces décisions qui peuvent radicalement changer la vie d’un nombre incalculable de vies. Si l’on comprend tout à fait que le temps des conflits disparaît et que c’est une bonne chose que l’on découvre un gouvernement désireux de supprimer toutes possibilités de violence, il est aussi important de se mettre à la place de ceux qui font les frais de tels choix. Les shinobis ont beau évoluer dans l’ombre, ils furent des atouts de taille pour décrocher la victoire il n’y a pas si longtemps. Cependant, voilà qu’on leur demande de changer totalement de façon d’être sans quoi ils ne pourront s’intégrer sur ces terres qui n’ont plus besoin de guerriers.
Tout le récit que l’on nous propose ici est là pour justement nous faire comprendre à quel point il peut être compliqué de devoir tourner le dos à tout ce que l’on était pour suivre une autre route. Cela se ressent pleinement dans chaque personnage qui nous est présenté dans la série. Qu’il s’agisse des criminels que Ochô doit éliminer ou tout simplement d’elle, cette interrogation sur l’avenir des shinobis est sans cesse remise sur la table. La mangaka, en plus de vouloir inscrire son œuvre dans un contexte historique, souhaite nous montrer des êtres qui se questionnent sur leur avenir et surtout qui ne se sentent plus chez eux. Après avoir subi tellement de choses effroyables, un entraînement intense et une éducation stricte, ces hommes de l’ombre doivent tirer un trait sur tout ça. En seulement deux volumes, on ressent cette transformation qui les pousse à partir dans le banditisme ou autres activités illégales. Une écriture qui nous fait avoir presque une certaine empathie pour certains et notamment pour Ochô qui est condamnée à se salir les mains avec le sang de ses propres camarades. On ne peut alors que partager la douleur qu’elle cache au plus profond de son coeur et qui permet au lecteur d’entrevoir l’être humain derrière l’assassin. Une jeune femme qui fut conditionnée pour obéir, mais qui ne peut s’empêcher de réfléchir à tout ça. Ce manga est alors empreint d’une humanité troublante qui sublime l’expérience ressentie au contact de toutes ces cibles et de leur bourreau.
Butterfly Beast a beau n’être qu’une série en deux volumes, elle parvient tout de même à poser une atmosphère qui s’empare rapidement du lecteur. Ce dernier est à la fois happé par cette immersion historique que subjugué par le combat de cette femme pour accomplir ce cruel devoir. Chaque mission devient alors un autre poids se rajoutant à la charge déjà conséquente présente sur les épaules de notre kunoichi. On sent totalement cette assurance qu’elle affiche, mais qui est loin d’être absolue et va la conduire à de nombreuses réflexions sur sa place, mais aussi son rôle dans cette société.
Une ambiance saisissante
Si l’on s’est déjà attardé en détail sur les personnages, il faut maintenant se pencher sur l’atmosphère de la série qui est aussi un élément-clé de l’appréciation que l’on a pu avoir à l’égard de cette histoire. Tout d’abord, on est rapidement plongé dans cette période historique. Il ne faut pas longtemps pour que l’on soit happé par ce Japon féodal dont le manga en est une très belle représentation. On a le sentiment d’y être et de pouvoir observer le quotidien des gens de l’époque, mais ce n’est pas uniquement là-dessus que Butterfly Beast se démarque. En effet, si l’on est autant saisi par ce qui se déroule devant nos yeux, c’est parce que le manga montre un double visage ingénieux. Quand le jour est levé et que les rues sont en effervescences, l’histoire va prendre une tournure bien plus lente et douce. On s’attarde ainsi sur le ressenti des individus, mais aussi leur rôle au sein de ce monde qui oscille entre lumière et ténèbre. Ochô nous éblouit autant qu’elle nous captive par rapport à son statut de courtisane, mais aussi par la manière dont elle agit devant les autres. Tout cela contribue à nous donner une impression de chaleur représentant cette paix qui s’installe un peu partout. Une quiétude qui est préservée grâce aux combats que mènent ceux qui chassent les dévoyés. On aborde alors l’autre facette de l’œuvre qui va aller en totale opposition avec cette tranquillité apparente et renforcer l’emprise qu’a l’ambiance sur le lecteur.
On a beau nous présenter un quotidien banal et joyeux, il ne faut pas oublier que l’on voit ça à travers le regard d’Ochô. Elle sait très bien que cette paix est une chose qu’elle ne pourra jamais atteindre. Dès que l’obscurité prend le pas sur la lumière, on entre alors dans son autre existence où la mort est son outil de travail. La bienveillance et la chaleur laissent place à un froid glacial qui s’exprime à merveille par l’oppression que l’on ressent, mais aussi le changement de ton dans l’expression des visages. Le lecteur devient le témoin du conflit qui s’organise en coulisses et qui fait de nombreuses victimes dont le corps disparaît dès que l’aube arrive. Le calme et le silence de la ville ne sont brisés que par le bruit des lames qui s’entrechoquent et des râles d’agonie de ceux qui tombent sur cette kunoichi. Un récit qui nous fait constamment alterner entre ces deux univers et rend ainsi le contraste encore plus flagrant et prenant. L’atmosphère contribue énormément à nourrir le message principal de l’œuvre en montrant des personnages qui observent de loin le commun des mortels en jalousant cette normalité. Même si c’est pour maintenir la stabilité au sein du pays, Ochô sait pertinemment que cette voie l’empêchera à tout jamais de vivre comme le reste de la population. Une fresque historique qui a parfaitement mis en scène la déchéance de toute une partie de ces êtres de l’ombre dont le salut semble se trouver uniquement par le repos éternel.
En s’attardant sur Butterfly Beast, on a pu découvrir une petite épopée prenante et qui a su nous envoûter par son élégance, mais aussi nous marquer par l’enfer que vivent ces gens. Ils ont beau être des criminels ou des tueurs, ils sont avant tout des gens qui n’ont plus leur place dans ce monde et qui cherchent à se raccrocher à une ancienne gloire. Un décor qui est parfaitement utilisé pour que les propos tenus s’en retrouvent grandi. En accompagnant cette jeune femme dans ce quotidien teinté de rouge, on ouvre les yeux sur le calvaire qu’elle vit constamment, tiraillé entre son désir de vivre normalement et d’accomplir son devoir.
Butterfly Beast virevolte avec élégance
Nous n’avons clairement pas été déçus en nous lançant dans Butterfly Beast. En seulement deux volumes, la mangaka est parvenue à raconter une histoire qui transcende la simple confrontation entre renégats et chasseurs. C’est avant tout le récit de gens qui cherchent à lutter pour leur propre avenir dans un monde qui ne leur laisse pas tellement le choix. Même si on ne peut accepter ce qu’ils deviennent, on peut facilement comprendre les raisons de certains d’agir ainsi. Ne pouvant accepter le changement ou de simplement mettre un terme à un mode de vie qui les a guidés pendant si longtemps, ils décident d’aller à contre-courant de tous ces gens qui suivent les directives des puissants. Ce manga, en plus d’être un divertissement plus que réussi, est aussi une porte ouverte sur une facette de l’être humain qui ne peut accepter qu’on lui dicte ce qu’il doit faire après avoir été conditionné à autre chose. En dehors de tout ça, le trait de l’auteure est fabuleux et colle très bien au décor qui fut posé. Ochô est une jeune femme pour qui on a beaucoup de sympathie et d’empathie tant elle se retrouve coincée à un croisement important de son futur. Elle a beau se battre pour la paix et l’équilibre, au final elle reste cantonnée à son rôle de tueuse. Une jeune femme qui ne peut même plus espérer obtenir cette liberté qui se dresse devant ses yeux. Elle sait pertinemment qu’à travers ses actes, une vie banale ne sera jamais possible. Le souvenir de ses frères d’armes ne cessera jamais de la hanter jusqu’à ce qu’elle finisse par les rejoindre.
Butterfly Beast a facilement su nous parler à travers son envie de nous faire voyager dans le temps, mais surtout par la qualité de ses personnages et de son ambiance. Une œuvre qui peut sembler courte et proposant une fin assez ouverte du fait que la série a connu des changements au niveau de l’éditeur, mais qui s’inscrit dans cette volonté de jouer sur le chemin que prend chaque acteur de cette pièce. Qu’il s’agisse du dessin, de l’époque ou de l’écriture, chaque élément est habilement utilisé pour aiguiser cette lutte opposant deux camps qui autrefois n’en formaient qu’un. Une belle petite surprise qui saura faire plaisir aux amoureux d’Histoire, mais aussi à ceux désirant découvrir une aventure littéraire mettant l’accent sur le conflit interne de ces individus qui prennent vie devant nous. On ne peut évidemment pas se poser de questions par rapport à la suite pour le moment étant donné que l’on doit déjà faire nos adieux à Ochô et les autres shinobis. Cependant, on ne peut s’empêcher de repenser à tout ce que cette saga est parvenue à traiter en si peu de temps. La compassion, le doute et la peur du changement sont autant de messages qui nous sont transmis avec brio tout au long de notre avancée. Encore une preuve qu’un manga peut aussi aborder et développer des sujets importants et pertinents en seulement quelques chapitres. Qui sait, peut-être qu’un jour nous pourrons retrouver cette kunoichi qui avance sur un sentier encore plus terrifiant que son ancienne vie. Une existence où il lui faut briser tous les liens qu’elle a pu avoir autrefois.
N’hésitez pas à partager votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ces deux volumes de Butterfly Beast. Trouvez-vous que cette courte épopée se suffit à elle-même ? Avez-vous été pleinement impliqué dans le quotidien de cette kunoichi ? Avez-vous été pleinement plongé dans cette période importante où le Japon était en plein bouleversement ? Est-ce que cette chasseuse est-elle parvenue à éveiller en vous une certaine empathie à l’égard de ce qu’elle doit accomplir ? Arrivez-vous à imaginer la suite de son parcours dans cette ère où chacun tente de trouver sa place ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.