Manga Horror Show : la peur du réel
Un autre samedi d’octobre et donc un autre numéro du Manga Horror Show. Après la bonne réception que vous avez faite au premier article, on avait encore plus envie de vous proposer cette suite qui va aborder un autre sujet important de ce genre si spécifique. Alors que l’on a parlé précédemment des monstres et de la peur irrationnelle qu’ils peuvent créer en nous, c’est l’exact opposé que l’on va faire aujourd’hui. Cette fois, on va aborder ces récits qui réussissent à jouer sur des craintes bien réelles sans pour autant faire appel au moindre élément surnaturel dans leur construction. Parfois, la plus grande frayeur que l’on puisse avoir est celle que l’on sait qu’elle peut se concrétiser. Les mangakas adorent se nourrir de leurs propres peurs, mais aussi d’éléments terrifiants concrets pour créer leurs histoires. Cela donne naissance à des aventures qui nous happent rapidement si tant est que l’on soit sensible au principal moteur de tel récit. On plonge ainsi dans une spirale infernale en compagnie de personnages qui pourraient très bien être n’importe qui. Il est donc grand temps de s’armer de courage pour se lancer une fois de plus dans le frisson !
Quand l’effroi est palpable
Voilà sûrement le cœur de notre récit. Comme on l’a dit dans notre première chronique, on peut classer deux types de peur. Il y a celles qui font directement appel à notre inconscient et à notre crainte de l’inconnu pour instiller l’effroi en nous. La deuxième n’est autre que celle que l’on peut percevoir distinctement comme un danger pour nous, car on sait très bien ce que l’on risque. Cette situation peut alors servir de base à de nombreuses œuvres pour construire leur intrigue et surtout capter l’attention du lecteur. Il faut alors pour l’artiste réussir à trouver un juste équilibre entre l’angoisse que l’on peut éprouver et cette lugubre curiosité qui nous pousse à braver cette petite voix dans notre tête nous mettant en garde. Un constat bien plus compliqué à réaliser qu’on pourrait le croire et qui doit donc être mûrement réfléchi pour constituer un atout indéniable au manga que l’on s’apprête à découvrir. De ce fait, on part sur un tout autre schéma que ce que l’on peut avoir l’habitude de lire dans les récits autour de monstres ou créatures imaginaires. En effet, dans ce cas de figure on est rarement mis en contact direct avec le principal danger du scénario. On met donc un certain temps avant de se retrouver face à la menace et ceci sert souvent à ce que l’on s’acclimate à l’univers, mais surtout aux personnages. Ce dernier point est important, car la peur n’est jamais aussi forte que lorsque l’on peut facilement s’identifier aux protagonistes. Le fait de les créer les plus humains possibles rend leurs agissements encore plus plausibles et contribue à nourrir cette impression de réalisme dans le récit. C’est une fois que l’on a pu s’attacher à ces acteurs et actrices que l’on va enfin entrer dans le vif du sujet et ainsi pouvoir constater si la peur ressentie est efficace.
Comme dit un peu plus haut, il est question ici de nous plonger dans un contexte qui puisse résonner dans l’esprit du lecteur comme quelque chose de plausible. On va ainsi se retrouver plongé dans des contextes souvent banals et qui nous ramènent à notre propre condition pour que la transposition puisse se faire entre nous et cette fiction. C’est après avoir été bien immergé dans cet environnement que va arriver l’élément déclencheur qui va nous faire basculer dans un enfer se construisant au fur et à mesure de notre avancée. Là où les monstres viennent frapper un grand coup tout de suite pour instaurer le chaos, ces craintes palpables ne nous sautent pas directement au visage. Il faut du temps à l’œuvre pour justement apporter de la matière à ce danger qui va transformer un simple sentiment de malaise en une peur viscérale. Celle-ci peut alors prendre bien des formes et de visages en fonction de la série et de ce qu’elle souhaite aborder. On peut citer le cas de Johan dans Monster qui nous met en contact avec ce mal intense qui peut habiter n’importe qui ou bien Museum et cette peur de perdre des êtres chers conduisant même jusqu’à une forme de folie. C’est pour ça que ce type d’horreur n’est jamais entièrement dédié à ce style. Il va souvent se rattacher à d’autres genres et ainsi apporter une aventure complexe et jouant sur plusieurs émotions du lecteur. Une manière aussi de montrer que l’effroi peut aussi s’appuyer sur quelque chose de concret et ainsi créer une inquiétude différente de ces contes où le surnaturel prend le pas sur tout le reste. Cependant, pour réussir à nous happer toujours plus, une autre facette va entrer en ligne de compte. Il ne s’agit nul autre que de l’ambiance dans laquelle on est emporté.
Une question d’atmosphère
Voilà un sujet qui s’avère particulièrement important à aborder au vu de la pertinence que peut avoir l’atmosphère d’un titre sur l’expérience vécue. En effet, il arrive souvent que les mangakas vont travailler grandement sur cet environnement dans lequel on évolue afin que celui-ci s’empare un peu plus de nous au fil du périple. Un très bon exemple concernant ça est Gannibal, un thriller horrifique qui a rapidement su montrer toutes ses qualités. Dans ce manga, tout se façonne au fil de nos découvertes concernant le village de Kuge. On nous plonge dans un cadre presque idyllique au cœur des montagnes. Tout le monde semble agréable et la vie y est décrite comme pure et joyeuse. Rien ne semble alors pouvoir détruire cette impression de calme qui réconforte Daigo et le lecteur. Cependant, il suffit d’une phrase pour que le doute s’installe en nous et dans l’esprit du personnage principal. Dès cet instant, l’auteur va s’amuser à nous montrer un autre visage des habitants, mais de manière sporadique. Ainsi, tout semble aller pour le mieux et il suffit d’un regard de travers de la part d’un villageois pour que le malaise s’éveille. Instinctivement, notre esprit va alors se mettre à imaginer tout un tas de scénarios possibles et c’est aussi l’une des grandes forces de ce type de récit. On est directement impliqué dans le déroulé du scénario tant on est prisonnier de cette angoisse qui monte crescendo. C’est comme si Daigo disparaissait pour laisser sa place au lecteur qui se demande juste comment il se sortirait d’une telle situation. Ainsi, l’ambiance étouffante se forge progressivement jusqu’à ce que l’on ait l’impression de ne plus pouvoir respirer sous peine de subir le courroux qui attend ceux préférant s’enfuir. Une peur qui n’est donc pas immédiate, mais qui naît au fil des chapitres.
Vient alors une question très intéressante. Est-ce que la peur vient de la menace concrète qui se dessine devant nous ou bien du décor qui s’assombrit autour de nous ? A nos yeux, ces deux éléments sont complémentaires et peuvent tout à fait contribuer à nous faire ressentir une frayeur indescriptible. On peut même dire que c’est quand une œuvre parvient à allier tout ça qu’elle a parfaitement su réussir son pari en nous plongeant dans un abîme infernal dont on ne peut sortir qu’une fois la dernière page tournée. Il arrive même qu’un simple élément pouvant sembler banal se transforme en un signe annonciateur d’une terrible catastrophe et met ainsi tous nos sens en éveil. Museum en est un très bon exemple étant donné que le tueur que les policiers recherchent ne semble apparaître qu’en temps de pluie. Ainsi, la crainte va tout de suite naître dès l’instant où l’on voit le ciel se couvrir. Il a beau ne pas être là, on sait pertinemment que cela peut signifier qu’il n’est pas loin. On se met alors à retenir sa respiration de peur qu’il puisse surgir à tout instant pour accomplir sa basse besogne. Tout est alors complémentaire et transforme un récit classique en une histoire qui éveille un sentiment d’alerte constant et justifié. Tout nous paraît presque réel dans cette épopée que l’on entreprend. La peur que l’on éprouve devient un formidable moteur pour sublimer la menace, mais aussi nous pousser à aller de l’avant. On ne se dit plus forcément que l’on lit simplement un ouvrage, mais on vit en partie le calvaire vécu par les personnages qui se débattent au même titre que n’importe quel être humain. C’est pour ça que l’un des gros objectifs à atteindre pour les auteurs cherchant à créer ce sentiment d’effroi est de donner vie à des protagonistes qui nous ressemblent.
Réussir à s’identifier
On en parlait un peu plus haut, mais il est important dans les récits horrifiques de pouvoir s’identifier aisément aux personnages. Contrairement aux œuvres mettant en scène des monstres surréalistes où les héros font de leur mieux pour lutter contre eux, faire un récit terrifiant et réaliste implique d’autres contraintes. Tout d’abord, on ne doit jamais avoir le sentiment que le ou la protagoniste que l’on suit soit au-dessus des autres. On tient, à travers ce dernier, à nous ramener à notre condition de simple être humain qui a autant ses forces que ses faiblesses. C’est pour ça qu’on a souvent le droit dans ces fictions à des hommes et des femmes qui sont constamment en train de se confronter à leurs propres peurs. Ils doivent se montrer hésitants, inquiets, terrifiés, et même prêts parfois à fuir pour que l’on puisse aisément se transposer à leur place. C’est face à de tels individus que l’on va se poser une question très importante pour l’appréciation de cette expérience littéraire. Il s’agit de savoir ce que l’on ferait dans un tel moment de panique ou face à un danger que l’on perçoit comme particulièrement risqué. Si l’on finit souvent par devoir être confronté à cet opposant ou cet élément effrayant, on ne doit jamais oublier que l’on a devant nous quelqu’un de banal qui n’est pas sûr du tout de pouvoir s’en sortir. Le hasard est alors total et est un élément fondamental dans la mise en scène et la construction d’une telle intrigue. Tout peut arriver et c’est justement ce qui fait toute l’âme de ces virées littéraires qui nous font comprendre que personne n’est à l’abri. Les exemples dans ce domaine sont légion et l’on peut reprendre les titres évoqués précédemment.
Dans Gannibal, on suit un policier tout à fait banal en apparence, de même dans Museum. Une très bonne représentation de ce protagoniste profondément humain est Tenma dans Monster. Il est le symbole de l’homme pour qui une simple décision va le conduire à connaître un véritable enfer, mais aussi croiser la route d’un individu qui va autant le terroriser que l’obséder. A chaque fois, on fait face à des êtres qui réveillent une partie de nous et s’inscrivent dans une démarche de rapprochement du réel au sein de la fiction. En les voyant, on ne se dit pas forcément qu’ils seront les grands gagnants du récit, car ils doivent constamment lutter contre une menace palpable et qui suscite des angoisses bien réelles. On nous ramène même parfois à cette peur viscérale qui peut accabler chacun d’entre nous et faire du plus vaillant individu un être au même titre que les autres. C’est pour ça que ces personnages nous sont souvent présentés avec des faiblesses bien concrètes et qui vont être au cœur de la tourmente. C’est justement parce qu’ils ont des failles qu’ils sont si intéressants à suivre et que l’on peut s’identifier à eux. Il y a d’ailleurs souvent cet instant de la remise en question qui est abordé et où l’on se demande quel chemin va prendre le protagoniste pour la suite de l’aventure. A travers eux, les mangakas cherchent simplement à s’adresser directement au lectorat ou bien à retranscrire des émotions et craintes qu’ils peuvent aussi avoir. On peut alors aborder tout un tas de thèmes différents autour de ces terreurs qui peuvent nous assaillir et dont on est pleinement conscient. La réalité dépasse la fiction pour mettre tous nos sens en alerte.
Une peur sincère
Quand on parle de frayeur plus concrète, il s’agit surtout de concepts pouvant être appréhendés par la logique humaine. Pour faire écho avec le premier article, ici il n’est pas question d’être terrifié par l’inconnu, mais par quelque chose qui nous parle directement. Cela peut provenir de phobies, mais aussi de la mort, de la perte d’un être cher et de nombreuses autres sources d’effroi. On souhaite, à travers ces histoires, nous montrer que l’on est tous apeuré par quelque chose. Cela relie chacun d’entre nous, car il y a toujours cette angoisse de faire face à une situation que l’on souhaite éviter à tout prix. C’est souvent pour ça que les mangas prenant cette direction nous parlent souvent bien plus que ceux misant sur le surnaturel. En plongeant au sein de ces pages, on est mis en confrontation avec des événements qui pourraient tout à fait survenir dans la réalité. Il y a donc cette frontière entre le réel et la fiction qui s’efface pour que l’on soit pleinement concerné par les enjeux de l’intrigue. C’est d’ailleurs souvent pour ça que l’horreur, dans ce genre de cas, n’est jamais le style principal d’une série. Il va servir de complément à une construction narrative déjà bien établie. Le fait qu’il se mélange à d’autres styles rend l’effroi encore plus sournois et malléable, car il peut s’insinuer à n’importe quel moment. Cependant, cela ne signifie pas pour autant qu’il est une facette que l’on peut facilement oublier. Si l’effroi est si souvent utilisé, c’est parce que la peur est un sentiment que l’on peut tous ressentir avec plus ou moins de facilité. Il suffit d’aborder des craintes presque universelles pour parler au plus grand nombre et les accrocher au récit.
On redoute tous de faire face à ces moments où la crainte prend le pas sur tout le reste. Un sentiment que l’on souhaite absolument éviter et qui fait que l’on a autant de mal à s’en sortir quand on se retrouve devant ces scènes qui nous glacent le sang. Il faut donc que ces confrontations parviennent à avoir un impact qui se répercute en dehors du simple ouvrage pour ainsi s’adresser directement au lecteur. Celui-ci frissonne en découvrant tout ça même s’il sait pertinemment que cela n’est qu’une histoire fictive. Ce ressenti est présent tout bonnement car l’auteur a su trouver le juste équilibre pour que cela parle directement aux personnes qui ouvriront son manga. On pourrait alors se demander pourquoi on continue de lire si une série réussit à nous faire autant flipper. C’est tout l’attrait de ce genre d’œuvre qui nous impose de nous confronter à des frayeurs sincères comme pour proposer une catharsis et surtout nous permettre de surpasser ça. On suit alors avec attention le parcours de ces gens qui nous ressemblent en espérant qu’ils réussiront à s’extirper de ce malheur ou bien à contempler leur longue chute. Encore une fois, la peur ne signifie pas forcément être confrontée à la mort. Celle-ci est une crainte très répandue et utilisée, mais cela ne se limite pas uniquement à voir des gens mourir. Un récit horrifique peut très bien nous amener vers d’autres chemins obscurs qui laissent des stigmates non pas physiques, mais moraux et psychologiques. On souhaite surtout nous ramener à ce que l’être humain peut être en situation de crise, mais aussi faire de terribles choix. Celui-ci peut ainsi devenir le chasseur ou bien la proie qui tente de se débattre vainement face à ce mal palpable qui l’entoure.
Quand la crainte transcende la fiction
On se rapproche de la fin de cette chronique et on avait à cœur d’aborder ce sujet qui entre en résonance avec le précédent. Deux faces d’une même pièce qui joue chacune sur un type de peur différent. La réalité peut parfois être bien plus cruelle que ce que l’on imagine et les auteurs se servent régulièrement de ça pour nourrir leurs écrits. On devient alors spectateur de terribles moments qui nous font prendre conscience de notre propre faiblesse, mais aussi de cette faculté que l’on peut avoir à braver le danger. L’effroi est un élément très compliqué à forger dans un récit, car il s’inscrit comme une partie intégrante de la vie de chacun. Quand on lit un manga qui souhaite nous donner la chair de poule, ce n’est pas uniquement par rapport à des mythes ou autres créatures infernales. Il suffit de regarder autour de soi pour trouver une innombrable source d’angoisses. De multiples formes qui servent d’inspiration à ces artistes qui aiment nous faire frissonner, mais aussi transmettre quelque chose de plus grand à travers leur œuvre. On a beau être dans du divertissement, le manga peut aussi être un formidable moyen d’exprimer tout un tas de sujets importants et la peur en est une. Que cela soit pour mettre en garde, désamorcer ou simplement jouer sur une curiosité malsaine que l’on pourrait avoir, il est toujours possible d’accrocher le lecteur en manque de sensations fortes.
On espère que cette chronique vous aura plu et qu’elle vous aura apporté un autre regard sur ce genre si particulier du monde du manga et même du divertissement de manière générale. En cette période d’Halloween où l’ambiance est propice à se lancer dans ce genre de récit, il est toujours intéressant de voir ce qui nous est proposé, mais aussi de réfléchir à ce qui peut être amené derrière tous ces dessins. Un titre peut cacher bien des mystères ou des souhaits que seul l’auteur connaît. Cela fait partie du jeu d’essayer donc de deviner ce qu’il a bien voulu raconter. Que l’effroi s’exprime dans des thrillers, des polars, du fantastique ou même du school-life, il trouve toujours un moyen de faire son nid. Il est autant attirant que terrifiant d’entrer dans celui-ci, car c’est souvent face à ça que l’on peut voir des développements intéressants dans les personnages, mais aussi dans la manière dont nous allons appréhender une histoire. N’hésitez pas à nous dire ce que vous pensez de ce rendez-vous et on se retrouve dès la semaine prochaine pour un autre numéro de Manga Horror Show un peu spécial.
Bien écrit et bien raconté comme toujours. Merci de nous éclairer et surtout merci de prendre le temps de répondre à nos petites questions et vraiment merci d’interagir avec nous Otaku😁.
Oh cela me touche beaucoup !
Merci Vialyli et toujours un plaisir d’interagir avec vous tous 🙂