Question pour un manga : la problématique shojo – shonen – seinen
Après votre très belle réception du premier numéro de “Question pour un manga”, je vous propose déjà une suite avec une toute autre interrogation. Je m’attaque cette fois à un autre sujet compliqué qui fait souvent débat dans les discussions que l’on peut avoir entre lecteurs. Il s’agit de la fameuse classification des mangas, à savoir shojo, shonen, seinen etc. Des termes qui sont utilisés très fréquemment pour désigner les diverses œuvres que l’on peut trouver sur le marché, mais qui suscite aussi beaucoup d’animosité. En effet, si l’on est face à des désignations qui proviennent directement du Japon, la question est de savoir si cela est pertinent d’utiliser un tel système pour présenter les mangas et aussi faire leur promotion. Encore une fois, il n’est pas question ici de trouver une réponse parfaite, mais plutôt de réfléchir à ce sujet pour voir ce qui en ressort. C’est aussi une thématique intéressante pour voir une autre facette de ce marché qui, par son évolution, amène aussi plusieurs autres facteurs. Il est donc grand temps d’ouvrir le débat sur un sujet qui revient fréquemment sur la table.
Une classification liée au Japon
Avant toute chose, il est crucial de remettre en perspective en quoi consistent ces termes que l’on peut utiliser fréquemment chez nous, mais qui ont un sens bien précis au Japon. A la base, cela concerne les magazines de prépublication dans lesquels sont publiés les mangas. Ainsi, chaque magazine s’axe autour d’une cible précise faisant de l’ensemble de son catalogue des titres qui arborent cette étiquette. De ce fait, c’est plus cet ouvrage regroupant les divers chapitres d’une œuvre qui s’adresse à un public en particulier que ces séries qui peuvent être particulièrement variées dans leurs thématiques, leur univers, mais aussi leur écriture. On peut croire que cela n’est pas très différent de l’utilisation que l’on peut faire de ces mots en France alors qu’il y a une forte nuance qui existe. En effet, chaque œuvre peut être amenée dans une catégorie différente de celle qu’elle a au Japon en fonction des décisions prises, du contenu par rapport au lectorat français et aussi de notre propre culture autour de la lecture. Il y a bien sûr un aspect marketing qui vient s’intégrer à tout ça, car ces termes se sont rapidement installés comme des premiers faux indices de ce qui peut attendre un lecteur dans un manga. Je dis “faux indices” étant donné que l’image reflétée par cette classification peut être en totale contradiction avec le contenu d’une histoire.
Pour ça, il est important de comprendre que le shonen est présenté comme s’adressant avant tout aux jeunes garçons là où le shojo est plus pour les jeunes filles et le seinen pour les adolescents et adultes. C’est vrai que la question de l’âge est un argument tout à fait logique par rapport au contenu d’une série pouvant ne pas être appropriée pour des enfants. Cependant, le fait de différencier ce qui plaira aux garçons et ce qui est plus pour les filles est un problème en soi. Cela fait naître des stéréotypes sur toute une partie du marché qui pourtant s’avère tout aussi intéressant que le reste en réalité. On pense bien sûr à toutes les sagas estampillées shojo qui vont souvent rebuter une partie du lectorat sous prétexte que cela ne s’adresse pas à eux. Cela vient aussi du fait qu’il y a beaucoup de préjugés sur ces ouvrages alors que l’on peut tout à fait avoir de grandes épopées qui portent l’étiquette du shojo. Là où on se cantonne souvent à dire que ces titres tournent autour de romances entre lycéens, il existe bien d’autres styles d’aventures. Si l’on se fie à la classification au Japon, Tomié est un shojo alors qu’il s’agit d’un récit horrifique. Banana Fish est aussi un très bon exemple de ce que peut proposer ce genre avec une plongée dans le monde de la mafia et un aspect très dramatique. Pareil pour Yona, Princesse de l’Aube qui nous amène dans une quête épique où une demoiselle va tout faire pour récupérer ce qui lui est dû et nous amener sur de l’action-aventure avec une partie politique et un formidable développement des personnages. Les exemples ne manquent pas et c’est là que l’on voit cette problématique se dessiner concernant la pertinence de ces catégories chez nous.
Après avoir posé l’origine de ces mots qui font couler tant d’encres, il est important de s’attarder sur ce qu’ils apportent, mais aussi ce qu’ils amènent en matière de problématiques. Que ce soit le shojo, le shonen ou bien le seinen, ces termes sont omniprésents quand on plonge dans l’univers manga. Pourtant, il est important de prendre du recul afin de voir la pertinence de ces derniers dans notre propre culture, mais aussi de réfléchir sur leur futur. Quelques mots qui peuvent avoir une incidence sur l’attrait de certains à l’égard de ces séries.
Réflexion autour de ces types
Après avoir posé la problématique de la pertinence de ces catégories sur le marché français, il est intéressant de voir ce qui pourrait être fait, mais aussi en quoi ce système est aussi bien implanté. Pour prendre mon exemple, cela fait maintenant bien longtemps que je n’utilise plus ces termes. Je préfère parler par genre plus précis tel que action, historique, sport et bien d’autres. Cela permet, à mon sens, de facilement indiquer aux gens ce qui les attendent dans ces séries et surtout de mieux cibler son choix sans pour autant partir sur l’idée que c’est un shojo cela va être de la romance ou bien c’est du shonen et il n’est question que de baston. Après tout, c’est un système qui est souvent utilisé dans la littérature et la bande dessinée en plus d’être coupée par tranches d’âge. Ainsi, la fantasy est mise en avant tandis que sur une autre étagère on pourra trouver tout ce qui est thriller et ainsi de suite. Un système qui peut paraître pertinent au premier abord, mais qui va se heurter à un problème de taille. Il est extrêmement rare qu’un manga se limite à un genre particulier. Un récit de fantasy peut aussi se présenter comme une tranche de vie, une aventure etc. Pareil pour un thriller qui peut côtoyer l’horreur et c’est comme ça pour la majorité des séries qui sortent. De ce fait, il serait très difficile d’avoir un rangement pouvant sembler pertinent au premier abord étant donné que ce que l’on peut considérer comme un titre tranche de vie peut être pour une autre personne une comédie.
Faudrait-il alors partir sur le genre le plus prédominant au sein d’une saga ? Là se trouve toute la question. Cela amènerait forcément quelques complications pour travailler certains ouvrages. Cela me permet de rebondir sur un élément crucial qui permet de justifier l’utilisation de ces catégories que l’on connaît tous maintenant. Il s’agit tout simplement du rangement et du classement au sein des librairies et autres points de ventes. En effet, ce qui pourrait rapidement se diviser en plusieurs dizaines de genres spécifiques est finalement cantonné à seulement quelques termes qui font maintenant partie du langage courant pour ceux qui ont grandi avec le monde du manga. On en revient donc toujours à cette interrogation de savoir si ces désignations jouent un rôle prépondérant sur le marché. La réponse est bien sûr oui et il est maintenant très compliqué de s’en défaire même si on peut voir certaines collections et propositions permettant de changer ça. En plus de ça, il faut aussi prendre en considération que les gens évoluent de plus en plus avec ces codes et s’il y a beaucoup qui restent encore focalisés sur certaines idées reçues, une partie du lectorat cherche à approfondir le sujet. Un spectre grandissant qui regarde au-delà de la terminaison utilisée pour s’attarder avant tout sur le contenu d’une œuvre. Il en ressort que l’on a tous un rôle à jouer dans l’élargissement de notre curiosité et de briser tous ces stéréotypes qui n’ont pas lieu d’être.
C’est vrai que cela peut paraître étrange de s’attarder sur la classification d’un titre en fonction du public ciblé. Cependant, c’est important de voir la manière dont ces termes sont utilisés chez nous par rapport à leur utilisation d’origine. Un système qui s’est installé depuis des années, mais qui souligne aussi des interrogations tout à fait normales concernant ce que cela engendre en matière de regard de la part du lecteur. Comme je l’ai dit plus haut, il ne s’agit pas ici de donner une solution parfaite, mais surtout d’ouvrir le débat et d’échanger par rapport à un sujet qui résonne de plus en plus chez beaucoup de lecteurs.
Lecteur avant tout
Ce qu’il faut avant tout se rendre compte aussi, c’est que tout ce qu’il y a autour des réseaux sociaux n’est pas représentatif du marché en lui-même. Bien sûr qu’il y a encore énormément de personnes qui peuvent être hésitants suite aux nombreux clichés qui ont circulé depuis tant d’années. Cependant, il y a aussi de plus en plus de gens qui regardent au-delà de tout ça. On peut le constater avec le très bon succès qu’il peut y avoir sur des titres qui ont clairement eu le droit à une seconde chance comme ce fut le cas pour Banana Fish. Cela peut paraître long, mais certaines étiquettes s’effacent petit à petit pour montrer ce qu’il y a vraiment derrière. Évidemment, cela ne changera pas du jour au lendemain, mais on peut percevoir cette volonté d’aller de l’avant. Il est très difficile de tout envoyer balader comme ça pour tenter de nouvelles choses surtout quand c’est un système qui s’est installé depuis tant de temps. L’important est aussi justement de prendre le temps à la discussion et aux échanges pour montrer que derrière ces termes se cachent une infinité d’histoires pouvant séduire tout type d’individus. C’est un travail de longue haleine, mais qui est toujours très enrichissant et plaisant quand on parvient à montrer ce qui fait la véritable force d’un titre. Peu importe que ce soit un shonen, shojo, seinen ou josei. On est avant tout des lecteurs qui sont là pour s’émerveiller de toutes ces séries que l’on peut avoir.
Les choses évoluent au même titre que le marché et les mentalités. Le manga ne cesse de se populariser et il y a une forme de transmission qui se fait pour que ces barrières imaginaires qui furent placées dans l’inconscient collectif finissent par tomber. Un effort qui se fait, selon moi, à travers chaque acteur du milieu. Que l’on soit simple lecteur, créateur de contenus ou bien éditeur, on avance petit à petit pour tenter de rendre cette passion ouverte à tous. On peut trouver du bon dans chaque œuvre et cela peu importe qu’il s’agisse d’une romance, d’une comédie, d’un récit uniquement basé sur l’action ou autre. J’espère que ce petit billet vous aura plu et vous aura surtout donné envie de réagir et de discuter autour de ce thème. Il n’y a pas de solution universelle à la problématique présentée durant l’introduction. C’est en continuant à parler de ces œuvres qui nous tiennent à cœur que l’on pourra interpeller les gens dessus. Et même si ce n’est qu’une personne en plus qui décide de s’intéresser à un titre, c’est déjà formidable. On ne sait jamais après ce que cela peut avoir pour effet sur un manga qui peut progressivement avoir une portée un peu plus grande. Je finirais juste en disant que ce médium est une mine inépuisable d’histoires fantastiques. Il faut juste parfois faire fi de nos préjugés et donner sa chance à une série pour finalement ouvrir les portes d’un monde hypnotique. Je vous souhaite de faire d’incroyables découvertes mangas.
N’hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous pensez de cette classification, mais aussi votre avis si cela est encore pertinent aujourd’hui. Trouvez-vous que l’on pourrait se tourner progressivement vers une autre proposition en matière de présentation ? Est-ce que cela vous convient finalement comme ça ? Avez-vous le sentiment qu’il y a encore une forte proportion de stéréotypes par rapport à ces genres ? Trouvez-vous que cela change petit à petit au vu de l’évolution du marché et de ce qui est proposé ? Pensez-vous que l’on finira par avoir un gros changement à ce niveau ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.