Kûjo l’implacable tome 1 : un avocat à qui rien n’échappe
Il y a des auteurs qui ont su nous marquer profondément à travers leurs récits. Des artistes qui nous surprennent et nous font vivre des moments inoubliables. C’est encore plus vrai quand on fait face à des mangas qui nous retournent l’estomac et provoquent en nous un sentiment fort d’injustice et de tristesse tout en étant écrit d’une main de maître. Voilà pourquoi je ne pouvais qu’être impatient en apprenant que la nouvelle série de Shôhei Manabe allait faire son apparition en France dans le catalogue de Kana. Intitulé Kujô l’implacable, le premier volume de ce titre vient juste de sortir et à déjà fait beaucoup de bruits. Il faut dire que l’on connaît le talent du mangaka pour nous délivrer des séries qui nous prennent aux tripes et qui jouent beaucoup avec la notion de moralité, et même de l’absence de cette dernière. Encore une fois, il va montrer ici tout son savoir-faire, mais plus question ici d’usurier. Cette nouvelle épopée nous plonge dans le domaine de la justice en compagnie d’un avocat qui va rapidement s’inscrire comme une figure aussi impressionnante que déroutante. L’heure est donc venue de se rendre dans un cabinet qui accepte tout le monde y compris les pires ordures.
Un avocat de génie n’ayant aucun principe
Kujô l’implacable, imaginé par Shôhei Manabe, nous emmène au Japon. Dans ce pays, la majorité des procès finissent avec une sentence coupable pour celui qui se retrouve sur le banc des accusés. Pour défendre leur client, les avocats se démènent pour faire éclater la vérité ou bien trouver les réponses nécessaires pour que le verdict soit en leur faveur. Cependant, ce métier est loin d’être aussi juste que certains peuvent le penser. Si certains sont choisis pour défendre la veuve et l’orphelin, d’autres sont chargés d’offrir une défense à des criminels qui n’ont absolument rien d’innocent. C’est dans ce milieu qu’évolue un avocat bien singulier au milieu de ses pairs. Son nom est Taiza Kujô, un homme dont l’expérience est plus que réputée notamment de la part des petites frappes et autres voyous qui peut y avoir en ville. Cela pourrait déranger la morale de n’importe qui que d’accepter de représenter de tels individus face à une cour de justice. Mais pour Taiza, ce métier n’a absolument rien d’honorable ou ne doit pas suivre des principes. Son job consiste avant tout à tirer les meilleures cartes pour offrir le plus d’avantages possibles à ceux qui entrent dans son cabinet. Pour beaucoup, cela fait de lui un homme détestable qui est à l’image de ceux qu’il décide de défendre. Pourtant, la réalité est tout autre. Cet avocat peut en effet se montrer sans scrupule même quand il s’agit de défendre un conducteur ivre ayant renversé un père et son fils.
Il est seulement conscient que si les principes peuvent donner une belle image de quelqu’un, ce n’est pas ce qui permet de gagner des affaires. Passé maître dans l’art de trouver les failles et de toujours viser juste pour protéger ses clients, ses opposants doivent reconnaître son incroyable talent dans ce job. Même si cela implique de devoir subir la colère de l’opinion publique et de la défense, Kujô reste insensible à tout ça. Après tout, si sur le plan humain il peut sembler plus que discutable, en tant qu’avocat il est un incroyable orateur et un stratège remarquable. Un homme qui ne laisse rien passer et qui en fait donc un atout de taille pour n’importe qui souhaitant avoir un résultat en sa faveur lors d’un procès. Ainsi, cet individu de l’ombre attend patiemment ceux qui oseront franchir sa porte et peu importe que cela soit rentable ou non pour lui. Le plus important à ses yeux est ce qu’il peut apporter à son client. Criminels, accusés, innocents… Peu importe ce qu’ils sont en se tenant devant lui. Pour Taiza, ils sont tous des clients qui doivent être logés à la même enseigne et qui auront le droit à la même expertise de sa part. Ainsi nous est conté le quotidien d’un être qui ne connaît aucune frontière entre le bien et le mal. Tout ce que ses yeux observent, c’est le moyen de bâtir une ligne de défense qui permettrait à tous ces gens d’obtenir ce qu’ils désirent et même bien plus.
Rien qu’avec son synopsis, Kûjo l’implacable nous prépare à ce que l’on va suivre tout au long de ces pages. Un récit qui va nous emmener dans le quotidien de cet homme à l’ingéniosité remarquable, mais qui suit un chemin tortueux. Avec son histoire, l’auteur nous montre toute la complexité d’être avocat notamment sur le plan moral et des principes qui vont animer le lecteur tout au long de sa découverte. Une aventure humaine à la fois sombre et saisissante où l’on enchaîne les cas différents où une simple erreur peut conduire à la victoire du véritable criminel et entraîner bien des souffrances.
Un métier moralement difficile
Il y a deux éléments qui vont énormément ressortir de cette lecture du premier tome de Kûjo l’implacable. La première et qui va être le fil conducteur de toute cette histoire est bien sûr notre personnage central. Kûjo nous est présenté comme un homme assez stoïque et peu enclin à montrer des émotions. Cela accentue ce côté froid qu’il peut avoir et qui lui permet de se dissocier pleinement de si ces clients sont réellement coupables ou non. Il ne faut alors que peu de temps après sa première apparition pour que l’auteur nous montre sa capacité à créer un protagoniste qui attire l’attention. Alors qu’il est face à un individu ayant commis un crime, il ne lui faut que quelques minutes pour élaborer tout un stratagème juridique afin qu’il puisse éviter les ennuis et surtout s’en sortir pour le procès à venir. Cela va servir à renforcer le fait que l’on est devant un avocat qui connaît très bien les rouages du métier. De plus, cela va aussi créer une forme d’admiration pour les capacités de cet homme à toujours trouver un moyen de servir au mieux les intérêts de ceux qui font appel à ses services. Cela peut prendre des formes surprenantes, mais toujours appuyer le fait que notre figure principale est capable de venir en aide à ceux qui sont dans les pires situations possibles. Un symbole central pour le manga qui va ensuite nous amener vers les sujets beaucoup plus moraux qui l’entourent.
Ce qui est remarquable avec cette découverte, c’est que l’auteur a parfaitement su trouver et traiter le point le plus terrifiant et discutable du métier d’avocat. Il s’agit tout bonnement de ceux qui acceptent de défendre les coupables alors qu’ils sont bien conscients des actes commis. Cela met en balance le devoir de ces professionnels d’un côté et de l’autre leurs principes. Un métier dont particulièrement éprouvant sur le plan éthique et où Kûjo va autant faire preuve d’un grand détachement de ce côté que représenter habilement toute la complexité de ce domaine. En fait, le lecteur va forcément ressentir une injustice en voyant notre protagoniste réussir à protéger des criminels sans que cela ne le perturbe plus que ça. Pourtant, on est aussi estomaqué par ses compétences en tant qu’avocat. On arrive alors à cette conclusion particulièrement forte qui est que l’on est face à un excellent avocat, mais à un être humain plus que discutable sur son sens de la justice. Il le dit lui-même qu’il fait la part des choses entre son objectif au sein d’une cours et ce qu’il est sur le plan personnel. Un personnage qui navigue dans un épais brouillard qui reflète sa manière d’agir, mais aussi sa vision du monde. Rien n’est plus important pour lui que d’offrir une défense digne de ce nom à ses clients sans pour autant s’impliquer émotionnellement dans tous les cas qu’il rencontre. Cela crée un parallèle fascinant et aussi oppressant où l’on observe un être qui semble presque agir comme une machine tandis que le lecteur ne peut s’empêcher de ressentir un flot d’émotions à chaque nouveau chapitre. Un équilibre remarquable qui prouve la capacité de l’auteur à traiter de ce thème et tout ce qui en découle.
En s’attardant sur Kûjo l’implacable, le lecteur se lance dans un récit qui va l’amener face à la dure réalité de ce métier. En voyant cet homme agir de manière à offrir le plus d’avantages à ses clients même aux plus pourris, on est tiraillé entre l’admiration du talent incroyable de ce dernier et une certaine colère de ne pas le voir réagir face à certaines injustices. On nous dépeint un avocat capable d’accepter n’importe quel client et dont le peu de morale se confronte à un don extraordinaire pour ce travail. Cela nous donne autant envie de voir de quoi il est encore capable tout en craignant la noirceur des prochaines affaires.
Kûjo l’implacable est imperturbable
Quel plaisir ce fut que de renouer avec le talent d’écriture de Shôhei Manabe au travers de ce premier volume de Kûjo l’implacable. Pouvant être particulièrement dure par moment, cette lecture n’en reste pas moins passionnante à lire tant elle arrive à traiter du métier d’avocat de façon très juste et tristement réaliste. En plus de ça, on a le droit à un protagoniste qui nous captive autant qu’il nous questionne sur ses actes. Un homme qui arrive toujours à respecter la loi et à utiliser celle-ci pour protéger ses clients, mais qui en faisant ça nous amène sur le terrain des questions éthiques et morales. D’ailleurs, il suffit de voir le premier cas qu’il traite pour comprendre que le mangaka ne veut rien nous épargner et nous mettre directement face à une situation insoutenable pour le lecteur. On est ainsi face à un manga qui confronte justement nos principes à ce métier qui demande de faire abstraction de ces derniers pour pouvoir accomplir son devoir d’avocat. Dans un sens, cela montre à quel point ce travail peut être épuisant d’un point de vue psychologique tant on se heurte à cette vitrine qui sépare l’exigence de la profession à ce que le cœur peut dicter. C’est encore plus fort quand on accompagne un homme comme Kûjo qui a totalement su provoquer cette scission en lui pour devenir l’avocat redoutable qu’il est aujourd’hui. On enchaîne alors les pages en admirant sa maîtrise des textes de loi tout en ayant le cœur qui se serre quand on ouvre les yeux sur ce que ses victoires peuvent entraîner comme malheurs chez d’autres.
Vous l’aurez donc compris, Kûjo l’implacable est un immense coup de cœur et qui peut rapidement se hisser comme une série formidable au même titre que la précédente œuvre de l’auteur. Il est tout de même important de souligner que ce titre s’adresse avant tout à un public averti du fait de certaines scènes choquantes et aussi des violences qu’il peut y avoir notamment sur le plan psychologique. On retrouve si rapidement cette ambiance propre au style du mangaka qui nous donne le sentiment d’être dans une ville où il y a très peu d’espoir. La seule lumière que peut offrir cet avocat est de sauver ceux qui franchissent sa porte et peu importe qu’ils soient des criminels ou des innocents. Dans cet esprit en constante ébullition qui est le sien, Kûjo nous montre sa dévotion pour son métier, mais aussi sa trop grande facilité à séparer la morale de la justice. Une aisance qui le rend aussi impressionnant que terrifiant en tant qu’individu. Un manga qui plaira à tous ceux qui aiment les récits sombres et abordant des questions d’honneur, de principes et la notion d’injustice. Il est clair que l’on quitte cette lecture avec tout un tas de questions en tête. Est-ce que Kûjo va finir par tomber sur une affaire qui le mettra à mal ? Peut-il faire preuve de compassion à l’égard des autres ou bien observe-t-il ce monde à travers des yeux froids et calmes en toute circonstance ? A-t-il toujours été ainsi ou bien cela découle-t-il d’une origine plus ancienne ? Il nous tarde déjà de mettre la main sur le second volume.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume de Kûjo l’implacable. Trouvez-vous que l’on a le droit ici à un traitement très intéressant du métier d’avocat ? Est-ce que le personnage de Kûjo a su vous intriguer par sa façon de penser, mais aussi ses agissements ? Etes-vous curieux de voir quelles seront les prochaines affaires dont il devra s’occuper ? Pensez-vous que sa vision de son métier va changer ou restera-t-il fidèle à sa façon de faire ? Trouvez-vous que le mangaka arrive à retranscrire toute l’horreur des situations qu’il nous raconte ? Qu’attendez-vous pour la suite de la série ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.
© 2021 Manabe Shohei, Shogakukan