Le rideau se baisse : Blue Heaven
Après nous avoir délivré deux excellents tomes, il est temps pour Blue Heaven de tirer sa révérence avec son troisième volume. L’œuvre de Tsutomu Takahashi, qui a fait son retour dans le catalogue de Panini, a rapidement su se hisser comme une excellente série à la fois sombre et envoûtante. Préparant avec minutie la tension qui s’exerce tout au long de ces pages, l’auteur nous amène progressivement vers un final où la notion de sauvegarde et de protection laisse place à deux véritables démons que rien ne peut stopper. Le paradis se transforme en enfer où l’on va être témoin de ce que la panique et la peur peuvent entraîner comme conséquences terribles pour l’ensemble des passagers. Le luxe des premières pages semble maintenant bien loin et l’on est terrifié en parcourant ces longs couloirs dont le silence n’est brisé que par des râles d’agonie et le sifflement des balles qui fusent. Voilà pourquoi il est temps de s’attarder sur la conclusion de cette licence qui a su condenser en peu de chapitres de très nombreuses qualités. L’heure est venue de savoir qui du démon ou de l’homme sortira vainqueur de cette confrontation.
Une croisière de rêve devenue un cauchemar
Avant de s’attaquer à tout ce que représente cette conclusion, il est important de voir le contexte dans lequel nous avait plongé Blue Heaven avant ce dernier acte. Pour rappel, ce resplendissant paquebot de rêve avait pris la mer avec de nombreux passagers impatients de participer aux festivités. Cependant, l’équipage se rendit compte qu’un navire à la dérive croisait leur route. Désireux de venir en aide aux éventuels rescapés qui pourraient s’y trouver, il organisa dans le plus grand secret une opération de sauvetage. Sur place, ils trouvèrent deux survivants qu’ils ramenèrent avec eux. Malheureusement, l’un de ces hommes répondant au nom de Li Cheng Long s’avère être un redoutable tueur qui va se réveiller sur ce bateau. Voulant absolument atteindre son but en traquant la cible qu’on lui a confiée, il décide de tout faire pour se rendre au Japon même si cela implique de devoir faire un massacre entre ces murs. En apprenant qui il était de la bouche de l’autre survivant, les membres d’équipage mis dans la confidence se lancent alors dans une traque éprouvante et chronométrée afin de retrouver cet assassin avant que les passagers ne comprennent ce qu’il se passe. Malheureusement pour eux, leurs tentatives de retrouver cet homme sont des échecs et plusieurs personnes périssent sous ses coups sans pour autant qu’il ne laisse de trace de son passage.
Un véritable fantôme au sein de cet amas gigantesque de métal où se trouve bien des âmes innocentes. Sa présence va finalement remonter jusqu’aux oreilles d’une riche famille allemande à la réputation douteuse qui profite de la croisière. Garuf Juneau, héritier de celle-ci, s’avère voir en cette occasion une chance inespérée de tromper son ennui. Il est lui aussi un monstre que rien ne semble arrêter et qui est prêt à utiliser les gens présents à bord pour son petit plaisir personnel. Entre ces deux individus une confrontation éclate alors et en plein milieu des passagers qui ne comprennent pas ce qui se passe. Le chaos s’empare rapidement de tous les clients qui cherchent désespérément un moyen d’échapper au duel entre ces deux fous qui n’ont que faire des victimes collatérales. Il n’est alors plus question d’empêcher le pire de se produire étant donné que c’est trop tard. Chacun est maintenant prêt à tout pour échapper à ce massacre et surtout éviter de disparaître sur cet océan où personne ne pourra les aider. De leur côté, Li Cheng Long et Garuf s’en donnent à coeur joie comme si cette situation était un jeu pour eux. Les démons prennent possession de ce paquebot et il n’y a maintenant plus qu’une règle qui fonctionne. Tué ou être tué, voilà la seule issue possible pour ces criminels qui ont entraîné dans leur conflit des gens qui pensaient encore il y a quelques heures à profiter du luxe de ce voyage. Qui sortira vainqueur de cette confrontation au sommet entre ces deux tueurs ? Le rideau se lève sur leur dernier face-à-face.
Avec Blue Heaven, on va faire face à une escalade de violence et de haine qui vont avoir un impact considérable sur notre appréciation de l’œuvre. Une aventure qui a su installer son climat étouffant pour le rendre de plus en plus puissant au fur et à mesure de notre progression. On ouvre alors les yeux sur ce qui est réellement en train de se passer sur ce navire qui aurait dû signer de fabuleuses festivités. En embarquant sur celui-ci, notre tueur n’a pas uniquement commis des actes effroyables. Il a aussi réveillé ce qu’il y a de plus terrifiant chez l’être humain.
Le pire chez l’être humain
Comme j’avais pu l’aborder en parlant du premier volume de Blue Heaven, le titre a su rapidement se différencier par rapport à cette atmosphère que va installer l’arrivée de cet intrus. Ce que l’on peut observer au fil des tomes, c’est à quel point le mangaka a su étoffer celle-ci en faisant de nous le témoin du chaos grandissant qui s’empare du navire et de ses occupants. Le manga se démarque justement par cette faculté à provoquer la panique autant chez ces gens que chez le lecteur. Alors que l’on pourrait croire qu’une seule personne se ferait rapidement arrêter et ne ferait que peu de dommages. Pourtant, Tsutomu Takahashi a su faire de cet individu l’élément déclencheur d’une paranoïa qui peut naître en chaque être humain. En le rendant insaisissable, l’auteur le transforme en un être presque surnaturel qui évolue parmi les ombres et frappe quand tout le monde regarde ailleurs. Un antagoniste dont on ne peut détacher le regard et qui semble le plus vivant quand il ôte la vie d’autres personnes. On se rend compte de toute la richesse de ce personnage en le voyant se confronter à son principal opposant qui est tout aussi démoniaque que lui. Cependant, ces deux monstres vont avoir des effets bien différents sur le reste des passagers. Tandis que le premier se présente comme un inconnu dont personne ne comprend les réelles motivations, le riche et terrifiant possesseur de ce navire se présente avant tout comme un enfant qui trouve du plaisir dans les souffrances d’autrui.
Alors que rien ne lui résiste, l’arrivée de cet homme dans son royaume est autant une attaque à son égard que le divertissement qu’il a attendu depuis si longtemps. Et au milieu de cette confrontation, le mangaka nous dépeint des civils pris entre deux feux qui ne vont plus être guidés par la logique ou la raison, mais par leur instinct de survie. Ainsi, la série veut nous montrer le côté presque bestial qui peut se dissimuler en chacun de nous face à une situation de crise dans le simple objectif de pouvoir échapper à tout ça. Voilà pourquoi le lecteur que l’on est va être totalement pris à la gorge en voyant ce qu’ils sont prêts à faire juste parce qu’ils pensent que cela est l’unique solution qui s’offre à eux. Un choc qui est encore plus grand que la folie pouvant caractériser nos deux principaux monstres qui ont provoqué ce cauchemar. Mais ce qui est encore plus remarquable quand on observe la série dans son ensemble, c’est à quel point la conclusion reflète habilement tout ce qui a été construit jusqu’ici. Sans dévoiler le final de cette histoire, on se rend compte que le véritable personnage principal de ce récit n’est autre que cet intrus qui a été invité à monter sur ce paquebot. Il a beau être un ennemi qui ne pense qu’à atteindre son objectif, il est aussi celui qui va avoir le plus d’impact sur les gens qui vont croiser sa route. Les quelques personnes qui arrivent à lui échapper finissent marquées à jamais par leur rencontre avec ce démon à forme humaine. De même, la finalité de son parcours est à l’image de tout ce qu’il a fait depuis sa première apparition. Un être n’ayant connu que les bas-fonds de ce monde et qui a entraîné avec lui beaucoup d’âmes innocentes en commettant l’irréparable.
C’est pour tout ça que Blue Heaven est un formidable exemple de ce que peut nous faire ressentir une courte série maîtrisée de bout en bout. On y ressent pas uniquement la patte si spécifique de l’auteur. Cette œuvre nous montre aussi qu’il a parfaitement su jouer de ce qui fait la nature humaine pour les amener dans une situation critique où la raison laisse place à des choix dictés par la crainte et la rage. En introduisant un loup dans la bergerie, Tsutomu Takahashi a réussi à créer une situation intenable renforcée par cette cage dorée que représente ce paquebot de luxe.
Blue Heaven nous fait tomber en enfer
Dans l’incroyable liste des œuvres de Tsutomu Takahashi, Blue Heaven a une place toute particulière pour nous. En se penchant sur cette licence, on peut constater tout le savoir-faire de cet artiste pour engendrer une histoire qui nous tient en haleine et qui arrive aussi à nous proposer un sentiment de malaise. Un manga qui ne compte que trois tomes, mais qui n’a pas besoin de plus pour aller au bout de ce qu’il veut raconter. Il arrive autant à créer une situation insoutenable à travers sa figure centrale que par le décor qu’il met en place. En effet, si l’intrigue est aussi efficace, c’est justement parce que le décor présenté se cantonne uniquement à ce paquebot de luxe. En limitant le terrain de jeu à ce navire, le mangaka va créer un véritable sentiment d’emprisonnement autant pour le lecteur que pour les passagers. N’ayant nul part où fuir, cela accentue cet instinct de survie qui va conduire certaines personnes à franchir une frontière que leur conscience aurait empêché de faire. Avec cette saga, on se retrouve face à une fresque remarquable et assez terrifiante de ce que la nature humaine peut cacher. Un ouvrage qui est un exemple représentant de ce style si propre à l’auteur qui apprécie justement de mettre à mal ses personnages ou bien de créer des êtres peu recommandables ou même malfaisants et pourtant qui ont quelque chose de très sincère dans ce qu’ils expriment. Des êtres néfastes qui ne sont que le reflet de cette noirceur qui peut habiter le cœur de certains individus.
Comme j’ai pu le dire plus haut, Blue Heaven est une série courte de haute volée. Une œuvre qui nous plonge dans la psychologie humaine pour nous guider vers une situation violente et cauchemardesque où notre seul désir est d’échapper à cet endroit maudit. De même, on apprécie aussi la manière dont le revirement s’effectue avec de nombreux opposés. Ce lieu décrit comme paradisiaque qui devient un véritable champ de bataille ou bien la confrontation entre une jeune femme désireuse de vivre et cet homme n’ayant pas peur de mourir. Tout est pensé pour s’axer autour de ces luttes entre le bien et le mal avant que l’on ouvre les yeux sur ce qui nous est vraiment transmis au travers de cette situation éprouvante. Une virée qui instille une terreur bien palpable et qui n’a parfois pas besoin de mots pour nous faire ressentir toute son influence sur ce qui forme cette histoire. C’est donc un énorme coup de cœur que j’ai eu pour cette épopée courte et intense qui aura mis à nu cette obscurité qui peut grandir en chaque être humain. En seulement quelques chapitres, on nous montre que l’homme peut aussi devenir un démon et cela est parfaitement symbolisé par cette aura presque surnaturelle qui l’entoure et se renforce au fil des pages. On a beau assister au terme de cette histoire, le souvenir de cet homme et du massacre qu’il a perpétué continuera de hanter notre esprit. Une manière pour lui de subsister même après que l’on se tourne vers de nouvelles aventures à vivre.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant cette série qu’est Blue Heaven. Trouvez-vous que l’auteur a parfaitement su raconter ce qu’il désirait en seulement trois volumes ? Avez-vous été happé et terrifié par cette intrigue où l’on a le sentiment d’étouffer au sein de ce paquebot ? Est-ce que vous trouvez que le mangaka a su retranscrire une partie bien sombre de l’âme humaine au sein de cette épopée sanglante ? Le titre est-il parvenu, selon vous, à créer une atmosphère qui fut de plus en plus lourde ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de cette licence.