Bibliomania

Bibliomania : une virée envoûtante et cauchemardesque

Dans un marché particulièrement riche, le manga ne cesse de multiplier des récits pouvant nous faire vivre des aventures hors du commun. Il arrive aussi que l’on tombe sur un ouvrage qui peut nous amener vers un monde totalement inoubliable où chaque pas du lecteur marque son esprit. Cela m’est arrivé récemment au travers d’un one shot que j’attendais énormément. Venant tout droit du catalogue de Mangetsu, il s’agit de Bibliomania qui est enfin arrivé dans nos librairies. Dès son annonce, le titre avait su attirer mon attention par ce style graphique si singulier et saisissant ainsi que cette atmosphère angoissante se dégageant directement au travers de la couverture. Mais il fallait surtout voir ce que pouvait proposer ce récit en matière d’écriture et de réflexion. Maintenant que j’ai pu lire cet ouvrage, je peux dire qu’il y a énormément de choses à dire au vu de ce que nous propose cette épopée qui flirte entre une réalité sordide et une fiction distordue. On est aspiré par cette lecture qui resserre petit à petit son empreinte. L’heure est donc venue de suivre une demoiselle cherchant à retrouver son chemin dans une multitude de terribles songes.

Retour vers le monde réel

BibliomaniaBibliomania, scénarisé par Orval et dessiné par Macchiro, nous plonge dans une étrange pièce où se trouve une jeune fille. Répondant au nom d’Alice, elle découvre qu’elle est la propriétaire de la chambre 431. Si elle semble décontenancée par le fait qu’elle soit dans cette pièce vide et totalement blanche, elle va rapidement comprendre ce qui se passe avec l’apparition d’un être pour le moins singulier. Prenant l’apparence d’un majordome aux allures de serpent, cet être se présente un peu comme l’hôte de ce lieu regroupant toutes ces pièces étranges. Il lui déclare alors qu’en restant ici, Alice pourra voir tous ses rêves se concrétiser. Ainsi, elle n’a aucun besoin de retrouver le monde extérieur étant donné qu’elle peut se satisfaire de tout ce que cette créature et cette chambre peuvent lui proposer. Après tout, n’importe qui serait aux anges de pouvoir satisfaire tous ses désirs sans avoir à s’aventurer vers le monde extérieur. Mais pour la jeune fille, cette proposition n’est en rien alléchante. Au contraire, elle est convaincue que tout ça ne peut que conduire à la destruction de ceux qui restent. Son plus grand souhait est donc de quitter cet endroit pour retourner à la réalité. Malgré tout ce que peut dire son interlocuteur, rien ne semble pouvoir la détourner de son objectif. Il va alors lui annoncer qu’il est possible de réaliser son souhait, mais que cela ne peut se faire qu’après de multiples sacrifices et souffrances. 

En effet, pour regagner sa liberté, Alice va devoir franchir chaque chambre constituant cette dimension jusqu’à atteindre la toute première porte. Ce n’est qu’en entamant ce long périple qu’elle pourra obtenir ce qu’elle désire. Malheureusement, il lui annonce aussi que quitter cette enceinte qui lui appartient la rend vulnérable à la corruption ambiante. Elle ne cessera donc de voir son corps se transformer pour ne devenir qu’un amas difforme et monstrueux. Une métamorphose qui la conduira inéluctablement jusqu’à sa mort peu importe ses efforts. Personne n’a jamais pu quitter cet endroit et il est persuadé que cette gamine finira dans le même état que les fous ayant tenté de fuir. Mais alors qu’il se dit que son discours aura suffi à la convaincre, c’est tout le contraire qui se passe. Alice ne montre aucune trace de peur et est bien décidée à aller de l’avant peu importe ce qui lui arrive. C’est ainsi qu’elle ouvre la porte de la prochaine chambre. Un geste qui va avoir de nombreuses conséquences et qui n’est que le premier d’une longue liste. Ce long et périlleux voyage que cette jeune fille entreprend va l’amener à faire de multiples rencontres et à découvrir les rêves de ceux qui ont décidé de rester prisonnier de ces murs. Des souhaits pouvant sembler compréhensibles, mais qui ne font que consolider cette geôle dont le gardien prend un malin plaisir à tromper les pensionnaires. Parviendra-t-elle jusqu’au bout du chemin ou finira-t-elle par être dévorée par les forces de ce lieu macabre ?

Il ne faut pas longtemps à Bibliomania pour nous offrir une histoire se voulant à la fois dérangeante et hypnotique. Reprenant un peu l’idée initiale d’Alice au pays des Merveilles, on se rend rapidement compte que le titre va se démarquer par sa narration et sa mise en scène. Une virée qui arrive à utiliser l’aspect macabre des diverses salles que l’on va parcourir pour souligner certaines facettes de l’Humanité tout en ayant un message très fort sur le fait de survivre à travers des écrits. On se retrouve devant une représentation de ce qu’un livre peut offrir, mais aussi de ce qu’il ne peut réaliser.

Un périple aux multiples inspirations

Bibliomania est une œuvre totalement atypique dans ce qu’elle réussit à nous raconter. En effet, s’il est vrai que le titre s’inspire d’Alice au Pays des Merveilles sur certains points, le titre va aussi se démarquer par bon nombre d’aspects. La première chose n’est autre que le trait du dessinateur qui nous délivre des planches à la fois somptueuses et dérangeantes. C’est à travers son dessin qu’il va donner pleinement vie à cette succession de chambres où les pièces sont toutes plus étranges les unes que les autres. Parfois totalement oniriques, d’autrefois terrifiantes, ces salles vont nous faire vivre une multitude d’expériences au sein même de ce seul ouvrage. A chaque fois que notre protagoniste ouvre une nouvelle porte, c’est l’inconnu qui nous attend et l’on peut alors être totalement hypnotisé ou terrifié par rapport à ce que l’on va voir. On tombe alors sur un autre élément qui a une grande importance dans la force de ce one shot. Il s’agit de la symbolique qui entoure chaque zone que l’on va explorer. A chaque fois, on va être face au désir le plus intense de l’occupant des lieux et cela peut autant appuyer le sentiment de malaise que l’on va connaître que nous faire ressentir une certaine pitié à l’égard du propriétaire des lieux. Contrairement à Alice qui continue inlassablement d’avancer pour revenir dans le monde réel, les autres pensionnaires se sont totalement laissés séduire par la promesse de leur hôte. 

Jeunesse éternelle, retrouver sa famille ou se venger de ses bourreaux, il existe une pléthore de visages au sein de cette auberge cauchemardesque. Alors que les premiers mots que laissent supposer le propriétaire des lieux nous donnent le sentiment que chaque chambre peut devenir un paradis, c’est tout le contraire qui se passe. Cela peut autant se manifester de manière détournée ou dès que l’on arrive dans une nouvelle pièce. A travers la mise en scène, la représentation déformée de ces habitants et la réalité derrière leur plus grand souhait, tout va être présent pour que l’on soit troublé à chaque rencontre. Des gens qui préfèrent se recroqueviller sur un rêve qui leur appartient plutôt que d’affronter la réalité et d’avancer. Tout Bibliomania va jouer justement sur le fait que l’être humain veut trouver une source de réconfort, surtout en période de chaos, et que cela peut le conduire à perdre toute notion du réel et même à souiller l’essence même de la vie. Tout est question de rêve et de chute où ces désirs finissent immanquablement par voler en éclats dès lors qu’Alice passe et lève le voile sur ce qu’il y a réellement derrière tout ça. Le plus flagrant est encore dans la dernière partie du récit qui va provoquer une opposition encore plus forte entre ce que l’un des personnages désire et la dure réalité de ce monde. Nous sommes ainsi face à une virée qui nous fait vaciller entre horreur et contemplation tant on est justement à la frontière entre rêve et réalité.

En plus d’être une expérience visuelle remarquable, Bibliomania est aussi un one shot qui sait ce qu’il veut nous raconter. Se montrant très peu bavard au final, cet ouvrage se dévore à une vitesse tout en parvenant pourtant à nous exprimer quelque chose de fort. Le dessin est parfaitement mis à contribution ici comme un outil scénaristique de même que le découpage et la narration. Avec un final qui nous a surpris, on ouvre les yeux sur ce qui se cache réellement derrière toute cette histoire. Une réflexion sur l’être humain, ses travers ainsi que ses aspirations qui finissent immanquablement par détruire tout ce qu’il touche.

Bibliomania nous fait vivre de fabuleux cauchemars

J’avais énormément d’attentes concernant Bibliomania depuis son annonce par Mangetsu. Rien que par sa couverture ou bien la proposition liée à l’histoire, ce manga réussissait à avoir une aura hypnotique avant même que je m’aventure dedans. Ce fut encore plus fascinant dès lors que j’ai ouvert ce titre et j’ai été séduit par cette manière de narrer une intrigue. Jouant habilement autour de la notion de fuite de la réalité, le titre sera parvenu à être pertinent dans ce qu’il raconte au travers de ses multiples personnages. Des rencontres qui ne durent qu’un instant dans le parcours d’Alice, mais qui vont s’imprégner profondément dans notre esprit. De même, rien que sur le plan visuel, cette épopée sort de l’ordinaire et affiche un trait qui colle merveilleusement à tout ce qui façonne cet univers déformé. De même, il est aussi important de souligner à quel point cette expérience littéraire se veut aussi marquante par cette volonté de difformité qui s’incruste dans chaque élément de ces environnements que l’on va découvrir. Alors que l’on veut nous convaincre que ces chambres sont une source d’espoir pour les résidents, c’est tout le contraire qui se passe. Les rêves se transforment en cauchemar et le bonheur apparent cache en réalité de terribles stigmates. Sans oublier cette conclusion qui entre parfaitement en écho avec tout ce que l’on a pu vivre jusqu’à ce dernier acte. Une épopée qui sait comment troubler son lectorat pour mieux resserrer son étreinte jusqu’au couperet final.

Avec Bibliomania, j’ai énormément apprécié la manière dont le titre parvient à construire son histoire et surtout à quel point cette dimension alternative contribue à exacerber tout ce qui peut exister chez l’être humain. Véritable odyssée macabre et dérangeante au cœur d’une nature humaine transformée, chaque porte que l’on ouvre en compagnie d’Alice est l’occasion d’être un peu plus engloutie par cet environnement. De même, on apprécie énormément la grande diversité des décors qui rendent chaque salle unique. Comme si on vivait tout un tas de petites aventures au sein d’un plus grand voyage. Il est clair que le titre ne plaira pas forcément à tout le monde dans ce qu’il raconte ou même dans l’ambiance qui s’en dégage. Mais il faut souligner l’incroyable travail qui a été fait autant au niveau des symboles qui ponctuent l’ensemble du récit ainsi que sur la scénographie. Je fus bluffé par cette immersion au sein de ces divers tableaux macabres, distordus ou totalement fantaisistes et qui pourtant sont porteurs de thèmes bien concrets. Un one shot qui plaira autant aux gens appréciant une atmosphère de ce style ou qui cherche une aventure sortant de l’ordinaire et maîtrisant chaque élément de ces diverses escales. Si l’on pouvait se questionner sur où le récit allait nous emmener par le prisme du personnage d’Alice, je dois dire que la surprise fut de taille en attaquant le dernier pan de l’œuvre. Un titre qui nous focalise entièrement sur ce que l’on vit dans chaque pièce pour mieux nous détourner du dessin global qui se trame autour de cette aventure.

N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant Bibliomania. Avez-vous été bluffé par le coup de crayon du dessinateur tout au long de cette sinistre épopée ? Trouvez-vous que le récit arrive à nous raconter quelque chose de fort à travers cette ambiance macabre et le personnage d’Alice ? Est-ce que le titre a su retenir votre attention par son atmosphère à la fois étouffante et captivante ? Ce one-shot parvient-il, selon vous, à nous transmettre tout ce qu’il souhaitait ? Ce manga est-il, à votre avis, une expérience sortant de l’ordinaire ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de cette lecture.

© 2016 Orval / Macchiro, Indépendant

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