Le Clan des Poe tome 1 : le destin tragique d’un enfant immortel
Dans le monde du manga, il y a des autrices dont le nom résonne fortement dans le cœur de nombreux fans. Des artistes qui ont su apporter leur pierre à l’édifice que représente cet art et qui a pu grandir entre leurs mains. Nous sommes donc toujours heureux de voir des titres ayant vu le jour sous leurs coups de crayon faire leur apparition en France. Cette fois, c’est une série qui était attendu depuis fort longtemps qui a enfin fait ses débuts chez nous. Notre sujet du jour porte sur le premier tome du Clan des Poe qui est venu enrichir le catalogue d’Akata. Sorti il y a seulement quelques jours, l’œuvre de Moto Hagio a suscité beaucoup d’entrain de la part des lecteurs qui avaient hâte de pouvoir mettre les mains sur cette histoire de cette mangaka légendaire. S’il y a eu quelques péripéties, ce volume est enfin là et j’étais très curieux de voir ce qui pouvait se cacher derrière toute cette attente. J’ai fini par poser les mains sur cet ouvrage et j’ai pu y déceler énormément de choses intéressantes autour de ce récit, mais aussi une proposition captivante dans la manière de narrer une intrigue. L’heure est donc venue de suivre les diverses péripéties d’une famille dont le temps n’a aucune emprise sur eux.
Les nouveaux venus dans la famille
Le Clan des Poe, imaginée par Moto Hagio, nous emmène au XIIIe siècle en Angleterre. Si l’on ignore exactement le lieu où tout a commencé, nous savons que ce sont Edgar et Marybelle qui vont être emportés dans la tourmente. Ces derniers sont les enfants illégitimes d’un aristocrate ayant préféré les abandonnés plutôt que de s’occuper d’eux. Alors que sa petite sœur n’est même pas en âge de comprendre ce qu’il se passe, son grand frère fait tout pour s’occuper d’elle. Malheureusement, il doit se rendre à l’évidence que deux gamins n’ont quasiment aucune chance de survie dans un environnement aussi hostile et inconnu. Tandis qu’il serre fortement Marybelle contre lui pour la rassurer, ils sont accostés par une personne qui leur est étrangère. Edgar, fatigué par tout ce qu’il a traversé, s’effondre et se réveille dans une demeure dont il n’a pas le souvenir. C’est là qu’il va faire la connaissance de celle qui se fait appeler Hannah l’Ancienne. Une vieille femme qui a décidé de prendre les deux orphelins sous son aile et de leur offrir le gîte et le couvert. En apparence, cette dame semble totalement inoffensive et bienveillante. Après tout, elle a pris de son plein gré la décision de s’occuper de ces deux enfants sans rien demander en retour. Le temps est donc venu pour cette fratrie de goûter enfin au bonheur. Mais celui-ci peut rapidement disparaître surtout lorsque l’on fait face à une vérité troublante et brisant tout ce que l’on pensait connaître.
C’est exactement ce qui s’est passé pour Edgar après avoir passé plusieurs années au sein du clan des Poe dont Hannah est la matriarche. Il va découvrir accidentellement le terrible secret de sa famille d’adoption. Ils sont tous des vampanella, des êtres immortels qui se nourrissent de sang humain. Voilà la réalité qui se cache derrière le clan des Poe qui vit à l’écart du reste du monde. En effet, la légende de ces créatures est connue de bon nombre de gens et il est déjà arrivé plus d’une fois que la découverte d’un de ces représentants se transforme en une traque sanglante. Afin d’éviter que le malheur frappe à nouveau leurs semblables, chaque vampanella doit faire particulièrement attention à tout ce qui l’entoure. Que ce soit leurs blessures qui cicatrisent plus ou bien l’absence de reflet dans le miroir, ces petits détails peuvent être largement suffisants pour semer la peur chez le commun des mortels. Malheureusement pour Edgar maintenant qu’il connaît la vérité un terrible choix s’offre à lui. S’il veut protéger sa sœur, il va devoir devenir l’un d’entre eux. Un rôle qu’il finit par accepter dans l’unique but de sauver la seule personne qu’il considère comme sa réelle famille. Mais si l’immortalité semble être un don qui ferait rêver bon nombre de personnes, il peut aussi s’agir d’une terrible malédiction pour celui qui se retrouve à devoir connaître bien des époques sans jamais trouver le repos éternel. A présent, c’est une existence sans fin qui attend ce jeune garçon traversant les années sans jamais connaître la déchéance de son corps.
Quand on s’arrête quelques instants sur le synopsis du Clan des Poe, on peut avoir le sentiment que l’on est face à un récit centré sur les vampires comme on peut en connaître beaucoup. Cependant, dès l’instant où l’on va se pencher sur la première partie du manga, on va découvrir une ingéniosité dans l’écriture qui rend l’ensemble fascinant. Il n’est pas uniquement question ici de suivre le destin d’un suceur de sang ou de ses congénères. C’est avant tout un voyage à travers les époques afin de voir l’évolution de ce clan et aussi de tous ceux qui ont croisé leur route.
Entretien avec un vampire
Au vu de l’important ouvrage que l’on a devant nous, il est clair que Le Clan des Poe a énormément de choses à nous raconter. Mais ce qui va rapidement sauter aux yeux quand on se lance dans cette aventure est le fait que la mangaka ne suit pas une ligne temporelle précise. Au contraire, tout est déconstruit à ce niveau et fait que l’on peut être perturbé au premier abord par ce mélange des époques. De ce fait, on va vivre des événements importants pour Edgar dès les premières minutes du livre pour ensuite faire des allers-retours entre son passé et sa vie plus récente. Si l’on peut se questionner sur cette narration, cela est en réalité une partie importante de l’identité de l’œuvre. Ce manga nous conte l’existence éternelle d’un vampanella qui doit vivre avec cette malédiction d’une jeunesse immortelle. Il va ainsi nous présenter, à travers ses mots, ses chants, ses peurs et son désespoir à quel point ce mode de vie le ronge petit à petit. En effet, ce titre est avant tout une ode à ce que cet état peut lui enlever et rend le mythe du vampire beaucoup plus tragique. Moto Hagio est parvenue à nous partager tout ça par cette nostalgie ambiante qui accompagne chacun de nos pas en compagnie de cet enfant qui ne pourra jamais vieillir. Un destin tragique et qui est parfaitement décrit comme tel tout au long de cette expérience littéraire si unique. Le côté déstructuré de la narration rend le récit aussi imprévisible que captivant tant on s’amuse à remettre tout en ordre et que l’on est surpris par certains événements.
On se laisse aisément emporter par ce flot temporel qui rythme notre avancée et surtout par toutes les émotions qui vont nous assaillir. On est très loin de l’image que l’on peut connaître du vampire qui, même s’il a besoin de sang pour se nourrir, n’est pas en quête perpétuelle de nourriture. Au contraire, il y a même une certaine noblesse qui se dégage de ce clan et qui nous montre des êtres cherchant avant tout à vivre entre eux et non à s’exposer au courroux des humains. Mais malgré tout, on nous dépeint ce rôle comme profondément triste du fait qu’il condamne à une éternelle solitude comme le montre si bien Edgar. Un être totalement perdu et qui se contente d’être guidé par ses habitudes plus qu’un véritable but. Une mélancolie qui nous fait avoir beaucoup d’empathie pour ce protagoniste qui, même entouré de ses semblables, se présente à nous comme quelqu’un d’isolé. Mais ce n’est pas l’unique atout de cette saga. Il y a aussi dans cet ouvrage des chapitres entiers qui ne s’attardent pas sur nos buveurs de sang, mais sur ceux qui ont pu croiser leur route. On bascule alors du côté des humains et là encore c’est brillant. On nous montre ces derniers qui grandissent en gardant à l’esprit leur contact avec Edgar ou un membre de son clan. Même s’ils continuent leur existence, on voit l’impact que cette rencontre a pu avoir sur eux. Une rencontre avec quelque chose de surnaturel qui se veut à la fois effrayant et envoûtant. Des individus lambdas qui n’oublieront jamais ce qu’ils ont pu connaître jusqu’au jour où le temps les emportera en laissant de nouveau ce garçon seul avec ses souvenirs et sa tristesse. L’immortalité devient un poison là où la mortalité est sublimée par l’héritage laissé et les moments vécus. Une magnifique et souvent déchirante ode à la vie.
Le Clan des Poe était très attendu et on peut facilement comprendre pourquoi. Que ce soit dans son écriture, son trait ou sa symbolique, cette histoire réussit à éveiller en nous un intérêt pour le destin d’Edgar et de tous ceux qui croiseront son chemin. Une virée à travers les époques où l’on nous conte avec brio la souffrance due à la solitude, à la perte d’un être cher et surtout à quel point la vie est belle parce qu’elle est justement limitée. On ne peut alors que ressentir une profonde nostalgie et mélancolie au contact de cet ouvrage qui résonne en nous comme si la rencontre avec ce protagoniste avait aussi impacté notre existence.
Le Clan des Poe plante ses crocs
Il n’y a pas à dire, l’inauguration de la collection Héritages d’Akata se fait en grande pompe avec Le Clan des Poe. Remettant en avant cette incroyable artiste qu’est Moto Hagio, j’ai vraiment pris énormément de plaisir à découvrir cette œuvre. Un titre qui peut se montrer assez difficile à cerner de prime abord notamment par son aspect déstructuré et l’absence de fil conducteur menant à un objectif précis. Pourtant, si l’on prend du recul et que l’on voit ce que la mangaka a voulu raconter, on découvre alors une expérience littéraire absolument fascinante et qui vient nous mettre une belle petite claque. Se perdre au milieu de tous ces souvenirs est prenant et c’est justement le fait que tout ne soit pas proprement ordonné comme on peut avoir l’habitude qui rend cette lecture encore plus grisante. En réalité, on pourrait facilement faire un parallèle entre cette œuvre et les souvenirs de notre jeune protagoniste. A l’image de n’importe quel être humain, Edgar se souvient avant tout d’épisodes marquants de son existence sans réellement avoir envie d’ordonner tout ça. Au contraire, il nous les présente au fur et à mesure que cela lui vient en tête et l’on prend chacune de ces histoires pour ce qu’elle est, à savoir une bribe des empreintes laissées par les vampanella et ceux qui ont fait leur rencontre. D’ailleurs, le trait de l’autrice appuie aussi ce côté à la fois poétique, lyrique et mélancolique qui fait le charme de cette épopée. Une histoire qui n’a pour unique but que de nous transmettre le désespoir de ce jeune homme condamné à être en dehors du cycle naturel de la vie.
C’est donc, comme vous vous en doutez, un immense coup de cœur pour moi. Le Clan des Poe arrive rapidement à nous faire comprendre que l’on va vivre entre ces pages quelque chose qui sort de l’ordinaire. S’il est évident que le titre pourra diviser par rapport à ce que chacun recherche, ce manga est avant tout un petit bijou de narration et d’émotion. Rien qu’en voyant le traitement appliqué à certains thèmes, on peut totalement discerner la maîtrise de cette artiste, mais aussi à quel point sa créativité a su donner vie à tout ce qu’elle désirait. Une lecture conséquente, mais où je n’ai pas vu le temps passer tant j’ai été pris dans les méandres des souvenirs de cet être buveur de sang qui n’a plus goût à rien. Un monument du manga que l’on peut découvrir dans une sublime édition et qui vaut largement le coup d’œil. Si vous avez envie de lire une aventure mettant en avant des sujets tels que la vie, la mort, la solitude et les souvenirs, alors Le Clan des Poe pourra largement vous plaire. A présent qu’il ne reste plus qu’un tome, j’ai pas mal de questions qui me viennent à l’esprit. Est-ce que l’on va rester dans le même schéma que ce que l’on a pu connaître ici ? Quel est l’avenir qui attend Edgar ? Va-t-il continuer éternellement à errer d’une vie à l’autre ? Va-t-il finir par trouver la paix ou bien disparaître à tout jamais ? Quelles autres rencontres l’attendent ? Je serais au rendez-vous pour la suite !
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume du Clan des Poe. Appréciez-vous le format de cette édition ? Trouvez-vous que celui-ci réussit à sublimer l’œuvre de cette autrice légendaire ? Avez-vous été profondément marqué par l’épopée d’Edgar et tout ce qu’il parvient à nous raconter au fil de sa vie déjà beaucoup trop longue ? Etes-vous intrigué de voir comment tout ça va finir et surtout de connaître le destin de ce garçon au visage éternellement jeune ? Est-ce que cette série a su vous émouvoir par rapport à ses thèmes et les sujets abordés durant ces nombreuses pages ? Qu’attendez-vous pour le prochain tome ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce titre.
© 1972 Hagio Moto, Shogakukan
[…] Avis d’Esprit Otaku : Le Clan des Poe tome 1 : le destin tragique d’un enfant immortel | Esp… […]