Portraits croisés : Ashito & Gaku
Cela faisait bien longtemps que je ne vous avais pas proposé un nouveau numéro de “Portraits croisés” et je me suis dit que cette semaine était l’occasion pour rectifier cette erreur. Après tout, il y a beaucoup à dire à travers des personnages qui peuvent être étroitement liés, qu’ils soient de la même série ou non. En effet, il peut arriver que deux protagonistes venant de deux licences différentes d’un mangaka puissent entrer en résonance par rapport à leur écriture. On peut ainsi distinguer des similitudes, mais aussi par moment des chemins opposés donnant encore plus d’intérêt à l’observation de leur évolution. C’est ce que l’on va découvrir aujourd’hui en mettant en parallèle le parcours d’Ashito de Ao Ashi et Gaku de Fermat Kitchen. Imaginé tous les deux par Yûgo Kobayashi, auteur présent au catalogue Mangetsu, il est très important de voir comment l’auteur a voulu construire ses deux protagonistes. Ils ont beau être dans des domaines séparés, ces deux adolescents sont bien plus complémentaires qu’ils n’y paraissent et vont avoir chacun ce qui manque à l’autre. L’heure est donc venue d’analyser le chemin de ces deux prodiges.
Ashito, le joueur trop centré sur lui-même
Pour commencer, on va se pencher sur le cas de notre diamant brut du foot, à savoir ce cher Ashito. Quand on fait connaissance pour la première fois avec ce jeune homme, on peut déceler en lui un fort potentiel et surtout un amour inconsidéré pour ce sport. On le voit mettre toutes ses forces dans chaque rencontre dans l’espoir de briller et de décrocher la victoire. Et pourtant, il reste coincé dans sa petite équipe au sein de sa campagne reculée. Ce n’est qu’avec la venue de celui qui sera son futur coach que son avenir va changer. Mais qu’est-ce qui rend ce protagoniste aussi intéressant à suivre ? Après tout, il n’est pas rare de voir des héros passionnés qui vont tout donner pour réaliser leur rêve. C’est encore plus vrai quand on touche aux récits sportifs qui regorgent de jeunes pousses talentueuses qui vont nous faire vibrer au fil de leurs progrès. Dans un premier temps, il est important de voir que s’il est motivé et qu’il adore le foot, l’histoire d’Ashito nous prouve que cela ne suffit pas à concrétiser ses ambitions. Il a beau avoir le cœur, il lui manque tout le reste pour réussir à sortir du lot et c’est ce qu’il va découvrir en rejoignant son nouveau club. C’est un tout autre mode de vie qui se présente à lui où il ne suffit pas d’être enthousiaste pour être choisi comme titulaire. Le feu qui brûle en lui va se confronter à cette dure réalité et c’est à force de se frotter à celle-ci que Ashito va peu à peu changer. Et là on touche à quelque chose de très important concernant son développement. En fait, s’il n’a jamais pu utiliser au mieux ses compétences, c’est parce qu’il n’avait pas le cadre adéquat pour les aiguiser. Là, il reprend quasiment tout de zéro et va progressivement montrer ses capacités à ses coéquipiers, mais aussi au staff qui va même être surpris de son évolution fulgurante.
En l’amenant à ouvrir les yeux et à participer à ce qu’est réellement le football, il va voir ce qui lui manque et surtout faire face à sa propre vision de ce sport jusqu’ici. Très centré sur lui-même, cet adolescent va progressivement élargir son regard et ainsi voir ce qui se trouve devant lui durant les matchs, mais aussi l’ensemble du terrain. Une perception qui deviendra l’une de ses meilleures armes tandis qu’il fera frémir bon nombre de ses opposants ainsi que certains de ses alliés. En fait, on assiste à la transformation d’Ashito en un professionnel en devenir qui doit passer par bon nombre de désillusions avant de comprendre réellement quelle est sa meilleure place sur le terrain. Un joueur qui rêve de briller, mais qui doit reprendre les fondamentaux et surtout détruire tout ce qu’il a connu précédemment pour créer des bases bien plus solides. Une future légende qui passe par de multiples chutes pour mieux se relever ensuite et qui, aujourd’hui encore, doit apprendre et surtout accumuler de l’expérience afin de concrétiser son souhait. Il est le symbole d’une passion dévorante, mais qui doit être canalisée pour être parfaitement utilisée. Et c’est alors captivant de voir comment ce jeune joueur un peu trop fougueux au départ a su se recentrer sur ce qui est important, à prendre en compte ses coéquipiers et surtout à devenir beaucoup plus technique dans ses actions. Un chemin qui va être rythmé par cette précision chirurgicale qu’il va obtenir et qui l’amener à passer du simple joueur ayant un peu de talent en un diamant brut qui n’attend plus que d’être poli pour éblouir tout le monde sur le terrain. Quand la passion est maîtrisée pour se combiner à l’expérience, cela donne vie à un héros qui nous donne envie de l’encourager.
Gaku et sa perte de la passion
Après avoir abordé le cas de notre cher joueur de l’Espérion, il est grand temps de nous tourner vers le héros de l’autre grande saga du mangaka, à savoir Gaku et son périple culinaire. Ici, nous sommes très loin des terrains de foot ou autre domaine sportif étant donné que tout se passe derrière les fourneaux. Mais avant même que le moindre élément culinaire vienne s’immiscer dans la vie de cet étudiant, il est important de se focaliser sur ce qu’il est. Totalement obnubilé par tout ce qui touche aux mathématiques depuis son plus jeune âge, Gaku s’était destiné à percer dans cette voie. Sa passion pour ces chiffres et problèmes éblouissait son entourage qui s’attendait déjà à le voir au sommet de ce domaine. Pourtant, on va rapidement se rendre compte que s’il est impressionnant dans sa réflexion, il va perdre quelque chose en route de très important. Là où Ashito représentait un amour intarissable pour son sport, Gaku va au contraire perdre celui-ci pour les maths sans pour autant perdre en vivacité d’esprit. Son réel souci ne va pas être d’aiguiser son esprit, car il a en réalité toutes les cartes en main pour réussir. C’est tout bonnement parce qu’il a perdu cette volonté qui l’animait depuis qu’il est gamin. Une perte qui va l’amener à baisser les bras et abandonner son rêve. Un parallèle très intéressant entre nos deux personnages du jour, car l’un a une passion incontrôlable tandis que l’autre a perdu cette énergie qui faisait battre son cœur. Ce n’est qu’en entrant dans le monde de la cuisine et de la haute gastronomie que cet étudiant va comprendre ce qu’il a oublié. Quand on le voit faire face à l’épreuve de celui qui deviendra son futur partenaire de travail, on peut entrevoir dans ses yeux les braises de sa détermination briller de nouveau.
C’est finalement en combinant son amour des chiffres à la cuisine qu’il va montrer tout son véritable potentiel tout en entamant une introspection de lui-même. Alors qu’il ne se sentait pas à la hauteur de la volonté des autres candidats qui semblaient jouer leur vie sur ces calculs, c’est en étant derrière les fourneaux que son feu intérieur va reprendre de plus belle. Nous sommes ainsi dans le cas où notre protagoniste a largement les armes et l’intelligence pour se faire une place, mais qui a pourtant gâché ce potentiel en baissant les bras. Là où notre joueur de foot devait surtout gagner en expérience et en enseignement, notre jeune cuistot doit surtout reprendre confiance en lui. Et c’est finalement en étant face à un tout nouveau genre de défis à travers l’élaboration de ces plats et le juste équilibre à trouver qu’il va se mettre à retrouver cette âme d’enfant qu’il avait laissé de côté. Mais surtout, c’est au contact des clients et des autres membres de la brigade qu’il va comprendre que la cuisine n’est pas uniquement qu’une question de chiffres, de formules et de mélanges. Il faut aussi provoquer une expérience qui marquera l’esprit de ceux qui entrent dans le restaurant. Le coeur se veut donc tout aussi important que l’esprit et le plus intéressant dans la série sera donc de voir l’évolution de Gaku au niveau humain. On veut le voir progresser dans cette nouvelle voie qui s’offre à lui, mais surtout on veut revoir ce visage rayonnant qu’il a pu montrer brièvement alors qu’il n’était encore qu’un gamin. Ainsi, il est avant tout la représentation du besoin que l’on a d’être passionné. C’est grâce à ça que l’on peut soulever des montagnes et sans celle-ci, on a beau être le plus remarquable dans un domaine, il manquera toujours ce petit quelque chose pour laisser son empreinte.
Deux êtres complémentaires
Yûgo Kobayashi a vraiment su créer deux figures marquantes et surtout très complémentaires dans le discours qu’ils vont tenir tout au long de leur périple. D’un côté, on a Ashito qui déborde d’énergie et de vitalité, mais qui ne sait tout simplement pas les efforts à fournir pour devenir pro. De l’autre, on a Gaku, un véritable prodige des mathématiques qui en a fait sa vocation, mais qui s’est finalement perdu en cours de route avant de retrouver quelque chose auquel il pourrait s’accrocher. La passion initiale dans Ao Ashi de notre protagoniste et le savoir du héros de Fermat Kitchen sont en réalité les deux faces d’une même pièce. Sans travailler d’arrache-pied pour accumuler connaissances, expérience et compétences, la passion seule ne peut suffire à transformer un rêve en réalité. De même, avoir tous ces éléments pour soi, mais que la détermination ne suit plus, c’est alors tout le chemin parcouru qui s’écroule. Il est captivant donc de voir à quel point le mangaka a cherché à proposer une évolution autour de ces héros qui soit à la fois similaire dans leur but à atteindre et pourtant diamétralement différente dans ce qu’ils doivent acquérir. Évidemment, Gaku a encore de la marge pour nous montrer son développement, mais dès le premier tome, on peut ressentir ça pour lui. Et quant à notre jeune espoir du foot, il a déjà su nous montrer à de nombreuses reprises que l’expérience du terrain et les échecs font partie de la vie d’un sportif. C’est en chutant à chaque fois que sa passion vient jouer un rôle crucial en lui donnant la force et le courage de se relever constamment. Deux leçons importantes de la vie et qui sont parfaitement représentées à travers ces deux séries respectives de l’auteur.
C’est quelque chose de fascinant de voir comment un mangaka peut parvenir à autant créer son propre style sans pour autant reprendre les mêmes éléments d’une saga à l’autre. Ici, on le voit parfaitement, car il a pris finalement un but similaire dans des domaines différents, mais en changeant d’angle pour mettre en place le problème rongeant son héros. On peut alors facilement s’identifier à au moins l’un d’entre eux tant on peut se retrouver dans le même cas que Ashito ou Gaku. Des étudiants qui sont finalement le reflet de ce que l’on peut connaître dans la vie, poussés bien sûr à un certain degré pour créer du divertissement, afin de transcender ces fictions pour qu’elles soient vecteurs de messages forts. Au contact de ces personnages talentueux, on ne voit pas uniquement des gens qui nous semblent hors d’atteinte. Au contraire, on les voit échouer et se remettre en question avant de finalement continuer leur route. Quand on y pense, Ashito et Gaku sont seulement des étudiants comme les autres qui ont simplement décidé de dédier leur existence à l’accomplissement d’un désir qui amène bon nombre d’embûches. Il faut alors parvenir à les surmonter pour en tirer une force et progresser même si ce n’est qu’un pas après l’autre. Que ce soit sur un terrain de foot ou bien derrière des fourneaux, le combat de ces deux diamants bruts est le même pour devenir des étoiles montantes. J’espère en tout cas que le retour de ce rendez-vous vous aura plu et n’hésitez pas à me dire dans les commentaires si vous aimeriez que je traite d’autres portraits croisés.