Le Livre des Sorcières tome 1 et 2 : la peur engendre le surnaturel
Ce que l’on aime dans le manga, c’est sa diversité. Il y a toujours quelque chose à raconter même quand cela touche un sujet que l’on pense avoir déjà exploré de fond en comble. C’est justement une preuve de l’immense richesse de ce domaine que de voir des artistes explorer des sentiers inattendus au sein d’une zone que l’on connaît pourtant bien. On a justement eu cette expérience très récemment avec l’arrivée, chez Glénat, des deux premiers volumes du Livre des Sorcières. Rien qu’à ce nom, de nombreux mangas nous viennent à l’esprit et pourtant cette série a su accrocher notre regard. Que ce soit par son grand format ou bien ce que laissait supposer son synopsis, on était très tenté de découvrir cette saga. C’est maintenant chose faite et l’on peut dire qu’il y a énormément de choses à dire au vu du contenu de ces deux ouvrages. Une virée dans le temps à une époque où le mot sorcière condamnait de nombreuses vies à la mort et insufflait la terreur chez ceux qui souhaitaient juste vivre une vie paisible. L’heure est venue d’effectuer un voyage en compagnie d’un médecin désireux de changer les mentalités.
Le combat d’un médecin
Le Livre des Sorcières, imaginée par Ebishi Maki, nous emmène à la découverte du célèbre médecin Jean Wier, ayant exercé au 16e siècle. Grand praticien et fervent opposant aux chasses aux sorcières, il a tout fait pour changer le regard des gens sur ces fameux procès ne conduisant qu’à la mort d’innocents. Cependant, il ne s’agit pas ici de le voir au crépuscule de son savoir, mais bel et bien tout le parcours qu’il a amené à mener ce combat. Tout commence ici alors que ce jeune homme est envoyé dans un village de campagne par son duc de tutelle. Il paraîtrait que ce lieu est en proie à un tumulte sans précédent depuis l’apparition d’un soi-disant loup-garou. Si le doute est permis concernant l’existence d’une telle bête, ce ne serait pas la première fois que de simples rumeurs se transforment en une fausse vérité. Jean est donc expédié sur place pour lever le voile sur ce qu’il s’est réellement passé. Si l’idée de faire face à une bête sauvage ne le rassure guère, il peut au moins compter sur une escorte qu’on lui a attribuée. Malgré tout, il est très loin d’être jouasse à l’idée d’entamer ce voyage. Forcé de s’y rendre, il va rapidement sentir qu’une profonde tension règne sur ce hameau. La mine sombre des habitants vaut largement le plus long discours pour ce médecin qui comprend que tout le monde s’inquiète de la venue de ce monstre. Sans perdre une seule seconde, Wier se dirige vers la jeune fille qui aurait été victime de cette attaque surnaturelle.
Répondant au nom de Marthe, cette demoiselle est confuse et montre ses blessures qui semblent bien avoir été faites par une paire de crocs. Malgré tout, Jean est encore loin d’avoir les preuves nécessaires pour dire si oui ou non la présence d’un lycanthrope est réelle. A ses yeux, tout peut s’expliquer et c’est l’ignorance qui pousse les gens à croire en la fiction des contes pour enfants. Mais il est très loin de se douter que cette affaire va le conduire à se remémorer un passé qu’il aurait préféré oublier. Lui qui n’était qu’un jeune garçon de bonne famille a trouvé sa voie suite à un terrible drame survenu bien des années auparavant. Le souvenir se fait de plus en plus vivace au fur et à mesure qu’il se rapproche de la vérité. Pour arriver là où il en est, Jean Wier a connu bien des épreuves, mais aussi des rencontres qui ont drastiquement changé son existence. Ce récit est celui de cet individu qui a grandi dans la peur des sorcières et autres créatures surnaturelles, mais qui a fini par entrevoir ce qui se cachait derrière toutes ces allégations infondées. La peur est un terrible moteur qui peut pousser tout un groupe à suivre une croyance dans le seul et unique but de trouver un bouc émissaire à leurs problèmes. Ce médecin, dont le nom va s’inscrire dans l’Histoire, est bien décidé à mener sa lutte contre cette traque invraisemblable, ce mode de pensée destructeur, mais aussi contre l’ignorance des habitants qui souhaitent juste se rassurer du mieux qu’ils peuvent. Les consultations n’ont pas fini de se multiplier pour ce médecin dont le courage ne faiblit pas.
Quand on évoque l’époque de la chasse aux sorcières, il y a de nombreuses thématiques qui nous viennent en tête. Il faut dire que les œuvres traitant de cette époque sont multiples et on a déjà abordé bien des facettes de cette part sombre de l’Histoire. Cependant, Le Livre des Sorcières va réussir à nous faire voir tout ceci à travers un point de vue original et qui va grandement enrichir notre approche de cette période. Là où le surnaturel pouvait devenir réel aux yeux des gens, le fait de suivre tous ces troubles à travers le regard d’un médecin nous conduit invariablement à réfléchir sur tout ça.
Une saga enrichissante
Il est très important d’aborder un tant soit peu tout ce qui constitue le cœur du Livre des Sorcières. Tout d’abord, ce récit s’inscrit dans une volonté de nous projeter dans le temps à cette époque où le moindre souci pouvait devenir une véritable traque afin de dénicher un bouc émissaire. Un contexte historique trouble et qui amène donc son lot de situations pour notre protagoniste. Cependant, il ne faut pas croire que cette série s’attarde uniquement sur cet élément. Bien au contraire, l’intrigue imaginée par la mangaka nous amène à faire face à bien des problèmes que va rencontrer notre protagoniste. Si tout semble débuter autour de ces accusations souvent infondées, la licence va rapidement élargir notre horizon pour nous faire avoir un œil externe sur ce que cela signifiait de vivre à cette ère. On ne nous épargne donc rien afin de coller au mieux à l’impuissance de certains événements comme les épidémies qui ont pu frapper et causer des dégâts considérables. Il est génial de voir que derrière le nom de cet ouvrage se cache en réalité une lecture qui se veut complète à bien des niveaux et qui va bien plus loin que ce que l’on pouvait attendre au départ. De ce fait, on prend un immense plaisir à simplement découvrir le quotidien souvent difficile de ces personnages qui luttent constamment pour juste être en paix. Une aventure qui veut amener le lecteur à s’imprégner pleinement de cet environnement qui nous fait autant flirter avec une forme de fantaisie et des éléments bien concrets.
C’est cet équilibre qui rend cette expérience littéraire aussi savoureuse à découvrir. A chaque nouveau chapitre, on porte notre regard sur une facette de cette histoire qui se veut à la fois différente de la précédente et complémentaire. En dehors de ça, Le Livre des Sorcières est une série qui est à mi-chemin entre le récit historique et humain. Ainsi, on apprend énormément de choses sur le courant de pensée qu’il pouvait y avoir, le développement de la médecine, les croyances locales tout en ne mettant pas de côté le ressenti des acteurs et actrices de cette pièce. Ce dernier point nous a aussi agréablement surpris tant on a pu partager toutes ces émotions qui s’expriment à travers le dessin. Sans jamais exagérer le trait, l’auteure met en scène des individus qui parviennent à nous toucher profondément par la sincérité de leurs propos. On sent cette volonté de combattre un système bien implanté et qui conduit le plus souvent à d’effroyables désillusions. On nous transmet cette volonté de lutter contre ces pensées éloignées de la vérité et on ressent aussi toute cette tristesse et frustration quand cela semble n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. Une escapade qui nous enrichit autant au niveau de l’esprit que des sentiments que l’on peut éprouver à la lecture d’une fiction. Chaque étape que l’on nous décrit au sein de ces pages a sa place et va venir apporter sa pierre à l’édifice pour rendre ce périple toujours plus impactant. Une construction narrative exemplaire et qui nous marque tant on a envie de rester en compagnie de ce médecin qui a encore tant à transmettre.
Si les deux premiers volumes du Livre des Sorcières affichent déjà une grande richesse et un contenu impressionnant, ce n’est rien en comparaison du message que l’on souhaite nous transmettre. Derrière le périple de notre protagoniste se dissimule avant tout une réflexion importante sur cette époque où l’ignorance poussait à la méfiance. C’est le manque de savoir qui nous est avant tout présenté ici et qui cause cette inquiétude à l’égard d’événements qui semblent inexplicables. Une plongée dans la psychologie humaine de cette ère où il était plus facile de trouver le surnaturel que de réfléchir à une possibilité logique.
Une réflexion pertinente sur l’ignorance
Voilà un sujet que l’on a souvent abordé, mais dans le domaine du manga d’horreur. En effet, le fait de ne pouvoir expliquer un phénomène engendre forcément une crainte chez le lecteur ainsi que le commun des mortels. On a du mal à accepter quelque chose qui puisse dépasser la compréhension humaine et cela engendre forcément de la peur chez ceux qui sont directement marqués par ça. Le Livre des Sorcières reprend totalement ce principe, mais pour montrer à quel point cela a vraiment existé et a grandement influencé le mode de vie de toute une population. De base, le manga veut opposer notre jeune héros au reste de son entourage en nous présentant ça comme la dualité entre le savoir et l’incompréhension. L’auteure nous montre que derrière ces accusations de sorcellerie se trouvent en réalité des hommes et des femmes qui se renferment dans leur propre peur de l’inconnue. Ne pouvant expliquer ce qui se passe, il préfère citer des contes qui se transforment alors en réalité. Ce formidable travail d’exposition rend la lecture palpitante à suivre, car la scission entre les deux camps est parfaitement retranscrite. D’un côté, on a ce problème vu d’un point de vue purement médicale et de l’autre ces croyances populaires qui se sont tellement incrustées dans l’esprit des gens que cela est devenu une vérité presque absolue. On nous montre avec brio à quel point une explication, qu’elle soit basée sur des faits ou juste une méfiance, peut se répandre comme une traînée de poudre même si cela est très loin de la réalité.
Ce parti-pris est formidable et permet de plonger pleinement dans la manière de pensée de l’époque où le surnaturel avait encore une place bien présente dans la vie réelle de chacun. D’ailleurs, la mangaka réussit même à créer des propos qui sont ingénieux pour décrire ce mode de vie où le mot “sorcière” est devenu une norme. Ce que l’on pourrait qualifier de nos jours comme une fantaisie de la part des habitants de l’époque est en réalité une forme de maladie qui se répand dans le cœur des hommes et qu’ils ont eux-mêmes créé. C’est leur peur et leur ignorance qui ont permis à ce terme de devenir un maux concret alors que le problème est ailleurs. Pour ça, la série réussit un tour de force en parvenant à retranscrire à merveille ces troubles. Cependant, cela ne s’arrête pas là, car l’artiste ne veut pas qu’il y ait un fossé complet entre notre jeune médecin et ses concitoyens. C’est pour ça qu’il n’est pas question ici de pleinement mettre de côté toutes les croyances de ces individus, mais de les confronter à une autre manière de penser. Le jeune homme que l’on suit a beau être un homme de science, ce n’est pas pour autant qu’il renie totalement ses propres croyances. Il y a justement un mélange des deux qui se forme et qui permet de donner vie à un protagoniste bien plus riche et intéressant que de simplement le faire aller d’un seul côté. A l’image de cette époque qui est en proie à de nombreux bouleversements, il est un digne représentant de ces changements où la peur, la religion, les connaissances et la médecine se combinent.
On a été totalement ébloui par tout ce qui nous était proposé par ces deux premiers volumes du Livre des Sorcières. Une immersion réussie, intense et surtout dramatique au sein d’une ère où la mort pouvait venir à tout instant. Ne se limitant pas uniquement à ces chasses aux sorcières, ce manga se veut captivant en nous emmenant dans le quotidien de ce médecin qui cherche à briser ce cycle éternel de haine conduit par la crainte. Le combat entre le savoir et l’ignorance qui nous amène à suivre des scènes fortes et poignantes d’une période historique qui a fait bien des ravages. Une série teintée d’une profonde humanité autant dans ses moments sombres que les instants de joie.
Le Livre des Sorcières et son puissant témoignage
Le Livre des Sorcières fut une incroyable et surprenante découverte. On ne savait absolument pas dans quoi on s’engageait à la lecture de ces deux premiers volumes. Si le synopsis et le contexte de base de l’histoire avaient titillé notre curiosité, le résultat fut au-delà de nos espérances. On a été pleinement comblé par l’expérience proposée et l’on a eu du mal à décrocher de cette lecture même après avoir terminé. Affichant une immense richesse et une mise en scène réussie, ce manga nous plonge avec délice à une époque où la peur dominait la majorité des gens. Le fait de partir de ce principe pour traiter du sujet des accusations de sorcellerie est un pari réussi tant cela donne une approche très psychologique à ces événements. On est face à une étude des foules qui se laissent guider non pas par une forme de réflexion cartésienne, mais par la première branche à laquelle ils peuvent se rattacher. Peu importe que cela soit du domaine du conte ou non, tant qu’une justification est réussie. Une réflexion pertinente qui montre, à travers ce manga, que ce sont les gens qui ont le pouvoir de créer certaines choses, que cela soit bénéfique ou sinistre, par le simple fait d’y penser. Telle une épidémie qui se propage d’un corps à l’autre, ce titre nous montre que la magie n’est rien d’autre qu’une élucubration qui s’est transmise d’un esprit à l’autre. Tout est habilement dosé pour que l’on soit à la fois interloqué par l’ingéniosité des propos tenus et happé par l’enfer que vivent certains personnages dont le plus gros symptôme est souvent de l’ordre de la mélancolie.
Avec tout ça, Le Livre des Sorcières s’inscrit comme un immense coup de cœur à nos yeux. On n’a pas vu le temps passé alors que l’on était pris par le destin de ce jeune médecin en proie au doute et à l’opinion populaire. De plus, le titre se termine avec le prochain tome et cela semble tout à fait convenir à ce que souhaite raconter la mangaka. Une œuvre courte et captivante où l’on voyage à travers le temps pour assister au combat d’un homme pour soigner un mal bien plus difficile à extraire que le plus virulent des poisons. Un conflit pour promouvoir la science et surtout la connaissance afin de ne plus être enfermé dans des légendes conduisant souvent à des drames. Une saga qui plaira sans nul doute à ceux qui apprécient tout ce qui tourne autour des sorcières, mais aussi qui désirent découvrir un récit abordant ce sujet d’une façon concrète et inscrite dans la période concernée. Pas besoin de magie ou de sorts pour aborder ce thème qui peut aussi donner lieu, comme ici, à une aventure qui nous tient en haleine autant qu’elle réussit à nous émouvoir. Alors que l’on attend impatiemment le dernier acte de ce manga, les questions fusent concernant cet avenir incertain. Est-ce que notre soignant sera capable d’influencer les mentalités afin de ne plus assister à d’autres tragédies ? Devra-t-il se résigner face à une population toujours plus ancrée dans ses croyances ? Assisterons-nous au traitement d’un nouveau cas prometteur pour la conclusion de la série ? Tout cela donne furieusement envie de connaître la suite.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ces deux premiers volumes du Livre des Sorcières. Avez-vous été fasciné par la richesse de cette œuvre et cette faculté à nous plonger dans les méandres de ces chasses aux sorcières ? Trouvez-vous que le fait de suivre le point de vue d’un médecin est un bon point pour réfléchir sur cette situation ? Avez-vous apprécié la manière dont le manga nous amène à poser les yeux sur ce qui a vraiment motivé tous ces gens à croire en quelque chose d’irréel ? Qu’attendez-vous pour le dernier tome de la série ? On reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.