Manga Horror Show : la figure de l’enfant dans les récits horrifiques
Et voilà, le mois d’octobre a bien débuté et cela signifie qu’il est grand temps de se remettre en mode Halloween. En cette période où la magie et l’horreur sont rois, il est grand temps de réveiller un rendez-vous qui ponctuera ces prochaines semaines. Il s’agit bien sûr du Manga Horror Show qui fait son grand retour. Après votre excellent l’accueil l’année dernière de ces billets, il était impensable de ne pas les faire revenir. Après avoir réfléchi tout le reste de l’année aux sujets qui seraient abordés, j’ai pu dégager quatre thèmes prometteurs que j’aborderais chaque samedi du mois. Pour ces retrouvailles, on va parler d’un élément que j’avais très envie d’évoquer tant il est captivant à analyser. Il s’agit de la figure de l’enfant dans tout ce qui est manga horrifique. En effet, si l’on a l’habitude de voir des adolescents et adultes qui se confrontent à bon nombres de défis et de frissons, il ne faut pas oublier ces gamins. Parfois, ce sont eux qui se retrouvent au cœur de la tourmente ou bien qui s’avèrent être la menace. Quand l’innocence se confronte à la peur, cela peut engendrer des histoires saisissantes. L’heure est donc venue de trembler de nouveau !
Un genre ciblant avant tout les adultes
Avant toute chose, il faut s’attarder un peu sur le genre horrifique dans le monde du manga. En effet, quand on tombe dans un titre spécialisé dans ce domaine, on est souvent confronté à des adultes ou bien des adolescents. S’il y a bien sûr des œuvres qui mettent à l’honneur les enfants, on retrouve bien plus d’histoires mettant en scène les premières catégories d’individus. En fait, pour comprendre ça, il est intéressant de se pencher sur le fait que la peur est une manière ingénieuse de faire perdre ses moyens à ceux qui sont censés être des protecteurs ou bien qui se pensent intouchables. On les ramène à une forme de vulnérabilité qui fait qu’ils semblent aussi impuissants que des bambins. Une façon de désarmer l’expérience des années pour ramener tout le monde au même stade. Que l’on soit face à une menace concrète ou bien un danger fictif, l’être humain se retrouve totalement à la merci de ce qui lui arrive. Ce n’est qu’au prix de beaucoup d’efforts et aussi de sacrifices qu’il est possible d’espérer s’en sortir. De plus, quand on parle d’effroi, on s’adresse très souvent à un public majeur et il est donc important de pouvoir s’identifier aux personnages. Le genre horrifique n’est pas pensé dans l’unique but de donner des frissons aux lecteurs. Il est aussi un style qui permet d’aborder de nombreux sujets captivants et même de dénoncer des problèmes importants. On a pu voir ça avec des titres comme Monster, Monkey Peak ou même Battle Royal. Encore une fois, il ne faut pas cantonner la peur à un type précis de lecture. N’importe quelle œuvre peut amener des éléments terrifiants et parfois les plus belles frayeurs ne viennent pas forcément des séries totalement dédiées à ce thème.
Mais il y a aussi quelque chose d’important à prendre en compte sur le fait que l’on a toujours cette crainte de voir des enfants en proie à l’effroi. Si l’on va en parler un peu plus en détails plus bas, il y a une aura qui a toujours entouré cette partie de la population. Une envie de les protéger de toutes ces frayeurs pour se concentrer sur des récits bien plus féériques ou en tout cas qui peuvent leur permettre de se construire. Dans un autre sens, quand les années prennent le pas sur l’enfance, on a cette envie de revenir à cette époque où tout était possible que cela soit dans la joie ou la peur. Ainsi, il y a presque un effet catharsis quand on se lance dans une saga de ce genre. On sait que tout ça est de la fiction, mais on a ce désir de se confronter à des choses qui peuvent nous donner le sentiment d’être sans défense. Un face-à-face entre les personnages et ces menaces pour qu’ils puissent grandir. On a déjà pu aborder l’impact de ces diverses représentations du mal que l’on peut découvrir dans nos titres préférés. Mais si l’on a pu parler un tant soit peu de ce que l’on a l’habitude de lire, cela ne veut pas pour autant dire que la figure de l’enfant n’est pas présente. Elle est plus rare, mais va aussi avoir un rôle important pour ceux qui se lancent dans ces épopées. Là où l’on peut avoir l’habitude de découvrir des lectures qui vont nous donner des frissons en nous mettant devant des représentations funestes, le rôle que peut avoir un gamin dans une intrigue horrifique va offrir une autre vision de l’angoisse. On peut même dire que cela crée un sentiment profond de malaise, car avant de voir ça, il est important de s’arrêter quelques minutes sur la raison pour laquelle on a autant de peur à voir des jeunes garçons ou filles être incorporés dans ces scénarios.
Le côté sacré de l’enfant
Avant de s’attaquer à divers exemples de l’utilisation de la figure de l’enfance dans le manga d’horreur, il est important de s’attarder un petit peu sur l’aspect protecteur que les gamins ont dans la culture populaire. En effet, il n’est pas rare, que ce soit au cinéma, dans les séries ou la littérature que les enfants puissent se retrouver en danger. Cependant, il y a une forme de bouclier scénaristique qui fait qu’ils sont protégés et finissent très souvent par s’en sortir. En fait, il est presque inconcevable pour tous d’imaginer un seul instant qu’un petit être puisse devenir une victime. Cela vient tout simplement du fait que dans l’inconscient collectif, l’enfant est une représentation de l’innocence, de la pureté et de la naïveté. Des individus qui ne sont pas encore imprégnés par les ombres du monde et qui ont cette image de figure à protéger. C’est pour ça qu’il est souvent très difficile d’imaginer qu’un jeune garçon ou une petite fille ne puissent pas s’en sortir dans une œuvre de fiction. Pourtant, beaucoup se sont amusés à aller contre cette idée préconçue et à les mettre volontairement en danger dans leurs histoires pour créer un sentiment très particulier pour le spectateur. On n’est pas uniquement happé par la tension présente ou bien par le scénario qui défile devant nous. Cette assurance que l’on avait au départ de cette sorte d’invulnérabilité entourant la figure de l’enfant se brise. Cela a pour effet d’accentuer l’aspect dramatique d’une oeuvre qui s’attaque à un âge que l’on pouvait penser intouchable. Un parti-pris qui fonctionne énormément et qui va avoir un double impact chez ceux qui vont être témoins d’une telle possibilité. Tout ce que l’on va découvrir par la suite va éveiller en nous cette crainte que cela puisse se répéter.
Une petite graine qui peut être implantée par un auteur et avoir des répercussions sur notre manière d’appréhender les travaux d’autres artistes. Dans un sens, cette possibilité de mettre en péril ce représentant de l’innocence et de l’espoir est un outil comme un autre entre les mains des écrivains, scénaristes et réalisateurs. Mais il est justement important de voir que cela reste presque une ligne que l’on n’envisage pas de franchir un seul instant quand on part découvrir une œuvre. D’ailleurs, le cinéma d’horreur a souvent mis des enfants dans des situations de dangers, mais très peu de titres ont franchi le cap d’en faire les victimes d’un monstre, d’un tueur ou de tout autre événement à la source du mal à combattre. Dans le monde du manga, c’est aussi quelque chose de rare comme on a pu l’évoquer un peu plus haut. Pourtant, cela n’empêche pas quelques mangakas de jouer avec nos nerfs en faisant de ces jeunes protagonistes des héros au centre de l’épouvante ou tout simplement des êtres devant aussi survivre. Il est aussi intéressant de voir que l’inverse est tout aussi rare dans le genre. Si l’on a du mal à concevoir l’idée que la représentation de l’enfance soit en danger, il est aussi difficile de voir en celle-ci une menace potentielle. Après tout, on reste justement dans un esprit très concret où un enfant est synonyme de chaleur, de tendresse et d’amour. En faire donc le principal ennemi d’un récit est un pari osé, mais qui amène des thématiques et des émotions très fortes. Deux visions qui vont avoir de plus en plus de place dans le manga et dont il est grand temps d’analyser ce qui en fait des choix redoutables pour l’écriture d’une histoire.
Quand des gamins doivent se défendre
Dans un premier temps, on va s’attarder sur ces histoires où les enfants sont au cœur de la tourmente. Le fait de prendre pour des héros des personnages d’un jeune âge va avoir pour effet de créer rapidement une sensation d’oppression. Avant même que les premiers événements macabres n’aient lieu, on craint pour la vie de ces derniers. Ce qui est intéressant au premier abord, c’est que l’on peut autant avoir une telle présence dans une saga d’horreur réaliste que totalement fantastique. C’est par exemple le cas pour From the Children’s Country où l’on suit toute une bande de jeunes survivants se retrouvant face à des monstres qui ne sont autre que les adultes transformés. Ils doivent donc apprendre à se défendre face à des entités ignobles tout en sachant que c’est une course contre la montre qui se joue. Dans cette œuvre, ce qui est aussi intéressant c’est que la figure du parent n’est plus source de protection, mais de danger. Derrière l’allure monstrueuse de ces créatures se cachent des adultes s’attaquant à leur progéniture. Il y a donc une opposition encore plus oppressante étant donné que ceux qui sont censés protéger cette figure d’innocence sont maintenant la principale menace à leur épanouissement. Quand un manga part dans cette direction, cela crée forcément un sentiment de malaise qui est voulu. On est le témoin impuissant de ce qui se passe et l’on espère juste voir le plus grand nombre s’en sortir tandis que l’on est aspiré par cette escalade de souffrance. C’est un peu le même cas dans The Promised Neverland où il n’y a aucun soutien de la part des adultes qui vont jusqu’à élever des enfants pour les servir en pâture aux démons. Le lecteur se retrouve impliqué dans des épopées où l’on ne se demande pas qui va survivre ou non.
On veut absolument que ces petits héros puissent s’en sortir. D’ailleurs, même si l’on sait que ces personnages peuvent échapper à leur funeste destin, la lecture de tels ouvrages va forcément apporter une certaine forme de tristesse. Tout cela s’explique par le fait que ces terribles épreuves vont tout bonnement empêcher ces enfants d’avoir une vie normale et paisible. Ils sont poussés à grandir sous peine d’être finalement rattrapés par leurs cauchemars. Il y a donc, à travers les mangas d’horreurs mettant en position de cible des gamins, une volonté de les pousser à grandir bien plus vite qu’ils ne l’auraient fait en temps normal. C’est face à la peur, l’angoisse et l’horreur de certaines scènes que cette lueur qui les anime finit par s’estomper. Mais ce choix scénaristique de prendre pour personnage central des enfants n’a pas pour unique but de jouer sur cette crainte de les voir en péril. Il y a aussi un autre élément qui entre en ligne de compte et qui est loin d’être anodin. Quand on se plonge dans ces séries, il y a une forme de transfert qui s’opère entre les protagonistes et nous. A travers eux, on retourne à cette époque où l’insouciance dictait nos actes. Un retour en enfance qui va avoir pour conséquence de renforcer l’aspect horrifique du titre, car tout nous paraît plus grand. Gamin, on oublie tout ce qui est logique, car l’imaginaire est bien plus forte que la raison. C’est pour ça que des monstres que l’on peut voir dans de nombreuses séries se transforment en véritable cauchemar. On partage cette angoisse où la moindre ombre, le plus petit bruit se métamorphosent en une menace glaçante. Pour reprendre l’exemple de The Promised Neverland, c’est exactement ce qui se passe. Si l’on se méfie des adultes tout au long de l’histoire, les démons eux se présentent comme des croque-mitaines prêts à tout pour un bout de viande. Même avec notre logique actuelle, on finit par se retrouver dans la même situation que ces héros pour qui tout est possible même le pire. Les barrières tombent et l’on se retrouve aux côtés d’eux face à des dangers qui nous font trembler comme si nous n’étions qu’un enfant terrifié dans sa chambre de peur qu’il y ait un monstre dans le placard. La fiction prend le pas sur la réalité pour proposer une expérience marquante.
Le Mal a un visage juvénile
Quand on parle de récits horrifiques mettant en scène des enfants, il n’est pas forcément question de les voir du côté des héros. Ils peuvent aussi être ceux qui vont justement être à l’origine de l’effroi tout au long de l’aventure. Si le fait de mettre un individu de cet âge en tant que protagoniste est déjà oppressant, le voir en tant qu’attaquant est encore plus déstabilisant. De base, l’inconscient a du mal à voir des gamins comme une menace potentielle. Comme dit précédemment, ils sont avant tout une figure positive, mais c’est justement en prenant le contrepied de ça que les auteurs peuvent offrir des aventures qui s’inscrivent à jamais dans notre esprit. Par exemple, From the Red Fog réussit très bien ça. Cette licence récente met comme personnage central un jeune garçon qui a été élevé par une tueuse en séries et qui va sans cesse être rongé par ses pulsions morbides. Ce qui est le plus dangereux dans cette histoire, c’est qu’il est conscient justement que personne ne va craindre un gamin comme lui et qu’il sait comment en jouer. On observe donc ça en étant totalement pris à la gorge par l’ingéniosité et l’aura funeste qui entourent ce dernier. La peur devient encore plus aiguë, car ce que l’on pensait inoffensif se transforme en une arme mortelle pouvant frapper à tout instant. Un choix plus que pertinent et qui joue sur l’imaginaire collectif et l’image que l’on a de toute cette partie de la population pour nous faire baisser la garde. Bien sûr, on peut se dire que c’est le premier coup qui va être le plus fort et que la suite sera moins impactante. Pourtant, il n’en est rien. On reste totalement démuni quand un enfant devient le bourreau, car cela va à l’encontre de ce que l’on souhaite pour lui.
Le simple fait de voir un personnage comme Ruwanda sourire et rire en commettant l’irréparable va créer un sentiment d’effroi, mais aussi une profonde tristesse. L’horreur se teint alors d’une autre forme de drame en venant briser des sourires chaleureux en une forme distordue et macabre synonyme propre à ce monstre qui a pris une apparence humaine. Une première catégorie de titres mettant en scène ces êtres comme les antagonistes de l’histoire et qui arrive à insuffler la peur en nous par le contraste qui existe entre l’image que l’on a d’un enfant et ce qu’il commet ici. Mais si dans From the Red Fog il y a cet aspect bestial qui ronge le protagoniste, l’effroi peut aussi être vecteur de messages encore plus forts. Quand des gamins basculent de l’autre côté, cela peut autant susciter la crainte que montrer de terribles cicatrices chez eux. Dans ce domaine, de nombreux artistes ont su retenir l’attention comme par exemple Rensuke Oshikiri. Rien qu’avec “Le Perce Neige”, l’auteur avait su créer un récit horrifique où l’effroi était autant présent dans les actes de la jeune fille au centre de l’histoire que ce qu’elle a subi. Un manga qui utilise la peur comme moteur pour montrer la noirceur de ce monde et surtout à quel point le désespoir entraîne encore plus de souffrances. Les frissons que l’on éprouve tout au long de cette série se mêlent ainsi à un puissant chagrin de se dire que tout cela aurait pu être évité. Un manga qui reprend des codes de l’horreur pour aborder des sujets de société importants. C’est aussi un peu pareil dans Sayuri où la présence d’esprits dans une maison va mettre à nu les liens au sein de cette famille. Il peut donc être intéressant de voir comment les auteurs arrivent à utiliser la présence d’enfants dans leurs histoires terrifiantes pour susciter l’émotion chez le lecteur, mais aussi dans le but de mettre en lumière des origines bien plus sinistres au mal qui peut les ronger.
Une figure qui appuie l’horreur
Encore une fois, le genre du manga horrifique est bien loin de se cantonner à simplement une bonne dose d’hémoglobines ou des gens apeurés. Il y a énormément de possibilités derrière ce thème pouvant amener à des expériences fortes, marquantes et mettant en avant des sujets importants. Tout comme dans les autres domaines, il existe une myriade de ramifications qui peuvent donner tellement de nuances à un récit de ce type. Faire appel à une figure enfantine en est un bon exemple et va susciter des émotions radicalement différentes que lorsque l’on est plongé dans une épopée mettant en scène des ados ou adultes. Certaines de ces œuvres ont même su se hisser parmi les grands noms comme c’est le cas pour “L’école emportée”. Un parfait représentant de ce qu’il est possible de raconter en brisant ce bouclier qui entoure ces gamins pour les pousser dans leurs derniers retranchements. Une histoire où les gens en qui ils devraient avoir confiance se montrent finalement incapables de tenir leur rôle. Même dans un titre qui se veut très difficile comme “Children”, il y a une volonté de raconter quelque chose derrière au-delà de simplement créer le malaise chez le lecteur. J’avais très envie de parler de ce sujet, car c’est un constat que je m’étais fait en dévorant énormément de séries horrifiques peu importe le format. On a un rapport tout à fait singulier avec cette mise en danger des jeunes générations.
Cela a commencé avec des œuvres comme L’Exorciste, La Malédiction, divers ouvrages de grands auteurs comme Stephen King et cela a perduré par la suite. De nombreux artistes, réalisateurs et écrivains ont brisé cette invulnérabilité pour nous mettre au contact direct de cette fébrilité à l’idée qu’il puisse arriver quelque chose d’affreux à ces personnages. A l’image du début d’Assaut de John Carpenter, de la bande d’amis dans It, des victimes dans Les Dents de la Mer ou bien de Emma et des autres orphelins dans The Promised Neverland, personne n’est à l’abri. Le manga est une autre forme d’art et d’expression où l’on peut se confronter à des peurs profondes et ce que nous venons de traiter aujourd’hui fait partie de ces nombreux éléments que les auteurs ont pris pour les tordre à leur manière. Même dans une saga comme Fullmetal Alchemist, le passage inoubliable et terrible mettant en lumière le tragique destin de Nina Tucker inspire l’effroi. De nombreux exemples qui montrent que la peur ne s’arrête pas uniquement à un genre. Elle peut aussi se combiner à d’autres récits pour venir surprendre et mettre un coup de massue au lecteur. J’espère que ce premier numéro du “Manga Horror Show” de 2022 vous aura plu et qu’elle vous aura donné envie de vous pencher sur le sujet. On se retrouve dès samedi prochain pour un autre billet sur ces récits qui nous filent bien des frissons. N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre avis sur la question.