Portraits croisés : Reinhard et Yang
Après l’excellent accueil que vous avez réservé pour le premier numéro de “Portraits croisés”, je me suis dit que cela serait intéressant de prolonger l’expérience. Après tout, nombreux sont les personnages, scènes ou éléments qui peuvent entrer en résonance que ce soit dans un même titre ou des mangas différents. C’est pour ça que j’ai eu plusieurs idées de sujets qui me sont venus en tête avant d’arrêter mon choix sur une œuvre que j’adore et qui pourtant est loin d’être la plus présente dans les discussions. Je parle ici des Héros de la Galaxie, dont le manga est disponible chez Kurokawa et l’anime sur ADN. Cette saga est sûrement l’une des plus importantes dans l’univers du space opera et cela bien avant les versions que l’on connaît maintenant. Ayant pu réellement me plonger dedans avec ce que l’on a pu voir récemment, j’ai été tout de suite bluffé par la dualité qui s’offre à nous par le biais des deux protagonistes de cette histoire. Reinhard et Yang, deux rivaux qui vont avoir aussi leur propre combat à mener. Il est alors intéressant de voir, à travers leur prisme, comment ils perçoivent le pouvoir et surtout comment celui-ci impacte leur destin.
Reinhard, le noble déchu désirant le changement
Pour débuter, nous allons nous attarder sur le personnage de Reinhard et tout ce qui l’entoure. Issu d’une famille d’aristocrates déchue, il va très vite ressentir une envie de vengeance à l’égard de cet empire qui a traîné le nom des siens dans la boue. Il n’est pas uniquement question ici de représailles, mais de montrer à l’ensemble de cette nation galactique de quoi il est réellement capable. Nous sommes donc plus, de prime abord, dans une volonté de faire ses preuves et d’obtenir la place qu’il pense mériter. D’ailleurs, la relation naissante avec son ami d’enfance va consolider le fait que derrière ce regard sévère se cache un garçon capable aussi de sourire ou d’être proche des autres. Mais c’est véritablement quand sa sœur est choisie pour être aux côtés de l’empereur qu’il va chercher à changer les choses au sein même de cette puissante nation. On va donc assister à l’ascension d’un jeune homme au sein de la hiérarchie militaire, depuis ses débuts en tant que cadet à son quotidien de grand officier de la flotte. Diverses étapes qui vont apporter leur lot d’épreuves, mais aussi de réussites et de désillusions. Ce qui est intéressant de noter concernant le rapport de Reinhard avec le pouvoir, c’est qu’il sait que pour atteindre ses objectifs, il a besoin de plus d’autorité. Ainsi, en parallèle de défendre les intérêts de l’Empire sur le front face à leur adversaire de toujours, notre protagoniste va aussi mener son propre combat contre son foyer. Cela passe par un renforcement de ses partisans, gravir les échelons et enchaîner les exploits. Un génie tactique, mais qui fait aussi preuve d’une détermination semblant sans faille.
Là où son rival va prendre une toute autre direction concernant le pouvoir, Reinhard est un homme qui sait pertinemment qu’il doit se rapprocher de ce qu’il déteste pour arracher le mal à sa racine. Un désir de puissance encore plus grand que celui qui est déjà mis en place. Dans ce sens, on arrive à comprendre ce désir qui l’anime et qui naît avant tout de son envie de transformer cette société qui ne se base que sur la lignée alors qu’il existe de talentueuses personnes en dehors de ces hautes strates. De même, il y a aussi cette envie de retrouver sa sœur et ainsi, on sent son envie de mettre en avant la famille et l’amitié. Des valeurs fortes, mais qui ne vont pas l’empêcher de se confronter à la part sombre du pouvoir. Si ce dernier est présenté comme un élément obligatoire de la réalisation de ses projets, celui-ci a forcément un coût. Il a beau se hisser comme un représentant de plus en plus convainquant pour être dans les hautes sphères de la nation, ce rôle qu’on lui donne va aussi avoir des répercussions terribles. Le jeune homme qui pouvait confier sa vie à son ami d’enfance et qui se présentait comme un chef sévère, mais juste se transforme petit à petit au fil de son ascension. Il devient progressivement capable des pires actes pour obtenir ce qu’il souhaite et va même s’éloigner de plus en plus de Siegfried alors qu’il était son plus proche confident et conseiller. Il devient manipulable, et même parfois l’instrument des ambitions de certains alors qu’il faisait preuve de clairvoyance jusque-là. Une descente dans les abysses du pouvoir qui va l’amener à perdre énormément. A travers son parcours chaotique, on nous montre à quel point cette recherche du pouvoir peut être à double tranchant. Un élément nécessaire pour changer les choses, mais qui peut aussi prendre la forme d’une graine corrompue venant transformer totalement une personne aux intentions louables en un chef terrifiant.
Yang, le stratège s’éloignant des hautes sphères
A présent, il est grand temps de s’attaquer au cas de Yang, le rival de Reinhard et héros de l’Alliance des planètes libres. Si les deux protagonistes vont tisser un lien très spécial de respect malgré leur statut d’adversaire, ils sont tout de même diamétralement différents sur bien des points. Alors que l’on a pu aborder l’ambition dévorante du jeune stratège de l’Empire, celui que l’on surnomme le magicien du champ de bataille est tout le contraire. A ses yeux, rien n’est plus problématique que d’être sous le feu des projecteurs. Préférant vivre un quotidien paisible loin de toute l’effervescence et les problèmes de la politique, Yang est avant tout un homme qui prône la paix. Un érudit qui cherche toujours à s’en sortir en évitant le maximum de victimes des deux côtés du conflit. Cela fait de lui un personnage assez extravagant pour son entourage alors qu’en réalité, il est pleinement conscient de ce qui l’entoure. Il sait parfaitement à quel point un tant soit peu de pouvoir ou d’autorité peut entraîner le plus pur des hommes à noircir son cœur. Les intérêts personnels entrent alors en opposition avec le bien-être commun de chacun. Même en étant dans une société qui prône l’égalité et la démocratie, il est constamment témoin des manœuvres de ces hommes n’ayant jamais foulé le champ de bataille pour assurer leur statut le plus longtemps possible. Ainsi, dès le départ, cet officier se présente comme une mise en garde de ce que cette “supériorité” peut provoquer chez l’être humain. D’ailleurs, la série est jonchée de moments nous montrant ça et donnant raison à Yang dans ses tragiques prédictions. Mais même lui n’arrive pas pour autant à voir toute l’étendue de ce que ce sentiment de suprématie peut provoquer comme catastrophes.
On peut en être témoin quand il voit tant de soldats partir au combat en sachant parfaitement que cela ne pourra entraîner qu’un massacre. Et c’est là que l’on va aborder quelque chose de très intéressant dans l’écriture de ce protagoniste. Quand on y pense, Yang est un officier réfléchi et qui veut justement ne rien avoir à faire avec les politiciens ou bien des supérieurs incompétents, car il sait où ça pourra le mener. Cependant, il est aussi le prisonnier de son devoir et va ainsi devenir, par moments, l’instrument des puissants qui désirent parfaire leur image. Il a beau totalement savoir que ce qui arrive est une mauvaise idée, il ne peut malheureusement pas aller à l’encontre de son rôle ou bien de son envie d’être là pour limiter la casse. En fait, il a beau être un individu d’une grande intelligence et surtout d’une capacité d’adaptation hors norme, il reste avant tout un soldat devant jouer le rôle de ses supérieurs. Il en est même à devenir un symbole malgré lui et va juste faire de son mieux pour qu’un drame prévisible face le moins de victimes possibles. C’est donc encore plus triste de voir qu’il sait son incapacité à éviter ça et qu’il risque sa vie non pas dans l’espoir fou de gagner, mais juste d’éviter un plus gros massacre. Et cela ne se limite pas uniquement à un passage en particulier, mais bien à plusieurs reprises et qui vont autant servir à souligner le problème qui ronge cette Alliance que l’importance du rôle de Yang. Un héros qui ne cherche pas à être idolâtré, mais juste à ce que tout le monde puisse profiter de la paix. Un pacifiste obligé de prendre les armes pour les ambitions de quelques hommes et qui, par manque de pouvoir de son côté, ne peut totalement entraver leurs actions.
Un rapport différent du pouvoir
Il est captivant de voir que la dualité que nous offre cette rivalité va bien plus loin que ce que l’on pourrait croire au premier abord. Bien sûr, nous sommes face à deux ennemis qui vont se confronter à de multiples reprises et symboliser deux façons de penser différentes. Mais ils sont aussi dans une perception spécifique du champ de bataille et de ce qui se passe autour. En plus d’être des officiers qui vont capter toute notre attention, ils sont aussi là pour nous montrer les facettes les plus sombres du pouvoir. Dans un sens, que ce soit pour l’un ou pour l’autre, on veut nous montrer qu’il est nécessaire d’avoir de l’autorité pour changer les choses. Pour Reinhard, cela est une occasion de bousculer ces vieilles doctrines centrées avant tout sur la noblesse que sur le mérite. Du côté de Yang, c’est le fait d’avoir de l’autorité qui permet d’empêcher des catastrophes face à des gens qui ne pensent qu’à assurer leur position. S’ils nous montrent donc cet intérêt d’obtenir plus d’influence, ils sont aussi une forme d’avertissement dans ce que cela incombe et peut entraîner chez n’importe quel être humain. En effet, que ce soit l’Empire ou l’Alliance, ces deux nations, par le biais de leurs représentants, nous sont montrés comme pourri de l’intérieur. Le premier est rongé par une aristocratie qui ne pense qu’à son statut tandis que le second se cache derrière une démocratie dont le but est de manipuler l’opinion publique pour conserver ses privilèges. Des individus placés au-dessus des autres et qui vont avoir des conséquences directes et indirectes sur la vie de nos protagonistes.
Ainsi, Reinhard, qui atteint progressivement son but, doit lutter contre cette pourriture qui l’envahit et qui lui a déjà fait faire des choses terribles. Pour Yang, cela est montré par son incapacité à empêcher les décisions de ses supérieurs de commettre des erreurs absurdes provoquant des sacrifices innombrables et pourtant évitables. Ainsi, Les Héros de la Galaxie a beau nous plonger dans le quotidien de ces deux hommes destinés à s’affronter constamment, c’est aussi et avant tout une fresque politique nous dépeignant les travers de ces diverses sociétés. Une aventure qui nous prend justement aux tripes par cette faculté à insuffler un réalisme terrifiant dans ces manières de gouverner et qui peuvent mener à de trop nombreuses souffrances. Si nos deux héros sont constamment à la recherche d’un moyen pour vaincre l’adversaire qui se tient devant eux, ils nous ouvrent aussi les yeux que le plus grand danger est parfois derrière ou en nous-même. C’est remarquable de la part de l’auteur d’avoir su insuffler tout ça à travers ses acteurs. Rarement des personnages ont aussi bien remis en cause leur environnement et surtout averti des dangers qui peuvent toucher tous ceux qui s’approchent de près ou de loin à ce pouvoir tant convoité et pourtant si dangereux. J’espère en tout cas que ce second numéro de “Portraits croisés” vous aura plu et qu’il aura su mettre à l’honneur ce remarquable travail d’écriture autour de ces deux grandes figures. N’hésitez pas à me dire si vous souhaitez que je propose d’autres articles de ce genre et à me faire vos propres suggestions. Je serais ravi aussi de connaître votre propre opinion sur cette thématique à travers Reinhard et Yang. Je reste quoi qu’il arrive à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet. L’univers du manga est infini et il y a donc encore tellement de choses à analyser et à découvrir. Le parcours de ces deux hommes continue et il sera captivant de voir s’ils se feront dévorer par ce pouvoir ou bien s’ils arriveront à changer les choses.