Welcome back, Alice T1 : un retour qui fait grand bruit
J’ai déjà pu parler, à l’occasion, de certains mangakas qui arrivent à se distinguer par un style ou une patte graphique qui leur est propre. Cela permet d’ancrer leur nom dans l’esprit du lecteur qui arrive à reconnaître tout de suite quand un manga fut fait sous leur plume ou bien de s’attendre à plusieurs choses bien précises en se lançant dans une de leurs nouvelles séries. Parmi cette longue liste de noms bien connus, il y en a un qui a su se distinguer par sa capacité à créer des histoires qui jouent avec le sentiment de malaise que peut éprouver le lecteur face à certains sujets en plus d’avoir un style graphique bien distinct. Je parle bien sûr de Shuzo Oshimi qui fait son grand retour dans le catalogue de Pika avec son titre “Welcome back, Alice”. A la fois curieux de ce qu’il pouvait nous offrir ici et pensif de cette histoire inédite au vu des précédentes séries, j’ai finalement sauté le pas en lisant ce premier volume. Réservée à un public averti, cette introduction parvient autant à conserver ce qui fait la marque de cet artiste qu’à délivrer une tranche de vie qui va nous emmener vers des thématiques bien précises. Préparez-vous donc à faire la connaissance d’adolescents qui vont voir leur vie bousculer par un retour plus que surprenant.
Un trio uni par un étrange lien
Synopsis
Yôhei, Kei et Yui, en première année de collège, se connaissent depuis leur plus jeune âge. Avec le temps, Yôhei a développé des sentiments envers Yui qui ressent, elle, une forte attirance pour le beau Kei. Une situation qui va mettre leur amitié à rude épreuve juste avant les vacances d’été. Mais voilà qu’à la suite de la mutation professionnelle de son père, Kei quitte brusquement Tokyo pour Hokkaido, mettant un terme à ce déroutant triangle amoureux. Quelques années plus tard, c’est la rentrée au lycée. Yôhei, toujours aussi attiré par la ravissante Yui, est pourtant troublé par une nouvelle élève, très entreprenante, qui n’est une autre que… Kei.
Mangaka : Shuzo Oshimi
Quand on se pose quelques minutes pour s’attarder sur ce synopsis, beaucoup de questions fusent déjà avant même que l’on ne soit réellement plongé dans Welcome back, Alice. De plus, en connaissant les précédentes œuvres du mangaka, on sait que l’on peut s’attendre à beaucoup de choses notamment au niveau de ce que cette histoire va nous faire ressentir. Et il faut reconnaître qu’une fois encore, nous faisons face à une tranche de vie fort singulière qui va nous confronter aux regards des autres et surtout à une thématique très ancrée dans la société et ce depuis fort longtemps.
Une réflexion troublante sur l’adolescence
Comme on pouvait s’en douter, ce premier volume de Welcome back, Alice arrive à être autant déroutant que fascinant dans la manière dont le mangaka parvient à nous embarquer dans son histoire. Initialement, on a le sentiment de suivre des adolescents qui sont tout à fait ordinaires dans leur quotidien. Même si l’attitude de Kei semble parfois singulière avec ses questions, tout cela s’inscrit dans cette période de la vie où les questions fusent notamment concernant les rapports sexuels et l’attirance que l’on a pour les autres. On va donc se retrouver devant des personnages qui brillent justement par leur banalité sans pour autant que l’on n’arrive à se dégager de cette atmosphère dérangeante qui semble se dessiner au loin. Là encore, le style graphique de Shuzo Oshimi joue un très grand rôle dans cette impression que l’on va avoir. Avec son trait qui arrive à raconter bien plus de choses que par une multitude de mots, il suffit de quelques regards sur le visage de ces personnages pour ressentir une forme de malaise sans qu’on arrive à se l’expliquer. Un talent qui va permettre à l’artiste de nous amener progressivement vers ce qu’il désire réellement nous raconter à travers cette série. Et tout va se déclencher dès l’instant où l’on assiste au retour de Kei sous sa nouvelle apparence. Les questions s’enchaînent dans notre esprit au même titre que Yôhei et Yui qui sont déboussolés par ce retour. Un changement crucial qui va nous ouvrir les yeux sur tout ce qui se préparait depuis la toute première page.
Nous sommes face à une œuvre qui veut parler de la notion de désir sexuel et surtout à quel point celle-ci est conditionnée par la société. Le mangaka veut justement ici que l’on s’attarde sur le regard que le monde a sur l’homme qui se doit d’être porté sur la chose sous peine que l’on remette en cause sa virilité. Des cases archaïques et qui n’ont pas lieu d’être, mais qui sont toujours profondément ancrées dans l’esprit d’une bonne partie de la population et c’est encore plus vrai au Japon. En mettant en scène un personnage comme Kei qui se veut justement ambigu dans ce qu’il ressent, le manga veut nous montrer à quel point le regard des autres peut être violent et surtout représentatif d’une incompréhension pour ceux qui se sentent juste différents. Il veut nous faire réfléchir et mettre aussi à l’épreuve notre propre vision que l’on a de l’image de la gent masculine et de toutes ces idées préconçues qui n’ont pas lieu d’être. Et là où on a souvent des personnages de ce type pour parler de sujets aussi importants, ici il y a un élément qui va aussi avoir son importance dans le comportement de Kei. Le fait qu’il soit entreprenant va justement bousculer tout ce que l’on peut connaître habituellement en nous présentant une figure qui se moque du regard des autres et veut simplement suivre ce qu’il ressent quitte à passer pour un phénomène de foire auprès de ses camarades de classe. Le fait qu’il soit aussi direct vient fissurer cette bulle sociale que l’on se fait tous inconsciemment afin de se protéger et va justement créer ce sentiment étrange que l’on va éprouver tout au long de la lecture. Une histoire qui utilise à merveille tout ça pour traiter d’une thématique sérieuse et qui nous impacte que l’on en soit conscient ou non.
Il n’y a pas à dire, le mangaka sait comment déstabiliser le lecteur et Welcome back, Alice en est encore la preuve. Si l’on peut s’interroger sur la direction que va prendre cette histoire, force est de reconnaître que le titre parvient à traiter de façon prometteuse de plusieurs sujets de société à travers la patte si spécifique de cet artiste. On observe le quotidien de nos trois protagonistes en nous demandant comment tout ça va évoluer au vu de ce retour qui fait beaucoup de remous chez certains. Une œuvre à ne pas mettre entre toutes les mains et qui intrigue autant qu’elle nous trouble dans la manière de raconter son récit.
Welcome back, Alice déroute
Oui, Welcome back, Alice est une œuvre qui se réserve avant tout pour un public averti du fait de ses thématiques et des passages assez crus qu’il peut y avoir. Mais en dehors de ça, on sent qu’il y a quelque chose de très fort qui se dégage de cette lecture. Il ne s’agit pas uniquement de retrouver le style de Shuzo Oshimi une nouvelle fois. L’auteur utilise surtout tout ce qu’il connaît et surtout son approche si spécifique pour nous emmener sur un autre terrain. S’il y a toujours eu des thématiques très portées sur le désir, les rapports charnels ou traitant de problèmes de société, ce manga nous amène ces sujets sous un angle différent. D’ailleurs, il est vraiment intéressant de lire les mots de l’auteur à la fin du premier volume pour comprendre que cette œuvre se veut très personnelle pour lui. Il extériorise ce qu’il a pu ressentir pendant une partie de sa vie et surtout à quel point cela peut être éprouvant de se conformer aux codes d’un monde qui ne nous accepte pas comme on est. Les faux-semblants détruisent petit à petit la vraie nature des gens et surtout ce qui fait leur différence. Et là, il nous délivre une introduction qui est justement là pour donner un coup dans la fourmilière à travers le personnage de Kei. D’ailleurs, c’est bien pour ça que le contraste entre lui et ses deux amis est aussi fort. Il symbolise quelque chose de nouveau pour ces deux étudiants qui n’arrivent pas à comprendre ça et qui vont se retrouver désarmés face à son attitude. Pris entre leur regard formaté du monde et ce changement chez leur ancien ami, ils ne savent plus quoi penser.
Vous l’aurez donc compris via ces quelques lignes, mais j’ai été bluffé par ce premier volume de Welcome back, Alice. Si j’attends de voir un peu plus loin pour savoir si ce titre peut devenir un coup de cœur, force est de constater qu’il ne laisse en tout cas pas indifférent. Shuzo Oshimi est un artiste remarquable dans sa capacité à attiser autant le malaise que l’intérêt du lecteur. Cela passe autant par les thèmes choisis, la manière de les exposer que dans ce dessin qui lui est si propre. On enchaîne les pages en étant aussi confus que les protagonistes avant d’ouvrir les yeux sur tout ce que raconte réellement ce premier acte. Et cela ne fait que renforcer notre curiosité pour la suite étant donné que l’on est avant tout face à une mise en place du décor et de l’intrigue. Des pages qui expriment la virtuosité de cet homme pour créer des histoires qui ne peuvent laisser de marbre. Si vous appréciez son style ou bien ses précédentes séries et que vous souhaitez un récit qui aborde des thématiques très actuelles, alors vous devriez apprécier cette découverte. Je ne peux finir ma chronique sans évoquer les questions qui me viennent en tête. Est-ce que Kei va continuer à se rapprocher aussi directement de ses deux vieux amis ? Comment vont réagir ces derniers face à tous ces bouleversements ? Ce revirement va-t-il amener de terribles réactions au sein de cette classe ? Je suis intrigué par ce qui nous attend dans le prochain acte de cette singulière tranche de vie.
N’hésitez pas à partager dans les commentaires votre propre avis ainsi que votre ressenti concernant ce premier volume de Welcome back, Alice. Trouvez-vous que l’auteur parvient à parler avec habileté de plusieurs sujets assez sensibles au sein de cette introduction ? Est-ce que vous avez le sentiment de retrouver cet aspect déroutant et parfois malsain que l’on peut avoir dans plusieurs œuvres du mangaka ? Êtes-vous intrigué de voir comment va évoluer ce trio qui nous est présenté ? Pensez-vous que l’on va assister à un développement pertinent des relations entre nos protagonistes ? Qu’attendez-vous pour la suite de la licence ? Je reste à votre disposition pour échanger, discuter et débattre autour de ce sujet.
© 2019 Oshimi Shuzo, Kodansha