Kanki

Quand tous les coups sont permis : Kanki et son art

On continue d’aborder notre semaine thématique où tous les coups sont permis pour évoquer sans nul doute l’un des maîtres en la matière. Il est parvenu à se tailler une sacrée réputation depuis sa première apparition dans le manga Kingdom. On parle bien sûr ici de ce cher Kanki. C’est donc dans le titre des éditions Meian que l’on a pu faire la connaissance de cet homme qui n’a eu de cesse de nous montrer à quel point la stratégie peut s’avérer brutale. Un bandit dont les capacités parviennent même à dépasser les plus grands cerveaux de cette ère de chaos de par sa faculté à effectuer ceux que les autres rebutent de faire. Si l’on a pu voir hier un personnage qui a fini par se perdre dans son propre intellect par le pouvoir qui lui fut donné, ici c’est une toute autre facette de l’être humain que l’on peut voir. On se retrouve propulsé dans le cerveau d’un individu qui, dès le départ, n’a absolument aucun scrupule à s’en prendre à des innocents si cela peut lui dégager le chemin vers la victoire. Le représentant parfait de l’aspect démoniaque qui peut habiter l’âme d’un homme et qui est tiré à son paroxysme. On espère donc que vous avez le coeur bien accroché, car il est temps de côtoyer le diable du champ de bataille.

Le bandit digne d’un stratège

Kanki-tactique

Un regard qui en dit long.

Ce qu’il est d’abord intéressant de noter concernant Kanki et sa vision du combat, c’est surtout la manière dont il nous est présenté au départ. Étant constamment affublé du statut d’ancien bandit, lui et toute sa clique ne sont clairement pas très appréciés par les autres corps de l’armée. Au moment de notre rencontre avec cette figure mystérieuse, on est en droit de se demander comment il a pu atteindre un tel niveau dans la hiérarchie militaire. Finalement, la réponse finit par se trouver rapidement lorsqu’on le voit poser les yeux sur ce terrain de jeu pour lui et ses hommes. A travers son regard, il ne voit nullement la confrontation comme peuvent le voir les autres généraux. Ainsi, on prend rapidement conscience de son potentiel qui est bien plus semblable à celui des meilleurs stratèges du pays. Mais encore une fois, le lecteur va se rendre compte qu’il se trompe lourdement sur le potentiel de cet homme et surtout sur l’effroi qu’il est capable d’instaurer chez ses adversaires. Si l’on est déjà témoin de ses manœuvres pour les moins douteuses et discutables, il ne va finalement montrer toute l’étendue de sa cruauté qu’une fois la bataille de Kokuyou. Ce qui devait être un affrontement redoutable entre Qin et Zhao va au final être une terrible leçon donnée par Kanki qui n’a absolument aucun honneur et c’est ce qui fait toute sa force.

Si l’on est en droit de se dire qu’un individu tel que lui ne mérite pas les éloges qu’on lui donne de par ses agissements, force est de reconnaître que c’est justement ça son plus gros point fort. Là où la majorité des tacticiens font de leur mieux pour n’impliquer que les soldats en jeu et éviter des pertes civiles, cet officier n’en a absolument rien à faire. Il est même prêt à sacrifier des villages entiers si cela peut lui permettre de briser son opposant. On est donc face à un homme qui surpasse même les plus grands cerveaux des sept royaumes, car tout peut se transformer en opportunité à ses yeux. Ainsi, remporter une victoire n’a vraiment de saveur pour lui qu’à l’instant où il a vraiment pu briser le mental de son adversaire. Un tacticien qui joue sur un tout autre échiquier que ses comparses et qui le rend d’autant plus dangereux. On en arrive même à se demander ce qu’il pense réellement de tout ça. La guerre lui paraît presque être un simple terrain de jeu où il peut faire ce qu’il veut des pions en place, qu’ils soient ennemis ou alliés. Ainsi, il représente presque une entité à part entière dont l’honneur n’a que peu d’importance et où il insuffle la peur des deux côtés du champ de bataille. Pour lui, la légende de Kanki ne peut que s’écrire en lettres de sang et il se fera un malin plaisir à l’écrire lui-même s’il le faut.

On est donc en droit de se demander pourquoi un tel individu n’est pas sanctionné avec de telles méthodes. C’est là qu’arrive une autre facette de l’oeuvre dont l’auteur a soigneusement préparé pour ce personnage. En réalité, si l’on est au contact direct des agissements de ce général, il faut parfois prendre un peu de recul pour mieux comprendre toute la force et la perversion d’un individu. Ce que l’on trouve abject et intolérable de sa part est vu comme un moyen comme un autre par certains pour pouvoir en finir une bonne fois pour toute avec cette ère de conflits.

Un tueur protégé par ses résultats

Il est ainsi très pertinent de voir la façon dont sont perçu les méthodes de Kanki par les autres étant donné que la majorité des officiers, et même hauts dignitaires ne suivent pas du tout le même chemin. A leurs yeux, on partage un sentiment dégoût identique envers cet homme, mais c’est là qu’arrive la grosse nuance propre au contexte du récit. En effet, il ne faut pas oublier que l’on est plongé au coeur d’une époque où les conflits ne s’arrêtent jamais. Toutes les forces cherchent à instaurer leur suprématie, et même Ei Sei ne souhaite que d’unifier la Chine. Un rêve pouvant sembler saugrenu au vu de la difficulté de la tâche et des adversaires à abattre. Une ère qui ne trouve la réponse que dans la violence et dont Kanki est le digne représentant. Que cela soit son ancienne vie ou bien sa nouvelle fonction, il n’y a absolument aucune raison à ses yeux de ménager les gens qui peuplent un royaume adverse. Tout cela fait partie des dommages collatéraux transformant ainsi l’humanité qu’il pouvait y avoir encore sur certains champs de bataille en un raz-de-marée de sang. En temps normal, de tels agissements devraient, selon toute vraisemblance, être condamné par tous ceux qui l’entourent. Malheureusement, le fait est que les résultats sont là et qu’il ne peut donc y avoir aucune véritable remontrance en cette période de guerre. On ouvre alors les yeux en voyant cela que Kanki est un monstre, mais dont l’utilité passe avant la brutalité de ses actes.

Ainsi, le fait de passer du temps en compagnie de ce meneur va nous permettre autant de mieux le cerner que d’avoir un reflet de tout ce qui est autorisé lorsque les affrontements éclatent. Pour certains personnages, cette barbarie est tolérée tout simplement parce que cela peut accélérer la paix espérée. Vient alors se poser la question de savoir si un pays unifié par autant de sacrifices peut vraiment tenir. Un message qui fait directement écho avec les propos tenus par le roi de Qin qui se bat de son côté pour penser autant à l’instant présent qu’à la suite de son plan. Après tout, il serait inenvisageable pour des citoyens d’obéir à un souverain qui laisse de telles horreurs se produire. Cela finirait soit à nouveau dans le sang soit par une dictature totale dont la pérennité serait loin d’être assurée. Donc, le comportement de Kanki sur le terrain a autant une importance dans le combat qui se joue devant nous que sur l’ensemble du pays en ayant des répercussions inattendues sur sa conquête. Rien qu’en prenant le sujet dans ce sens, on remarque qu’il y a donc beaucoup plus de profondeur dans ce personnage que l’on aurait pu l’imaginer et c’est bien loin d’être fini. En effet, à travers cet officier de talent, mais impitoyable, Yasuhisa Hara souhaite aussi exprimer autre chose. Un élément essentiel qui n’était que peu apparu depuis le début de Kingdom et qui refait pleinement surface à chaque fois que cet homme est dans les parages. Une vérité tragique qui n’est autre que personne n’est à l’abri lorsque les tambours de guerre résonnent et que chaque victime peut être un coup fatal pour le camp adverse.

Quand on s’attarde un peu plus sur son cas, on remarque facilement que Kanki a beau être une des pires ordures qui soit, il est avant tout le représentant d’une période où la violence était omniprésente. Les guerriers suivants un code de conduite ou préférant l’honneur à la honte étaient parmi ceux à disparaître le plus vite. De ce fait, ce général symbolise toute la quintessence de ce que l’homme est capable de faire pour survivre et surtout écraser ceux qui se tiennent devant lui. Il est tout simplement une partie à part entière de ce que la guerre peut provoquer et surtout détruire sur son passage.

Kanki fait trembler le monde

Kanki-adversaire

Un adversaire bien trop redoutable.

Lorsque l’on y regarde de plus près, la grande majorité des personnages de Kingdom peuvent refléter une partie de ce qui peut constituer une ère de confrontations perpétuelles comme désirs, souhaits, mais aussi obligations. Jusqu’à maintenant, on avait toujours le droit à rêver de grandeur en écoutant Shin ou bien Ei Sei, mais c’est en entrant au contact de Kanki que l’on ouvre les yeux sur l’horreur de la situation. S’ils se battent pour amener la paix, ils sont obligés pour cela de passer par la guerre et donc d’inonder ces terres du sang de leurs ennemis. L’officier bandit qui s’amuse à faire tant de ravages ne représente, dans un sens, que le chemin le plus sombre, mais tout de même probable, d’atteindre un voeu de conquête. En mettant en avant Kanki, l’auteur nous délivre non pas un camarade pour nos compagnons de route, mais bel et bien un opposant faisant partie du même camp. S’ils ne se font pas face à face au cours d’une bataille, cela n’empêche pas de voir une autre lutte apparaître et qui représente sûrement l’un des plus grands défis pour le chef de l’unité Hi Shin. C’est en parvenant à atteindre le grade de cet homme et surtout en restant fidèle à ses principes qu’il pourra se tenir devant lui et imposer sa propre vision des choses. De ce fait, en créant un individu comme ce cher Kanki qui est prêt à toutes les abominations pour gagner et survivre, le mangaka donne naissance à un être dépassant de loin le cadre du simple commandant.

A lui seul, il représente ce qu’il y a de pire pour une terre en proie au chaos et à l’avidité de ces voisins. Un tacticien que nul ne peut égaler de par sa fourberie qui n’a aucune limite et qui s’avère être un obstacle pour notre tandem de héros. Un mal parfois nécessaire pour permettre à ces deux jeunes hommes de grandir, d’être en contact avec la terrible vérité de leur époque, mais aussi de redoubler de détermination pour en finir avec tout ça. Plus que Riboku, Renpa ou bien Ryo Fui, Kanki est l’un des principaux adversaires de cette oeuvre de par ses actions, mais aussi sa symbolique. Il va donc être très intéressant de voir comment tout cela évolue et surtout ce que son futur va bien pouvoir entraîner autour de lui. Un démon que les hommes appellent pour faire le ménage, mais dont ils espèrent secrètement pouvoir s’en débarrasser une fois la tempête passée. On espère donc que vous avez apprécié cette chronique et qu’elle vous aura permis d’avoir une autre approche de cet acteur important de Kingdom. N’hésitez pas à dire dans les commentaires votre propre avis sur la question et ce que cet homme représente selon vous. On se retrouve très prochainement pour la suite de cette semaine thématique. 🙂

© 2006 Hara Yasuhisa, Shueisha