Le conflit des générations de Kingdom
Si l’on a déjà traité à maintes reprises de la licence Kingdom sur le site, il y a pourtant un sujet que l’on a toujours voulu analyser plus en profondeur. Ce manga historique devenu culte et édité chez Meian a su nous éblouir par ses combats grandioses, ses batailles épiques, mais aussi par ses personnages et tout ce qui constitue cette ère de conflit. Cependant, au milieu de toutes ses qualités, la licence va aussi aborder un sujet qui résonne constamment tout au long des pages. Il ne s’agit nul autre que de la naissance d’une légende qui passe forcément par un conflit entre l’ancienne et la nouvelle génération. Un élément très important de l’attrait que l’on a pour cette saga étant donné que cette fresque est là pour nous montrer l’arrivée d’un jeune homme qui va tout chambouler. Voilà donc pourquoi on va s’attarder aujourd’hui sur cette opposition qui se joue autant sur le champ de bataille que dans de simples conversations. L’un des cœurs de ce récit que l’on décrypte dès maintenant selon notre propre ressenti. Il est donc grand temps de repartir explorer une fois de plus ces terres gorgées de sang.
Un pays qui n’a connu que la guerre
Ce qu’il faut comprendre avant de s’attaquer au sujet en lui-même, c’est que l’on a beau suivre Shin depuis le départ, la Chine a déjà des années d’histoires. Cela va s’exprimer très rapidement à travers ce que l’on apprend sur la guerre actuelle ainsi que l’état du pays divisé en sept royaumes combattants. On nous le dit clairement que cela fait des siècles que cette contrée ne connaît pas la paix et que des batailles incessantes jalonnent l’existence de ces divers camps. De ce fait, on nous plonge au début du récit de notre protagoniste, mais en plein milieu d’une époque qui a déjà vu maints conflits entre chacune des puissances. Les guerriers et stratèges remarquables sont légion et bon nombre d’entre eux ont déjà su se hisser au rang de légendes sur un champ de bataille. Les noms gravés dans la roche sont donc déjà multiples et des mythes déjà établis depuis bien longtemps semblent maintenant impossibles à faire disparaître. C’est dans ce contexte que Shin débarque et va tenter de passer de simple esclave au grade de plus grand général sous les cieux. Un titre qui peut sembler assez pompeux et impossible à atteindre pour ce simple garçon qui va pourtant nous prouver à de multiples occasions qu’il en est capable. Pourtant, il est important de s’attarder sur le fait de vouloir inscrire à jamais son nom dans les mémoires et ce que cela peut apporter à tous ces gens qui ne pensent qu’à guerroyer. Pour un soldat, l’objectif principal est bien évidemment de servir son souverain et surtout de défendre sa patrie. Cependant, ceux qui arrivent à se démarquer et à grimper les échelons vont avoir d’autres ambitions qui peuvent tout à fait être personnelles ou venir en aide aux leurs. Il y a pourtant un point commun qui relie tous ces hommes qui n’est autre que la notoriété.
Qu’elle soit voulue ou non, tous ceux qui arrivent à concrétiser leur rêve et à survivre à chaque nouvelle lutte vont indiscutablement marquer les esprits de ceux qui se tiennent encore debout. Un redoutable guerrier va voir son nom se transmettre dans les rangs ennemis avant même le début des hostilités et instaurer un climat d’effroi chez eux. Pareil pour un stratège de renom dont la simple présence peut alors suffire à semer la confusion chez l’opposant sans forcément être encore entré dans la danse. Kingdom ne s’arrête jamais de jouer sur ça pour nous présenter les divers personnages comme des individus remarquables qui n’ont clairement plus besoin de faire leur preuve. Des généraux qui galvanisent les hommes sous leur commandement et sèment la terreur en face. Cette série souhaite donc nous montrer la différence qu’il y a entre une jeune pousse qui a encore tout à démontrer et ceux qui sont installés là depuis maintenant fort longtemps et qui ont instauré leur suprématie. D’ailleurs, il est intéressant de noter que même ceux qui ont accueilli la mort à bras ouverts ne disparaissent jamais totalement. Par le récit de ceux qui restent, ces légendes d’autrefois continuent de subsister dans l’esprit des gens et parviennent même à transmettre une partie de leur grandeur avec de simples mots. Cela fait que même en sachant qu’ils sont morts, ces hommes et femmes nous éblouissent étant donné que l’on s’imagine aisément les voir déferler sur une plaine et faire étalage de leur puissance. Cette notoriété, qui va jusqu’à dépasser l’entendement, est donc autant une arme dans les mains de ceux qui sont encore là et un héritage pour les disparus qui ont grandement contribué à l’histoire de ce pays.
Que cela soit en bons ou en de mauvais termes, ces êtres que la terre a rappelé en son sein continuent d’exister et ont donc atteint une forme d’immortalité. C’est cette dernière partie qui va aussi être au cœur de la recherche de tous ces gens à côtoyer les sommets. Avec cette saga, on met directement les pieds dans ce sujet qui sera toujours présent même quand on n’y pense pas forcément. Que ce soit par Shin, les camarades qui viendront se joindre à lui, ses adversaires ou les anciennes légendes, ce récit est parsemé de noms qui ont su laisser une trace chez ceux qui parcourent encore ces royaumes.
Des légendes bien établies
Ce que le manga a parfaitement su accomplir dans son récit, en dehors de ses nombreuses autres qualités, vient de cette faculté à nous faire oublier cette réputation grandissante le temps de certains arcs pour qu’elle revienne finalement avec fracas. On se rend compte alors que derrière la sauvegarde de Qin ou des tentatives d’invasion, cette recherche de la gloire n’a jamais disparu. Elle était toujours présente, impassible, à observer les efforts de chacun pour pouvoir assister à un autre lendemain. Gravé son nom dans les mémoires devient alors un objectif en soi qui accompagne obligatoirement la quête personnelle de notre héros. Cependant, le fait de le suivre justement depuis ses débuts nous montre aussi la difficulté que c’est que de simplement se faire connaître dans une ère où les guerriers talentueux pullulent en tout genre. Ainsi, on a presque la sensation qu’il existe une sorte de compétition entre tous ces individus qui surplombe leur objectif principal de vaincre leur adversaire. Chacun fait de son mieux pour survivre, défendre sa patrie, guider son royaume vers la gloire, mais surtout enchaîner les prouesses militaires. Ce dernier point est d’une importance capitale, car c’est aussi ce qui nourrit le désir de ces hommes à se surpasser. Accomplir des exploits est signe de richesses futures, de nouveaux statuts ainsi que de privilèges permettant d’assurer une certaine loyauté de la part de ces combattants.
On peut donc en déduire que devenir une légende n’est pas forcément un objectif en soi pour la majorité de ces soldats qui souhaitent juste gravir les échelons afin d’avoir un plus grand confort. La mythologie qui se crée autour d’un personnage ne vient donc pas de sa propre volonté, mais de ce qu’il va provoquer dans l’esprit des gens qui l’entourent. Vouloir devenir un homme de renom n’est pas un objectif que l’on peut accomplir seul. C’est une chose qui vient presque naturellement à ceux qui sont restés fidèles à leurs principes et ont su être suffisamment braves, retors ou rusés pour que leur visage ne s’efface jamais de la mémoire des gens. Pour cela, il faut réussir à avoir des actes qui vont résonner à travers la majorité des témoins et ainsi qu’ils le transmettent à toujours plus de monde. Dans Kingdom, on a conscience de ça en voyant ces guerriers vétérans qui parcourent les champs de bataille et qui trucident des gens comme s’ils s’agissaient de simples récoltes. Par les paroles que l’on entend des soldats, les actes de ces hommes et l’aura qui les entourent, on sent que l’on a face à nous un être devenu exceptionnel. D’ailleurs, le mangaka a toujours su faire preuve d’intelligence au niveau de la mise en scène étant donné qu’à aucun moment on n’a l’impression d’avoir des êtres humains en face de nous. La vieille garde nous paraît imposante tels des colosses qui surclassent le commun des mortels. Une sensation de grandeur qui contribue à nourrir notre attrait pour cette ancienne génération qui fait trembler le sol juste par sa présence. Là où l’on suit la progression de Shin et que l’on est captivé par ses compétences, ces adultes n’ont nul besoin de prouver quoi que ce soit. Leur carrure et les autres personnages contribuent à eux seuls à nous faire trembler devant eux.
L’arrivée d’une nouvelle étoile
C’est là qu’arrive le personnage de Shin qui va bousculer tout ce qui a été établi jusqu’ici. Quand on parle de changement, il ne s’agit pas uniquement du destin de ce pays, mais notamment de ces êtres que l’on considère comme des dieux de la guerre. Il a beau être né esclave et débuter du plus bas échelon, il n’a aucun doute sur sa réussite future. On le voit donc se frayer un chemin et étendre son influence au fil des tomes avec une dextérité incroyable. Cependant, le point qui est intéressant dans ce conflit des générations vient surtout au moment où il rencontre ces combattants expérimentés. Même lui n’a pas besoin qu’on lui dise qui sont ces gens, amis ou ennemis, tant il perçoit cette aura propre à ceux qui se sont dépassés. Là où c’est intéressant, c’est la manière dont il perçoit ses êtres ayant depuis longtemps dépassé le statut de simple humain. Il peut être admiratif, effrayé ou même subjugué, mais il reste déterminé à faire face afin d’éclipser ces hommes afin que tout le monde puisse se souvenir de son nom. On est face à un adolescent qui sait pertinemment que pour pouvoir briller à son tour, il doit se frotter à ces légendes et même si elles viennent de son propre camp. Être compatriote ne signifie pas pour autant qu’une relation amicale est forcément présente. Les rivalités existent notamment quand on cherche à atteindre les sommets. C’est donc une course folle qui s’organise et où Shin doit rattraper des personnages qui ont déjà des années d’avance sur lui.
En plus de ça, il n’est pas le seul à représenter cette nouvelle vague qui déferle sur ces terres. Peu importe le royaume, de nouveaux guerriers font leur apparition pour réclamer leur part du gâteau. Un cycle qui se répète et qui va constamment se faire affronter la précédente génération et celle qui se forme. La question est alors de savoir qui va l’emporter et surtout si les noms écrits dans le ciel vont finir par changer pour laisser place à de nouvelles histoires. Cependant, surclasser ses prédécesseurs signifie aussi une chose très importante et qui est parfaitement symbolisée dans Kingdom. Vaincre c’est porter l’héritage laissé par ceux qui sont tombés ou qui se sont retirés. Telle une flamme que chaque groupe nourrit à son tour, elle continue de prendre de plus en plus d’ampleur. Il faut alors avoir les épaules suffisamment larges pour porter ce fardeau qui se transmet d’un guerrier à l’autre. Après tout, les premières légendes sont nées à travers de multiples exploits et celles qui ont suivi se sont confrontées aux précédentes. Au même titre qu’une chaîne alimentaire, il y a toujours quelqu’un pour se hisser tout en haut de la pyramide en ayant au préalable dévoré ceux qui se dressaient sur sa route. En se lançant sur cette voie, chacun sait pertinemment qu’il risque un jour ou l’autre de se faire avoir par plus fort que soi. Que cela soit à cause de l’âge, de blessures ou simplement d’écart de forces, tout peut arriver, mais cela ne signifie pas pour autant qu’une légende disparaît.
Se battre pour exister
Afin de souligner notre propos, on souhaite reprendre les quelques mots que Renpa dit à Shin lors de leur confrontation. Des propos que l’on trouve très juste et qui symbolisent très bien l’immortalité de ces êtres. Alors que le vieillard montre toute l’étendue de sa puissance, il va lancer un défi à son jeune opposant sur le long terme. Il lui demande de réussir à devenir une légende qui sera capable d’éclipser la sienne ainsi que celle des autres officiers de son époque comme Ouki. On touche là à la quintessence de cette notion dans le manga. En effet, vaincre un mythe ne signifie pas pour autant que celui-ci disparaît. Bien au contraire, il va toujours rester dans l’esprit des gens, mais on ne pourra le dissocier de sa défaite face à un autre guerrier en herbe. L’objectif de tous ces hommes n’est donc pas de faire disparaître toute trace de leur opposant. Cela jouerait même en leur défaveur que les gens oublient ceux qu’ils ont combattus. Il s’agit surtout de se surpasser et de réussir là où personne n’y est jamais arrivé. C’est ainsi qu’un nom entre dans l’Histoire aux côtés de tout un tas d’autres. Kingdom nous raconte avec brio ça et donc l’ascension de Shin pour que son existence se retrouve au-dessus des autres sans pour autant les effacer. Il faut que même après des siècles, on se rappelle de ces duellistes qui ont tout fait pour que l’on n’oublie jamais ce qu’ils ont fait et cela passe forcément par se combattre les uns les autres. Une vie de guerrier se joue uniquement sur le champ de bataille et la plus grande récompense qu’il peut avoir est que ses exploits transcendent les âges même après sa mort.
Voilà le discours que l’on peut avoir à maintes reprises dans tout Kingdom. Chaque bataille, combat, conquête, invasion ou défense va permettre de poser de nouvelles pierres à ce monument en l’honneur de ceux qui luttent. Quand on parle de se battre pour exister, c’est surtout que c’était la rare manière pour n’importe qui de pouvoir espérer atteindre la gloire et toucher cette chose que peu d’individus ont pu avoir à savoir l’immortalité. Au même titre que des ballades de bardes qui contribuaient à transmettre leurs connaissances et les récits d’antan, ces officiers qui contemplent l’horizon désirent juste que leur lutte ne soit pas vaine. Un combattant de cette époque se lance donc dans la mêlée autant pour son pays que pour sa propre quête personnelle. Un pan de l’histoire qui s’écrit dans le sang et qui verra s’élever de nombreux grands hommes qui ont fait trembler ces diverses contrées. Il est donc captivant d’observer ces personnages qui font de leur mieux pour défendre leurs idéaux et principes, mais qui cherche aussi à satisfaire leurs ambitions. Chaque victoire devient alors un nouveau souffle pouvant conduire l’un des royaumes à l’unification, mais aussi à la construction de grandes épopées dont les héros sont des gens qui se sont extirpés de la foule pour rejoindre les étoiles. Le spectateur a alors la sensation d’être un témoin privilégié du vécu de ces hommes et femmes. La licence Kingdom est autant un manga épique qu’un recueil où l’auteur souhaite transmettre l’héritage de tous ses personnages qui continueront à vivre ainsi dans l’esprit de chaque lecteur.
Ce que signifie graver son nom à jamais
Pour conclure sur cette analyse autour de cette opposition entre la nouvelle et la vieille génération de combattants dans Kingdom, on souhaitait aborder un petit point précis. Depuis le début, Hara Yasuhisa a toujours su construire un récit à la fois puissant dans son dessin que fascinant dans son contenu. S’il essaye constamment de renouveler l’intérêt que l’on peut avoir pour son manga, il est resté fidèle à l’un de ses sujets qui n’est autre que cette dualité qui s’exprime quasiment constamment dans la plupart des arcs. Shin est un protagoniste que l’on aime suivre autant pour ce qu’il accomplit que pour le fait de voir son mythe se construire. Cela passe inexorablement par la confrontation directe avec des généraux dont le talent n’est plus à prouver et qui servent pourtant de piédestal à ce jeune homme. Au milieu de tous ces êtres qui nous semblent exceptionnels, le mangaka souhaite nous raconter l’ascension d’un individu encore plus spectaculaire. Un garçon qui peut surpasser chaque épreuve et dont chaque victoire l’oblige à porter l’héritage du perdant. En fait, Shin représente parfaitement ce que l’on exprime depuis le début de cette chronique. Il est le porteur des espoirs, des rêves, des récits, mais aussi des souffrances de tous ceux qui ont croisé son chemin. Il est la légende parmi les légendes qui doit constamment avancer pour atteindre un niveau que personne n’entrevoit encore. Quand on l’observe, on voit autant l’adolescent déterminé que ceux qui lui ont confié la suite de cette ère.
On espère en tout cas que cette chronique différente de d’habitude vous a plu. En tant que passionnés d’Histoire, on a constamment cette envie de jeter des coups d’œil en arrière afin de connaître le destin de ceux qui nous ont précédés. Peu importe qu’ils aient été politiciens, soldats, fermiers ou nobles, chacune de ces personnes est intéressante pour avoir su perdurer à travers les siècles. Kingdom est une ode à tous ces individus, même fictifs, qui se battent constamment pour graver leur nom dans l’esprit de ceux qui contemplent ce spectacle. Une incroyable retranscription de ce désir qui peut animer certains à vouloir transcender leur état afin que l’on parle encore d’eux bien après leur mort. N’hésitez pas à nous dire dans les commentaires si vous avez apprécié ce type d’articles et si vous souhaitez donc que l’on continue de vous en proposer. En tout cas, on avait très envie de parler de ce sujet qui a une importance capitale dans cette épopée et que l’on trouve fascinant. On serait d’ailleurs très curieux de connaître votre avis sur la question.